Avis juridique important
Arrêt de la Cour du 12 septembre 2000. - Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. - Manquement - Article 4, paragraphe 5, de la sixième directive TVA - Mise à disposition de routes moyennant versement d'un péage - Non-assujettissement à la TVA - Règlements (CEE, Euratom) nºs 1552/89 et 1553/89 - Ressources propres provenant de la TVA. - Affaire C-359/97.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-06355
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
1 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Prestations de services à titre onéreux - Notion - Mise à disposition d'infrastructures routières moyennant versement d'un péage - Inclusion
(Directive du Conseil 77/388, art. 2, point 1)
2 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Assujettis - Organismes de droit public - Non-assujettissement pour les activités exercées en tant qu'autorités publiques - Notion
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 5)
3 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Exonération de la location de biens immeubles - Notion - Mise à disposition d'infrastructures routières moyennant versement d'un péage - Exclusion
(Directive du Conseil 77/388, art. 13, B, b))
4 Ressources propres des Communautés européennes - Ressources provenant de la taxe sur la valeur ajoutée - Régime de perception - Rectification au relevé annuel - Délai d'exclusion - Engagement par la Commission d'une procédure en manquement en vue d'obtenir le versement a posteriori de telles ressources - Application par analogie - Justification par des considérations de sécurité juridique
(Règlement du Conseil n_ 1553/89, art. 9, § 2)
1 La mise à disposition d'une infrastructure routière moyennant versement d'un péage constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires. En effet, l'utilisation de l'infrastructure routière est subordonnée au règlement d'un péage dont le prix est fonction, notamment, de la catégorie de véhicules utilisée et de la distance parcourue. Il existe, dès lors, une relation directe et nécessaire entre le service rendu et la contre-valeur pécuniaire reçue. (voir points 45-46)
2 Pour que joue la règle du non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des organismes de droit public s'agissant des activités ou des opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, prévue à l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, deux conditions doivent être remplies cumulativement, à savoir l'exercice d'activités par un organisme de droit public et l'exercice d'activités accomplies en tant qu'autorité publique. S'agissant de cette dernière condition, les activités exercées en tant qu'autorités publiques sont celles accomplies par les organismes de droit public dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier, à l'exclusion des activités qu'ils exercent dans les mêmes conditions juridiques que les opérateurs économiques privés. (voir points 49-50)
3 Au-delà des cas particuliers expressément visés à l'article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, la notion de «location de biens immeubles» doit faire l'objet d'une interprétation stricte, du fait qu'elle constitue une exception au régime général de la taxe sur la valeur ajoutée consacré dans cette directive. Par conséquent, ne peuvent être inclus dans cette notion des contrats, tels ceux de mise à disposition d'infrastructures routières moyennant versement d'un péage, caractérisés par l'absence de prise en compte de la durée de la jouissance du bien immeuble, élément essentiel du contrat de location, dans le consentement des parties. (voir points 67-68)
4 Malgré l'absence d'un délai de prescription relatif au recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée tant dans la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires que dans la réglementation relative aux ressources propres des Communautés, l'exigence fondamentale de sécurité juridique peut néanmoins s'opposer à ce que la Commission puisse, dans le cadre d'une procédure en manquement tendant au versement a posteriori de ressources propres, retarder indéfiniment la décision d'engager la phase contentieuse de celle-ci. À cet égard, si l'article 9, paragraphe 2, du règlement n_ 1553/89, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée, ne vise pas la situation dans laquelle une procédure en manquement au titre de l'article 169 du traité (devenu article 226 CE) a été engagée, cette disposition témoigne néanmoins des exigences de sécurité juridique dans le domaine budgétaire en ce qu'elle exclut toute rectification au relevé annuel au-delà de quatre exercices budgétaires. Il convient d'admettre que les mêmes considérations de sécurité juridique justifient une application par analogie de la règle énoncée à ladite disposition, lorsque la Commission décide d'engager une procédure en manquement en vue d'obtenir le versement a posteriori de ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée. (voir points 80-81, 84-85)
Dans l'affaire C-359/97,
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme H. Michard et M. B. Doherty, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. J. E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de MM. G. Barling, QC, et D. Anderson, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en ne soumettant pas à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus sur les routes et ponts à péage au Royaume-Uni, contrairement aux dispositions des articles 2 et 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), et en ne mettant pas à la disposition de la Commission les montants des ressources propres et des intérêts de retard par suite de cette infraction, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE,
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), L. Sevón et R. Schintgen, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, J.-P. Puissochet, P. Jann, H. Ragnemalm, V. Skouris et Mme F. Macken, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau et M. H. A. Rühl, administrateurs principaux,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 23 novembre 1999,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 janvier 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 octobre 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en ne soumettant pas à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») les péages perçus sur les routes et ponts à péage au Royaume-Uni, contrairement aux dispositions des articles 2 et 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), et en ne mettant pas à la disposition de la Commission les montants des ressources propres et des intérêts de retard par suite de cette infraction, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.
Le cadre juridique
2 Aux termes de l'article 2 de la sixième directive:
«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:
1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;
2. les importations de biens.»
3 Selon l'article 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive:
«1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
...
5. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.
Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.
En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d'assujettis notamment pour les opérations énumérées à l'annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.
Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu des articles 13 ou 28.»
4 Il est constant que l'activité consistant à mettre à disposition une infrastructure routière moyennant acquittement d'un péage ne relève d'aucune des opérations mentionnées à l'annexe D de la sixième directive.
5 Conformément à l'article 13, B, de la sixième directive:
«Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
...
b) l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception:
1. des opérations d'hébergement telles qu'elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper;
2. des locations d'emplacement pour le stationnement des véhicules;
3. des locations d'outillages et de machines fixés à demeure;
4. des locations de coffres-forts.
Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d'application de cette exonération;
...»
6 Le règlement (CEE, Euratom) n_ 1553/89 du Conseil, du 29 mai 1989, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée (JO L 155, p. 9), qui a remplacé, à compter du 1er janvier 1989, le règlement (CEE, Euratom, CECA) n_ 2892/77 du Conseil, du 19 décembre 1977, portant application, pour les ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée, de la décision du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés (JO L 336, p. 8), modifié en dernier lieu par le règlement (CECA, CEE, Euratom) n_ 3735/85 du Conseil, du 20 décembre 1985 (JO L 356, p. 1), dispose, en son article 1er:
«Les ressources TVA résultent de l'application du taux uniforme, fixé conformément à la décision 88/376/CEE, Euratom, à la base déterminée conformément au présent règlement.»
7 Selon l'article 2, paragraphe 1, du règlement n_ 1553/89:
«La base des ressources TVA est déterminée à partir des opérations imposables visées à l'article 2 de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, modifiée en dernier lieu par la directive 84/386/CEE, à l'exception des opérations exonérées conformément aux articles 13 à 16 de ladite directive.»
8 Le règlement (CEE, Euratom) n_ 1552/89 du Conseil, du 29 mai 1989, portant application de la décision 88/376/CEE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 155, p. 1), applicable à partir du 1er janvier 1989, qui a abrogé le règlement (CEE, Euratom, CECA) n_ 2891/77 du Conseil, du 19 décembre 1977, portant application de la décision du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés (JO L 336, p. 1), modifié en dernier lieu par le règlement (CECA, CEE, Euratom) n_ 1990/88 du Conseil, du 30 juin 1988 (JO L 176, p. 1), dispose, en son article 9, paragraphe 1:
«Selon les modalités définies à l'article 10, chaque État membre inscrit les ressources propres au crédit du compte ouvert à cet effet au nom de la Commission auprès de son trésor ou de l'organisme qu'il a désigné.»
9 Aux termes de l'article 11 du règlement n_ 1552/89:
«Tout retard dans les inscriptions au compte visé à l'article 9 paragraphe 1 donne lieu au paiement, par l'État membre concerné, d'un intérêt dont le taux est égal au taux d'intérêt appliqué au jour de l'échéance sur le marché monétaire de l'État membre concerné pour les financements à court terme, majoré de deux points. Ce taux est augmenté de 0,25 point par mois de retard. Le taux ainsi augmenté est applicable à toute la période du retard.»
La procédure précontentieuse
Sur la procédure relative à la sixième directive
10 Par lettre du 27 mars 1987, la Commission a fait connaître au Royaume-Uni ses arguments en faveur de l'assujettissement des péages à la TVA.
11 Les autorités du Royaume-Uni ont répondu le 3 juillet 1987 qu'elles ne pouvaient entreprendre de modifier le système britannique de la TVA avant que la question ne soit examinée au sein du comité de la TVA créé par les directives TVA.
12 Par lettre du 20 avril 1988, la Commission a fait connaître au gouvernement du Royaume-Uni qu'elle considérait le non-assujettissement à la TVA des péages perçus sur les routes, tunnels et ponts au Royaume-Uni comme contraire aux articles 2 et 4 de la sixième directive. Conformément à l'article 169 du traité, elle a mis le gouvernement du Royaume-Uni en demeure de présenter ses observations à ce sujet dans un délai de deux mois.
13 Les autorités du Royaume-Uni ont répondu le 21 juillet 1988 que la perception de péages au Royaume-Uni ne relevait pas du champ d'application de la sixième directive, eu égard à l'article 4, paragraphe 5, de celle-ci.
14 Estimant que les explications fournies par les autorités du Royaume-Uni n'étaient pas satisfaisantes, la Commission a, par lettre du 10 août 1989, adressé au gouvernement du Royaume-Uni un avis motivé concluant notamment que le Royaume-Uni ne respectait pas les obligations découlant de la sixième directive. En conséquence, elle a invité cet État membre à prendre, dans un délai de deux mois, les mesures nécessaires pour se conformer auxdites obligations.
15 Par lettre du 8 décembre 1989, les autorités du Royaume-Uni ont répondu qu'elles maintenaient leur point de vue selon lequel les organismes mettant des infrastructures routières à disposition des usagers moyennant versement d'un péage étaient des organismes de droit public et qu'ils percevaient les péages en tant qu'autorités publiques, en sorte qu'ils bénéficiaient de l'exonération prévue à l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive.
Sur la procédure relative au système des ressources propres
16 Par lettre du 27 novembre 1987, la Commission a attiré l'attention des autorités du Royaume-Uni sur la réglementation communautaire relative aux ressources propres des Communautés. Le Royaume-Uni a été invité à vérifier si, en raison de la non-perception de la TVA sur les péages, les montants de ressources propres provenant de la TVA (ci-après les «ressources propres TVA») versés pour les exercices 1984, 1985 et 1986 n'étaient pas insuffisants et, le cas échéant, de mettre les montants manquants à la disposition de la Commission.
17 Aucun calcul n'a été transmis en réponse à cette lettre.
18 Par lettre de mise en demeure du 31 janvier 1989, la Commission a engagé la procédure prévue à l'article 169 du traité. Dans cette lettre, la Commission a notamment demandé aux autorités du Royaume-Uni d'effectuer les calculs nécessaires pour déterminer les montants de ressources propres TVA qu'elles n'avaient pas versés pour les exercices 1984 à 1986 et de lui régler ces montants, augmentés des intérêts de retard à compter du 31 mars 1988. La Commission a également demandé que, pour les années postérieures à 1986, les calculs nécessaires soient effectués afin de déterminer les montants de ressources propres dus chaque année et que ces montants soient mis à sa disposition au plus tard le premier jour ouvrable du mois d'août de l'année suivante, majorés, le cas échéant, des intérêts de retard.
19 Dans leur réponse du 23 mars 1989, les autorités du Royaume-Uni ont indiqué qu'elles estimaient que les opérations en question étaient exonérées de la TVA en vertu de l'article 4, paragraphe 5, de la directive.
20 Cette réponse n'ayant pas été jugée satisfaisante, la Commission a, par l'avis motivé du 10 août 1989 mentionné au point 14 du présent arrêt, fait également grief au Royaume-Uni de l'inobservation de la réglementation communautaire relative aux ressources propres.
21 Les explications du gouvernement du Royaume-Uni contenues dans la lettre du 8 décembre 1989, mentionnée au point 15 du présent arrêt, n'ayant pas été jugées satisfaisantes tant en ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la sixième directive qu'en ce qui concerne celui tiré du non-respect de la réglementation communautaire relative aux ressources propres, la Commission a introduit le présent recours.
Sur la recevabilité
22 Le gouvernement du Royaume-Uni souligne que la phase précontentieuse de la présente procédure a duré plus de dix ans, dont près de huit ans représentent la période entre la réponse du Royaume-Uni à l'avis motivé et l'introduction de la requête.
23 Ce délai serait excessif, en particulier dès lors que la Commission cherche non pas simplement à faire constater par la Cour un manquement du Royaume-Uni à la sixième directive, mais également à obliger celui-ci à verser des montants de ressources propres TVA à compter de l'exercice 1984, majorés d'intérêts de retard.
24 Par conséquent, la Cour devrait déclarer le recours irrecevable pour autant qu'il vise à ce qu'elle se prononce sur la période antérieure à l'arrêt.
25 Dans ce contexte, le gouvernement du Royaume-Uni rappelle que la Cour a considéré, dans le passé, que la durée excessive de la procédure précontentieuse visée à l'article 169 du traité peut violer les droits de la défense et constituer ainsi un moyen d'irrecevabilité (arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas, C-96/89, Rec. p. I-2461, point 16). Par ailleurs, le préjudice qui résulterait pour le Royaume-Uni du comportement de la Commission, en cas de succès de la demande de cette institution, serait considérable et n'aurait pas pu être évité par cet État membre (voir, par exemple, arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas, précité, point 17).
26 En premier lieu, les ressources propres réclamées seraient beaucoup plus importantes que si la procédure avait été engagée dans un délai raisonnable. En deuxième lieu, le Royaume-Uni n'aurait aucune perspective de recouvrer a posteriori la TVA qui serait nécessaire pour compenser le déficit ou de récupérer la TVA à charge des usagers des routes qui auraient dû payer cette TVA sur les péages depuis 1984. Il en résulterait par conséquent une charge pour le ministère des Finances. En troisième lieu, le Royaume-Uni serait confronté à un montant significatif d'intérêts de retard qu'il aurait pu largement éviter si la procédure avait pris fin dans un délai raisonnable. En quatrième lieu, l'intérêt de la sécurité juridique et, eu égard au long silence de la Commission, les attentes légitimes du Royaume-Uni feraient qu'il serait abusif d'engager une action pour tenter d'obtenir un tel résultat dans la présente procédure. En dernier lieu, le calcul des ressources propres en cause dépendrait d'affirmations imprécises et tout à fait invérifiables.
27 À titre subsidiaire, le Royaume-Uni fait valoir que, si la Cour devait rejeter ses arguments quant à la recevabilité et au fond, elle devrait alors limiter les effets de son arrêt dans le temps de façon telle que le Royaume-Uni ne soit pas rendu responsable des conséquences, notamment financières, de son manquement passé consistant à ne pas avoir perçu la TVA sur les péages.
28 Il convient tout d'abord de rappeler que, si, conformément à la jurisprudence de la Cour, les règles de l'article 169 du traité doivent trouver application sans que la Commission soit tenue au respect d'un délai déterminé, il résulte de cette même jurisprudence que, dans certaines hypothèses, une durée excessive de la procédure précontentieuse prévue par l'article 169 est susceptible d'augmenter, pour l'État mis en cause, la difficulté de réfuter les arguments de la Commission et de violer ainsi les droits de la défense (arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas, précité, points 15 et 16).
29 Toutefois, en l'occurrence, le gouvernement du Royaume-Uni n'a pas prouvé ni même allégué que la durée inhabituelle de la procédure avait eu une incidence sur la manière dont il a organisé sa défense.
30 Ensuite, ainsi que la Commission l'a relevé lors de l'audience sans être contredite, la République française avait notamment demandé à cette institution de retarder sa décision d'introduire un recours à son encontre, en vue de permettre l'examen du régime de la TVA applicable au tunnel sous la Manche. Or, selon les explications fournies par la Commission, l'introduction des recours à l'encontre des différents États membres concernés en a été retardée afin d'assurer une uniformité d'approche à l'égard de tous. Ce faisant, la Commission n'a pas exercé de manière contraire au traité le pouvoir d'appréciation qu'elle détient en vertu de l'article 169 du traité.
31 Enfin, s'agissant des conséquences financières préjudiciables dont fait état le gouvernement du Royaume-Uni, celui-ci aurait pu les éviter en mettant à la disposition de la Commission les montants réclamés, tout en formulant des réserves quant au bien-fondé de la thèse défendue par cette institution (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas, précité, point 17).
32 Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande du gouvernement du Royaume-Uni tendant à voir déclarer le présent recours irrecevable pour autant qu'il concerne la période antérieure à l'arrêt.
33 Quant à la demande subsidiaire du gouvernement du Royaume-Uni tendant à voir limiter dans le temps les effets de l'arrêt, elle présuppose la constatation du manquement allégué par la Commission. Il convient dès lors de procéder à l'examen au fond de la requête avant d'envisager, le cas échéant, la question de la limitation dans le temps des effets de l'arrêt.
Sur le fond
34 Par son recours, la Commission reproche au Royaume-Uni, d'une part, de ne pas avoir respecté les dispositions de la sixième directive en ne soumettant pas à la TVA les péages perçus en contrepartie de l'utilisation des routes et ponts à péage et, d'autre part, d'avoir méconnu la réglementation relative au système des ressources propres des Communautés en ne versant pas au budget communautaire les ressources propres TVA afférentes aux sommes qui auraient dû être perçues au titre de la TVA sur lesdits péages.
Sur le premier grief
35 Selon la Commission, la mise à disposition d'infrastructures routières moyennant acquittement d'un péage par l'utilisateur constitue une activité économique au sens des articles 2 et 4 de la sixième directive. Ladite activité devrait être considérée comme une prestation de services effectuée par un assujetti dans le cadre de l'exploitation d'un bien en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence au sens de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive.
36 Le fait que cette activité soit exercée, comme c'est le cas au Royaume-Uni, par des opérateurs publics ou privés selon un régime particulier ne saurait, selon elle, faire échapper les opérations en cause du champ d'application de la sixième directive.
37 À cet égard, la Commission souligne que, conformément à l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, c'est uniquement pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques que les organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis. Or, tel ne serait pas le cas de l'activité litigieuse qui ne relèverait pas des responsabilités caractéristiques de la puissance publique, lesquelles ne peuvent en aucun cas être déléguées à des organismes privés, alors que la règle du non-assujettissement des organismes de droit public serait nécessairement d'interprétation stricte.
38 Par ailleurs, l'exception prévue par la disposition visée au point précédent ne saurait, en tout état de cause, être invoquée que dans l'hypothèse où l'activité litigieuse est exercée par un organisme de droit public.
39 Il convient de relever d'emblée que la sixième directive assigne un champ d'application très large à la TVA en visant, à l'article 2, relatif aux opérations imposables, à côté des importations de biens, les livraisons de biens et prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays et en définissant, à l'article 4, paragraphe 1, comme assujetti quiconque accomplit, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité (arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, Rec. p. 1471, point 6).
40 La notion d'activités économiques est définie à l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
41 L'analyse de ces définitions met en évidence l'étendue du champ d'application couvert par la notion d'activités économiques et son caractère objectif, en ce sens que l'activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, précité, point 8).
42 Au vu de l'étendue du champ d'application défini par la notion d'activités économiques, il convient de constater que les opérateurs au Royaume-Uni, en tant qu'ils mettent à la disposition des usagers contre rémunération une infrastructure routière, accomplissent une activité économique au sens de la sixième directive.
43 Au vu du caractère objectif que revêt la notion d'activités économiques, le fait que l'activité visée au point précédent consiste dans l'exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d'intérêt général, est sans pertinence. En effet, la sixième directive, dans son article 6, prévoit expressément l'assujettissement au régime de la TVA de certaines activités accomplies aux termes de la loi (arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, précité, point 10).
44 Il convient de relever, par ailleurs, que, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêts du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, 102/86, Rec. p. 1443, point 12, et du 16 octobre 1997, Fillibeck, C-258/95, Rec. p. I-5577, point 12), la notion de prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive suppose l'existence d'un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue.
45 Or, ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, la mise à disposition d'une infrastructure routière moyennant acquittement d'un péage répond à cette définition. En effet, l'utilisation de l'infrastructure routière est subordonnée au règlement d'un péage dont le prix est fonction, notamment, de la catégorie de véhicules utilisée et de la distance parcourue. Il existe, dès lors, une relation directe et nécessaire entre le service rendu et la contre-valeur pécuniaire reçue.
46 Dans ces conditions, la mise à disposition d'une infrastructure routière moyennant versement d'un péage constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive.
47 Il convient dès lors de vérifier si, ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni le soutient, les opérateurs en cause bénéficient, en ce qui concerne l'activité de mise à disposition d'une infrastructure routière moyennant acquittement d'un péage, de l'exonération prévue à l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive.
48 Cette disposition prévoit, en son premier alinéa, que les organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques.
49 Ainsi que la Cour l'a rappelé à maintes reprises, l'analyse de ce texte, à la lumière des objectifs de la directive, met en évidence le fait que deux conditions doivent être remplies cumulativement pour que la règle du non-assujettissement joue, à savoir l'exercice d'activités par un organisme public et l'exercice d'activités accomplies en tant qu'autorité publique (voir, notamment, arrêt du 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla, C-202/90, Rec. p. I-4247, point 18).
50 S'agissant de cette dernière condition, il ressort d'une jurisprudence bien établie de la Cour (arrêts du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a., 231/87 et 129/88, Rec. p. 3233, point 16; du 15 mai 1990, Comune di Carpaneto Piacentino e.a., C-4/89, Rec. p. I-1869, point 8, et du 6 février 1997, Marktgemeinde Welden, C-247/95, Rec. p. I-779, point 17) que les activités exercées en tant qu'autorités publiques au sens de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive sont celles accomplies par les organismes de droit public dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier, à l'exclusion des activités qu'ils exercent dans les mêmes conditions juridiques que les opérateurs économiques privés.
51 Eu égard à cette jurisprudence, il y a lieu de rejeter la thèse de la Commission, exposée au point 37 du présent arrêt, selon laquelle un organisme agit «en tant qu'autorité publique» pour les seules activités qui relèvent de la notion d'autorités publiques au sens strict de ce terme, dont ne ferait pas partie l'activité de mise à disposition d'une infrastructure routière moyennant acquittement d'un péage.
52 La Commission, dont l'approche juridique n'a ainsi pas été retenue par la Cour, n'a pas établi ni même cherché à établir que, en l'occurrence, les opérateurs en cause agissent dans les mêmes conditions qu'un opérateur économique privé au sens de la jurisprudence de la Cour. À l'opposé, le Royaume-Uni s'est efforcé de démontrer que l'activité en cause était accomplie par ces opérateurs dans le cadre du régime juridique qui leur était particulier au sens de la même jurisprudence.
53 Par conséquent, force est de constater que la Commission est restée en défaut d'apporter à la Cour les éléments permettant à celle-ci d'établir l'existence du manquement allégué au regard de la condition tenant à l'exercice d'une activité en tant qu'autorités publiques.
54 Toutefois, ainsi qu'il a également été rappelé au point 49 du présent arrêt, la règle du non-assujettissement prévue à l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive suppose, outre que l'activité considérée soit exercée en tant qu'autorité publique, l'exercice de cette activité par un organisme de droit public.
55 À cet égard, la Cour a jugé qu'une activité exercée par un particulier n'est pas exonérée de la TVA du seul fait qu'elle consiste dans l'accomplissement d'actes relevant de prérogatives de l'autorité publique (arrêts précités du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, point 21, et Ayuntamiento de Sevilla, point 19). La Cour en a déduit, au point 20 de l'arrêt Ayuntamiento de Sevilla, précité, que, dès lors qu'une commune confie l'activité de perception de l'impôt à un tiers indépendant, l'exclusion prévue par l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive n'est pas applicable. De même, la Cour a jugé, au point 22 de l'arrêt du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, précité, que, si l'on devait considérer que, dans l'exercice de leurs fonctions publiques, les notaires et huissiers de justice aux Pays-Bas exercent des prérogatives de puissance publique en vertu d'une investiture publique, ils ne pourraient cependant pas bénéficier de l'exonération prévue à l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, puisqu'ils exercent ces activités non pas sous la forme d'un organisme de droit public, n'étant pas intégrés dans l'organisation de l'administration publique, mais sous la forme d'une activité économique indépendante, exercée dans le cadre d'une profession libérale.
56 Or, en l'occurrence, il est constant que, au Royaume-Uni, l'activité consistant à mettre à disposition des usagers une infrastructure routière moyennant acquittement d'un péage est, dans certains cas, exercée non pas par un organisme de droit public, mais par des opérateurs de droit privé. Lorsque tel est le cas, l'exonération prévue à l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive ne saurait trouver application.
57 Dans ces conditions, le premier grief de la Commission, pour autant qu'il vise l'hypothèse dans laquelle l'activité de mise à disposition des usagers d'une infrastructure routière est exercée au Royaume-Uni par un organisme de droit public, doit être rejeté.
58 Le gouvernement du Royaume-Uni considère par ailleurs que la mise à disposition d'infrastructures routières contre versement d'un péage représente une «location de biens immeubles» au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, de sorte que ladite prestation serait, en tout cas, exonérée de la TVA au titre de cette disposition.
59 Une interprétation large de la notion de location au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive se justifierait d'autant plus que l'on pourrait déduire de l'énumération des exclusions du champ d'application de l'exonération prévue par cette disposition que des opérations aussi temporaires que l'utilisation d'une chambre d'hôtel pour une seule nuit ou la location d'emplacements pour le stationnement des véhicules relèvent, à première vue, du concept de location ou d'affermage.
60 Selon le gouvernement du Royaume-Uni, dans la mesure où la TVA est une taxe sur les fournitures de biens et les prestations de services, il convient de se demander ce qui est obtenu à titre principal en contrepartie du paiement. Lorsque le droit d'utiliser un terrain est accessoire par rapport au service fourni, il y aurait opération taxable. Toutefois, en cas de paiement d'un péage routier, le droit d'emprunter la route à péage constituerait le principal avantage conféré, de sorte que l'opération relèverait de l'exonération prévue par l'article 13, B, sous b).
61 Contrairement à la thèse défendue par la Commission, les notions d'affermage et de location au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive ne supposeraient ni l'existence d'un droit d'occupation exclusif ni une durée d'exercice du droit d'utiliser un bien déterminée. Toute autre interprétation serait inconciliable avec l'article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive, dont il ressortirait que la location d'emplacements pour le stationnement de véhicules relève, à première vue, de l'affermage ou de la location au sens de cette disposition. En effet, un contrat de ce type n'impliquerait pas une utilisation exclusive de l'emplacement de stationnement ni même d'un emplacement particulier dans le parking.
62 Le gouvernement défendeur précise que les péages privés ont toujours été considérés au Royaume-Uni comme représentant la contrepartie de la fourniture d'une autorisation («licence») de passer sur un terrain, exonérée de TVA en vertu de l'article 13, B, sous b), étant donné que la personne accordant l'autorisation consent à ce que ses droits sur son terrain soient affectés d'une façon définie et convenue. L'analyse juridique d'une autorisation de traverser un terrain ne serait, pour les besoins de la TVA, pas différente de celle applicable à l'autorisation d'occuper une chambre d'hôtel ou à la location d'une maison d'habitation.
63 Il convient de relever d'emblée que, selon une jurisprudence constante, les exonérations prévues par l'article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties, 348/87, Rec. p. 1737, point 11; du 11 août 1995, Bulthuis-Griffioen, C-453/93, Rec. p. I-2341, point 18, et du 5 juin 1997, SDC, C-2/95, Rec. p. I-3017, point 21). Elles doivent dès lors recevoir une définition communautaire.
64 Il est également de jurisprudence constante que les termes employés pour désigner les exonérations visées à l'article 13 de la sixième directive sont d'interprétation stricte, étant donné qu'elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (voir, notamment, arrêts Stichting Uitvoering Financiële Acties, précité, point 13; Bulthuis-Griffioen, précité, point 19; SDC, précité, point 20, et du 7 septembre 1999, Gregg, C-216/97, Rec. p. I-4947, point 12).
65 À cet égard, il y a lieu de constater que le libellé de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive n'apporte aucun éclaircissement sur la portée des termes «affermage» ou «location de biens immeubles».
66 Certes, la notion de «location de biens immeubles» au sens de cette disposition est à certains égards plus large que celle consacrée dans différents droits nationaux. Ladite disposition vise ainsi, notamment, pour l'exclure de l'exonération, le contrat d'hôtellerie («opérations d'hébergement ... dans le cadre du secteur hôtelier»), lequel, compte tenu de la prééminence des services fournis par l'hôtelier et du contrôle que ce dernier exerce sur la jouissance de l'immeuble par les clients, n'est pas considéré, dans certains droits nationaux, comme un contrat de location.
67 Au-delà des cas particuliers expressément visés à l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, la notion de «location de biens immeubles» doit cependant faire l'objet d'une interprétation stricte. Elle constitue, en effet, ainsi qu'il a été rappelé au point 64 du présent arrêt, une exception au régime général de la TVA consacré dans cette directive.
68 Par conséquent, ne peuvent être inclus dans cette notion des contrats caractérisés, comme en l'occurrence, par l'absence de prise en compte de la durée de la jouissance du bien immeuble, élément essentiel du contrat de location, dans le consentement des parties.
69 En effet, dans le cas de la mise à disposition d'une infrastructure routière, ce qui intéresse l'usager est la possibilité qui lui est offerte d'effectuer un parcours déterminé d'une manière rapide et avec une meilleure sécurité. La durée d'utilisation de l'infrastructure routière n'est pas prise en considération par les parties, notamment en vue de la fixation du prix.
70 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ne soumettant pas à la TVA les péages perçus pour l'utilisation des routes et ponts à péage en contrepartie du service rendu aux usagers, lorsque celui-ci n'est pas fourni par un organisme de droit public au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 4 de cette directive.
Sur le second grief
71 La Commission rappelle que les règles communautaires relatives à la perception des ressources propres TVA figurent dans le règlement n_ 1553/89, qui a remplacé, à compter du 1er janvier 1989, le règlement n_ 2892/77, modifié.
72 À cet égard, elle souligne que, lorsqu'un assujetti effectue une opération relevant des articles 2 et 4 de la sixième directive, le consommateur final de cette livraison ou de cette prestation de services est redevable de la TVA et que, corrélativement, les dispositions relatives au versement des ressources propres TVA s'appliquent pour l'État membre dans lequel la TVA a été perçue.
73 La Commission estime que, lorsqu'il y a infraction à la sixième directive et, par conséquent, lorsque l'assiette des ressources propres TVA est réduite, elle doit être créditée du montant des ressources propres afférent à la taxe qui aurait dû être prélevée, sous peine de subir un préjudice financier devant être compensé au moyen de la contribution fondée sur le produit national brut. Cette infraction causerait donc un préjudice financier aux autres États membres et, partant, méconnaîtrait le principe d'égalité.
74 S'agissant du paiement des intérêts de retard, la Commission rappelle que, selon la Cour, les intérêts moratoires prévus à l'article 11 du règlement n_ 1552/89 sont dus pour «tout retard» et sont exigibles quelle que soit la raison pour laquelle l'inscription au compte de la Commission a été faite avec retard (voir, par exemple, arrêt du 22 février 1989, Commission/Italie, 54/87, Rec. p. 385, point 12).
75 La Commission considère qu'elle a accordé au gouvernement du Royaume-Uni les délais nécessaires pour mettre fin à l'infraction et a attiré son attention sur le fait que des intérêts de retard seraient dus pour les montants de ressources propres TVA qui n'auraient pas été versés par le Royaume-Uni en raison de la non-application de la TVA aux péages routiers.
76 Il convient de rappeler que, en vertu de l'article 1er du règlement n_ 1553/89, les ressources propres TVA résultent de l'application d'un taux uniforme à la base déterminée conformément à ce même règlement et que, selon l'article 2, paragraphe 1, dudit règlement, ladite base est déterminée à partir des opérations imposables visées à l'article 2 de la sixième directive.
77 Or, dans la mesure où les péages perçus en contrepartie de l'utilisation de certaines infrastructures routières au Royaume-Uni n'ont pas été soumis à la TVA, les montants correspondants n'ont pas été pris en compte en vue de la détermination de la base des ressources propres TVA, de sorte que le Royaume-Uni a également méconnu, dans la même mesure, la réglementation relative au système des ressources propres des Communautés.
78 Par ailleurs, les intérêts de retard réclamés par la Commission trouvent leur fondement dans l'article 11 du règlement n_ 1552/89. Ainsi que celle-ci l'a rappelé à juste titre, les intérêts moratoires sont exigibles quelle que soit la raison pour laquelle l'inscription a été réalisée avec retard (voir, notamment, arrêt Commission/Italie, précité, point 12).
79 Il convient toutefois de se demander si la circonstance que plus de sept ans se sont écoulés entre la notification de l'avis motivé et l'introduction du présent recours n'a pas une incidence sur l'étendue de l'obligation du Royaume-Uni de verser a posteriori des montants au titre de la réglementation relative aux ressources propres des Communautés.
80 En effet, malgré l'absence d'un délai de prescription relatif au recouvrement de la TVA tant dans la sixième directive (arrêt du 19 novembre 1998, SFI, C-85/97, Rec. p. I-7447, point 25) que dans la réglementation relative aux ressources propres des Communautés, l'exigence fondamentale de sécurité juridique peut néanmoins s'opposer à ce que la Commission puisse, dans le cadre d'une procédure en manquement tendant au versement a posteriori de ressources propres, retarder indéfiniment la décision d'engager la phase contentieuse de celle-ci (voir, mutatis mutandis, arrêt du 14 juillet 1972, ACNA/Commission, 57/69, Rec. p. 933, point 32).
81 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1553/89, les États membres doivent transmettre à la Commission un relevé indiquant le montant total de la base des ressources propres TVA qui est afférente à l'année civile précédente et à laquelle est appliqué le taux uniforme visé à l'article 1er du même règlement, en vue de la détermination des ressources propres TVA.
82 Selon l'article 9, paragraphe 1, du règlement n_ 1553/89, les rectifications à apporter, pour quelque cause que ce soit, aux relevés visés à l'article 7, paragraphe 1, et concernant les exercices précédents sont effectuées par accord entre la Commission et l'État membre concerné. En l'absence d'accord de l'État membre et après un nouvel examen, la Commission prend les mesures qu'elle estime nécessaires pour l'application correcte de ce règlement.
83 L'article 9, paragraphe 2, du même règlement énonce:
«Après le 31 juillet de la quatrième année suivant un exercice donné, le relevé annuel visé à l'article 7 paragraphe 1 n'est plus rectifié, sauf pour les points notifiés avant cette échéance soit par la Commission, soit par l'État membre concerné.»
84 Cette disposition, qui ne vise certes pas la situation dans laquelle une procédure en manquement au titre de l'article 169 du traité a été engagée, témoigne néanmoins des exigences de sécurité juridique dans le domaine budgétaire en ce qu'elle exclut toute rectification au-delà de quatre exercices budgétaires.
85 Il convient d'admettre que les mêmes considérations de sécurité juridique justifient une application par analogie de la règle énoncée à ladite disposition, lorsque la Commission décide d'engager une procédure en manquement en vue d'obtenir le versement a posteriori de ressources propres TVA.
86 Par conséquent, la Commission, qui n'a décidé d'introduire le présent recours que le 21 octobre 1997, ne saurait être fondée à exiger le versement a posteriori des ressources propres TVA augmentées des intérêts de retard qu'à partir de l'exercice budgétaire 1994.
87 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ne mettant pas à la disposition de la Commission, au titre des ressources propres TVA, les montants correspondant à la TVA qui aurait dû être prélevée sur les péages perçus pour l'utilisation des routes et ponts à péage, augmentés des intérêts de retard, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des règlements nos 1553/89 et 1552/89.
Sur la limitation des effets de l'arrêt
88 Le gouvernement du Royaume-Uni considère que, si la Cour devait trancher en faveur de la thèse défendue par la Commission, toute constatation de manquement devrait être déclarée comme n'ayant un effet que pour l'avenir.
89 D'abord, rien ne s'opposerait à ce que la Cour puisse imposer une limitation dans le temps des effets d'un arrêt en manquement, la possibilité de déterminer la portée d'un arrêt, qui est expressément prévue à l'article 174 du traité CE (devenu article 231 CE) s'agissant des recours en annulation, ayant déjà été reconnue à l'égard d'arrêts rendus au titre de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE).
90 Ensuite, les conditions d'une telle limitation seraient remplies. En effet, un arrêt en manquement qui produirait ses effets avant la date de son prononcé obligerait le Royaume-Uni à payer à la Commission un montant considérable, majoré des intérêts de retard, qu'il devrait puiser dans ses ressources générales, dans la mesure où ces fonds ne pourraient pas être recouvrés auprès des personnes qui ont utilisé les routes et ponts à péage en cause durant la période considérée. Ces conséquences financières auraient en outre été rendues beaucoup plus graves du fait de la longue période d'inaction de la Commission à la suite de la réponse du Royaume-Uni à l'avis motivé, inaction dont le Royaume-Uni était d'ailleurs en droit de déduire que les arguments qu'il avait avancés à l'encontre de l'avis motivé avaient été acceptés comme étant conformes au droit ou, à tout le moins, que la Commission n'engagerait pas de procédure à son encontre au titre de la violation alléguée. Ainsi, c'est de bonne foi et sur la base d'une interprétation sincère et tout à fait raisonnable des règles pertinentes, portée à la connaissance de la Commission par le Royaume-Uni durant la phase précontentieuse, que la TVA n'aurait pas été perçue sur les péages au Royaume-Uni. Le Royaume-Uni se prévaut à cet égard des principes de sécurité juridique et du respect de la confiance légitime. Enfin, le calcul des ressources propres en cause dépendrait d'hypothèses imprécises et tout à fait invérifiables.
91 Il convient de rappeler qu'une limitation des effets d'un arrêt statuant sur une demande d'interprétation apparaît tout à fait exceptionnelle. La Cour n'a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsqu'il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur, et qu'il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d'une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d'autres États membres ou par la Commission (arrêt du 11 août 1995, Roders e.a., C-367/93 à C-377/93, Rec. p. I-2229, point 43).
92 Or, à supposer même que de telles considérations puissent conduire à une limitation des effets dans le temps d'un arrêt rendu au titre de l'article 169 du traité, il suffit de constater que, en l'occurrence, les autorités du Royaume-Uni ne sauraient utilement faire valoir qu'elles ont été incitées à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d'une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires.
93 En effet, d'une part, la majorité des États membres disposant d'infrastructures routières payantes soumettent à la TVA les péages afférents à leur utilisation. D'autre part, au plus tard depuis l'engagement à l'encontre du Royaume-Uni d'une procédure en manquement qui lui faisait précisément grief de l'incompatibilité avec le droit communautaire de l'exonération de la TVA des péages routiers, cet État membre devait prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter les préjudices et difficultés allégués.
94 À cet égard, même si la période séparant la réponse du Royaume-Uni à l'avis motivé de l'introduction du présent recours apparaît, du moins à première vue, anormalement longue, il n'en demeure pas moins qu'il n'a pas été allégué que la Commission aurait, au cours de cette période, manifesté son intention d'abandonner ladite procédure en manquement. Au contraire, ainsi que la Commission l'a relevé lors de l'audience devant la Cour sans être contredite, cette institution a procédé chaque année à l'appel des ressources propres en cause auprès des États membres ne soumettant pas à la TVA les péages perçus pour l'utilisation des infrastructures routières payantes.
95 Enfin, en ce qui concerne les conséquences des retards imputables à la Commission, le Royaume-Uni aurait pu les éviter en calculant et en mettant à la disposition de la Commission les montants réclamés (voir notamment, en ce sens, arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas, précité, point 39).
96 Il y a lieu dès lors de rejeter la demande du Royaume-Uni tendant à voir limiter les effets du présent arrêt.
Sur les dépens
97 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume-Uni et celui-ci ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1) En ne soumettant pas à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus pour l'utilisation des routes et ponts à péage en contrepartie du service rendu aux usagers, lorsque celui-ci n'est pas fourni par un organisme de droit public au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, et en ne mettant pas à la disposition de la Commission des Communautés européennes, au titre des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée, les montants correspondant à la taxe qui aurait dû être prélevée sur lesdits péages, augmentés des intérêts de retard, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 4 de ladite directive et des règlements (CEE, Euratom) nos 1553/89 du Conseil, du 29 mai 1989, concernant le régime uniforme définitif de perception des ressources propres provenant de la taxe sur la valeur ajoutée, et 1552/89 du Conseil, du 29 mai 1989, portant application de la décision 88/376/CEE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés.
2) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord est condamné aux dépens.