Avis juridique important
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 14 septembre 2000. - D. contre W.. - Demande de décision préjudicielle: Landesgericht St. Pölten - Autriche. - Sixième directive TVA - Exonération des prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre des professions médicales et paramédicales - Fourniture par un médecin agréé en qualité d'expert près les tribunaux d'un avis en matière de recherche de paternité. - Affaire C-384/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-06795
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Exonération des prestations de soins à la personne dans le cadre des professions médicales et paramédicales - Prestations médicales consistant à établir, par des analyses biologiques, l'affinité génétique d'individus - Caractère imposable
(Directive du Conseil 77/388, art. 13, A, § 1, c))
$$L'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388, relatif à l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations de soins effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales, doit être interprété en ce sens que ne relèvent pas du champ d'application de cette disposition les prestations médicales consistant non pas à délivrer des soins aux personnes, en diagnostiquant et en traitant une maladie ou toute autre anomalie de santé, mais à établir, par des analyses biologiques, l'affinité génétique d'individus. (voir point 22 et disp.)
Dans l'affaire C-384/98,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Landesgericht St. Pölten (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
D.
et
W.,
en présence de:
sterreichischer Bundesschatz,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. L. Sévon (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, P. J. G. Kapteyn, P. Jann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. A. Saggio,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Stix-Hackl, Gesandte au ministère fédéral des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, chef du département de droit européen au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme M. Ewing, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de M. N. Paines, barrister,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa, membre du service juridique, et A. Buschmann, fonctionnaire national mis à la disposition du même service, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme M. Hall, barrister, et de la Commission, représentée par M. A. Buschmann, à l'audience du 18 novembre 1999,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 janvier 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 2 septembre 1998, parvenue à la Cour le 26 octobre suivant, le Landesgericht St. Pölten a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige concernant le traitement, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), d'honoraires relatifs à un examen génétique effectué par un expert médical commis par la juridiction saisie d'une action en recherche de paternité opposant D. à W.
La réglementation applicable
3 L'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive prévoit:
«1. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
...
c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'État membre concerné».
4 En Autriche, l'article 6, paragraphes 1, points 19 et 27, et 3, de l'Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d'affaires) 1994 dispose:
«1. Parmi les opérations relevant de l'article 1er, première et deuxième lignes, sont exonérées
...
19) les opérations afférentes à l'activité de médecin...
...
27) les opérations effectuées par les petites entreprises, c'est-à-dire celles ayant une résidence ou un siège en Autriche et dont les opérations n'excèdent pas 300 000 ATS durant la période d'imposition sur la base de l'article 1er, paragraphe 1, première et deuxième lignes...
...
3. L'entrepreneur dont le chiffre d'affaires est exonéré en vertu de l'article 6, paragraphe 1, point 27, peut renoncer, jusqu'à ce que la décision soit définitive, à l'application de l'article 6, paragraphe 1, point 27, par une déclaration écrite adressée à l'administration fiscale».
5 En Autriche, lorsqu'un expert est chargé, par la juridiction saisie du litige, de contribuer à l'établissement des faits, il a le droit de percevoir des honoraires et, dans la mesure où ses prestations sont soumises à la taxe sur le chiffre d'affaires, de prétendre au remboursement de la taxe afférente à ses honoraires.
6 Ladite juridiction fixe les honoraires de l'expert dans une ordonnance susceptible d'appel. Elle prescrit, par la même ordonnance, le versement de ces honoraires, qui sont prélevés sur une provision pour frais consignée par l'une des parties et, en cas d'insuffisance de celle-ci, sur des deniers publics, c'est-à-dire sur des fonds provenant de l'Österreichischer Bundesschatz (Trésor fédéral autrichien).
Les faits au principal et les questions préjudicielles
7 Le Bezirksgericht St. Pölten a commis le docteur Rosenmayr en qualité d'expert médical chargé d'établir, sur la base d'un examen génétique, si la demanderesse au principal pouvait être un enfant du défendeur.
8 En vue de procéder à la déduction de la TVA qu'elle avait acquittée en amont pour l'achat du matériel nécessaire à ses analyses et pour la rémunération de ses collaborateurs, Mme Rosenmayr a opté pour la taxation de son activité et a réclamé à l'État autrichien, outre le paiement des honoraires, une somme de 14 108,60 ATS à titre de taxe sur le chiffre d'affaires.
9 Le Bezirksgericht ayant fait intégralement droit à cette demande, le réviseur du Bundesschatz a interjeté appel devant la juridiction de renvoi de l'ordonnance de taxation des frais de l'expertise, ainsi qu'il est habilité à le faire en vue de préserver les deniers publics, en arguant que l'exonération de la TVA instituée pour les activités médicales ne saurait être considérée comme facultative.
10 Ladite juridiction a jugé qu'un expert, dans l'exercice de ses activités professionnelles, doit être considéré comme un entrepreneur au sens de l'article 1er, paragraphe 1, point 1, de l'Umsatzsteuergesetz 1994, de sorte que ses honoraires sont en principe soumis à la taxe sur le chiffre d'affaires. Toutefois, l'article 6, paragraphe 1, point 19, de la même réglementation prévoyant l'exonération des opérations afférentes à l'activité de médecin, la juridiction nationale s'interroge sur le point de savoir si cette exonération vise également les prestations médicales d'un médecin agissant en qualité d'expert et, plus particulièrement, les examens génétiques effectués dans le cadre d'une action en recherche de paternité.
11 Dans ces conditions, le Landesgericht St. Pölten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit-il être interprété en ce sens que l'exonération de taxe sur le chiffre d'affaires qui y est prévue vise également les prestations médicales qu'un médecin fournit en sa qualité d'expert judiciaire sur commission de la juridiction, en particulier par la réalisation d'examens génétiques dans le cadre d'une action en recherche de paternité?
2) En cas de réponse positive à la première question: la disposition précitée de la directive s'oppose-t-elle à l'application d'une règle nationale qui, sous certaines conditions, permet (également) aux médecins de renoncer efficacement à l'exonération précitée?»
Sur les questions préjudicielles
12 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance, d'une part, si l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que relèvent du champ d'application de cette disposition les prestations médicales consistant non pas à délivrer des soins aux personnes, en diagnostiquant et en traitant une maladie ou toute autre anomalie de santé, mais à établir, par des analyses biologiques, l'affinité génétique d'individus et, d'autre part, si la circonstance que le médecin agissant en qualité d'expert a été commis par une juridiction a une incidence à cet égard.
13 Les gouvernements autrichien, néerlandais et du Royaume-Uni soutiennent que l'exonération de la TVA prévue à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive s'applique aux prestations médicales sans distinguer la finalité de celles-ci, qu'elles visent à accomplir un acte technique, tel que des examens de laboratoire, ou à traiter une maladie et qu'elles soient effectuées à la demande d'un particulier ou sur commission d'une autorité publique. Ainsi, dès lors qu'il comporte l'exercice d'une activité médicale ou paramédicale, un examen génétique, réalisé dans le cadre d'une action en recherche de paternité par un médecin désigné par une juridiction, serait une prestation de soins exonérée de la TVA.
14 La Commission fait valoir en revanche que, pour relever de l'exonération, la prestation médicale doit consister précisément en des soins délivrés à la personne. Or, l'objectif des examens génétiques aux fins de recherche de paternité ne serait ni de prévenir ni de diagnostiquer ou de soigner une maladie. Il n'y aurait dès lors aucune raison d'accorder à de telles activités, exercées par un médecin, un traitement fiscal différent de celui réservé aux activités d'experts judiciaires dans d'autres disciplines, tels les experts-comptables, les ingénieurs ou les psychologues. Même si l'activité d'un expert commis par un tribunal peut être considérée comme étant d'intérêt général, cette caractéristique ne saurait suffire, à elle seule, pour exonérer de la TVA, sur le fondement de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, les prestations accomplies par cet expert.
15 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que les termes employés pour désigner les exonérations visées par l'article 13 de la sixième directive sont d'interprétation stricte, étant donné qu'elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la taxe sur le chiffre d'affaires est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (voir, notamment, arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoering Financiële Acties, 348/87, Rec. p. 1737, point 13, et du 12 novembre 1998, Institute of the Motor Industry, C-149/97, Rec. p. I-7053, point 17).
16 S'agissant de la question de savoir si l'examen génétique qu'un médecin pratique aux fins de recherche de paternité relève de la notion de «prestations de soins à la personne» au sens de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, il convient de comparer les différentes versions linguistiques de cette disposition, ainsi que l'exige l'interprétation uniforme du droit communautaire. Dès lors, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, notamment, arrêts du 27 mars 1990, Cricket St Thomas, C-372/88, Rec. p. I-1345, point 19, et du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co., C-437/97, non encore publié au Recueil, point 42).
17 À cet égard, ainsi que le relève M. l'avocat général au point 16 de ses conclusions, hormis la version italienne, toutes les versions de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive se réfèrent aux seules prestations médicales concernant la santé des personnes. Il importe de relever notamment que les versions allemande, française, finnoise et suédoise utilisent la notion de traitements thérapeutiques ou de soins apportés à la personne.
18 Force est donc de constater que cette notion de «prestations de soins à la personne» ne se prête pas à une interprétation incluant des interventions médicales menées dans un but autre que celui de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir des maladies ou anomalies de santé.
19 Dès lors, les prestations n'ayant pas un tel but thérapeutique doivent, compte tenu du principe de l'interprétation stricte de toute disposition visant à instaurer une exonération de la taxe sur le chiffre d'affaires, être exclues du champ d'application de l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive et sont donc soumises à la TVA.
20 Cette interprétation ne saurait être infirmée par l'éventuel caractère d'activités d'intérêt général que revêtiraient les opérations d'expertise en question. En effet, l'article 13, A, de la sixième directive n'exonère pas de la TVA toutes les activités d'intérêt général, mais uniquement celles qui sont énumérées et décrites de manière très détaillée (arrêt Institute of the Motor Industry, précité, point 18).
21 Lesdites opérations d'expertise ne pouvant, en raison de leur nature intrinsèque, être exonérées de la TVA, il est sans incidence à cet égard qu'elles aient été ordonnées par une juridiction.
22 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que ne relèvent pas du champ d'application de cette disposition les prestations médicales consistant non pas à délivrer des soins aux personnes, en diagnostiquant et en traitant une maladie ou toute autre anomalie de santé, mais à établir, par des analyses biologiques, l'affinité génétique d'individus. La circonstance que le médecin agissant en qualité d'expert a été commis par une juridiction est sans incidence à cet égard.
23 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
24 Les frais exposés par les gouvernements autrichien, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Landesgericht St. Pölten, par ordonnance du 2 septembre 1998, dit pour droit:
L'article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que ne relèvent pas du champ d'application de cette disposition les prestations médicales consistant non pas à délivrer des soins aux personnes, en diagnostiquant et en traitant une maladie ou toute autre anomalie de santé, mais à établir, par des analyses biologiques, l'affinité génétique d'individus. La circonstance que le médecin agissant en qualité d'expert a été commis par une juridiction est sans incidence à cet égard.