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Avis juridique important

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61997C0311

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 19 novembre 1998. - Royal Bank of Scotland plc contre Elliniko Dimosio (Etat hellénique). - Demande de décision préjudicielle: Dioikitiko Protodikeio Peiraios - Grèce. - Liberté d'établissement - Législation fiscale - Impôt sur les bénéfices des sociétés. - Affaire C-311/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-02651


Conclusions de l'avocat général


A - Introduction

1 Le présent renvoi préjudiciel soulève la question de la compatibilité, avec le droit communautaire, d'une disposition fiscale grecque (1) qui soumet systématiquement les bénéfices des sociétés étrangères à un taux d'imposition de 40 %, alors que les sociétés anonymes grecques, lorsqu'elles émettent des actions nominatives ou que leurs actions au porteur sont cotées à la bourse d'Athènes, ne sont pas imposées au taux de 40 %, mais de 35 %.

2 La demanderesse au principal, la Royal Bank of Scotland plc (ci-après la «demanderesse»), a son siège en Grande-Bretagne et exploite une succursale au Pirée (Grèce). C'est à propos de l'imposition de cette succursale au titre de l'exercice 1995 (exercice comptable courant du 1er octobre 1994 au 30 septembre 1995) que le litige est survenu.

3 L'imposition a eu lieu conformément au code hellénique des impôts sur le revenu (ci-après le «code»), dont la deuxième partie réglemente l'imposition du revenu des personnes morales. L'article 109, paragraphe 1, du code détermine les taux d'imposition comme suit:

«1. L'impôt est calculé sur le revenu global imposable de la personne morale redevable, aux taux d'imposition suivants, selon la catégorie de contribuables:

a) pour les sociétés anonymes grecques dont à l'issue de l'exercice social, les actions sont au porteur et n'ont pas été cotées en bourse d'Athènes ainsi que pour les sociétés et organismes étrangers à but lucratif, 40 %,

b) pour les autres sociétés anonymes grecques, 35 %. S'agissant des sociétés anonymes grecques qui possèdent des actions nominales et des actions au porteur non cotées en bourse d'Athènes, le taux prévu sous a) est appliqué à la fraction des bénéfices correspondant au nombre d'actions au porteur existantes. Pour déterminer cette fraction des bénéfices, le bénéfice net global est réparti en fonction du nombre d'actions nominales et d'actions au porteur qui résultent des livres tenus à l'issue de l'exercice social;

c) pour les autres personnes morales mentionnées à l'article 101, 35 %.»

4 Sur la base de cette disposition, la demanderesse a été imposée à un taux de 40 %. Elle a assorti sa déclaration d'impôt sur le revenu au titre de l'exercice 1995 d'une réserve selon laquelle ses bénéfices auraient dû être imposés au taux plus favorable de 35 % applicable aux banques grecques. En guise de justification, elle a invoqué notamment l'article 52 du traité CE.

5 Cette réserve a été rejetée par décision administrative mentionnant la législation existante. La demanderesse a contesté cette décision de rejet devant les tribunaux.

6 La juridiction de renvoi, le Trimeles Dioikitiko Protodikeio Peiraios, expose que l'article 109, paragraphe 1, sous a), du code prévoit pour les sociétés anonymes étrangères un traitement fiscal qui déroge fondamentalement aux dispositions des articles 7 (2) et 52 du traité. Elle ajoute que cette disposition introduit une différenciation dans le traitement fiscal des sociétés anonymes a) selon qu'elles sont ou non cotées en bourse d'Athènes et b) selon la nature des actions des sociétés, tandis que les sociétés étrangères sont toutes sans exception soumises à une imposition plus lourde de 40 %. Selon la juridiction a quo, ce traitement fiscal particulier réservé aux sociétés grecques entraîne un allégement des charges pesant sur elles et a pour effet de leur faire obtenir des avantages concurrentiels face aux sociétés étrangères, et, partant, de fausser la concurrence.

7 La juridiction de renvoi saisit la Cour de justice de la question préjudicielle suivante:

«La disposition précitée de l'article 109, paragraphe 1, sous a), du code des impôts sur le revenu (loi no 2238/1994, Journal officiel de la République hellénique no 151, tome A) qui, en appliquant un taux d'imposition de 40 % aux revenus imposables des sociétés étrangères, les soumet à une imposition distincte, plus lourde par rapport à celle qui frappe les sociétés grecques, auxquelles s'applique un taux d'imposition de 35 %, peut-elle être admise et est-elle licite en droit communautaire, et en particulier cette disposition est-elle conforme aux articles 7 et 52 du traité? En d'autres termes, l'État hellénique peut-il faire supporter aux sociétés étrangères le traitement fiscal différent décrit ci-dessus?»

8 Ont pris part à la procédure la demanderesse, les gouvernements hellénique et français, ainsi que la Commission. Nous reviendrons sur leurs arguments dans le cadre de l'analyse juridique.

B - Analyse

9 La demanderesse fait valoir que l'article 109, paragraphe 1, du code engendre une inégalité de traitement prohibée entre sociétés grecques et étrangères. Alors que, selon elle, les sociétés anonymes grecques se distinguent entre elles selon la forme des actions qu'elles émettent et peuvent bénéficier du taux d'imposition plus favorable lorsqu'elles émettent des actions nominatives ou des actions au porteur cotées en bourse d'Athènes, les sociétés étrangères pour leur part sont sans exception, en application de l'article 109 du code, soumises au taux d'imposition plus élevé, sans égard à la forme juridique choisie ou au type des actions émises.

10 La demanderesse relève que, en ce qui concerne le secteur bancaire, cette inégalité de traitement est renforcée par l'obligation faite aux banques grecques par les lois nos 2190/1920 et 5076/1931 de se constituer sous la forme d'une société anonyme émettant des actions nominatives. En conséquence, les banques grecques seraient toujours imposées au taux de 35 %, et les banques étrangères toujours à celui de 40 %.

11 Elle ajoute qu'il ressort de la structure même de ces dispositions que l'imposition plus favorable des sociétés grecques constitue la règle, et l'imposition à 40 %, l'exception.

12 Aux yeux de la demanderesse, l'article 109, paragraphe 1, du code contrevient au principe général d'égalité consacré par l'article 6 du traité, ainsi qu'à l'article 52 du traité. Cette inégalité de traitement restreindrait de manière illicite la liberté d'établissement exercée par le biais de la création d'un établissement secondaire sous la forme d'agence, de succursale ou de filiale.

13 La demanderesse invoque les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Commission/France (3) et Halliburton Services (4).

14 Le gouvernement hellénique insiste tout d'abord sur le rapport de complémentarité existant entre, d'une part, les articles 48, 52 et 59 et, d'autre part, l'article 6 du traité, et fait valoir que, dans le champ d'application des articles 48, 52 et 59, l'article 6 n'entre plus en ligne de compte. Il expose encore que le principe de la liberté d'établissement, qui découle des dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité, vaut également pour les sociétés et que, dans ce cadre, en vertu d'une jurisprudence constante, c'est le siège de la société qui détermine sa nationalité. Dans ce contexte et à la lumière des réflexions qui suivent, il conviendrait de formuler autrement la question dont la Cour est saisie.

15 Selon le gouvernement hellénique, la règle est que l'imposition des sociétés anonymes a lieu au taux de 40 %. Selon les indications fournies par le ministère des Finances, 80 % des sociétés anonymes sont imposées à ce taux. La grande majorité des sociétés anonymes n'émettraient pas d'actions cotées en bourse, car la création d'une société anonyme nécessiterait un capital social de 10 millions de DR, tandis qu'une société anonyme appelée à être cotée en bourse devrait disposer de capitaux propres s'élevant à 1 milliard de DR. L'imposition plus favorable des sociétés anonymes cotées en bourse serait justifiée par des raisons de développement économique. Par conséquent, la question préjudicielle doit, de l'avis du gouvernement hellénique, être formulée comme suit:

«La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité avec les articles 52 et 58 du traité de l'article 109, paragraphe 1, sous a), du code qui applique aux sociétés anonymes étrangères un taux d'imposition de leurs revenus de 40 %, comme aux sociétés anonymes grecques qui, exceptionnellement, peuvent toutefois bénéficier d'un taux d'imposition plus favorable s'élevant à 35 %.»

16 Pour répondre à cette question, il y a lieu, aux dires du gouvernement hellénique, de garder à l'esprit que, en l'état actuel du droit communautaire, la fiscalité directe ne relève pas de son champ d'application. Il ajoute que toutefois, en vertu de la jurisprudence de la Cour, l'État membre doit exercer cette fiscalité directe dans le respect du droit communautaire en s'abstenant de toute discrimination ostensible ou déguisée (5).

17 Dans la mesure où, selon le gouvernement hellénique, l'harmonisation n'est pas réalisée dans le domaine de la fiscalité directe, il appartient à chaque État membre de définir le revenu imposable ainsi que de fixer les taux d'imposition. Dans ces conditions, le taux d'imposition de 40 % ne serait source d'aucun problème et ne comporterait en particulier aucun élément de discrimination fondée sur la nationalité.

18 Même si l'on voulait qualifier la possibilité d'une imposition moindre de discrimination indirecte, elle serait en tout état de cause justifiée. Aux yeux du gouvernement hellénique, la situation des résidents et des non-résidents est a priori différente. L'octroi d'avantages fiscaux aux seuls résidents ne serait donc pas critiquable. En vertu des principes des conventions de non-double imposition, c'est l'État de résidence qui octroie des avantages fiscaux aux résidents. Enfin, la différence de traitement entre sociétés étrangères et grecques serait justifiée également en raison du fait que la détermination de la base imposable est différente dès le départ [voir l'article 99, paragraphe 1, sous a) à d), du code] (6) et que la fixation de taux d'imposition différents n'en serait que la conséquence.

19 Le gouvernement hellénique propose de répondre comme suit à la question préjudicielle telle que reformulée:

«En l'état actuel de développement du droit communautaire en matière de fiscalité directe, les articles 52 et 58 du traité n'interdisent pas à un État membre d'appliquer à des sociétés anonymes étrangères un taux d'imposition sur le revenu équivalant à celui qui est appliqué normalement aux sociétés anonymes nationales, sans les faire bénéficier du taux minoré applicable, par exception, à certaines sociétés anonymes nationales.»

20 Le gouvernement français se prononce également quant à lui pour une reformulation de la question préjudicielle, mais au sens, toutefois, où la Cour est invitée à statuer sur la conformité d'une disposition grecque telle que l'article 109 du code avec les articles 6 et 52 du traité, dans la mesure où il n'appartient pas à la Cour statuant par voie préjudicielle en application de l'article 177 du traité CE de se prononcer sur la conformité d'une disposition nationale particulière avec le droit communautaire.

21 Le gouvernement français souligne ensuite lui aussi le rapport de complémentarité existant entre les articles 6 et 52 du traité. Selon lui, l'article 52, en tant que lex specialis, prime l'article 6 du traité. L'article 6 ne serait plus applicable dans le domaine d'application de l'article 52.

22 Pour ce qui a trait à la définition du contenu normatif de l'article 52 du traité, le gouvernement français expose que cette disposition institue le principe de l'égalité de traitement national. Elle interdirait par conséquent toute discrimination fondée sur la nationalité. Il ajoute que, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour, une discrimination est caractérisée par l'application de règles différentes à des situations objectivement comparables ou par l'application de la même règle à des situations différentes.

23 Selon le gouvernement français, l'article 109 du code prévoit des taux d'imposition différents pour les sociétés grecques, en fonction de leur forme juridique, tandis qu'il applique toujours aux sociétés étrangères, sans égard à leur forme juridique, le taux le plus élevé. Cette différence de traitement reposerait exclusivement sur la nationalité de la société redevable de l'impôt (cette nationalité étant, pour une société, conformément à l'article 58 du traité, celle de l'État où elle a été constituée). Le fait que des sociétés étrangères remplissent les conditions exigées des sociétés grecques pour bénéficier du taux d'imposition le plus bas serait - c'est le sens de la critique du gouvernement français - en effet sans aucune incidence. Une disposition nationale imposant au taux de 40 % les bénéfices des sociétés d'autres États membres qui remplissent pourtant les conditions appliquées aux sociétés nationales pour bénéficier du taux réduit de 35 % contrevient donc manifestement, aux yeux du gouvernement français, à l'article 52 du traité.

24 Toutefois, il n'existerait pas de discrimination lorsque la société étrangère se trouve dans une situation objectivement comparable à celle d'une société nationale imposée au taux de 40 %. Le gouvernement français se livre alors à quelques réflexions sur le caractère comparable des situations. Il est d'avis que les deux critères de «société anonyme» et d'«actions au porteur» ne revêtent intrinsèquement aucun caractère discriminatoire. Tel ne serait pas le cas en revanche du critère de la cotation en bourse d'Athènes. Pour satisfaire à ce critère, la cotation des actions de la société à n'importe quelle bourse d'un État membre devrait être suffisante.

25 Le gouvernement français propose de répondre comme suit à la question dont la Cour est saisie à titre préjudiciel:

«L'article 52 du traité s'oppose à l'application d'une disposition nationale, telle que l'article 109 du code hellénique des impôts sur le revenu, qui impose aux sociétés d'autres États membres un taux d'imposition sur les bénéfices plus élevé que les sociétés nationales placées dans une situation objectivement comparable, notamment du point de vue de la forme juridique.»

26 Au cas où, au vu du caractère plus ou moins précis de l'exposé des circonstances de fait du litige au principal, la Cour estimerait nécessaire à la solution de ce litige de se prononcer sur ce point, le gouvernement français lui propose de répondre également que:

«Une société dont les actions ont été cotées en bourse dans un État membre doit être considérée comme étant placée, sur ce point, dans une situation comparable à celle d'une société nationale dont les actions ont été cotées en bourse dans l'État d'établissement.»

27 Dans ses observations écrites, la Commission a plutôt un avis nuancé. Selon elle, l'article 52 du traité réglemente une liberté fondamentale et interdit les discriminations tant ostensibles que déguisées. Dans ce cadre, le rattachement au domicile ou au siège est susceptible de constituer une discrimination déguisée. Certes, une différence de traitement selon le siège d'une société pourrait dans certaines circonstances être autorisée en droit communautaire, bien que, selon la Commission, des limites objectives soient fixées à une telle faculté.

28 Aux dires de la Commission, la demanderesse exploite un établissement stable en Grèce, dont le revenu imposable est déterminé de la même façon que celui des sociétés grecques. En conséquence, l'article 109 du code contiendrait tant une discrimination manifeste qu'une discrimination déguisée. Dans la mesure où les sociétés étrangères se verraient totalement exclues de l'application du taux d'imposition plus favorable de 35 %, l'article 109 du code introduirait une discrimination manifeste. En outre, l'article 109, paragraphe 1, du code contiendrait dans cette mesure une discrimination indirecte puisque, pour «les sociétés anonymes grecques dont à l'issue de l'exercice social, les actions sont au porteur et n'ont pas été cotées en bourse d'Athènes ainsi que pour les sociétés et organismes étrangers à but lucratif», c'est un taux de 40 % qui est applicable. En effet, les banques grecques ne seraient jamais soumises à ce taux - car, dans le secteur bancaire, les sociétés anonymes nationales sont tenues d'émettre des actions nominatives -, alors que les banques étrangères le seraient pourtant toujours.

29 Dans sa jurisprudence (7) relative à la différence d'imposition des résidents et des non-résidents, la Cour aurait jugé que les non-résidents doivent également être admis au bénéfice d'avantages fiscaux au cas où ils se trouvent, le critère de résidence mis à part, dans une situation identique aux fins de l'imposition. Dans la présente affaire, rien ne justifierait la différence de traitement. En conséquence, la Commission propose de répondre comme suit à la question dont la Cour est saisie à titre préjudiciel:

«Une disposition nationale qui met sur le même plan, en ce qui concerne la détermination de la base imposable aux fins de l'imposition sur les bénéfices, les sociétés grecques et les sociétés étrangères, mais n'octroie pas à ces dernières, dans les mêmes conditions que celles qui s'appliquent aux sociétés ayant leur siège en Grèce, l'avantage du taux d'imposition plus favorable de 35 % sur les revenus imposables, est incompatible avec l'article 52 du traité.»

30 Au cours de l'audience, la Commission a totalement renoncé à la distinction entre discriminations ostensible et déguisée. Elle a ajouté que, même si, en matière de fiscalité directe, l'harmonisation n'est pas encore réalisée, les États membres ne devraient pouvoir soumettre la liberté fondamentale en cause à aucune limitation. Dans la présente affaire, la différence de traitement ne serait aucunement justifiée, de sorte qu'il y aurait violation de l'article 52.

31 L'article 52 du traité est incontestablement, comme le confirme une jurisprudence constante (8) de la Cour, une expression particulière du principe général d'égalité posé par l'article 6 du traité. En conséquence, l'article 52 prime l'article 6. Dans le champ d'application de l'article 52, l'article 6 ne trouve donc pas application.

32 Dans le cadre de la réponse à la question dont la Cour est saisie à titre préjudiciel, il y a bien évidemment lieu de garder à l'esprit que la Cour, dans le cadre de cette procédure, ne se prononce pas sur l'incompatibilité d'une disposition nationale avec le droit communautaire. Au contraire, elle fournit à la juridiction de renvoi tous les éléments afin de lui permettre de procéder à l'appréciation de la compatibilité, avec le droit communautaire, de la disposition nationale. Pour cette raison, il y a lieu de reformuler la question préjudicielle. Cette démarche est admise en vertu d'une jurisprudence constante (9) de la Cour. L'analyse qui suit vise donc à répondre à la question formulée comme suit:

«Une réglementation telle que l'article 109, paragraphe 1, sous a), du code hellénique sur l'impôt sur le revenu (loi n_ 2238/1994, Journal officiel de la République hellénique n_ 151, tome A), qui prévoit pour les sociétés étrangères et au détriment de ces dernières, par l'application d'un taux de 40 % sur le revenu imposable, une imposition différente de celle des sociétés nationales, soumises à un taux de 35 %, est-elle compatible avec l'article 52 du traité?»

33 L'article 52 est la disposition de base relative à l'une des quatre libertés fondamentales consacrées par le traité. Ses dispositions, combinées à celles de l'article 58 du traité, garantissent aux personnes morales la liberté d'établissement dans la Communauté. Bénéficient de cette liberté les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration principale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté. Le siège d'une société ainsi défini est décisif aux fins de la détermination de son appartenance à un ordre juridique, de la même façon que la nationalité pour les personnes physiques.

34 En vertu de l'article 52, premier alinéa, deuxième phrase, du traité, la liberté d'établissement peut s'exercer par la création d'agences, de succursales ou de filiales. Aux termes de l'article 52, deuxième alinéa, la liberté d'établissement comporte fondamentalement l'accès aux activités non salariées et leur exercice, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants. Ainsi, l'égalité de traitement national est une caractéristique fondamentale de cette norme devenue directement applicable depuis la fin de la période transitoire (10), et constitue une part importante de la liberté d'établissement même.

35 Lorsque, donc, une disposition nationale visant à l'imposition de personnes morales fixe «à 40 % pour les sociétés anonymes grecques dont à l'issue de l'exercice social, les actions sont au porteur et n'ont pas été cotées en bourse d'Athènes, ainsi que pour les sociétés et organismes étrangers à but lucratif» (11) le taux d'imposition des revenus soumis à l'impôt, tandis qu'elle applique un taux de 35 % aux revenus imposables des «autres sociétés anonymes grecques» (12), elle introduit une inégalité de traitement manifeste entre les sociétés anonymes nationales et étrangères. Les sociétés étrangères sont toujours soumises à un taux d'imposition de 40 % tandis que les sociétés anonymes nationales sont imposées à hauteur de 35 % lorsqu'elles ne remplissent pas un critère déterminé (actions au porteur non cotées en bourse d'Athènes à l'issue de l'exercice social).

36 Il résulte de leurs observations que les parties sont en désaccord sur le point de savoir si l'imposition au taux de 35 % constitue la règle, et le taux de 40 %, l'exception, ou bien le contraire. Tandis que la demanderesse considère l'imposition à 35 % comme étant la règle, le gouvernement hellénique ne démord pas de son point de vue selon lequel le taux de 40 % constitue la règle, et celui de 35 % l'exception.

37 Ce point de désaccord peut rester en suspens dans le cadre de la vérification de l'existence d'une différence de traitement objective entre sociétés nationales et étrangères. Il est acquis que les sociétés étrangères ne sont pas admises au bénéfice du taux d'imposition plus favorable. La proportion des sociétés anonymes grecques bénéficiant effectivement du taux d'imposition plus favorable est donc sans incidence. La réalité semble être que, dans le secteur bancaire, toutes les sociétés grecques bénéficient du taux d'imposition plus favorable dans la mesure où elles sont légalement tenues de remplir des conditions (13) qui les excluent de la catégorie des sociétés étrangères imposables à 40 %.

38 Dans la mesure où le législateur grec a choisi d'introduire une inégalité de traitement directe, la violation du droit communautaire est manifeste.

39 Le gouvernement hellénique estime toutefois que l'inégalité de traitement pourrait trouver une justification. Ce faisant, il méconnaît le fait que, par principe, les discriminations directes ne peuvent pas être justifiées. La jurisprudence rendue en matière de fiscalité directe, et dans laquelle l'élément lié à la justification a joué un rôle à chaque fois (14), trouve son origine dans des réglementations qui, de façon générale, ont fait dépendre les différents traitements qu'elles prévoyaient du critère du domicile ou du couple de notions de résidents et de non-résidents. Dans cette mesure, la quasi-totalité de ces affaires (15) avaient trait à une discrimination indirecte. Une telle discrimination ne contrevient au droit communautaire que lorsqu'elle ne peut pas être justifiée par des motifs tenant par exemple à la cohérence des systèmes fiscaux (16) ou par des raisons impérieuses d'intérêt général (17).

40 Tant le gouvernement français dans son exposé que la Commission, dans le cadre de la procédure écrite, utilisent la grille d'examen des discriminations déguisées, dans laquelle importent l'examen du caractère comparable des situations et une éventuelle justification d'une inégalité de traitement qui aurait été décelée. Ainsi, leur attitude pourrait provenir de ce qu'ils considèrent, au vu d'affaires portées par le passé devant la Cour (18), le siège d'une société comme l'élément introduisant une éventuelle inégalité de traitement et, partant, comme l'élément déterminant aux fins d'une discrimination déguisée entre sociétés nationales et étrangères (19).

41 Toutefois, la Commission affirme expressément que l'article 109, paragraphe 1, du code introduit une discrimination ostensible et une discrimination déguisée.

42 L'exposé du gouvernement français, dans lequel il est procédé à l'examen du caractère similaire des éléments caractéristiques d'une société lui permettant d'être admise au bénéfice du taux d'imposition plus favorable, se base manifestement sur la prémisse que, même dans le cas d'une application indifférenciée de ces critères aux sociétés nationales et étrangères, une discrimination (déguisée) pourrait être introduite. Dans ce cadre, les conditions relatives à la forme juridique (société anonyme) et le type d'actions (actions au porteur) seraient sans incidence. Poserait problème en revanche la condition relative à la cotation en bourse d'Athènes. Sur ce point, une cotation dans n'importe quelle bourse située à l'intérieur de la Communauté devrait suffire.

43 Selon nous, l'examen de cette question va au-delà de la question dont la Cour est saisie à titre préjudiciel. En particulier, le contexte factuel n'est pas suffisamment éclairci sur le point de savoir si le critère de la cotation en bourse à Athènes entraîne une discrimination déguisée des sociétés anonymes nationales et étrangères, ni sur le point de savoir si cette condition peut le cas échéant recevoir une justification. En tout état de cause, les recherches factuelles nécessaires à cet égard ressortissent à la juridiction de renvoi. Au cas où la juridiction a quo considérerait que la solution au principal dépend de la réponse apportée à la question soulevée par le gouvernement français, il y aurait alors lieu pour la Cour, en vertu de sa jurisprudence constante (20), d'esquisser le schéma d'examen devant être appliqué.

44 Il conviendrait toutefois dans un premier temps de tracer une séparation nette entre les personnes physiques et morales pour ce qui a trait aux discriminations éventuelles dans le domaine de la fiscalité directe. En effet, les circonstances déterminantes aux fins de l'imposition du revenu des personnes physiques, comme leur situation personnelle et familiale (21), ne valent pas de la même façon pour les personnes morales.

45 En l'état actuel du droit communautaire, le domaine de la fiscalité directe ne relève pas de la compétence de la Communauté. Toutefois, les États membres sont tenus d'exercer leurs prérogatives attachées à la fiscalité directe dans le respect du droit communautaire (22).

46 La distinction habituellement opérée en droit fiscal entre résidents et non-résidents recèle le danger qu'elle joue au détriment des ressortissants d'autres États membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des étrangers. La différence de traitement rattachée à ces critères peut donc constituer une discrimination déguisée fondée sur la nationalité (23).

47 Si l'on autorisait l'État d'établissement à instaurer à sa guise une inégalité de traitement au seul motif que le siège d'une société se situe dans un autre État membre, les dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité seraient vidées de leur sens (24).

48 Afin d'établir un équilibre entre, d'une part, la différenciation fondamentalement justifiée entre résidents et non-résidents (25) et, d'autre part, le danger qui y est lié d'une discrimination déguisée, un examen du caractère comparable des situations est nécessaire (26). Dans l'hypothèse de situations comparables, il y a lieu d'attacher aux situations objectivement similaires les mêmes conséquences juridiques, par exemple sous la forme de l'octroi d'avantages fiscaux. C'est seulement dans le cas où une inégalité de traitement peut être justifiée par des raisons d'ordre supérieur, comme la cohérence du système fiscal (27) ou des raisons impérieuses d'intérêt général, telles qu'énoncées à l'article 56 du traité CE (28), que cette conséquence n'est pas impérative.

49 Si l'on considère, dans ce contexte, les circonstances du litige au principal, force est de reconnaître qu'il y a indiscutablement discrimination, peu important qu'elle soit ostensible ou déguisée. En ce qui concerne le caractère comparable des situations, les opinions des parties divergent. Alors que la Commission ne se départit pas du point de vue selon lequel la situation des sociétés grecques et étrangères serait identique en ce qui concerne la détermination du revenu imposable, le gouvernement hellénique quant à lui présuppose que les situations sont différentes. L'un et l'autre ont invoqué l'article 99 du code (29).

50 Sous réserve que les pièces de procédure restituent les dispositions pertinentes du code, il semble que la détermination du revenu imposable se fasse de la même façon pour les sociétés grecques et les sociétés étrangères. Cela va dans le sens de la Commission. Il appartient en dernière analyse à la juridiction de renvoi de procéder effectivement à cette appréciation.

51 Est déterminant toutefois le fait que pas même le gouvernement hellénique n'a produit de raison aux fins de justifier l'inégalité de traitement, sauf à mentionner les situations fondamentalement différentes des résidents et des non-résidents, et à affirmer que les situations ne sont pas identiques au départ. Dès lors, il y a lieu de considérer, sans même procéder à aucune autre recherche de fait, que l'inégalité de traitement des sociétés grecques et étrangères, telle qu'introduite par l'article 109 du code, n'est pas justifiée et, partant, est incompatible avec les articles 52 et 58 du traité.

C - Conclusion

52 A la lumière des réflexions qui précèdent, il est proposé à la Cour de répondre comme suit à la question dont elle est saisie à titre préjudiciel:

«Une réglementation telle que l'article 109, paragraphe 1, sous a), du code hellénique sur l'impôt sur le revenu (loi n_ 2238/1994, Journal officiel de la République hellénique n_ 151, tome A), qui prévoit pour les sociétés étrangères et au détriment de ces dernières, par l'application d'un taux de 40 % sur le revenu imposable, une imposition différente de celle des sociétés nationales, soumises à un taux de 35 %, viole les dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité CE.»

(1) - Voir l'article 109, paragraphe 1, du code hellénique des impôts sur le revenu (loi n_ 2238/1994, Journal officiel de la République hellénique n_ 151, tome A).

(2) - Devenu entre-temps l'article 6 du traité CE.

(3) - Arrêt du 28 janvier 1986 (270/83, Rec. p. 273).

(4) - Arrêt du 12 avril 1994 (C-1/93, Rec. p. I-1137).

(5) - Arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471, point 19); du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 21); du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16), et du 27 juin 1996, Asscher (C-107/94, Rec. p. I-3089, point 36).

(6) - Conformément à l'article 99, paragraphe 1, sous a) et d), du code, l'assiette de l'impôt est constituée:

«a) par le revenu net global ou gain, réalisé à l'étranger ou sur le territoire national, dans le cas des sociétés anonymes nationales en général et des sociétés à responsabilité limitée nationales, à l'exception des sociétés de banques et d'assurances ... En ce qui concerne plus spécifiquement les sociétés anonymes nationales de banques et d'assurances, l'assiette est constituée par le revenu ou le gain net global, réalisé à l'étranger ou sur le territoire national, diminué de la fraction correspondant aux revenus non imposables ou à ceux faisant l'objet d'une imposition spécifique et libératoire ...

d) pour les entreprises étrangères, quelle que soit la forme sociale sous laquelle elles opèrent, ainsi que pour tous les organismes étrangers à but lucratif, la recette ou le bénéfice net qui trouve sa source en Grèce, ainsi que le bénéfice net de l'établissement permanent de l'entreprise en Grèce au sens de l'article 100...».

(7) - Arrêts Schumacker (précité, note 5, points 36 à 38), et Asscher (précité, note 5).

(8) - Arrêt du 30 mai 1989, Commission/Grèce (305/87, Rec. p. 1461, points 12 et 13); dans ce sens, voir également les arrêts du 13 juillet 1993, Commerzbank (C-330/91, Rec. p. I-4017, point 21), et Halliburton Services (précité, note 4, point 12).

(9) - En ce sens, voir les arrêts anciens du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141, plus spécialement p. 1268), et du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon (78/70, Rec. p. 487, point 3).

(10) - Voir l'arrêt Commission/France (précité, note 3, point 13).

(11) - Voir l'article 109, paragraphe 1, sous a), du code; c'est nous qui soulignons.

(12) - Voir l'article 109, paragraphe 1, sous b), du code; c'est nous qui soulignons.

(13) - Aux dires des parties, les banques grecques, conformément à la loi, doivent se constituer en sociétés anonymes et émettre des actions nominatives. Voir l'article 11, paragraphe 2, sous a), de la loi n_ 2190/1920 et la loi n_ 5076/1931.

(14) - Voir les arrêts Commission/France (précité, note 3, point 17); Commerzbank (précité, note 8, point 16); Schumacker (précité, note 5, points 39 et suiv.); Wielockx (précité, note 5, points 23 et suiv.); Asscher (précité, note 5, points 50 et suiv.); Futura Participations et Singer (précité, note 5, point 26), ainsi que l'arrêt du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, non encore publié au Recueil, points 24 et 25).

(15) - Dans l'arrêt Futura Participations et Singer (précité, note 5), cela était toutefois seulement partiellement le cas.

(16) - Voir les arrêts Wielockx (précité, note 5, point 23), et Schumacker (précité, note 5, point 40).

(17) - Voir les arrêts Futura Participations et Singer (précité, note 5, points 26 et 31), et ICI (précité, note 14, point 28).

(18) - Voir les arrêts Commission/France (précité, note 3); Commerzbank (précité, note 8), et ICI (précité, note 14).

(19) - Dans son arrêt Halliburton Services (précité, note 4), la Cour considère, en invoquant l'arrêt Commerzbank (précité, note 8), l'inégalité de traitement de sociétés fondée sur leur siège comme une discrimination ostensible (voir le point 15).

(20) - Voir, à cet égard, la jurisprudence citée en note 14.

(21) - Voir l'arrêt Schumacker (précité, note 5, point 37).

(22) - Voir l'arrêt ICI (précité, note 14, point 19).

(23) - Voir l'arrêt Schumacker (précité, note 5, points 28 et 29).

(24) - Voir l'arrêt Commission/France (précité, note 3, point 18); dans le même sens, voir également l'arrêt Commerzbank (précité, note 8, point 13).

(25) - Voir les arrêts Schumacker (précité, note 5, point 31); Wielockx (précité, note 5, point 18), et Asscher (précité, note 5, point 41).

(26) - Voir les arrêts Commission/France (précité, note 3, point 20 in fine), et ICI (précité, note 14, point 25).

(27) - Voir la jurisprudence citée dans la note 16.

(28) - Voir l'arrêt ICI (précité, note 14, point 28).

(29) - Pour le libellé de cette disposition, voir la note 6.