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Avis juridique important

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61998J0396

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 8 juin 2000. - Grundstückgemeinschaft Schloßstraße GbR contre Finanzamt Paderborn. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Article 17 de la sixième directive 77/388/CEE - Déduction de la taxe payée en amont - Impossibilité d'opérer la déduction en raison d'une modification de la législation nationale qui supprime la possibilité d'opter pour la taxation de la location de biens immeubles. - Affaire C-396/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-04279


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Déduction de la taxe frappant des biens livrés et des services fournis aux fins de travaux d'investissement destinés à être utilisés dans le cadre d'opérations taxées - Modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services mais antérieure au début desdites opérations privant l'assujetti du droit de renoncer à l'exonération de celles-ci - Circonstance sans pertinence à l'égard du droit à déduction - Protection de la confiance légitime - Sécurité juridique

(Directive du Conseil 77/388, art. 17)

Sommaire


$$L'article 17 de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires doit être interprété en ce sens que le droit, pour un assujetti, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location reste acquis lorsqu'une modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services mais antérieure au début desdites opérations prive cet assujetti du droit de renoncer à l'exonération de celles-ci, même si la taxe sur la valeur ajoutée a été liquidée sous réserve d'un contrôle a posteriori. Les principes de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique s'opposent, en effet, à ce qu'une telle modification législative le prive, avec effet rétroactif, du droit à déduction qu'il a acquis.

(voir points 47, 53 et disp.)

Parties


Dans l'affaire C-396/98,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Grundstückgemeinschaft Schloßstraße GbR

et

Finanzamt Paderborn,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), président de chambre, R. Schintgen, G. Hirsch, V. Skouris et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

- pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing, Ministerialrat au ministère fédéral des Finances, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa, conseiller juridique, et A. Buschmann, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Grundstückgemeinschaft Schloßstraße GbR, représentée par M. B. Westermann, conseiller fiscal à Paderborn, du gouvernement allemand, représenté par M. C.-D. Quassowski, et de la Commission, représentée par M. J. Grunwald, conseiller juridique, en qualité d'agent, à l'audience du 2 décembre 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 décembre 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 27 août 1998, parvenue à la Cour le 6 novembre suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Grundstückgemeinschaft Schloßstraße GbR (ci-après «Schloßstraße») au Finanzamt Paderborn à propos de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») acquittée par Schloßstraße sur des biens ou des services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations pour lesquelles une modification législative intervenue postérieurement à la fourniture desdits biens ou services a supprimé le droit de renoncer à l'exonération.

La sixième directive

3 L'article 13 de la sixième directive dispose:

«...

B. Autres exonérations

Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

...

b) l'affermage et la location de biens immeubles...

Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d'application de cette exonération;

...

C. Options

Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation:

a) de l'affermage et de la location de biens immeubles;

...

Les États membres peuvent restreindre la portée du droit d'option; ils déterminent les modalités de son exercice.»

4 L'article 17 de la sixième directive prévoit:

«1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti.

...

3. Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

a) de ses opérations relevant des activités économiques visées à l'article 4 paragraphe 2, effectuées à l'étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l'intérieur du pays;

b) de ses opérations exonérées conformément à l'article 14 paragraphe 1 sous i), à l'article 15 et à l'article 16 paragraphe 1 sous B, C et D et paragraphe 2;

c) de ses opérations exonérées conformément à l'article 13 sous B sous a) et sous d) points 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté.

...»

5 Aux termes de l'article 20 de la sixième directive:

«1. La déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les États membres, notamment:

a) lorsque la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l'assujetti était en droit d'opérer;

b) lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration, notamment en cas d'achats annulés ou en cas de rabais obtenus; toutefois, il n'y a pas lieu à régularisation en cas d'opérations totalement ou partiellement impayées, en cas de destruction, de perte ou de vol dûment prouvés ou justifiés...

2. En ce qui concerne les biens d'investissement, une régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué. Chaque année, cette régularisation ne porte que sur le cinquième de la taxe dont ces biens ont été grevés. Cette régularisation est effectuée en fonction des modifications du droit à déduction intervenues au cours des années suivantes, par rapport à celui de l'année au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

...

3. En cas de livraison pendant la période de régularisation, le bien d'investissement est considéré comme s'il était resté affecté à une activité économique de l'assujetti jusqu'à l'expiration de la période de régularisation. Cette activité économique est présumée être entièrement taxée pour le cas où la livraison dudit bien est taxée; elle est présumée être entièrement exonérée pour le cas où la livraison est exonérée. La régularisation se fait en une seule fois pour tout le temps de la période de régularisation restant à courir.

...

4. Pour l'application des paragraphes 2 et 3, les États membres peuvent:

- définir la notion de biens d'investissement,

- préciser quel est le montant de taxe qui est à prendre en considération pour la régularisation,

- prendre toutes dispositions utiles en vue d'éviter que les régularisations ne procurent aucun avantage injustifié,

- autoriser des simplifications administratives.

...»

La réglementation nationale en matière de TVA

6 L'article 4, point 12, sous a), de l'Umsatzsteuergesetz 1993 (loi relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, ci-après l'«UStG») dispose:

«Parmi les opérations couvertes par l'article 1er, paragraphe 1, points 1 à 3, sont exonérés:

...

12. a) la location et l'affermage de terrains...»

7 L'article 9 de l'UStG précise toutefois:

«1. Un entrepreneur peut traiter comme taxable une opération exonérée aux termes de l'article 4, point ... 12, lorsque ladite opération est effectuée pour un autre entrepreneur pour le compte de son entreprise.

2. La renonciation à l'exonération au sens du paragraphe 1 n'est admise ... en cas de location et ou d'affermage de terrains [article 4, point 12, sous a)] que lorsque l'entrepreneur apporte la preuve que le terrain n'est employé ou destiné ni à des fins d'habitation ni à des activités autres que celles d'une entreprise.»

8 Le Mißbrauchsbekämpfungs- und Steuerbereinigungsgesetz (loi relative à la simplification de la législation fiscale et à la lutte contre la fraude, ci-après le «StMBG»), du 21 décembre 1993 (BGBl. I 1993, p. 2310), a restreint, avec effet au 1er janvier 1994, l'étendue du droit d'option en matière de taxation de la location de terrains. L'article 9, paragraphe 2, de l'UStG, tel que modifié par le StMBG, prévoit:

«La renonciation à l'exonération au sens du paragraphe 1 n'est admise ... en cas de location ou d'affermage de terrains [article 4, point 12, sous a)] que si le destinataire de la prestation n'emploie ou n'a l'intention d'employer le terrain qu'en vue d'opérations n'excluant pas la déduction de la taxe en amont. Il appartient à l'entrepreneur d'apporter la preuve que ces conditions sont remplies.»

9 Aux termes de l'article 18, paragraphe 3, de l'UStG, la déclaration de la taxe sur le chiffre d'affaires est effectuée comme en matière d'impôt.

10 L'article 27, paragraphe 2, de l'UStG, tel que modifié par le StMBG, prévoit la disposition transitoire suivante:

«L'article 9, paragraphe 2, n'est pas applicable lorsque l'édifice construit sur le terrain

1. est employé ou destiné à des fins d'habitation et a été achevé avant le 1er avril 1985;

2. est employé ou destiné à d'autres fins, non liées à une activité d'entreprise, et a été achevé avant le 1er janvier 1986;

3. est employé ou destiné à d'autres fins que celles indiquées aux points 1 et 2 [fins d'habitation ou autres fins, ne se rapportant pas à l'activité d'une entreprise] et a été achevé avant le 1er janvier 1998;

et lorsque ... dans les cas visés au point 3, la construction du bâtiment a été entamée avant le 11 novembre 1993.»

11 Les articles 164 et 168 de l'Abgabenordnung (code des impôts, ci-après l'«AO») permettent une liquidation rapide de l'impôt en fondant celle-ci sur les seules déclarations de l'assujetti, mais autorise en contrepartie l'administration fiscale à rectifier cette liquidation sous tous ses aspects, tant au regard des faits que du droit.

12 En effet, l'article 164 de l'AO dispose:

«1. Les taxes peuvent, en attendant une vérification définitive, être liquidées, en général ou dans des cas particuliers, sous réserve de vérification, sans que cette liquidation ait besoin d'être motivée.

...

2. La liquidation peut être annulée ou modifiée tant que la réserve reste applicable...

...

4. La réserve de vérification devient caduque avec l'expiration du délai de liquidation...»

13 L'article 168 de l'AO précise qu'une déclaration d'impôt est assimilée à une liquidation de l'impôt sous réserve de vérification. Dès lors, conformément à l'article 18, paragraphe 3, de l'UStG, la déclaration de la taxe sur le chiffre d'affaires aboutit elle-même, en raison des dispositions législatives existantes et sous réserve de vérification, à une liquidation de la taxe, qui peut être modifiée à tout moment, sans qu'il soit nécessaire que d'autres conditions soient réunies.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Schloßstraße est une société de droit civil qui a pour objet la détention d'un droit de superficie sur un terrain, la construction sur celui-ci d'un immeuble de bureaux et d'habitation ainsi que l'exploitation de cette propriété foncière à long terme.

15 Le 8 mars 1991, Schloßstraße a acquis le droit de superficie sur ledit terrain et, le 16 mars 1991, elle a introduit une demande de permis de construire. La conformité avec les règles d'urbanisme du projet de Schloßstraße ayant été contestée, ce permis ne lui a été délivré que le 27 mai 1993.

16 Il résulte d'une décision prise le 11 juin 1993 par les associés de Schloßstraße qu'ils étaient convenus de céder le permis de construire à un tiers immédiatement après sa délivrance. Toutefois, cette décision n'a pu être traduite dans les faits, faute d'acquéreur. Le 10 octobre 1993, Schloßstraße a conclu un contrat avec un architecte en vue de procéder à la construction de l'immeuble. Les travaux ont commencé en janvier 1994 et se sont terminés en décembre de la même année.

17 La superficie totale de l'immeuble a été divisée en trois parts, 39,38 % de celle-ci étant donnée en location à des fins d'habitation et la superficie restante étant louée à raison de 13,96 % à un bureau d'architecte et de 46,49 % à une société anonyme (ci-après la «société financière») dont l'activité consistait à concurrence de 90 % à effectuer des prestations de services financiers bénéficiant de l'exonération de la TVA.

18 Dans ses déclarations de TVA pour les exercices 1992 à 1994, Schloßstraße a, conformément à l'article 9 de l'UStG, renoncé à l'exonération des opérations de location projetées ou exécutées et a fait valoir le droit à déduction sur les factures des biens ou des services liées à la construction. Ce droit à déduction lui a été accordé dans un premier temps.

19 Toutefois, conformément aux articles 164 et 168 de l'AO, les avis d'imposition correspondants ont été émis sous réserve de vérification a posteriori.

20 Le Finanzamt Paderborn a procédé à une telle vérification. À la suite de celle-ci, il a modifié lesdits avis d'imposition pour les exercices 1992 et 1993 et a établi un premier avis d'imposition pour l'exercice 1994. Dans ces avis, le Finanzamt n'a accepté la déduction de la TVA acquittée en amont qu'à concurrence de 13,96 % des montants déclarés, considérant que la seule utilisation taxable de l'immeuble était celle du bureau d'architecte. Selon le Finanzamt, il n'était plus possible d'accorder la déduction de la TVA en ce qui concerne les 46,49 % de la superficie de l'immeuble utilisés par la société financière pour la réalisation d'opérations exonérées, dans la mesure où, pour ce type d'opérations, la possibilité de renoncer à l'exonération aurait été supprimée avec effet au 1er janvier 1994 à la suite de la modification de l'article 9, paragraphe 2, de l'UStG par le StMBG. Par ailleurs, le Finanzamt a estimé que Schloßstraße ne pouvait pas non plus invoquer les dispositions transitoires prévues à l'article 27, paragraphe 2, de l'UStG, tel que modifié par le StMBG, parce que la construction du bâtiment n'avait pas commencé avant le 11 novembre 1993, date limite prévue par cette disposition pour pouvoir renoncer au bénéfice de l'exonération.

21 Schloßstraße a formé une réclamation contre les avis d'imposition à la TVA pour les exercices 1992, 1993 et 1994, laquelle a été rejetée par le Finanzamt.

22 Le 8 décembre 1995, Schloßstraße a introduit un recours devant le Finanzgericht Münster contre cette décision de rejet du Finanzamt. Par jugement du 8 octobre 1996, le Finanzgericht a rejeté ce recours.

23 Le 27 novembre 1996, Schloßstraße a présenté un recours en «Revision» devant le Bundesfinanzhof. Dans ce recours, Schloßstraße fait valoir, d'une part, que la restriction du droit d'opter pour la taxation introduite par le StMBG ne lui est pas applicable parce que la construction de l'immeuble devrait être regardée comme ayant commencé à la date à laquelle elle a introduit sa demande de permis de constuire ou, à tout le moins, lorsque celui-ci lui a été accordé. D'autre part, elle déduit de l'arrêt du 29 février 1996, INZO (C-110/94, Rec. p. I-857), que la protection de la confiance légitime s'oppose à ce que le droit à déduction de la TVA acquittée au cours des exercices 1992 et 1993, notamment sur les frais d'architecte et de notaire, lui soit retiré a posteriori.

24 Le Bundesfinanzhof exprime des doutes quant au succès du recours en «Revision» sur le fondement de l'UStG et des règles de procédure figurant dans l'AO. Il considère tout d'abord que Schloßstraße ne peut pas invoquer les dispositions transitoires de l'article 27, paragraphe 2, de l'UStG parce que la construction de l'immeuble n'a commencé qu'au cours du mois de janvier 1994. Les prestations déjà fournies en 1992 et en 1993 feraient partie des frais de construction de l'immeuble et, donc, de celui-ci en tant que «bien d'investissement». Par conséquent, la décision relative à la déduction de la TVA acquittée sur ces prestations ne pourrait pas être prise sans tenir compte de la date de construction ni, partant, de la limitation introduite par le StMBG, car elle dépend de la destination effective dudit immeuble, c'est-à-dire des opérations de location effectuées en 1994, et du point de savoir si ces opérations sont imposables ou exonérées.

25 Étant donné que, conformément à la jurisprudence du Bundesfinanzhof relative à l'UStG, la décision définitive sur le droit à déduction ne peut être prise que lorsque l'utilisation réelle des biens d'investissement est connue, le Finanzamt aurait été fondé, conformément à l'article 164, paragraphe 2, de l'AO, à modifier les avis d'imposition émis sous réserve de vérification a posteriori et à refuser la déduction dans la mesure où les services fournis ont finalement été utilisés pour réaliser des opérations exonérées de la TVA.

26 Ensuite, la juridiction de renvoi relève que l'application rétroactive de l'article 9, paragraphe 2, de l'UStG, dans sa version modifiée par le StMBG, aux prestations fournies en 1992 et en 1993 n'enfreint pas le principe constitutionnel de non-rétroactivité. En effet, à la date à laquelle la nouvelle version de l'article 9, paragraphe 2, de l'UStG est entrée en vigueur, le droit à déduction relatif aux biens d'investissement n'était pas définitif puisque l'utilisation finale de ces biens n'avait pas encore été établie et que cet élément serait déterminant pour la décision relative au droit à déduction.

27 Enfin, le Bundesfinanzhof considère que Schloßstraße ne peut pas se prévaloir de la confiance légitime et invoquer la conviction qu'elle avait de pouvoir exercer l'option prévue par l'article 9, paragraphe 2, de l'UStG pour la location de l'immeuble à laquelle elle envisageait de procéder puisque la construction de celui-ci n'a débuté que postérieurement à l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Il relève également que, selon les constatations du Finanzgericht, Schloßstraße envisageait encore, le 11 juin 1993, de céder le permis de construire à un tiers et que le mandat confié à l'architecte n'était accompagné d'aucune commande ferme quant à la construction. En outre, selon la juridiction de renvoi, la TVA correspondant aux années en litige avait été liquidée sous réserve de vérification a posteriori, en sorte que Schloßstraße ne pouvait légitimement s'attendre à ce que cette liquidation ne soit pas modifiée.

28 Néanmoins, se demandant si une telle interprétation des dispositions applicables du droit allemand est conforme à la jurisprudence de la Cour relative à l'article 17 de la sixième directive, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt du 15 janvier 1998 dans l'affaire C-37/95, Ghent Coal Terminal NV, avec renvoi à l'arrêt du 29 février 1996, affaire C-110/94, INZO), le droit à déduction reste acquis lorsque, en raison de circonstances étrangères à sa volonté, l'assujetti n'a jamais fait usage desdits biens et services pour réaliser des opérations taxées.

Le droit à déduction reste-t-il acquis en vertu de ce principe y compris lorsque l'assujetti fait certes usage du bien ou du service pour réaliser certaines opérations (de location), mais qu'une modification législative postérieure à l'acquisition de ce bien ou de ce service le prive du droit de renoncer à l'exonération de ces opérations, et donc de la possibilité de réaliser des opérations taxables?

2) Dans un tel cas, où une circonstance nouvelle survient a posteriori, le droit à déduction reste-t-il acquis même lorsque l'impôt en question a été liquidé sous réserve d'un contrôle a posteriori, licite en droit national, qui permet une liquidation rapide de l'impôt en fondant celle-ci sur les seules déclarations de l'assujetti, mais autorise en contrepartie l'administration fiscale à rectifier cette liquidation sous tous ses aspects, tant au regard des faits que du droit?»

29 Par ses deux questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 17 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que le droit, pour un assujetti, de déduire la TVA acquittée sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location reste acquis lorsqu'une modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services mais antérieure au début desdites opérations prive cet assujetti du droit de renoncer à l'exonération de celles-ci, même si la TVA a été liquidée sous réserve d'un contrôle a posteriori.

30 Le gouvernement allemand soutient que l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive détermine uniquement le moment à partir duquel naît le droit à déduction de la taxe payée en amont. Les conditions matérielles et juridiques qui réglementent l'exercice du droit à déduction seraient fixées par le paragraphe 2 de la même disposition. Parmi ces conditions, figurerait celle qui exige que les biens et services sur lesquels la TVA a été acquittée aient été utilisés pour réaliser des opérations taxées. Dès lors, selon le gouvernement allemand, une décision définitive quant au droit à déduction ne pourrait être prise que lorsque sont connues les opérations pour lesquelles lesdits biens et services ont réellement été utilisés et cette décision devrait tenir compte des modifications législatives intervenues avant le début des opérations taxées.

31 Par conséquent, un assujetti ne bénéficierait d'aucun droit à déduire la TVA acquittée sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location, lorsque, après la fourniture desdits biens ou services mais avant le début de ces opérations de location, une modification législative fait perdre à cet assujetti le droit de renoncer à l'exonération de telles opérations.

32 Le gouvernement allemand ajoute que le fait que, dans l'affaire au principal, les biens ou services ont été utilisés pour la réalisation d'opérations finalement exonérées distinguerait la présente affaire de celles qui ont donné lieu aux arrêts INZO, précité, et du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal (C-37/95, Rec. p. I-1), dans lesquelles les biens ou services étaient destinés à être utilisés en vue d'opérations taxées qui n'ont finalement pas été réalisées.

33 À titre liminaire, il convient de rappeler que la sixième directive instaure, dans son titre X (articles 13 à 16), un régime d'exonération de la TVA en faveur de certaines opérations. Parmi les cas d'exonération figurent, en vertu de l'article 13, B, sous b), l'affermage et la location de biens immobiliers. Pour ces opérations, les États membres ont toutefois la faculté, en application de l'article 13, C, premier alinéa, sous a), de réintroduire la taxation, par la voie d'un droit d'option qu'ils peuvent accorder à leurs assujettis. En vertu de l'article 13, C, second alinéa, les États membres peuvent restreindre la portée de ce droit d'option et déterminer les modalités de son exercice.

34 À cet égard, la Cour a jugé qu'un État membre, qui a fait usage de la possibilité prévue à l'article 13, C, de la sixième directive et qui a ainsi accordé à ses assujettis le droit d'opter pour la taxation de certaines locations immobilières, peut supprimer, par une loi postérieure, ledit droit d'option et réintroduire ainsi l'exonération (arrêt du 3 décembre 1998, Belgocodex, C-381/97, Rec. p. I-8153, point 27).

35 C'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner si un assujetti, qui a acquitté la TVA sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location, a acquis un droit à déduire cette TVA alors même que, entre la date de la fourniture desdits biens ou services et celle du début des opérations de location, une modification législative a supprimé le droit de renoncer à l'exonération de ces opérations.

36 À cet égard, il y a lieu de rappeler que celui qui a l'intention, confirmée par des éléments objectifs, de commencer d'une façon indépendante une activité économique au sens de l'article 4 de la sixième directive et qui effectue les premières dépenses d'investissement à ces fins doit être considéré comme un assujetti. Agissant en tant que tel, il a donc, conformément aux articles 17 et suivants de la sixième directive, le droit de déduire immédiatement la TVA due ou acquittée sur les dépenses d'investissement effectuées pour les besoins des opérations qu'il envisage de faire et qui ouvrent droit à déduction, sans devoir attendre le début de l'exploitation effective de son entreprise (arrêts Ghent Coal Terminal, précité, point 17, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, non encore publié au Recueil, point 47).

37 Il importe de relever que c'est l'acquisition des biens ou services par un assujetti agissant en tant que tel qui détermine l'application du système de TVA et, partant, du mécanisme de déduction. L'utilisation qui est faite des biens ou services, ou qui est envisagée pour ceux-ci, ne détermine que l'étendue de la déduction initiale à laquelle l'assujetti a droit en vertu de l'article 17 de la sixième directive et l'étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes, lesquelles doivent être effectuées dans les conditions prévues à l'article 20 de cette directive (arrêt du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, Rec. p. I-3795, point 15).

38 Cette interprétation est confirmée par le libellé de l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, selon lequel le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. Conformément à l'article 10, paragraphe 2, de cette directive, ceci est le cas dès que la livraison des biens ou la prestation des services est effectuée à l'assujetti ayant droit à déduction.

39 En outre, toute autre interprétation de l'article 4 de la sixième directive serait contraire au principe de neutralité de la TVA en ce qu'elle mettrait à la charge de l'opérateur économique le coût de la TVA dans le cadre de son activité économique sans lui donner la possibilité de la déduire, conformément à l'article 17, et procéderait à une distinction arbitraire entre des dépenses d'investissement effectuées avant l'exploitation effective d'une entreprise et celles réalisées au cours de ladite exploitation (arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, Rec. p. 655, point 23; INZO, précité, point 16, et Gabalfrisa e.a., précité, point 45).

40 L'article 4 de la sixième directive ne s'oppose toutefois pas à ce que l'administration fiscale exige que l'intention déclarée de commencer des activités économiques donnant lieu à des opérations taxées soit confirmée par des éléments objectifs. Dans ce contexte, il importe de souligner que la qualité d'assujetti n'est définitivement acquise que si la déclaration de l'intention de commencer les activités économiques envisagées a été faite de bonne foi par l'intéressé. Dans les situations frauduleuses ou abusives dans lesquelles ce dernier a feint de vouloir déployer une activité économique particulière, mais a cherché en réalité à faire entrer dans son patrimoine privé des biens pouvant faire l'objet d'une déduction, l'administration fiscale peut demander, avec effet rétroactif, le remboursement des sommes déduites puisque ces déductions ont été accordées sur la base de fausses déclarations (arrêts précités Rompelman, point 24; INZO, points 23 et 24, et Gabalfrisa e.a., point 46).

41 Dans ces conditions, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, compte tenu des circonstances de l'affaire au principal et notamment du fait que, le 11 juin 1993, les associés de Schloßstraße envisageaient toujours de céder le permis de construire à un tiers immédiatement après sa délivrance, la déclaration de l'intention de commencer des activités économiques donnant lieu à des opérations taxées a été faite de bonne foi et se trouve confirmée par des éléments objectifs.

42 En l'absence de circonstances frauduleuses ou abusives et sous réserve d'éventuelles régularisations conformément aux conditions prévues à l'article 20 de la sixième directive, le droit à déduction, une fois né, reste acquis même lorsque l'assujetti n'a pas pu utiliser les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'opérations taxables en raison de circonstances étrangères à sa volonté. En effet, dans un tel cas, il n'existe aucun risque de fraude ou d'abus pouvant justifier un remboursement ultérieur des sommes déduites (arrêt Ghent Coal Terminal, précité, points 20 et 22).

43 Or, une modification législative intervenue, comme au principal, entre la date de la fourniture des biens ou des services en vue de la réalisation de certaines opérations économiques et celle du début de ces opérations, privant, avec effet rétroactif, l'assujetti du droit de renoncer à l'exonération de la TVA pour ces opérations, constitue une circonstance étrangère à sa volonté.

44 À cet égard, il convient de rappeler que, au point 26 de l'arrêt Belgocodex, précité, la Cour a jugé, à propos d'une suppression rétroactive du droit d'opter pour la taxation et des droits à déduction déjà nés en vertu de la sixième directive, que les principes de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique font partie de l'ordre juridique communautaire et doivent être respectés par les États membres dans l'exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives communautaires.

45 Dans les circonstances spécifiques ayant donné lieu audit arrêt Belgocodex, précité, la Cour a constaté, au point 26 de celui-ci, qu'il revenait à la juridiction nationale de juger si une violation de ces principes avait été commise par l'abolition rétroactive de la loi qui avait introduit le droit d'option. Compte tenu du fait que les modalités d'exécution de cette loi n'avaient jamais été arrêtées, la Cour a considéré qu'elle n'était pas à même de décider si les dispositions de ladite loi avaient pu créer, dans le chef de l'assujetti, une confiance légitime qui devait être protégée.

46 Dans l'affaire au principal, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 40 à 43 de ses conclusions, de telles circonstances spécifiques font défaut. Il ressort en effet du dossier que Schloßstraße a opté pour la taxation des biens ou des services acquis au cours des exercices 1992 et 1993 conformément à la législation nationale en vigueur à la date à laquelle elle a exercé son droit d'option et que l'administration fiscale lui a refusé l'exercice du droit à déduction de la TVA acquittée sur ces biens ou services au seul motif que le StMBG avait supprimé le droit d'opter pour la taxation.

47 Dans de telles conditions, dès lors que la juridiction nationale constate que l'intention de commencer des activités économiques donnant lieu à des opérations taxées a été déclarée de bonne foi et que cette intention est confirmée par des éléments objectifs, l'assujetti bénéficie du droit de déduire immédiatement la TVA due ou acquittée sur les biens ou services fournis en vue des activités économiques qu'il envisage de réaliser et les principes de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique s'opposent à ce qu'une modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services le prive, avec effet rétroactif, d'un tel droit.

48 Contrairement à ce que prétend le gouvernement allemand, une telle conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que, dans l'affaire au principal, la réserve de vérification a posteriori autorisait l'administration fiscale à rectifier la liquidation de la TVA sous tous ses aspects, tant au regard des faits que du droit.

49 Il y a lieu de relever à cet égard, ainsi que le fait M. l'avocat général aux points 46 à 50 de ses conclusions, que la possibilité, pour l'administration fiscale, d'effectuer des vérifications et de modifier les avis d'imposition provisoires qu'elle adresse aux assujettis présente une utilité incontestable dans la gestion des impôts, en général, et de la TVA, en particulier.

50 Une telle possibilité permet en effet à l'administration fiscale de demander, avec effet rétroactif, le remboursement des sommes déduites lorsque, de manière frauduleuse ou abusive, l'assujetti a feint de vouloir déployer une activité économique particulière, mais a cherché en réalité à faire entrer dans son patrimoine privé des biens pouvant faire l'objet d'une déduction.

51 La liquidation de la TVA sous réserve de vérification a posteriori permet également de procéder, conformément aux conditions prévues à l'article 20 de la sixième directive, à la régularisation des montants de la TVA que l'assujetti a déduits lors de l'acquisition de biens d'investissement, notamment lorsque ce dernier modifie le projet d'utilisation de l'immeuble, par exemple, en augmentant la partie de celui-ci destinée à des fins d'habitation.

52 En dehors des hypothèses mentionnées aux deux points précédents, la liquidation de la TVA sous réserve de vérification a posteriori ne saurait toutefois permettre à l'administration fiscale de priver un assujetti du droit à déduction qu'il a acquis, ainsi qu'il résulte des points 45 et 46 du présent arrêt, conformément à l'article 17 de la sixième directive.

53 Il y a lieu dès lors de répondre aux questions posées que l'article 17 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que le droit, pour un assujetti, de déduire la TVA acquittée sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location reste acquis lorsqu'une modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services mais antérieure au début desdites opérations prive cet assujetti du droit de renoncer à l'exonération de celles-ci, même si la TVA a été liquidée sous réserve d'un contrôle a posteriori.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

54 Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesfinanzhof, par ordonnance du 27 août 1998, dit pour droit:

L'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que le droit, pour un assujetti, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location reste acquis lorsqu'une modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services mais antérieure au début desdites opérations prive cet assujetti du droit de renoncer à l'exonération de celles-ci, même si la taxe sur la valeur ajoutée a été liquidée sous réserve d'un contrôle a posteriori.