Avis juridique important
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 18 décembre 1997. - Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG contre Finanzamt Calau. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht des Landes Brandenburg - Allemagne. - TVA - Notion de prestation de services - Indemnité nationale à l'extensification de la production de pommes de terre. - Affaire C-384/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-07387
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Opérations imposables - Prestations de services - Extensification, moyennant indemnisation, de la production de pommes de terre - Exclusion
(Directive du Conseil 77/388, art. 6, § 1, et 11, A, § 1, a))
Les articles 6, paragraphe 1, et 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, relatifs, respectivement, à la définition des prestations de services et à la constitution de la base d'imposition, doivent être interprétés en ce sens que l'engagement, pris par un exploitant agricole dans le cadre d'un régime d'indemnité national, de s'abstenir de récolter au moins 20 % des pommes de terre qu'il a cultivées ne constitue pas une prestation de services au sens de la directive. Par conséquent, l'indemnité perçue à cet effet n'est pas soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires.
En effet, pour relever du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, un tel engagement doit impliquer une consommation, alors que l'exploitant agricole, en prenant ledit engagement, ne fournit pas des services à un consommateur identifiable ni un avantage susceptible d'être considéré comme un élément constitutif du coût de l'activité d'une autre personne dans la chaîne commerciale.
Dans l'affaire C-384/95,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Finanzgericht des Landes Brandenburg (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG
et
Finanzamt Calau,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 6, paragraphe 1, 11, partie A, paragraphe 1, sous a), et 12, paragraphe 3, sous a), ainsi que de l'annexe H de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. C. Gulmann (rapporteur), président de chambre, M. Wathelet, J. C. Moitinho de Almeida, J.-P. Puissochet et L. Sevón, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
- pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Jürgen Grunwald, conseiller juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales du Finanzamt Calau, représenté par M. Andreas Damm, Regierungsdirektor au ministère des Finances du Land Brandenburg, en qualité d'agent, du gouvernement allemand, représenté par M. Ernst Röder, assisté de M. Ferdinand Huschens, Oberamtsrat au ministère fédéral des Finances, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. Jürgen Grunwald, à l'audience du 15 mai 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 septembre 1997,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 8 novembre 1995, parvenue à la Cour le 8 décembre suivant, le Finanzgericht des Landes Brandenburg (Allemagne) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 6, paragraphe 1, 11, partie A, paragraphe 1, sous a), et 12, paragraphe 3, sous a), ainsi que de l'annexe H de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG (ci-après «Landboden-Agrardienste») au Finanzamt Calau au sujet de la soumission à la taxe sur le chiffre d'affaires d'une indemnité nationale à l'extensification de la production de pommes de terre.
3 Le 1er janvier 1991, Landboden-Agrardienste a pris la succession juridique de la Landwirtschaftliche Produktionsgenossenschaft (P) Bronkow.
4 Cette dernière entreprise avait perçu, en 1990, une indemnité de la Kreisverwaltung Calau, Amt für Ernährung, Landwirtschaft und Forsten (Office de l'alimentation, de l'agriculture et des forêts, services administratifs du cercle Calau), au titre de l'arrêté du 13 juillet 1990 visant à favoriser l'extensification de la production agricole. L'indemnité, s'élevant à un total de 348 660 DM, lui avait été accordée en échange d'une réduction de 20 % de sa production annuelle de pommes de terre. Lors de la déclaration fiscale relative à l'année 1990, cette indemnité a été traitée comme non soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires.
5 Toutefois, après enquête, le Finanzamt Calau a considéré qu'elle aurait dû être incluse dans le chiffre d'affaires imposable; par conséquent, le 1er juin 1992, il a constaté une dette fiscale supplémentaire et a adressé à Landboden-Agrardienste un avis d'imposition modifié.
6 La réclamation tendant à la modification de cet avis d'imposition ayant été rejetée, Landboden-Agrardienste a porté le litige devant le Finanzgericht des Landes Brandenburg, en faisant valoir que les indemnités à l'extensification de la production de pommes de terre ne sauraient être considérées comme versées dans le cadre d'un échange de prestations. Elle a notamment souligné l'impossibilité de déterminer, pour les indemnités en cause, le destinataire concret de la prestation.
7 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de la sixième directive, le Finanzgericht a décidé de surseoir à statuer et a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Un exploitant agricole assujetti, qui, en 1990, a, dans le Land Brandenburg de la République fédérale d'Allemagne, limité sa production de pommes de terre en s'abstenant de récolter au moins 20 % des pommes de terre cultivées, fournit-il, à un bénéficiaire déterminé, une prestation de services au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires?
2) L'aide versée, conformément à l'arrêté du 13 juillet 1990 visant à favoriser l'extensification de la production agricole, pour l'extensification de la production de pommes de terre constitue-t-elle une prestation en argent imposable en vertu de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la directive 77/388?
3) En cas de réponse positive à la première question:
Convient-il d'appliquer à la prestation de services effectuée le taux réduit prévu par les dispositions combinées de l'article 12, paragraphe 3, sous a), quatrième phrase, et de l'annexe H de la directive 77/388?»
8 Par ses deux premières questions, la juridiction nationale demande en substance si les articles 6, paragraphe 1, et 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que l'engagement, pris par un exploitant agricole dans le cadre d'un régime d'indemnité national, de s'abstenir de récolter au moins 20 % des pommes de terre qu'il a cultivées constitue une prestation de services au sens de la sixième directive, de sorte que l'indemnité perçue à cet effet est soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires.
9 L'article 2, point 1, de la sixième directive dispose que sont soumises à la TVA «les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».
10 Selon son article 6, paragraphe 1,
«Est considérée comme `prestation de services' toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5.
Cette opération peut consister entre autres:
...
- en une obligation de ne pas faire ou de tolérer un acte ou une situation,
...»
11 Aux termes de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), la base d'imposition est constituée «pour les livraisons de biens et les prestations de services ... par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations».
12 Dans l'arrêt du 29 février 1996, Mohr (C-215/94, Rec. p. I-959, ci-après l'«arrêt Mohr») la Cour s'est prononcée sur la question de savoir si l'engagement d'abandonner la production laitière que prend un exploitant agricole dans le cadre d'un règlement communautaire fixant une indemnité à l'abandon définitif de la production laitière constitue une prestation de services au sens de la sixième directive.
13 La Cour a répondu à cette question par la négative, constatant que la TVA est un impôt général sur la consommation de biens et de services et que, dans un cas tel que celui qui lui était soumis, il n'y avait pas consommation au sens du système communautaire de la TVA. Elle a considéré que, en indemnisant les exploitants agricoles qui s'engagent à cesser leur production laitière, la Communauté n'acquiert ni biens ni services pour son propre usage, mais agit dans l'intérêt général qui est de favoriser le fonctionnement régulier du marché communautaire du lait. Dans ces circonstances, l'engagement de l'exploitant agricole d'abandonner la production laitière n'apporte ni à la Communauté ni aux autorités nationales compétentes d'avantages de nature à permettre de les considérer comme les consommateurs d'un service et ne constitue pas, par conséquent, une prestation de services au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive (points 19 à 22).
14 En l'espèce, le gouvernement allemand et la Commission s'accordent à juste titre pour considérer que les deux litiges au principal, celui qui a donné lieu à l'arrêt Mohr et celui qui a donné lieu au présent arrêt, doivent être résolus de la même manière quant à l'application de la sixième directive. En effet, il est sans pertinence que, dans l'affaire Mohr, l'origine de l'indemnité était communautaire alors que, dans le litige au principal, elle est nationale. Dans les deux situations, il convient de décider si l'engagement pris par un exploitant agricole de réduire sa production en contrepartie d'une indemnité accordée dans le cadre d'un régime d'intervention constitue une prestation de services au sens de la sixième directive, de sorte que cette indemnité doit être soumise à la TVA.
15 Toutefois, alors que la Commission estime, ainsi qu'elle l'avait déjà fait valoir dans l'affaire Mohr, qu'il n'y a pas, dans de telles situations, prestation de services au sens de la sixième directive, le gouvernement allemand et le Finanzamt Calau remettent en cause l'interprétation contenue dans l'arrêt Mohr.
16 Si ces derniers admettent que l'indemnité en cause dans le litige au principal ne saurait être considérée comme la contrepartie d'une livraison de biens relevant de l'article 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, ils estiment qu'elle relève de cette directive en tant que contrepartie de la prestation d'un service. Le fait, pour l'exploitant agricole, de limiter sa production ou de s'abstenir de commercialiser certains produits constituerait un service à part, distinct de la livraison de produits aux consommateurs et comportant sa propre contrepartie. En exigeant, dans l'arrêt Mohr, que l'autorité publique acquière des biens ou des services pour son propre usage, la Cour aurait ajouté une condition qui n'était pas prévue par la sixième directive.
17 Le gouvernement allemand et le Finanzamt Calau soulignent notamment que l'on ne saurait se fonder sur la considération selon laquelle la TVA est un impôt général sur la consommation pour déterminer si l'on est en présence d'une prestation de services. A cette fin, il conviendrait de recourir uniquement aux termes de l'article 6 de la sixième directive. Il en résulterait que toute opération qui ne constitue pas la livraison d'un bien doit être considérée comme une prestation de services lorsqu'elle est de nature économique et qu'elle ne relève pas exclusivement de la sphère privée. La question de savoir qui bénéficie de la prestation ou de l'impact économique de celle-ci n'aurait donc aucune importance pour la notion de prestation de services.
18 Selon le gouvernement allemand et le Finanzamt Calau, il s'agirait en l'espèce d'un échange de prestations, car l'exploitant agricole serait rémunéré pour une prestation spécifique. Le lien entre la prestation et l'indemnité serait tellement étroit que l'on ne saurait considérer qu'il s'agit uniquement d'un rattachement technique du paiement à la prestation. La réduction de la production étant une condition sine qua non du paiement de l'indemnité par l'autorité publique, l'obligation y relative constituerait une prestation de services à titre onéreux. Également dans ce contexte, il importerait peu de savoir qui, en définitive, de la collectivité ou de l'autorité publique en tant que représentant de la collectivité est le bénéficiaire de la prestation, cet élément ne faisant pas partie des éléments constitutifs prévus aux articles 2, 6 et 11 de la sixième directive.
19 Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 21 à 29 de ses conclusions, les arguments avancés par le gouvernement allemand et le Finanzamt Calau ne sont pas de nature à remettre en cause le raisonnement suivi par la Cour dans l'arrêt Mohr.
20 En effet, contrairement à ce qui a été soutenu, ce raisonnement n'exclut pas qu'un paiement effectué par une autorité publique dans l'intérêt général puisse constituer la contrepartie d'une prestation de services au sens de la sixième directive et n'implique pas non plus que la notion de prestation de services dépende de la destination que donne au service celui qui le rémunère. Seule la nature de l'engagement pris doit être prise en considération: pour relever du système commun de TVA, un tel engagement doit impliquer une consommation.
21 Ainsi, pour déterminer si une prestation de services relève du champ d'application de la sixième directive, il convient d'examiner la transaction à la lumière des objectifs et des caractéristiques du système commun de TVA.
22 A cet égard, il convient de rappeler que l'article 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, 71, p. 1301), prévoit:
«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition.
A chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.
...»
23 Or, une transaction telle que celle en cause en l'espèce au principal, à savoir l'engagement pris par l'exploitant agricole de réduire sa production, ne correspond pas à ce principe, étant donné qu'il ne donne lieu à aucune consommation. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 26 de ses conclusions, l'exploitant agricole ne fournit pas des services à un consommateur identifiable ni un avantage susceptible d'être considéré comme un élément constitutif du coût de l'activité d'une autre personne dans la chaîne commerciale.
24 Dès lors qu'il n'apporte ni aux autorités nationales compétentes ni aux autres personnes identifiables d'avantages de nature à permettre de les considérer comme les consommateurs d'un service, l'engagement pris par l'exploitant agricole de réduire sa production ne saurait être qualifié de prestation de services au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la sixième directive.
25 Il y a donc lieu de répondre aux deux premières questions préjudicielles que les articles 6, paragraphe 1, et 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que l'engagement, pris par un exploitant agricole dans le cadre d'un régime d'indemnité national, de s'abstenir de récolter au moins 20 % des pommes de terre qu'il a cultivées ne constitue pas une prestation de services au sens de la sixième directive. Par conséquent, l'indemnité perçue à cet effet n'est pas soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires.
26 Au vu de la réponse apportée aux deux premières questions, il n'y a pas lieu d'examiner la troisième.
Sur les dépens
27 Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht des Landes Brandenburg, par ordonnance du 8 novembre 1995, dit pour droit:
Les articles 6, paragraphe 1, et 11, partie A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doivent être interprétés en ce sens que l'engagement, pris par un exploitant agricole dans le cadre d'un régime d'indemnité national, de s'abstenir de récolter au moins 20 % des pommes de terre qu'il a cultivées ne constitue pas une prestation de services au sens de la directive 77/388. Par conséquent, l'indemnité perçue à cet effet n'est pas soumise à la taxe sur le chiffre d'affaires.