Avis juridique important
Arrêt de la Cour du 27 avril 1999. - Kuwait Petroleum (GB) Ltd contre Commissioners of Customs & Excise. - Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax and Duties Tribunal, London - Royaume-Uni. - Sixième directive TVA - Système de promotion des ventes - Biens remis en échange de la reprise de bons - Livraison à titre onéreux - Rabais et ristournes de prix - Notion. - Affaire C-48/97.
Recueil de jurisprudence 1999 page I-02323
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
1 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Base d'imposition - Rabais et ristournes de prix - Notion - Remise de 100 % - Exclusion
(Directive du Conseil 77/388, art. 11, A, § 3, b))
2 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Opérations imposables - Remise de biens offerts en cadeaux et en échange de bons obtenus lors de l'achat d'un produit - Imposabilité - Condition
(Directive du Conseil 77/388, art. 5, § 6)
3 L'article 11, A, paragraphe 3, de la sixième directive 77/388, relatif aux éléments qui ne sont pas à comprendre, à l'intérieur du pays, dans la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que les termes, figurant sous b), «rabais» et «ristournes» ne peuvent recouvrir une remise de prix portant sur la totalité du coût d'une livraison de biens.
4 L'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive 77/388 assimile à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d'un bien de son entreprise qu'il transmet à titre gratuit lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction de la taxe sur la valeur ajoutée perçue en amont. Constitue une transmission à titre gratuit au sens de ladite disposition la remise de biens par une société pétrolière en échange de bons qu'un acheteur d'essence a, en fonction de la quantité achetée, obtenus en payant le prix plein au détail de l'essence à la pompe, conformément à un système de promotion des ventes dans le cadre duquel lesdits biens sont qualifiés de cadeaux et le prix payé par l'acheteur ne contient pas de partie représentant la valeur des bons ou des biens échangés contre ces bons. Une telle remise doit, dès lors, lorsque les biens ne sont pas de faible valeur, être assimilée à une livraison effectuée à titre onéreux et soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.
Dans l'affaire C-48/97,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le VAT and Duties Tribunal, London (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Kuwait Petroleum (GB) Ltd
et
Commissioners of Customs & Excise,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 2, point 1, 5, paragraphe 6, 11, A, paragraphe 3, sous b), et 27 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, P. J. G. Kapteyn et G. Hirsch (rapporteur), présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, D. A. O. Edward, L. Sevón et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Kuwait Petroleum (GB) Ltd, par M. John Walters, QC, mandaté par M. Peter Landon, FCA,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. Paul Lasok, QC, et Mme Philippa J. E. Whipple, barrister,
- pour le gouvernement français, par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur du droit économique international et droit communautaire à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Gautier Mignot, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement portugais, par MM. Luís Fernandes, directeur du service juridique de la direction générale des Communautés européennes du ministère des Affaires étrangères, et Angelo Cortesão Seiça Neves, juriste à la même direction, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Peter Oliver, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Kuwait Petroleum (GB) Ltd, représentée par M. John Walters, mandaté par M. Peter Landon, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. John E. Collins, assisté de M. Paul Lasok, du gouvernement français, représenté par M. Gautier Mignot, et de la Commission, représentée par M. Peter Oliver et Mmes Hélène Michard, membre du service juridique, et Francesca Riddy, fonctionnaire nationale détachée auprès du même service, en qualité d'agents, à l'audience du 5 mai 1998,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 juillet 1998,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 15 janvier 1997, parvenue à la Cour le 6 février suivant, le VAT and Duties Tribunal, London, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, cinq questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 2, point 1, 5, paragraphe 6, 11, A, paragraphe 3, sous b), et 27 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige qui oppose Kuwait Petroleum (GB) Ltd (ci-après «Kuwait») aux Commissioners of Customs & Excise (ci-après les «Commissioners»), compétents, au Royaume-Uni, en matière de perception de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), au sujet de l'assujettissement à la TVA de certains produits offerts par Kuwait dans le cadre d'opérations promotionnelles réalisées entre 1991 et 1996.
La réglementation nationale
3 L'annexe 4 du Value Added Tax Act 1994 (loi de 1994 relative à la taxe sur la valeur ajoutée) définit les opérations qui constituent des livraisons de biens ou des prestations de services aux fins de leur assujettissement à la TVA, ou qui y sont assimilées. Aux termes de son paragraphe 5:
«(1) Sous réserve des dispositions du sous-paragraphe (2) ci-après, lorsque les biens d'une entreprise sont transférés ou cédés par la personne qui exerce l'activité de l'entreprise ou le sont sous la direction de celle-ci, de sorte que ces biens ne font ensuite plus partie des biens de l'entreprise, cette opération constitue, qu'elle ait été effectuée à titre onéreux ou non, une livraison de biens effectuée par cette personne.
(2) Le sous-paragraphe (1) ci-dessus ne s'applique pas lorsque le transfert ou la cession constitue:
(a) un cadeau effectué dans le cadre de l'exercice d'une activité d'entreprise (sauf si ce cadeau fait partie d'une série ou d'une succession de cadeaux effectués régulièrement à la même personne), lorsque le coût n'est pas supérieur à 10 UKL pour l'auteur du cadeau ...»
La réglementation communautaire
4 Aux termes de l'article 2, point 1, de la sixième directive:
«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:
1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti en tant que tel;
...»
5 L'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive dispose:
«Est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d'un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu'il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu'il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de l'entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons.»
6 L'article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive prévoit:
«A l'intérieur du pays
...
3. Ne sont pas à comprendre dans la base d'imposition:
...
b) les rabais et ristournes de prix consentis à l'acheteur ou au preneur et acquis au moment où s'effectue l'opération.»
Le litige au principal
7 L'essence commercialisée par Kuwait sous la marque «Q8» est vendue au détail soit directement par Kuwait, dans environ 110 stations-service qui lui appartiennent et qui sont gérées par elle ou pour son propre compte, soit par environ 500 revendeurs indépendants auxquels Kuwait vend l'essence Q8 en qualité de grossiste.
8 Entre 1991 et 1996, Kuwait a exploité un système de promotion des ventes, auquel participaient les stations-service lui appartenant ainsi qu'environ 160 revendeurs indépendants. Dans le cadre de ce système, les clients se voyaient offrir un bon «Q8 Sails» pour chaque quantité complète de douze litres d'essence achetée. Le prix de l'essence était identique, que le client prenne ou non les bons Q8 Sails (ci-après les «bons Q8») qui lui étaient offerts. Lorsqu'un client avait rassemblé un nombre suffisant de bons Q8, il avait le droit, contre leur remise, de choisir, dans une liste dénommée «catalogue de cadeaux», des biens ou, occasionnellement, des services matérialisés par un titre (tels des billets de théâtre) que Kuwait s'engageait à lui fournir dans un certain délai.
9 Chacun des revendeurs indépendants participant à l'opération s'engageait à payer à Kuwait, au cours de la période couverte par la promotion, un montant supplémentaire par litre, majoré de la TVA sur le volume total d'essence vendu au cours de cette même période. Ce montant supplémentaire, qui était initialement de 0,22 pence par litre, a été porté à 0,33 pence par litre en 1993.
10 Par lettre du 16 juin 1995, les Commissioners ont décidé que Kuwait, qui avait déduit la TVA perçue en amont sur les biens acquis en vue de leur remise contre les bons Q8, devait la payer en aval sur ceux des articles remis aux clients dont le coût était supérieur à 10 UKL, en arguant du fait que ces biens étaient livrés par Kuwait «autrement qu'à titre onéreux».
11 Kuwait a formé un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi au motif que les biens remis en échange de la reprise des bons Q8 étaient au contraire livrés par elle à titre onéreux, la contrepartie consistant en une partie indéterminée du prix, TVA comprise, payé par le consommateur tant pour la fourniture de l'essence que pour la remise ultérieure de biens en échange des bons Q8, en sorte qu'elle avait déjà acquitté la TVA sur cette opération.
12 Le VAT and Duties Tribunal a jugé que, au regard du droit anglais, la remise des bons Q8 au client devait être qualifiée d'unilatérale et de séparée de l'opération principale qu'était l'achat d'essence. De même, cette juridiction a estimé que les bons Q8 étaient obtenus à titre gratuit.
13 Toutefois, cette dernière a indiqué que la cause («consideration») au sens du droit anglais des contrats était une notion différente de celle de contrepartie («consideration») entendue comme la valeur d'une livraison servant de base à la TVA en droit fiscal. Dès lors, estimant qu'une interprétation du droit communautaire lui était nécessaire pour trancher le litige dont il est saisi, le VAT and Duties Tribunal, London, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes:
«Lorsqu'un fournisseur de biens gère un système de promotion de ses activités, dans le cadre duquel, essentiellement:
i) le promoteur fournit à des fins commerciales, conformément aux règles du système, des biens en échange de la reprise de bons;
ii) aucun paiement en argent n'est demandé lors de la remise de ces biens;
iii) les biens sont remis en échange de la reprise de bons qu'un acheteur de biens accompagnés de bons a obtenus en payant le prix plein au détail de ces biens, sans effectuer aucun paiement monétaire identifiable pour les bons;
1) Les termes `rabais et ristournes de prix consentis à l'acheteur ou au preneur et acquis au moment où s'effectue l'opération', figurant à l'article 11, partie A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive du Conseil, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils couvrent l'ensemble du coût des biens remis en échange de la reprise des bons?
2) La livraison des biens remis en échange de la reprise des bons doit-elle être assimilée à une `livraison effectuée à titre onéreux' au sens de l'article 5, paragraphe 6, de cette directive?
3) Lorsque les biens remis en échange de la reprise des bons sont fournis autrement qu'à titre onéreux ou le sont `à titre gratuit', l'article 5, paragraphe 6, doit-il être interprété en ce sens qu'il impose que la remise de ces biens soit assimilée à une livraison à titre onéreux, bien que cette remise soit effectuée pour les besoins de l'entreprise de l'assujetti?
4) Y a-t-il lieu de donner aux questions qui précèdent une réponse différente:
a) lorsque tous les bons repris pour chaque article faisant partie des biens remis en échange de la reprise de bons ont été obtenus lors d'achats de biens accompagnés de bons effectués auprès du promoteur du système?
b) lorsque ces bons ont tous été obtenus lors d'achats de biens accompagnés de bons effectués auprès d'un opérateur ayant la qualité de revendeur participant au système; ou
c) lorsque les bons repris ont été obtenus en partie lors d'achats de biens accompagnés de bons effectués auprès du promoteur et en partie lors d'achats de tels biens effectués auprès d'un ou plusieurs revendeurs participant au système?
5) En cas de réponse négative à la troisième question, le Royaume-Uni est-il en droit, sur la base de l'article 27 de la sixième directive du Conseil et de la dérogation qu'il a obtenue en 1977, de réclamer au promoteur une taxe en aval basée sur le coût que représentent pour lui les biens remis en échange de la reprise des bons, en plus de la taxe en aval qui est comprise dans le prix plein au détail des biens accompagnés de bons?»
Sur la première question
14 Par sa première question, la juridiction nationale demande en substance si l'article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que les termes «rabais» et «ristournes» peuvent recouvrir une remise de prix portant sur la totalité du coût de la livraison des biens remis en échange de la reprise des bons.
15 A cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, que Kuwait elle-même ne prétend pas qu'elle a accordé à ses clients un rabais ou une ristourne de prix au sens de cette disposition. Au contraire, elle fait valoir que les clients ont versé, pour les biens remis en échange des bons Q8, une partie du prix payé à l'occasion des achats d'essence. Dès lors, elle estime que la première question n'est pas pertinente.
16 Ainsi que les gouvernements du Royaume-Uni, français et portugais l'ont à juste titre relevé, l'octroi d'un rabais ou d'une ristourne de prix présuppose la livraison d'un bien à titre onéreux. En effet, les termes mêmes de «ristourne» et de «rabais» font référence à une réduction seulement partielle du prix total convenu. En revanche, lorsque la réduction représente 100 % du prix, il s'agit en réalité d'une remise à titre gratuit. Or, la transmission d'un bien à titre gratuit relève de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive.
17 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l'article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que les termes «rabais» et «ristournes» ne peuvent recouvrir une remise de prix portant sur la totalité du coût d'une livraison de biens.
Sur les deuxième, troisième et quatrième questions
18 Par ses deuxième, troisième et quatrième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale demande en substance si l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que le prélèvement, par une société pétrolière, de biens qui sont transmis à un acheteur d'essence en échange de bons qu'il a, en fonction de la quantité achetée, obtenus en payant le prix plein au détail à la pompe, conformément au système décrit aux points 7 à 9 du présent arrêt, doit être assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux au sens de cette même disposition.
19 A titre liminaire, il convient de relever que, en l'espèce, la remise des biens en échange des bons Q8 a été effectuée pour les besoins de l'entreprise puisque l'objet de la promotion pour Kuwait, comme pour les revendeurs indépendants participant à l'opération, était, comme la juridiction nationale l'a constaté, d'augmenter le volume des ventes d'essence. Pour cette raison, un assujetti se trouvant dans la même situation que celle de Kuwait est autorisé à déduire, conformément à l'article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, le montant de la TVA payée en amont pour l'achat de ces biens.
20 Selon Kuwait, la circonstance que les biens transmis par elle l'ont été pour les besoins de son entreprise exclut l'application de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive. La première phrase de ce paragraphe ne viserait pas un tel prélèvement. En effet, la TVA étant une taxe sur la consommation, une taxe en aval serait nécessaire en cas d'affectation des biens qui constitue une consommation par l'assujetti. Or, la fourniture de biens remis à la suite de la reprise des bons ne constituerait pas une consommation de ces biens par l'entreprise.
21 A cet égard, il convient de relever que l'objectif de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive consiste notamment à assurer une égalité de traitement entre l'assujetti qui prélève un bien de son entreprise à des fins privées et un consommateur ordinaire qui achète un bien du même type (voir arrêts du 6 mai 1992, De Jong, C-20/91, Rec. p. I-2847, point 15, et du 26 septembre 1996, Enkler, C-230/94, Rec. p. I-4517, point 33).
22 Toutefois, il découle de son libellé même que l'article 5, paragraphe 6, première phrase, de la sixième directive assimile à une livraison effectuée à titre onéreux et, dès lors, soumet à la TVA le prélèvement par un assujetti d'un bien de son entreprise qu'il transmet à titre gratuit, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction de la TVA perçue en amont, sans qu'il soit en principe décisif que cette transmission intervienne ou non pour les besoins de l'entreprise. En effet, la seconde phrase de cette disposition, qui exclut de la taxation les prélèvements effectués pour les besoins de l'entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons, serait dépourvue de sens si la première phrase ne soumettait pas à la TVA les prélèvements que l'assujetti transmet à titre gratuit, même pour les besoins de l'entreprise.
23 En outre, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 26 de ses conclusions, cette interprétation est corroborée par l'historique de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive. En effet, le point 6 de l'annexe A de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303), ainsi que l'article 5, paragraphe 3, sous a), de la proposition de la sixième directive, présentée par la Commission au Conseil le 29 juin 1973 (JO C 80, p. 1), prévoyaient notamment que les prélèvements effectués pour donner des échantillons et des cadeaux de faible valeur qui, fiscalement, peuvent être rangés parmi les frais généraux ne devaient pas, contrairement à la règle générale, être considérés comme livraisons imposables. Il en découle que lesdits prélèvements, même effectués pour les besoins de l'entreprise, doivent, si les cadeaux ne sont pas de faible valeur, être considérés comme livraisons imposables.
24 Kuwait fait valoir, par ailleurs, que l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive ne s'applique pas parce qu'il n'y a pas, dans l'affaire au principal, transmission à titre gratuit au sens de cette disposition. En effet, la contrepartie de la remise des bons et, par conséquent, de la délivrance des biens échangés contre ceux-ci consisterait en une partie identifiable du prix, TVA comprise, payé par le client lors de l'achat de l'essence. Le client paierait donc également les biens obtenus dans le cadre de l'opération promotionnelle. Tel aurait été l'accord conclu avec le consommateur final dans les stations-service appartenant à Kuwait. Cette analyse serait en substance la même en cas d'implication de revendeurs indépendants dans le processus de distribution, lesquels agissaient, quant à la remise des bons Q8 et à la perception de la partie du prix afférente, pour le compte de Kuwait.
25 En revanche, les gouvernements du Royaume-Uni, français et portugais considèrent que, nonobstant le fait que tout assujetti devrait rechercher dans les recettes qu'il perçoit la couverture de toutes les dépenses qu'il engage, dans un système comme celui en cause au principal, le client, en achetant l'essence, ne verserait aucune contrepartie pour les bons et les cadeaux qui lui seront remis.
26 Il convient de relever d'abord qu'une livraison de biens n'est effectuée «à titre onéreux» au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive que s'il existe entre le fournisseur et l'acheteur un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, le prix perçu par le fournisseur constituant la contre-valeur effective du bien fourni (voir, en ce sens, en matière de prestations de services, arrêt du 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93, Rec. p. I-743, point 14).
27 Or, même s'il appartient à la juridiction nationale de rechercher si, lors de l'achat de l'essence, les clients et Kuwait étaient convenus, le cas échéant par le biais des revendeurs indépendants, qu'une partie du prix payé pour l'essence, fût-elle ou non identifiable, constituerait la contre-valeur des bons Q8 ou des biens délivrés contre reprise de ceux-ci, il y a lieu de relever qu'aucun élément du dossier ne permet de conclure que les intéressés ont effectivement échangé de telles prestations réciproques.
28 D'une part, il convient de constater que, comme M. l'avocat général l'a relevé au point 43 de ses conclusions, la vente de l'essence et la transmission de biens en échange des bons constituent deux transactions distinctes.
29 D'autre part, dans l'affaire au principal, notamment deux considérations plaident, s'agissant de la remise de biens en échange des bons Q8, en faveur d'une transmission à titre gratuit, au sens de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive, de sorte que leur prélèvement est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux et, à ce titre, imposable.
30 En premier lieu, les biens remis en échange des bons Q8 étaient qualifiés, dans le cadre du système de promotion mis en place par Kuwait, de cadeaux.
31 En second lieu, il est constant que l'acheteur d'essence Q8, qu'il prenne ou non les bons, devait payer le même prix au détail et que la facture relative à l'achat d'essence, que Kuwait ou les revendeurs indépendants devaient, en vertu de l'article 22, paragraphe 3, de la sixième directive, délivrer aux clients qui étaient eux-mêmes des assujettis, ne mentionnait que ce prix. Dans ces conditions, Kuwait ne peut valablement soutenir que, contrairement à ce qui figurait sur les factures qu'elle délivrait, le prix payé par les acheteurs d'essence contenait en réalité une partie représentant la valeur des bons Q8 ou des biens échangés contre ces bons.
32 Il y a donc lieu de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions que l'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que le prélèvement, par une société pétrolière, de biens qui sont transmis à un acheteur d'essence en échange de bons qu'il a, en fonction de la quantité achetée, obtenus en payant le prix plein au détail à la pompe, conformément à un système de promotion tel que celui de l'affaire au principal, doit, lorsque les biens ne sont pas de faible valeur, être assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux au sens de cette disposition.
33 Eu égard à la réponse donnée aux deuxième, troisième et quatrième questions, il n'y a pas lieu de répondre à la cinquième question.
Sur les dépens
34 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, français, portugais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le VAT and Duties Tribunal, London, par ordonnance du 15 janvier 1997, dit pour droit:
1) L'article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que les termes «rabais» et «ristournes» ne peuvent recouvrir une remise de prix portant sur la totalité du coût d'une livraison de biens.
2) L'article 5, paragraphe 6, de la sixième directive 77/388 doit être interprété en ce sens que le prélèvement, par une société pétrolière, de biens qui sont transmis à un acheteur d'essence en échange de bons qu'il a, en fonction de la quantité achetée, obtenus en payant le prix plein au détail à la pompe, conformément à un système de promotion tel que celui de l'affaire au principal, doit, lorsque les biens ne sont pas de faible valeur, être assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux au sens de cette disposition.