Affaire C-468/93 Gemeente Emmen
contre
Belastingsdienst Grote Ondernemingen(demande de décision préjudicielle, formée par le Gerechtshof te Leeuwarden)
«Article 13 B, sous h), et article 4, paragraphe 3, sous b) – Livraison de terrains à bâtir»
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Conclusions de l'avocat général M. N. Fennelly, présentées le 14 décembre 1995 |
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Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 28 mars 1996 |
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Sommaire de l'arrêt
Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations prévues par la sixième directive – Exonération des livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir – Notion de terrains à bâtir – Définition revenant aux États membres(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 3, b), et 13 B, h))L'article 13 B, sous h), de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives
aux taxes sur le chiffre d'affaires, qui prévoit l'exonération de la taxe des livraisons de biens immeubles non bâtis, exclut
du bénéfice de cette exonération les
terrains à bâtir visés à l'article 4, paragraphe 3, sous b). Cette dernière disposition renvoyant expressément aux définitions des terrains à bâtir des États membres, il revient à ceux-ci
de définir les terrains qui sont à considérer comme des terrains à bâtir, tant pour l'application de l'article 4, paragraphe
3, sous b), que pour celle de l'article 13 B, sous h), compte tenu du renvoi opéré par celui-ci.Il n'appartient en conséquence pas à la Cour de préciser quel degré d'aménagement devrait présenter un terrain non bâti pour
être qualifié de terrain à bâtir au sens de la directive.
ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
28 mars 1996 (1)
«Sixième directive TVA – Article 13 B, sous h), et article 4, paragraphe 3, sous b) – Livraison de terrains à bâtir»
Dans l'affaire C-468/93,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Gerechtshof te Leeuwarden
(Pays-Bas), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Gemeente Emmen
et
Belastingdienst Grote Ondernemingen,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des dispositions combinées des articles 13 B, sous h), et 4, paragraphe
3, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des
États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme
(JO L 145, p. 1),
LA COUR (cinquième chambre),,
composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, J.-P. Puissochet (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann
et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
─pour la commune d'Emmen, par MM. R. Brouwer et W. A. Rouwenhorst, conseillers fiscaux,
─pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
─pour la Commission des Communautés européennes, par M. B. J. Drijber, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de la commune d'Emmen, représentée par MM. R. Brouwer et W. A. Rouwenhorst, du gouvernement
néerlandais, représenté par MM. J. S. van den Oosterkamp, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères,
et G. D. van Norden, directeur au ministère des Finances, et de la Commission des Communautés européennes, représentée par
M. B. J. Drijber, à l'audience du 9 novembre 1995,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 décembre 1995,
rend le présent
Arrêt
1
Par ordonnance du 14 décembre 1993, parvenue à la Cour le 16 décembre suivant, le Gerechtshof te Leeuwarden a posé, en vertu
de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des dispositions combinées des articles
13 B, sous h), et 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation
des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ─ Système commun de taxe sur la valeur ajoutée:
assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la
sixième directive).
2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la commune d'Emmen au Belastingdienst Grote Ondernemingen,
Groningen (service de taxation des grandes entreprises de Groningue, ci-après le
Belastingdienst), laquelle conteste l'assujettissement à la taxe sur le chiffre d'affaires lors de la livraison de terrains non bâtis, en
vertu de la législation néerlandaise qui met en application l'article 13 B, sous h), de la sixième directive.
3
L'article 13 B, sous h), prévoit: Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue
d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessus et de prévenir toute fraude, évasion et abus
éventuels:...
h)les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l'article 4, paragraphe 3, sous
b).
4
L'article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive dispose par ailleurs: Les États membres ont la faculté de considérer également comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération
relevant des activités visées au paragraphe 2 et notamment une seule des opérations suivantes:...
b)la livraison d'un terrain à bâtir.Sont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels par les États membres.
5
Il résulte des éléments du dossier que, aux Pays-Bas, la notion de
terrain à bâtir au sens de la sixième directive n'a pas été expressément définie par le législateur.
6
L'article 13 B, sous h), de la sixième directive est transposé par l'article 11, paragraphe 1, sous a), 1°, de la Wet op de
omzetbelasting de 1968 (loi relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, ci-après la
WOB), qui prévoit:
1. Sont exonérées dans des conditions à fixer par règlement d'administration publique:
a)la livraison de biens immeubles, à l'exception de:
1°
la livraison d'un bien immeuble transformé qui a lieu avant ou, au maximum, deux ans après la première mise en service de
ce bien.
7
En l'absence d'une définition législative de la notion de terrain à bâtir, le Hoge Raad a jugé que la taxe sur le chiffre
d'affaires n'était due au titre de la livraison d'un terrain non bâti mais destiné à la construction que lorsqu'il s'agissait
d'un terrain aménagé. Or, selon la jurisprudence pertinente du Hoge Raad, un terrain non bâti doit être considéré comme aménagé,
si le sol de ce terrain a été préparé en vue d'une construction ou s'il a reçu des équipements qui lui sont exclusivement
destinés.
8
Il apparaît que cette interprétation est plus restrictive que celle que retenait auparavant l'administration fiscale néerlandaise,
selon laquelle un terrain non bâti dont les abords avaient fait l'objet de travaux destinés à le viabiliser devait être considéré
comme un terrain aménagé.
9
Au mois de juin 1992, la commune d'Emmen a livré huit terrains non bâtis, destinés à la construction de logements. Avant la
livraison, le lotissement a été équipé de rues et d'égouts. Les terrains ont été raccordés aux réseaux d'eau, de gaz, d'électricité,
de télécommunications et de télévision par câble.
10
La commune d'Emmen a acquitté un montant total de 67 542 HFL au titre de la taxe sur le chiffre d'affaires, mais a aussitôt
formé un recours contre cette imposition, au motif que, en raison des travaux réalisés, les terrains livrés ne sont pas devenus
des
biens immobiliers transformés, au sens de l'article 11, paragraphe 1, sous a), 1°, de la WOB.
11
Le Belastingdienst conteste l'interprétation de la commune d'Emmen et soutient que les terrains en cause dans le litige constituent
des biens immobiliers transformés au sens de la WOB. En effet, selon l'administration fiscale néerlandaise, chaque lot a été
pourvu d'équipements qui lui sont exclusivement affectés ou a fait l'objet de travaux.
12
Le litige a été porté devant le Gerechtshof te Leeuwarden. Celui-ci s'interroge sur la possibilité de retenir une interprétation
restrictive de la notion de
bien transformé s'agissant de terrains à bâtir. Il observe que, selon la jurisprudence de la Cour, les exceptions aux dispositions d'exonération
de la sixième directive ne doivent pas être interprétées restrictivement.
13
Estimant que le litige ne concerne pas seulement l'application de la législation néerlandaise, mais dépend aussi de l'interprétation
des dispositions combinées des articles 13 B, sous h), et 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, en ce qui concerne
la notion de
terrains aménagés, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
I. a)Convient-il de comprendre par
terrains aménagés, au sens de l'article 4, paragraphe 3, sous b), de la directive, uniquement des terrains dont le sol lui-même a été apprêté
et/ou au profit desquels ont été réalisés des équipements qui ne présentent d'utilité que pour ces terrains mêmes ou
I. b)étant donné le fait que les exceptions aux dispositions d'exonération doivent être interprétées de façon extensive, est-il
déjà question de
terrains aménagés lorsque les terrains figurent sur un plan d'affectation tel que visé au point 2.3, et que, avant la livraison et une première
mise en service, des équipements d'infrastructure y ont déjà été apportés, tels que:
─le creusement de caniveaux et l'installation d'un réseau d'égouts et de rues (servant aux travaux de construction);
─l'installation de raccordements, tels qu'ils sont décrits au point 2.3?
II. Pour le cas où la question énoncée sous I. a) appelle une réponse affirmative, convient-il que les deux conditions formulées
dans cette question soient réunies? Un terrain, qui figure sur un plan d'affectation, pour lequel les équipements mentionnés sous I. b) ont été réalisés, devient-il
alors, du fait d'un ou plusieurs des travaux mentionnés ci-après sous a) à f), un terrain aménagé?
a)L'installation des raccordements susmentionnés dans les limites du terrain.
b)Le placement d'une prise d'eau et d'un prolongement de l'égout collecteur jusqu'en bordure ou même à l'intérieur du terrain
ou le raccordement du terrain au prolongement de l'égout.
c)L'installation, au profit du terrain, d'un dispositif supérieur d'arrivée dans l'égout collecteur.
d)L'exhaussement du terrain au moyen de terre apportée dans ce but.
e)L'installation de collecteurs de refoulement du drainage dans le cadre du plan d'affectation, mais en dehors des limites du
terrain.
f)Le comblement, au moyen de terre apportée à cet effet, d'un fossé situé dans les limites du terrain.
14
Par ses deux questions, la juridiction de renvoi demande en substance si un terrain non bâti doit faire l'objet d'aménagements
particuliers pour être qualifié de
terrain à bâtir au sens de la sixième directive.
15
La commune d'Emmen considère que la notion de bien immeuble transformé, dans la législation néerlandaise, doit être interprétée
conformément à celle de terrain aménagé qui figure à l'article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. Or, cette
dernière notion ne recouvrirait que les terrains qui sont destinés à servir de site d'implantation pour la construction d'un
bâtiment et qui, à cet effet, ont fait eux-mêmes l'objet de transformations substantielles.
16
Le gouvernement néerlandais souligne que la définition des terrains à bâtir est de la compétence des États membres. La notion
de bien immeuble transformé, dans la législation des Pays-Bas, revêt dès lors une signification autonome et ne saurait être
interprétée en fonction des termes
terrains aménagés de la sixième directive.
17
La Commission fait valoir que la soumission à la taxe des livraisons de terrains à bâtir constitue une exception à l'exonération
dont bénéficient les livraisons de biens immeubles non bâtis. Lesdites livraisons sont ainsi placées sous le régime général
de la sixième directive, qui tend à soumettre à la taxe toutes les opérations imposables, sauf les dérogations expressément
prévues. Dans ces conditions, si la sixième directive renvoie aux États membres le soin de définir la notion de terrain à
bâtir, ceux-ci ne sauraient en retenir une interprétation restrictive. Pour la Commission, l'économie de cette notion commande
ainsi que les États membres considèrent comme terrains à bâtir non seulement les terrains déjà aménagés, mais encore l'ensemble
des terrains constructibles, étant admis qu'il leur appartient de déterminer les critères en vertu desquels un terrain revêt
ce caractère.
18
La réponse suggérée par la Commission, ainsi que, dans une certaine mesure, celle de la commune d'Emmen, revient en substance
à proposer une définition communautaire de la notion de terrain à bâtir dont il ne resterait aux États membres qu'à fixer
les conditions d'application.
19
Il y a lieu tout d'abord de relever que, si, selon les termes de la formule introductive de l'article 13 B de la sixième directive,
les États membres fixent les conditions des exonérations en vue d'en assurer l'application correcte et simple et de prévenir
toute fraude, évasion et abus éventuels, ces conditions ne sauraient porter sur la définition du contenu des exonérations
prévues (voir arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, Rec. p. 53, point 32, et du 13 juillet 1989, Henriksen, 173/88, Rec.
p. 2763, point 20).
20
En l'espèce, comme le gouvernement néerlandais l'a souligné à juste titre, l'article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième
directive renvoie expressément aux définitions des terrains à bâtir des États membres. Il en résulte qu'il appartient à ceux-ci
de définir les terrains qui sont à considérer comme des terrains à bâtir, tant pour l'application de cette disposition que
pour celle de l'article 13 B, sous h), compte tenu du renvoi opéré par celui-ci.
21
Cette interprétation est également confortée par le fait que la proposition initiale ainsi que la proposition modifiée de
la sixième directive présentées par la Commission comportaient une définition commune des terrains à bâtir. Toutefois, le
Conseil n'a retenu aucune de ces propositions et s'en est remis finalement aux définitions des États membres.
22
Au demeurant, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que, lorsque le législateur communautaire a fait, dans un règlement,
un renvoi implicite aux usages nationaux, il n'appartient pas à celle-ci de donner aux termes employés une définition communautaire
uniforme (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, Rec. p. 107, point 14).
23
La Commission suggère cependant que la mention, à l'article 4, paragraphe 3, sous b), des terrains nus à côté des terrains
aménagés implique que le législateur communautaire a entendu imposer aux définitions des terrains à bâtir des États membres
certaines limites en vertu desquelles celles-ci devraient nécessairement inclure des terrains qui n'ont fait l'objet d'aucun
aménagement.
24
Conformément à l'article 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive,
Sont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels par les États membres. Il ressort de l'emploi de la conjonction
ou que cette disposition est indifférente aux transformations éventuellement subies par les terrains en cause. L'expression
vise ainsi les terrains qui, aménagés ou non, sont définis par les États membres comme des terrains destinés à être bâtis.
Cette interprétation ressort, en particulier, de la version néerlandaise de la sixième directive, qui utilise la formule
als zodanig omschreven al dan niet bouwrijp gemaakte terreinen, ainsi que des versions danoise, italienne et portugaise, dans lesquelles les termes
nus ou aménagés figurent entre virgules, sans que les autres versions apportent d'éléments en sens contraire.
25
Enfin, s'il est de jurisprudence constante que les exonérations prévues par l'article 13 de la sixième directive relèvent
de notions autonomes du droit communautaire (voir arrêt du 11 août 1995, Bulthuis-Griffioen,
C-453/93, Rec. p. I-2341, point
18) et si, en conséquence, les États membres ne peuvent en modifier le contenu, en particulier quand ils en fixent les conditions
d'application, tel ne saurait être le cas lorsque le Conseil a précisément confié le soin de définir certains termes d'une
exonération à ces États, étant entendu que ceux-ci doivent respecter l'objectif poursuivi par l'article 13 B, sous h), de
la sixième directive, qui vise à n'exonérer de la taxe que les seules livraisons de terrains non bâtis qui ne sont pas destinés
à supporter un édifice.
26
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il revient aux États membres de définir la notion de
terrain à bâtir au sens des dispositions combinées des articles 13 B, sous h), et 4, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. Il n'appartient
pas en conséquence à la Cour de préciser quel degré d'aménagement devrait présenter un terrain non bâti pour être qualifié
de terrain à bâtir au sens de cette directive.
Sur les dépens
27
Les frais exposés par le gouvernement néerlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations
à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère
d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
statuant sur les questions à elle soumises par le Gerechtshof te Leeuwarden, par ordonnance du 14 décembre 1993, dit pour
droit:
Edward
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Puissochet
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Moitinho de Almeida
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Gulmann
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Wathelet
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 mars 1996.
Le greffier
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Le président de la cinquième chambre
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1 –
Langue de procédure: le néerlandais.