Avis juridique important
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 2 juin 1994. - Empire Stores Ltd contre Commissioners of Customs and Excise. - Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, Manchester - Royaume-Uni. - TVA - Sixième directive - Base d'imposition. - Affaire C-33/93.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-02329
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
++++
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Base d' imposition - Livraison de biens - Contrepartie pouvant consister en une prestation de services - Condition - Prestation de services liée directement à la livraison et exprimable en argent - Livraison d' un article sans frais supplémentaires à une personne se présentant elle-même ou présentant une autre personne à titre de nouvelle cliente - Prix d' achat, pour le fournisseur, de l' article livré
[Directive du Conseil 77/388, art. 11 A, § 1, sous a)]
La contrepartie d' une livraison de biens, et, par voie de conséquence, sa base d' imposition au sens de l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388, peut consister en une prestation de services s' il existe un lien direct entre la livraison de biens et la prestation de services et si la valeur de cette dernière peut être exprimée en argent. Cette valeur, qui est une valeur subjective, et non une valeur estimée selon des critères objectifs, doit, à défaut de consister en une somme d' argent convenue entre les parties, être celle que le bénéficiaire de la prestation de services effectuée à titre de contrepartie de la livraison de biens attribue aux services qu' il entend se procurer et correspondre à la somme qu' il est disposé à dépenser à cette fin.
L' article 11 A, paragraphe 1, sous a), doit, de ce fait, être interprété en ce sens que la base d' imposition de l' article qu' un fournisseur livre sans frais supplémentaires à une personne qui se présente elle-même ou présente une autre personne à titre de nouvelle cliente potentielle, en contrepartie non pas de l' achat effectué mais de la présentation d' une nouvelle cliente, n' est pas la base d' imposition des biens achetés auprès du même fournisseur par la nouvelle cliente, mais correspond au prix d' achat payé par le fournisseur pour l' acquisition dudit article.
Dans l' affaire C-33/93,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par les Value Added Tax Tribunals, Manchester Tribunal Centre (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Empire Stores Ltd
et
Commissioners of Customs and Excise,
une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. G. F. Mancini, président de chambre, C. N. Kakouris, F. A. Schockweiler (rapporteur), P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,
avocat général: M. W. Van Gerven,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Empire Stores Ltd, par Mme Rosamond J. Marshall Smith et M. David Milne, QC,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John D. Colahan, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, assisté de M. Stephen Richards, barrister,
- pour le gouvernement portugais, par MM. Luis Fernandes, directeur du service juridique de la direction générale des Communautés européennes du ministère des Affaires étrangères, Angelo Cortesão Seiça Neves, juriste à la direction générale des Communautés européennes du ministère des Affaires étrangères, Arlindo Correia, sous-directeur général du service administratif de la TVA, et Mme Maria Teresa Lemos, juriste du service administratif de la TVA, en qualité d' agents,
- pour la Commission des Communautés européennes par MM. Thomas F. Cusack, conseiller juridique, et Enrico Traversa, membre du service juridique, en qualité d' agents,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de Empire Stores Ltd, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. John D. Colahan, assisté de Mme Sarah Lee, barrister, et de la Commission à l' audience du 3 février 1994,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 16 mars 1994,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 14 janvier 1993, parvenue à la Cour le 4 février suivant, les Value Added Tax Tribunals, Manchester Tribunal Centre ont posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles sur l' interprétation de l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant Empire Stores Ltd (ci-après "Empire Stores") aux Commissioners of Customs and Excise (ci-après les "Commissioners"), au sujet de deux avis d' imposition fixant la TVA due par Empire Stores sur des biens qu' elle avait offerts à des personnes qui se présentaient elles-mêmes ou qui lui présentaient d' autres personnes comme nouvelles clientes potentielles.
3 Empire Stores est une société de vente par correspondance et sur catalogue. Sa clientèle est essentiellement féminine. Il ressort de l' ordonnance de renvoi que, durant les périodes auxquelles se rapportent les avis d' imposition, Empire Stores utilisait deux procédés pour attirer de nouvelles clientes.
4 Selon le premier procédé, appelé "self-introduction scheme", Empire Stores offrait aux clientes potentielles un article qu' elles pouvaient choisir sur une liste de plusieurs articles et qui leur était livré sans frais supplémentaires une fois qu' elles avaient complété, dans le but de prouver leur solvabilité, un formulaire leur demandant des informations relatives à leur situation personnelle, qu' elles étaient agréées par Empire Stores et qu' elles avaient commandé des articles figurant dans son catalogue de vente ou effectué au moins un premier paiement relatif à une telle commande. Selon le second procédé, appelé "introduce-a-friend scheme", Empire Stores offrait aux clientes existantes, qui lui présentaient une de leurs amies à titre de cliente potentielle, un tel article qui leur était livré une fois que celle-ci avait complété le formulaire, était agréée par Empire Stores et avait effectué un premier paiement relatif à une commande qu' elle avait passée.
5 Quel que fût le procédé utilisé, Empire Stores comptabilisait la TVA due sur les articles livrés sur la base de leur prix de revient. Les Commissioners ont estimé que la TVA aurait dû être calculée sur la base du prix de revient hors taxe, majorée de 50 %, ce qui, selon leur estimation, correspondait aux prix qu' Empire Stores aurait facturés pour les articles en question s' ils avaient été offerts dans son catalogue de vente et ont établi les avis d' imposition correspondants.
6 Empire Stores a introduit des recours contre ces avis d' imposition devant les Value Added Tax Tribunals, Manchester Tribunal Centre qui, dans une décision du 17 août 1992, ont estimé que les recours devraient être accueillis et les avis d' imposition litigieux annulés, tout en ajoutant ce qui suit: "Cependant, à ce stade de la procédure, une des parties ou les deux peuvent souhaiter qu' une ou plusieurs des questions abordées dans la présente décision soient soumises à la Cour de justice des Communautés européennes. Cette décision a donc un caractère provisoire. Si, dans un délai de deux mois à compter de son prononcé, l' une des parties introduit une demande visant à obtenir qu' une ou plusieurs questions soient déférées à la Cour de justice, nous ordonnons qu' un président siégeant comme juge unique connaisse de cette demande et que la procédure au principal soit suspendue jusqu' au prononcé d' une ordonnance ultérieure, les parties ayant la faculté de demander sa reprise. Si les parties ne demandent pas l' introduction d' une demande préjudicielle dans le délai susdit, notre décision deviendra définitive à l' expiration de ce délai..."
7 Empire Stores ayant introduit, le 14 octobre 1992, une telle demande et le juge saisi ayant considéré que les questions proposées constituaient des questions que "le tribunal estime devoir être résolues afin qu' il puisse statuer en l' espèce", les Value Added Tax Tribunals, Manchester Tribunal Centre ont déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"Aux fins de l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires (directive 77/388/CEE, JO L 145, p. 1), lorsqu' un opérateur livre des biens qui lui ont été commandés par correspondance et sur catalogue (articles du catalogue) et use de procédés que nous décrivons de manière détaillée dans la décision annexée et qu' on peut définir succinctement comme suit:
i) lorsqu' une cliente potentielle lui procure des renseignements satisfaisants sur sa propre situation (en particulier, sur son degré de solvabilité), le fournisseur s' engage à lui livrer sans frais supplémentaires un article choisi par elle parmi une gamme d' articles qui lui sont proposés et qui figurent ou non dans le catalogue, si et lorsque cette cliente a son agrément et, soit commande des articles du catalogue, soit, le cas échéant, commande des articles du catalogue et fait dûment le paiement correspondant;
ii) lorsqu' une cliente existante trouve et présente au fournisseur une nouvelle cliente potentielle qui procure des renseignements satisfaisants sur sa propre situation (en particulier, sur son degré de solvabilité), le fournisseur s' engage à livrer sans frais supplémentaires à cette cliente existante un article choisi par elle parmi une gamme d' articles qui lui sont proposés et qui figurent ou non dans le catalogue, si et lorsque cette nouvelle cliente potentielle a son agrément et, soit commande des articles du catalogue, soit, le cas échéant, commande des articles du catalogue et fait dûment le paiement correspondant,
et lorsque le fournisseur ne livre ces articles ne figurant pas dans le catalogue (articles hors catalogue) que dans les conditions susdites et qu' aucun prix de vente normal n' est fixé pour ces articles, en ce qui concerne chacun des deux procédés évoqués ci-dessus:
1) La contrepartie obtenue par le fournisseur pour la livraison des articles hors catalogue est-elle distincte de la somme qui lui est payable pour la livraison des articles du catalogue qui lui ont été commandés?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, comment doit-on déterminer la base d' imposition? La base d' imposition
i) correspond-elle au prix payé par le fournisseur pour l' acquisition de ces articles, ou
ii) au prix auquel le fournisseur vendrait ces articles s' ils figuraient dans le catalogue (prix calculé conformément à la méthode de fixation des prix qui lui est habituelle), ou
iii) à quelque autre montant et, si oui, lequel?"
8 A titre liminaire, il y a lieu de relever que la Commission met en doute la recevabilité des questions préjudicielles. Elle estime qu' une réponse de la Cour à celles-ci n' est pas "nécessaire", au sens de l' article 177, deuxième alinéa, du traité, la juridiction nationale ayant expressément déclaré, dans sa décision du 17 août 1992, qu' il y a lieu d' accueillir les recours introduits par Empire Stores et d' annuler les avis d' imposition litigieux.
9 A cet égard, il suffit de souligner qu' il résulte des points 6 et 7 du présent arrêt que la juridiction nationale a elle-même qualifié de "provisoire" la décision du 17 août 1992 et a constaté, dans son ordonnance de renvoi du 14 janvier 1993, que les questions déférées devaient être résolues afin qu' elle puisse statuer en l' espèce.
10 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la base d' imposition de l' article qu' un fournisseur livre sans frais supplémentaires dans les conditions décrites dans la question préjudicielle à une personne qui se présente elle-même ou présente une autre personne à titre de nouvelle cliente potentielle est distincte de la base d' imposition des biens achetés auprès du même fournisseur par la nouvelle cliente; par sa seconde question, elle demande comment il faut déterminer, en cas de réponse affirmative à la première question, la base d' imposition des articles livrés sans frais supplémentaires.
11 L' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive dispose:
"La base d' imposition est constituée:
a) pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l' acheteur, du preneur ou d' un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations;
..."
12 Il résulte de l' arrêt du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics (230/87, Rec. p. 6365, points 11, 12 et 16), que la contrepartie d' une livraison de biens peut consister dans une prestation de services et en constituer la base d' imposition au sens de l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive s' il existe un lien direct entre la livraison de biens et la prestation de services et si la valeur de cette dernière peut être exprimée en argent.
13 A cet égard, il ressort de la description des procédés utilisés par Empire Stores pour attirer de nouvelles clientes, telle qu' elle est faite dans l' ordonnance de renvoi et résumée dans les questions préjudicielles, que, dans des conditions telles que celles de l' affaire au principal, la livraison de l' article fourni sans frais supplémentaires est faite en contrepartie de la présentation d' une cliente potentielle et non en échange de l' achat, par cette cliente, des biens offerts dans le catalogue de vente d' Empire Stores.
14 Cette constatation est corroborée par le fait qu' un tel article n' est pas fourni à chaque commande et que, dans le procédé appelé "introduce-a- friend scheme", il n' est pas fourni à la cliente qui a passé une commande et effectué le paiement correspondant, mais à la personne qui a présenté la cliente à Empire Stores.
15 Elle n' est pas infirmée par la considération que la livraison de l' article dépend de l' agrément de la nouvelle cliente par Empire Stores, de la commande et du paiement correspondant effectués par celle-ci. En effet, comme l' avocat général le souligne au point 15 de ses conclusions, le fait que la livraison de l' article est subordonnée à des conditions supplémentaires ne lui enlève pas son caractère de rétribution des services reçus par Empire Stores. D' ailleurs, dans le procédé appelé "introduce-a-friend scheme", ces conditions supplémentaires doivent être remplies dans le chef de la nouvelle cliente et non dans le chef de la personne dont le service est rétribué par la livraison de l' article.
16 Le lien existant entre la livraison de l' article fourni sans frais supplémentaires et la présentation d' une cliente potentielle doit être qualifié de direct, car si ce service n' est pas effectué, aucun article n' est dû ni fourni sans frais supplémentaires par Empire Stores.
17 En outre, les services rendus à Empire Stores étant rémunérés par la livraison d' un bien, il est indéniable que leur valeur peut être exprimée en argent.
18 Quant à la détermination de cette valeur, qui fait l' objet de la seconde question, il y a lieu de rappeler que, dans l' arrêt Naturally Yours Cosmetics, précité (point 16), la Cour a précisé que la contre-valeur servant de base d' imposition pour une livraison de biens est une valeur subjective, puisque la base d' imposition est la contrepartie réellement reçue et non une valeur estimée selon des critères objectifs.
19 A défaut de consister en une somme d' argent convenue entre les parties, cette valeur, pour être subjective, doit être celle que le bénéficiaire de la prestation de services, qui constitue la contrepartie de la livraison de biens, attribue aux services qu' il entend se procurer et correspondre à la somme qu' il est disposé à dépenser à cette fin. S' agissant, comme en l' espèce au principal, de la livraison d' un bien, cette valeur ne peut être que le prix d' achat que le fournisseur a payé pour l' acquisition de l' article qu' il fournit sans frais supplémentaires en contrepartie des services en question.
20 Il y a dès lors lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale que l' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la base d' imposition de l' article qu' un fournisseur livre sans frais supplémentaires à une personne qui se présente elle-même ou présente une autre personne à titre de nouvelle cliente potentielle est distincte de la base d' imposition des biens achetés auprès du même fournisseur par la nouvelle cliente et correspond au prix d' achat payé par le fournisseur pour l' acquisition dudit article.
Sur les dépens
21 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni et du Portugal et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par les Value Added Tax Tribunals, Manchester Tribunal Centre, par ordonnance du 14 janvier 1993, dit pour droit:
L' article 11 A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que la base d' imposition de l' article qu' un fournisseur livre sans frais supplémentaires à une personne qui se présente elle-même ou présente une autre personne à titre de nouvelle cliente potentielle est distincte de la base d' imposition des biens achetés
auprès du même fournisseur par la nouvelle cliente et correspond au prix d' achat payé par le fournisseur pour l' acquisition dudit article.