Avis juridique important
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 25 janvier 2001. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'Etat - TVA - Huitième directive - Remboursement de la TVA acquittée dans un autre Etat membre - Sixième directive - Lieu de la prestation - Services de collecte, de tri, de transport et d'élimination de déchets. - Affaire C-429/97.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-00637
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Prestations de services - Détermination du lieu de rattachement fiscal - Prestation complexe en matière d'élimination de déchets - Remboursement de la taxe aux assujettis non établis à l'intérieur du pays - Refus de remboursement en cas de sous-traitance par les assujettis non établis à l'intérieur du pays, titulaires d'un contrat principal, à un assujetti établi à l'intérieur du pays d'une partie des travaux relevant du contrat - Inadmissibilité
irectives du Conseil 77/388, art. 9, § 1), et 79/1072, art. 2)
$$Le rattachement, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une prestation complexe prise dans son ensemble, au paragraphe 1 de l'article 9 de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, selon lequel le lieu d'une prestation de services est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable, ou au paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, dudit article, selon lequel le lieu des prestations de services ayant pour objet des travaux portant sur des biens meubles corporels est l'endroit où ces prestations sont matériellement exécutées, doit être de nature à assurer sa taxation rationnelle et homogène.
Ainsi, lorsque le titulaire du contrat principal portant sur une prestation complexe en matière d'élimination de déchets a son siège ou un établissement stable dans un État membre, la prestation qu'il effectue est réputée se situer dans cet État, même s'il confie à un sous-traitant, assujetti aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre État membre, l'élimination proprement dite des déchets, en acquittant la taxe sur la valeur ajoutée correspondante. Les conditions auxquelles la huitième directive 79/1072 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays - subordonne le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée étant ainsi remplies, le titulaire du contrat principal est fondé à exiger ensuite, sur le fondement de l'article 2 de la huitième directive, le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée dans cet autre État membre.
Dès lors, un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive, notamment de son article 2, lorsqu'il refuse de rembourser aux assujettis établis dans un autre État membre, titulaires d'un contrat principal portant sur une prestation de services complexe en matière d'élimination de déchets, la taxe sur la valeur ajoutée que ceux-ci ont dû acquitter lorsqu'ils ont sous-traité à un assujetti établi à l'intérieur du pays une partie des travaux relevant d'un tel contrat.
( voir points 40, 53-54, disp. 1 )
Dans l'affaire C-429/97,
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme H. Michard et M. E. Traversa, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée initialement par Mme K. Rispal-Bellanger et M. G. Mignot, puis par Mme K. Rispal-Bellanger et M. S. Seam, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en refusant de rembourser la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays lorsque ces assujettis ont sous-traité une partie de leur travail à un assujetti établi en France, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays (JO L 331, p. 11), en particulier de son article 2,
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, V. Skouris (rapporteur) et J.-P. Puissochet, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 18 novembre 1999,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 janvier 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 décembre 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en refusant de rembourser la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») aux assujettis non établis à l'intérieur du pays lorsque ces assujettis ont sous-traité une partie de leur travail à un assujetti établi en France, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays (JO L 331, p. 11, ci-après la «huitième directive»), en particulier de son article 2.
Le contexte juridique
La réglementation communautaire
La huitième directive
2 Selon son deuxième considérant, la huitième directive a pour objectif d'éviter qu'un assujetti établi à l'intérieur d'un État membre ne doive supporter définitivement la taxe qui lui a été facturée dans un autre État membre pour des livraisons de biens ou des prestations de services et qu'il ne se trouve ainsi soumis à une double imposition.
3 L'article 1er de la huitième directive précise:
«Pour l'application de la présente directive, est considéré comme un assujetti qui n'est pas établi à l'intérieur du pays l'assujetti visé à l'article 4 paragraphe 1 de la directive 77/388/CEE qui, au cours de la période visée à l'article 7 paragraphe 1 premier alinéa première et deuxième phrases, n'a eu dans ce pays ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable à partir duquel les opérations sont effectuées, ni, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, son domicile ou sa résidence habituelle, et qui, au cours de la même période, n'a effectué aucune livraison de biens ou prestation de services réputée se situer dans ce pays [...]»
4 L'article 2 de la huitième directive prévoit:
«Chaque État membre rembourse à tout assujetti qui n'est pas établi à l'intérieur du pays mais qui est établi dans un autre État membre, dans les conditions fixées ci-après, la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des services qui lui sont rendus ou des biens meubles qui lui sont livrés à l'intérieur du pays par d'autres assujettis, ou ayant grevé l'importation de biens dans le pays, dans la mesure où ces biens et ces services sont utilisés pour les besoins des opérations visées à l'article 17 du paragraphe 3 sous a) et b) de la directive 77/388/CEE ou des prestations de services visées à l'article 1er sous b).»
La sixième directive
5 L'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), dispose:
«Le lieu d'une prestation de services est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue ou, à défaut d'un tel siège ou d'un tel établissement stable, au lieu de son domicile ou de sa résidence habituelle.»
6 L'article 9, paragraphe 2, de la sixième directive est libellé comme suit:
«[...]
c) le lieu des prestations de services ayant pour objet:
- [...]
- [...]
- [...]
- des travaux portant sur des biens meubles corporels,
est l'endroit où ces prestations sont matériellement exécutées».
La réglementation nationale
7 L'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive est transposé en France par l'article 259 A 4° du code général des impôts. Dans sa rédaction applicable à l'espèce, cette disposition énonce:
«Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France:
[...]
4° Les prestations ci-après lorsqu'elles sont matériellement exécutées en France:
[...]
travaux et expertises portant sur des biens meubles corporels».
8 Il ressort du dossier qu'une note émanant du service de la législation fiscale français, ayant pour objet le régime applicable aux opérations d'élimination de déchets en France et aux prestations de transport à l'importation y afférentes, a été adressée à l'ensemble des services français chargés de l'application de la TVA. Il est notamment indiqué dans cette note que «l'opération d'élimination relève de l'article 259 A 4° du Code général des impôts qui transpose en droit français l'article 9-2-c) de la sixième directive [... et] est imposable à la TVA en France lorsqu'elle y est matériellement exécutée. Ces dispositions s'appliquent à l'opération réalisée par l'exploitant du site qui exécute lui-même les travaux. Elles s'appliquent également à la prestation que l'entreprise titulaire du marché d'élimination rend à ses clients, dès lors que cette entreprise leur facture le montant global de l'opération, dont l'élément essentiel est constitué par le prix qui lui est réclamé par l'exploitant du site. La circonstance que cette entreprise n'effectue pas elle-même les opérations matérielles d'élimination mais les confie à une autre entreprise est sans influence sur ces dispositions [...]»
Les faits et la procédure précontentieuse
9 Il ressort du dossier que l'administration française refuse d'accorder le bénéfice des dispositions de la huitième directive à des entreprises chargées de la collecte, du tri, du transport et de l'élimination de déchets, établies dans un autre État membre et faisant appel à des sous-traitants français pour éliminer une partie de ces déchets.
10 Ces entreprises titulaires du contrat principal portant sur la collecte et l'élimination de déchets ont, en vertu de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive, facturé à leurs clients preneurs de services la TVA de l'État membre de leur établissement sur la totalité du prix. Elles ont, par ailleurs, acquitté la TVA française qui leur a été facturée par les sous-traitants établis en France.
11 Lorsque, par la suite, elles ont demandé le remboursement de la TVA ainsi acquittée, elles se sont vu opposer des refus de la part de l'administration française, au motif que, en vertu de l'article 259 A 4° du code général des impôts, tel qu'interprété par cette dernière, elles sont réputées avoir effectué elles-mêmes en France l'ensemble de leur prestation relative aux déchets, dès lors que l'élimination matérielle de ceux-ci, qui constitue l'élément essentiel et déterminant de cette prestation et de son prix, est réalisée en France; par conséquent, la huitième directive ne saurait trouver à s'appliquer.
12 Les entreprises en question ont alors été invitées à faire accréditer auprès de l'administration fiscale française un représentant fiscal chargé d'acquitter la TVA exigible au titre d'opérations considérées comme réalisées en France.
13 Par lettres des 23 septembre et 22 décembre 1992, les services de la Commission ont demandé aux autorités françaises de leur fournir des précisions sur le raisonnement qu'elles suivent pour considérer que les dispositions de la huitième directive ne peuvent s'appliquer en l'espèce. Ils faisaient valoir que la question dépasse largement le domaine de l'élimination des déchets, puisqu'elle concerne le problème plus général du régime de TVA applicable à des opérations complexes dans lesquelles interviennent des opérateurs établis dans plusieurs États membres.
14 Au cours d'une réunion du 17 novembre 1992 entre les services de la Commission et les autorités françaises, ainsi que par lettre du 5 janvier 1993, ces dernières ont fait connaître leur point de vue sur ladite question.
15 Estimant que le refus de remboursement de la TVA française constitue une violation de la huitième directive, la Commission a engagé la procédure prévue à l'article 169 du traité et, par lettre du 8 juin 1993, elle a mis le gouvernement français en demeure de lui présenter ses observations dans un délai de deux mois à compter de la réception de cette lettre.
16 Dans cette lettre, la Commission faisait valoir notamment que, en présence d'un contrat comportant différents types de prestations, telles que la collecte, le tri et l'élimination des déchets, il convient d'appliquer la règle générale de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive qui prévoit la taxation dans l'État membre d'établissement de l'assujetti; en effet, cette règle permettrait d'assurer une taxation homogène de l'ensemble de la prestation rendue par le prestataire de services à son client. Toutefois, dans la mesure où l'une de ces prestations, à savoir l'élimination de déchets, s'analyse comme «un travail sur biens meubles corporels» au sens de l'article 9, paragraphe 2, sous c), de la sixième directive et que cette prestation est le fait d'une entreprise sous-traitante, distincte de l'entreprise qui est titulaire du contrat principal, elle devrait être soumise à la TVA dans l'État membre où elle est matériellement exécutée, à savoir la France en l'occurrence. Si la perception de la TVA française est ainsi justifiée, l'entreprise étrangère qui l'a supportée devrait pouvoir obtenir son remboursement en France, conformément à la huitième directive.
17 Par lettre du 6 août 1993, les autorités françaises ont répondu à la lettre de mise en demeure, en confirmant leur point de vue et en précisant que les différentes opérations effectuées par l'entreprise étrangère constituent une opération unique d'élimination de déchets qui n'est réalisée qu'à la fin du traitement, que l'autonomie du contrat conclu entre l'entreprise étrangère et son sous-traitant français ne modifie pas la nature de la prestation et qu'aucune «rémanence» de taxe ne se produit dans la mesure où la société étrangère peut récupérer sa taxe d'amont par voie de déduction.
18 Le 10 avril 1996, la Commission a adressé à la République française un avis motivé dans lequel elle confirmait sa position selon laquelle elle ne peut partager l'interprétation que fait cet État membre de l'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive et invitait ce dernier à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
19 Les autorités françaises ne se sont pas conformées à l'avis motivé, mais, par lettre du 12 juin 1996, elles ont répondu à la Commission en justifiant leur position.
20 Eu égard à cette situation, la Commission a introduit le présent recours.
Sur la recevabilité
21 Le gouvernement français soulève une exception d'irrecevabilité partielle du recours, dans la mesure où celui-ci excède le cas des prestations relatives à l'élimination de déchets.
22 En premier lieu, en tant qu'il a pour objet des prestations autres que celles relatives à l'élimination de déchets, le recours serait irrecevable dans la mesure où il n'est fondé sur aucun grief précis à l'encontre de la République française. En effet, la requête n'exposerait nulle part les éléments de droit et de fait sur lesquels la Commission s'appuie pour conclure à l'existence d'un manquement général dudit État membre à ses obligations découlant de la huitième directive, dans des cas autres que celui des prestations relatives à l'élimination de déchets.
23 En second lieu, cette partie du recours serait également irrecevable dans la mesure où, en n'indiquant à aucun moment au cours de la procédure précontentieuse quelle disposition de droit interne ou quelle pratique administrative elle mettait en cause pour conclure à l'existence d'un manquement général, la Commission a méconnu la finalité de cette procédure précontentieuse qui est, conformément à une jurisprudence constante, de donner à l'État membre concerné l'occasion, d'une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission.
24 La Commission conclut à la recevabilité du recours en soutenant, d'une part, que l'interprétation des autorités françaises, telle qu'elle est mise en oeuvre à l'occasion des opérations d'élimination de déchets, touche à la question générale et de principe relative à l'application des dispositions de l'article 9 de la sixième directive dans le cadre d'opérations complexes, lorsqu'un sous-traitant établi dans un autre État membre que le titulaire du contrat principal effectue pour le compte de celui-ci une partie de l'opération sur le territoire français. D'autre part, il ne serait pas porté atteinte aux droits de la défense du gouvernement français, car il n'y a eu ni élargissement ni changement de griefs en cours de procédure.
25 Afin de statuer sur l'exception soulevée par le gouvernement français, y compris dans sa partie relative au non-respect des droits de la défense, il convient de déterminer au préalable si, en ce qu'il excède le cas des prestations relatives à l'élimination de déchets, le recours de la Commission est fondé sur des éléments précis de droit et de fait. Or, cette question relève de l'examen au fond du recours introduit par la Commission.
26 Par conséquent, il y a lieu de joindre au fond l'examen de l'exception d'irrecevabilité soulevée par le gouvernement français.
Sur le fond
27 La Commission reproche à la République française un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la huitième directive, en particulier de son article 2, dans la mesure où elle refuse de rembourser aux assujettis non établis à l'intérieur du pays la TVA qu'ils ont acquittée en France lorsqu'ils ont sous-traité une partie de leur travail à un assujetti établi dans cet État membre.
28 Il résulte des articles 1er et 2 de la huitième directive qu'un assujetti a droit au remboursement de la TVA acquittée dans un autre État membre s'il n'a pas de siège ou d'établissement stable dans cet État et s'il n'y a effectué aucune livraison de biens ou prestation de services.
29 En vue de déterminer plus particulièrement si une prestation de services a lieu dans un État membre, il convient de se référer à l'article 9 de la sixième directive.
30 Selon le paragraphe 1 de cette disposition, le lieu d'une prestation de services est réputé se situer à l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable.
31 Le paragraphe 2 du même article comporte une série de rattachements spécifiques pour certaines catégories de prestations. Ainsi, cette disposition énonce, sous c), quatrième tiret, que le lieu des prestations de services ayant pour objet des travaux portant sur des biens meubles corporels est l'endroit où ces prestations sont matériellement exécutées.
32 En l'espèce, les parties sont en désaccord sur le lieu auquel doit être rattachée une prestation de services complexe comportant diverses opérations relatives aux déchets - telles que la collecte, le tri, le transport, le dépôt, le traitement, le recyclage, l'élimination proprement dite, etc. - lorsque l'entreprise titulaire du contrat y afférent est établie dans un État membre autre que la République française, dans lequel sont notamment réalisées certaines de ces opérations, alors que l'élimination proprement dite des déchets a lieu en partie en France par une entreprise sous-traitante. Il n'est pas contesté que les services fournis par cette dernière entreprise doivent être soumis à la TVA française. La question qui se pose a pour objet de déterminer le lieu de la prestation complexe considérée dans son ensemble.
33 Selon la Commission, étant donné que l'article 9, paragraphe 2, de la sixième directive ne comporte aucune règle de rattachement spécifique pour une telle prestation de services complexe, le lieu où est située une telle prestation doit être celui prévu au paragraphe 1 de ladite disposition, c'est-à-dire l'endroit où le titulaire du contrat a établi le siège de son activité économique.
34 La Commission soutient à cet égard qu'une telle prestation complexe comprend un ensemble d'opérations différentes et successives, dont certaines seulement consistent en des «travaux portant sur des biens meubles corporels» au sens de l'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive, opérations qui participent toutes au même titre au processus d'élimination de déchets. Lorsque le titulaire d'un contrat d'élimination de déchets s'engage auprès de ses clients à éliminer leurs déchets, le contrat en question s'appliquerait à l'ensemble de ces opérations. Le fait que le titulaire du contrat principal a ensuite recours à un sous-traitant d'un autre État membre pour effectuer une partie des opérations consistant en l'élimination définitive des déchets restants après les différentes opérations en amont - telles que la collecte, le tri, le traitement et le recyclage - ne serait pas de nature à modifier les règles relatives au lieu où doit se situer une prestation de services, telles que définies à l'article 9 de la sixième directive.
35 En particulier, il ne serait pas possible de privilégier, ainsi que le fait la République française, l'une des opérations du processus qui a eu lieu dans un État membre autre que celui du titulaire du contrat principal, au motif que cette opération, l'élimination proprement dite des déchets, serait déterminante pour le client, voire pour la réalisation de l'objectif poursuivi par la prestation complexe.
36 En revanche, le gouvernement français fait valoir que la prestation rendue par le titulaire du contrat à son client est facturée à ce dernier de manière globale et forfaitaire et forme, en réalité, un tout qui s'analyse comme une prestation unique et globale de «gestion des déchets». Il se réfère notamment à cet égard à la définition de la notion de «gestion des déchets» figurant à l'article 1er, sous d), de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32), selon laquelle on entend par gestion «la collecte, le transport, la valorisation et l'élimination des déchets, y compris la surveillance de ces opérations ainsi que la surveillance des sites de décharge après leur fermeture».
37 Il soutient en outre que, conformément à la jurisprudence (voir les affaires «prestations de publicité», notamment arrêt du 17 novembre 1993, Commission/France, C-68/92, Rec. p. I-5881, points 18 et 19), la qualification de cette prestation doit s'apprécier au regard du but qu'elle poursuit, à savoir en l'espèce l'élimination ou la valorisation des déchets produits par le client, qui constituent des travaux portant sur des biens meubles corporels. Dès lors, la prestation en question devrait être qualifiée de «prestation de services ayant pour objet des travaux portant sur des biens meubles corporels», au sens de l'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive, et, partant, elle devrait être taxée au lieu où l'élimination a été matériellement réalisée.
38 La conclusion quant à la qualification de la prestation ne serait pas différente si, ainsi que le suggère la Commission, l'on considérait les diverses opérations qui ont lieu dans le cadre de cette prestation. En effet, toutes ces opérations constitueraient des travaux portant sur des biens meubles corporels.
39 Par conséquent, même si la République française ne taxe pas systématiquement l'ensemble de la prestation assurée par le titulaire du contrat principal, le service que celui-ci rend à son client devrait être réputé avoir été effectué en France dès lors que l'élimination proprement dite des déchets y est réalisée, ce qui exclut l'application, à tout le moins, de l'une des conditions prévues à l'article 1er de la huitième directive et, de ce fait même, le remboursement de la TVA acquittée en France. Le fait que le titulaire du contrat principal confie l'exécution matérielle de celui-ci à un sous-traitant ne saurait entraîner une quelconque modification quant à la détermination du lieu de la prestation de services réalisée par le titulaire du contrat principal.
40 Il convient de relever, d'une part, que, s'agissant, comme en l'espèce, de la qualification, aux fins de la TVA, d'une prestation complexe prise dans son ensemble, son rattachement à l'article 9, paragraphe 1, ou paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive doit être de nature à assurer sa taxation rationnelle et homogène.
41 Il y a lieu de rappeler, d'autre part, que, en ce qui concerne le rapport entre les paragraphes 1 et 2 de l'article 9 de la sixième directive, la Cour a déjà précisé que le paragraphe 2 de l'article 9 indique toute une série de rattachements spécifiques, alors que le paragraphe 1 donne à ce sujet une règle de caractère général. L'objectif de ces dispositions est d'éviter, d'une part, les conflits de compétence, susceptibles de conduire à des doubles impositions, et, d'autre part, la non-imposition de recettes, ainsi qu'il est relevé au paragraphe 3 de l'article 9, bien que seulement pour des situations spécifiques. La question qui se pose dans chaque situation consiste à se demander si elle est régie par l'un des cas mentionnés à l'article 9, paragraphe 2; à défaut, elle relève du paragraphe 1 (voir arrêt du 26 septembre 1996, Dudda, C-327/94, Rec. p. I-4595, points 20 et 21).
42 Il convient donc de rechercher si la prestation complexe dont il s'agit en l'espèce est, ainsi que le soutient le gouvernement français, spécifiquement régie par l'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive, relatif aux prestations de services ayant pour objet des travaux portant sur des biens meubles corporels. À cet effet, il échet de tenir compte de tous les éléments qui caractérisent ladite prestation.
43 Ainsi, il ressort du dossier que cette dernière est réalisée par des entreprises qui s'engagent en vertu de contrats passés avec des collectivités locales, des entreprises industrielles et des organismes publics ou privés à collecter, à trier, à transporter ainsi qu'à éliminer des déchets et des ordures ménagères. En particulier, dans le cadre de ces contrats, les entreprises prestataires sont amenées à concevoir un plan de ramassage, à sélectionner les points de collecte, à organiser le transport des déchets, à les stocker, à organiser les opérations de tri, à choisir les modes d'élimination des déchets triés, à transporter les différents types de déchets vers les différents sites d'élimination, à en détruire une partie, à valoriser certains de ces déchets et, le cas échéant, à recourir aux services d'autres entreprises, spécialisées notamment dans l'élimination de certains types de déchets.
44 Il ressort également du dossier que les entreprises titulaires de ces contrats sont établies dans un État membre autre que la République française. Il en est de même de leurs clients. En outre, à l'exception de l'élimination de certains types de déchets, laquelle est confiée à des entreprises sous-traitantes spécialisées établies en France, toutes les opérations susmentionnées composant la prestation complexe sont réalisées dans le premier État membre. C'est dans ce même État que les entreprises titulaires des contrats principaux procèdent à l'organisation des moyens dont elles disposent et mettent en oeuvre leur savoir-faire pour assurer la bonne fin de leurs contrats.
45 En outre, les entreprises titulaires des contrats principaux facturent à leurs clients le prix qui correspond à l'ensemble de leur prestation complexe, y compris pour la partie qu'elles ont sous-traitée à une entreprise française. Ce prix comprend la TVA qu'elles ont dû acquitter pour l'ensemble de leur prestation.
46 Eu égard à ces éléments, considérer qu'une telle prestation complexe relève de l'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive reviendrait à la soumettre, aux fins de la TVA, à la législation de l'État membre où elle est matériellement exécutée. Or, compte tenu du caractère composite de cette prestation, l'application d'un tel critère de rattachement aurait pour effet de créer une incertitude quant au taux de la TVA que le titulaire du contrat principal doit facturer à ses clients, à chaque fois que l'une ou l'autre des opérations composant la prestation complexe a lieu dans un État membre autre que celui où le titulaire du contrat principal est établi.
47 Pour la même raison, l'application dudit critère de rattachement serait de nature à créer des conflits de compétence entre les États membres, ce qui irait à l'encontre des objectifs poursuivis par l'article 9 de la sixième directive, y compris donc par le paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de cette disposition.
48 Il s'ensuit qu'une telle prestation ne saurait être régie par l'article 9, paragraphe 2, sous c), quatrième tiret, de la sixième directive, et cela indépendamment de la question de savoir si l'élimination proprement dite des déchets constitue un travail portant sur des biens meubles corporels au sens de cette disposition.
49 En revanche, la règle générale énoncée à l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive comporte un critère sûr, simple et praticable pour le rattachement de ce type de prestation, qui est celui de l'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue. Au vu des éléments mentionnés aux points 43 à 45 du présent arrêt, cette disposition est de nature à assurer la taxation rationnelle et homogène de la prestation complexe prise dans son ensemble et à éviter les conflits de compétence entre les États membres.
50 Dès lors, la prestation complexe en question relève de l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive.
51 Le gouvernement français objecte qu'une telle interprétation peut aboutir à une non-taxation dans certains cas. Ainsi, lorsque le titulaire du contrat principal est établi en dehors de la Communauté, le service résultant de ce contrat ne pourrait faire l'objet d'aucune taxation dans la Communauté, alors même que la prestation y serait matériellement exécutée par un sous-traitant et que le service y serait effectivement consommé, c'est-à-dire que les déchets seraient effectivement éliminés ou valorisés dans la Communauté.
52 L'argumentation soutenue par le gouvernement français n'est pas de nature à mettre en cause la constatation effectuée au point 50 du présent arrêt. En effet, l'hypothèse envisagée par ce gouvernement concerne une éventualité qui découle des limites mêmes du champ d'application géographique du régime communautaire en matière de TVA et ne saurait, pour cette raison, affecter l'interprétation de l'article 9 de la sixième directive.
53 Il résulte de ce qui précède que, lorsque le titulaire du contrat principal portant sur une prestation complexe en matière d'élimination de déchets a son siège ou un établissement stable dans un État membre autre que la République française, la prestation qu'il effectue est réputée se situer dans le premier État, même s'il confie à un sous-traitant, assujetti aux fins de la TVA en France, l'élimination proprement dite des déchets, en acquittant la TVA correspondante. Les conditions auxquelles la huitième directive subordonne le remboursement de la TVA étant ainsi remplies, le titulaire du contrat principal est fondé à exiger ensuite, sur le fondement de l'article 2 de la huitième directive, le remboursement de la TVA acquittée en France.
54 Il convient, dès lors, de constater que, en refusant de rembourser aux assujettis établis dans un État membre autre que la République française, titulaires d'un contrat principal portant sur une prestation de services complexe en matière d'élimination de déchets, la TVA que ceux-ci ont dû acquitter à l'État français lorsqu'ils ont sous-traité à un assujetti établi en France une partie des travaux relevant d'un tel contrat, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la huitième directive, en particulier de son article 2.
55 Il reste enfin à examiner l'exception soulevée par le gouvernement français à l'encontre du recours, en ce que ce dernier excède le cas des prestations relatives à l'élimination des déchets.
56 À cet égard, il ressort du dossier que la Commission a formulé de manière générale les conclusions de l'avis motivé qu'elle a adressé aux autorités françaises et qu'elle a repris cette formule dans les conclusions de son recours. Il y a toutefois lieu de relever que, tant lors de la procédure précontentieuse que dans le recours introduit devant la Cour, l'ensemble de l'argumentation soutenue par la Commission a porté uniquement sur les prestations relatives à l'élimination de déchets et que celle-ci n'a donc invoqué aucun élément de fait et de droit de nature à établir que les autorités françaises ont manqué à leurs obligations découlant de la huitième directive pour des cas autres que celui relatif à l'élimination de déchets.
57 Par conséquent, le recours doit être rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
58 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
déclare et arrête:
1) En refusant de rembourser aux assujettis établis dans un État membre autre que la République française, titulaires d'un contrat principal portant sur une prestation de services complexe en matière d'élimination de déchets, la taxe sur la valeur ajoutée que ceux-ci ont dû acquitter à l'État français lorsqu'ils ont sous-traité à un assujetti établi en France une partie des travaux relevant d'un tel contrat, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays, en particulier de son article 2.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La République française est condamnée aux dépens.