Avis juridique important
Arrêt de la Cour du 19 septembre 2000. - Schmeink & Cofreth AG & Co. KG contre Finanzamt Borken et Manfred Strobel contre Finanzamt Esslingen. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Sixième directive TVA - Obligation des États membres de prévoir la possibilité de régularisation de la taxe indûment facturée - Conditions - Bonne foi de l'émetteur de la facture. - Affaire C-454/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-06973
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Régularisation de la taxe indûment facturée - Détermination des conditions de la régularisation - Compétence des États membres - Portée et limites
(Directive du Conseil 77/388)
$$La sixième directive 77/388 ne prévoyant aucune disposition relative à la régularisation, par l'émetteur d'une facture, de la taxe sur la valeur ajoutée indûment facturée, il appartient en principe aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la taxe indûment facturée peut être régularisée. Toutefois, lorsque l'émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée exige que la taxe indûment facturée puisse être régularisée, sans qu'une telle régularisation puisse être subordonnée à la bonne foi de l'émetteur de ladite facture. Dès lors, lorsqu'un tel risque a été éliminé, la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée indûment facturée ne saurait dépendre du pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration fiscale. (voir points 48-49, 58, 60, 63, 68, 70, disp. 1-2)
Dans l'affaire C-454/98,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre
Schmeink & Cofreth AG & Co. KG
et
Finanzamt Borken,
et entre
Manfred Strobel
et
Finanzamt Esslingen,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 21, point 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur) et L. Sevón, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn, J.-P. Puissochet, P. Jann, H. Ragnemalm, M. Wathelet et V. Skouris, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: M. R. Grass,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Schmeink & Cofreth AG & Co. KG, par MM. J. Hartmann et A. Schiller, conseillers fiscaux,
- pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing, Ministerialrat au ministère fédéral des Finances, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa, conseiller juridique, et A. Buschmann, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport du juge rapporteur,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 avril 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 15 octobre 1998, parvenue à la Cour le 11 décembre suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 21, point 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Ces questions ont été posées dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, Schmeink & Cofreth AG & Co. KG (ci-après «Schmeink») au Finanzamt Borken et, d'autre part, M. Strobel au Finanzamt Esslingen à propos du refus du Finanzamt d'exonérer, au titre de mesures d'équité, Schmeink et M. Strobel du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») indûment facturée.
La sixième directive
3 L'article 21 de la sixième directive dispose:
«La taxe sur la valeur ajoutée est due:
1. en régime intérieur:
...
c) par toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture ou tout document en tenant lieu;
...»
La réglementation nationale en matière de TVA
4 L'article 14, paragraphe 2, de l'Umsatzsteuergesetz 1991 (loi allemande relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, ci-après l'«UStG»), qui concerne la liquidation de la TVA lorsque le montant de la taxe indiqué sur la facture est erroné, dispose:
«Lorsque le chef d'entreprise a indiqué séparément sur la facture d'une livraison ou d'une `autre prestation' un montant de taxes supérieur à celui dont il est débiteur pour cette opération aux termes de la présente loi, il est aussi redevable de l'excédent. S'il rectifie le montant de la taxe vis-à-vis du bénéficiaire de la prestation, l'article 17, paragraphe 1, s'applique par analogie».
5 L'article 14, paragraphe 3, de l'UStG ajoute, en ce qui concerne la liquidation de la TVA lorsque la taxe figurant sur la facture est injustifiée:
«Toute personne qui indique séparément sur une facture un montant de taxes, bien qu'elle ne soit pas autorisée à mentionner la taxe séparément, est redevable du montant indiqué. Ceci s'applique également lorsque quelqu'un indique séparément un montant de taxes dans un autre document, par lequel il indique ce qui est à régler, comme un entrepreneur fournissant des prestations, bien qu'il ne soit pas entrepreneur ou n'exécute pas de livraisons, ni autre prestation».
6 L'article 17, paragraphe 1, de l'UStG prévoit:
«Lorsque la base de calcul d'une opération taxable est modifiée au sens de l'article 1er, paragraphe 1, points 1 à 3:
1. l'opérateur économique qui a effectué l'opération est tenu de rectifier de manière correspondante le montant de la taxe due à cet égard,
2. l'opérateur économique bénéficiaire de ladite opération est tenu de rectifier de manière correspondante la déduction de la taxe en amont qu'il a fait valoir à ce titre ...»
7 L'article 190, paragraphe 3, des Umsatzsteuer-Richtlinien (directives en matière de taxe sur le chiffre d'affaires) précise:
«Contrairement à l'article 14, paragraphe 2, de l'UStG, l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG ne prévoit pas la possibilité d'une rectification. Cependant, si la perception de taxe qui a été indiquée à tort conduit à une situation de dureté objective, il est admis pour des motifs d'équité que l'émetteur d'une facture la rectifie en appliquant de manière analogique l'article 14, paragraphe 2, de l'UStG ... Il y a lieu de considérer que l'on est en présence d'un cas de dureté objective par exemple lorsque la prestation sur laquelle il est établi une facture a été fournie par la personne qui établit ladite facture et qu'il est fait valoir de manière plausible que ce n'est que par erreur qu'il a été indiqué un nom inexact pour le destinataire de la prestation ou que la prestation a été désignée de manière inexacte.»
8 L'article 227 de l'Abgabenordnung (code des impôts, ci-après l'«AO») dispose:
«Les autorités fiscales peuvent accorder une exonération totale ou partielle des droits résultant d'une dette fiscale, s'il est inéquitable dans une situation donnée de la percevoir; dans les mêmes conditions, les montants déjà acquittés peuvent être remboursés ou pris en compte.»
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
Affaire Schmeink
9 Schmeink a acquis 50 % des parts d'une GmbH (société à responsabilité limitée de droit allemand, ci-après la «GmbH») pour un prix de 3 781 220 DEM. Le 31 décembre 1991, elle a adressé à cette GmbH une pièce comptable assimilée à une facture mentionnant ce montant au titre de prestations de conseil qu'elle n'a toutefois jamais effectuées. Sur cette pièce comptable, Schmeink a expressément indiqué un montant de TVA de 529 370,80 DEM.
10 Cette «facture pro-forma» a constitué l'un des éléments utilisés par la GmbH à l'appui d'une demande de prime fiscale à l'investissement.
11 À la suite d'une vérification spéciale de la TVA effectuée en mars 1993, le Finanzamt Borken a fixé, par avis rectifié du 14 avril 1993, la TVA due par Schmeink à hauteur du montant indiqué séparément sur la pièce comptable.
12 La GmbH n'a fait valoir aucun droit à déduction au titre de cette pièce comptable et l'a restituée à Schmeink le 19 juillet 1993.
13 Le 1er juillet 1994, Schmeink a adressé au Finanzamt Borken une demande visant à obtenir, conformément à l'article 227 de l'AO, l'exonération de la TVA pour des motifs d'équité.
14 Par décision du 12 septembre 1994, le Finanzamt Borken a rejeté cette demande.
15 Saisi d'un recours introduit par Schmeink contre la décision du Finanzamt Borken, le Finanzgericht Münster a, par jugement du 23 novembre 1995, confirmé cette décision.
16 Le 24 mars 1997, Schmeink a introduit devant le Bundesfinanzhof un recours en «Revision» contre le jugement du Finanzgericht.
Affaire Strobel
17 Au cours des années 1992 et 1993, durant lesquelles il exploitait un commerce de machines de bureau, M. Strobel a adressé à plusieurs entreprises de leasing des factures portant sur des livraisons qui n'ont jamais eu lieu.
18 Par ces factures fictives, M. Strobel entendait dissimuler les pertes d'une de ses filiales et simuler de meilleurs résultats. Les factures ont été payées par les entreprises de leasing. Par la suite, M. Strobel a remboursé auxdites entreprises les montants qu'elles lui avaient versés.
19 M. Strobel a assujetti les sommes en cause à la TVA. De leur côté, les entreprises de leasing ont déduit au titre de taxes payées en amont le montant de la TVA indiqué sur lesdites factures.
20 En 1994, M. Strobel a présenté une déclaration rectificative spontanée au ministère public et au Finanzamt Esslingen, portant à leur connaissance les factures fictives et leurs destinataires. Le Finanzamt Esslingen a transmis ces données aux administrations des contributions compétentes pour les destinataires des factures afin que celles-ci procèdent à l'égard de ces derniers aux régularisations concernant la déduction des taxes payées en amont.
21 À la suite de la déclaration effectuée par M. Strobel, un contrôle a été effectué par les services fiscaux et le Finanzamt Esslingen a fixé le montant dû par M. Strobel au titre de la TVA à hauteur des montants indiqués séparément sur les factures, à savoir 519 346,36 DEM pour 1992 et 653 156,51 DEM pour 1993.
22 Le 24 août 1995, M. Strobel a adressé au Finanzamt Esslingen une demande visant à obtenir, conformément à l'article 227 de l'AO, l'exonération de la TVA pour des motifs d'équité.
23 Par décision du 15 novembre 1995, le Finanzamt Esslingen a rejeté cette demande.
24 Saisi d'un recours introduit par M. Strobel contre la décision du Finanzamt Esslingen, le Finanzgericht Baden-Württemberg a, par jugement du 9 juillet 1997, confirmé cette décision.
25 Le 19 août 1997, M. Strobel a introduit devant le Bundesfinanzhof un recours en «Revision» contre le jugement du Finanzgericht.
26 Le Bundesfinanzhof a joint ces deux affaires. Il a relevé que la fixation de la TVA conformément à l'article 14, paragraphe 3, seconde phrase, seconde possibilité, de l'UStG était justifiée dès lors que Schmeink et M. Strobel avaient établi des factures mentionnant séparément cette taxe et qu'ils les avaient remises à leurs destinataires sans avoir exécuté les prestations qui y étaient indiquées.
27 Le Bundesfinanzhof a rappelé que l'objectif poursuivi par l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG est de faire obstacle à des fraudes lorsque des factures sont établies en faisant apparaître séparément le montant de la taxe et que les opérations en cause ne sont pas effectuées. À la différence de l'article 14, paragraphe 2, de l'UStG, le législateur n'aurait prévu, à l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG, aucune possibilité de régularisation, afin de ne pas affaiblir l'effet dissuasif de cette disposition.
28 Selon un arrêt du Bundesfinanzhof du 21 février 1980 (BStBl II 1980, p. 283), une mesure d'équité s'imposerait dans les cas où l'émetteur de la facture aurait éliminé le risque de diminution des recettes fiscales en temps utile et complètement. En effet, dans de tels cas, notamment lorsque l'émetteur de la facture réussit à se faire restituer et à détruire les factures qu'il a établies avant leur utilisation par leur destinataire ou lorsque l'émetteur de la facture, sans réussir à se faire restituer la facture, élimine la situation de risque en prenant à temps d'autres mesures, notamment par le biais d'une déclaration auprès du Finanzamt dont il dépend ou dont dépend le destinataire de la facture, l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG n'aurait aucun effet dissuasif.
29 Le Bundesfinanzhof s'est toutefois référé à l'arrêt du 13 décembre 1989, Genius Holding (C-342/87, Rec. p. 4227, point 18), selon lequel, pour assurer l'application du principe de la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leurs ordres juridiques internes, la possibilité de correction de toute taxe indûment facturée, dès lors que l'émetteur de la facture démontre sa bonne foi, ainsi qu'à un arrêt du Bundesgerichtshof du 23 novembre 1995, IX ZR 225/94 (Neue Juristische Wochenschrift 1996, p. 842), dans lequel cette juridiction a considéré que, compte tenu du fait que l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG ne prévoit pas de possibilité de régularisation, il y a lieu de se conformer à l'arrêt Genius Holding, précité, par le biais d'une exonération de la taxe autorisée par l'article 227 de l'AO.
30 Le Bundesfinanzhof a relevé que l'exigence de la bonne foi pour permettre la régularisation ne peut pas être déduite de l'économie de l'article 14, paragraphe 3, de l'UStG. Une telle exigence, qui découle de la jurisprudence de la Cour, ne résulterait pas du principe de neutralité. Une limitation de la possibilité de déduction de l'émetteur de la facture aux cas de bonne foi ne serait ni suffisante ni conforme à l'économie du système de la TVA. Comme critère pour exclure la régularisation du montant de la taxe mentionnée sur la facture, il faudrait plutôt tenir compte du fait que la déduction fiscale correspondante a pu être effectivement obtenue par le destinataire de la facture. S'il se révélait qu'il n'est plus possible d'annuler auprès du destinataire d'une facture une déduction qui lui a été accordée, l'émetteur de la facture serait tenu responsable du déficit de recettes fiscales afin de garantir la neutralité fiscale.
31 Subordonner la possibilité de régularisation à la preuve de la bonne foi de l'émetteur des factures aurait pour conséquence de rapprocher l'article 21, point 1, sous c), de la sixième directive d'une disposition pénale. En effet, le fait de mettre définitivement à la charge de quelqu'un la taxe indiquée dépendrait exclusivement d'un «comportement condamnable», à savoir le fait d'agir de mauvaise foi. Cette situation juridique appellerait des réserves sur le plan constitutionnel.
32 Le Bundesfinanzhof a dès lors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le droit communautaire impose-t-il de rendre possible la régularisation d'une taxe perçue à tort, déjà dans le cadre de la procédure de fixation de la taxe, ou suffit-il que les États membres autorisent seulement la régularisation dans le cadre d'une procédure ultérieure introduite pour des motifs d'équité (pour des motifs dits objectifs)?
2) La régularisation d'une taxe fixée à tort impose-t-elle de manière contraignante que celui qui a établi la facture prouve sa bonne foi ou la régularisation de la facture est-elle autorisée dans d'autres cas (le cas échéant, lesquels)?
3) Dans quelles conditions l'émetteur de la facture agit-il de bonne foi?»
Sur la recevabilité
33 Le gouvernement allemand conteste la recevabilité des première et troisième questions au motif qu'une réponse à ces questions ne serait pas utile à la solution des litiges au principal.
34 Quant à la première question, le gouvernement allemand fait valoir que, dans les litiges au principal, la procédure de fixation de la taxe est close et que les avis de fixation ne peuvent plus faire l'objet d'un recours, de sorte qu'une régularisation des montants déterminés à tort dans le cadre de la procédure de fixation de la taxe ne serait plus possible. Les litiges au principal porteraient uniquement sur le rejet des demandes de remises en équité des sommes à verser au titre de la TVA, conformément à l'article 227 de l'AO, et non sur les avis de fixation de la taxe fondés sur l'article 14, paragraphe 3, seconde phrase, seconde possibilité, de l'UStG.
35 Quant à la troisième question, le gouvernement allemand considère qu'il n'y a, en l'espèce, aucune raison d'examiner la notion de bonne foi. En effet, selon ce gouvernement, l'émission des factures serait un abus et non une erreur dans la mesure où Schmeink et M. Strobel savaient qu'ils n'étaient pas en droit d'indiquer séparément la TVA sur les factures.
36 À cet égard, il convient de rappeler que la procédure prévue à l'article 177 du traité est un instrument de coopération entre la Cour et les juges nationaux, grâce auquel la première fournit aux seconds les éléments d'interprétation du droit communautaire qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu'ils sont appelés à trancher (voir, notamment, ordonnance du 25 mai 1998, Nour, 361/97, Rec. p. I-3101, point 10).
37 En outre, il résulte d'une jurisprudence constante qu'il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59; du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200/97, Rec. p. I-7907, point 25, et du 13 janvier 2000, TK-Heimdienst, C-254/98, non encore publié au Recueil, point 13).
38 Or, dans la présente affaire, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire que la juridiction nationale sollicite par sa première question n'a aucun rapport avec l'objet des litiges au principal.
39 En effet, au cas où le droit communautaire devrait être interprété en ce sens qu'il impose aux États membres de rendre possible, dans leur droit national, la régularisation de la TVA indûment facturée, une telle régularisation pourrait être réalisée notamment dans le cadre d'une procédure ultérieure introduite pour des motifs d'équité, telle que celle prévue à l'article 227 de l'AO.
40 En outre, l'objection soulevée par le gouvernement allemand, en ce qu'elle présuppose que ladite régularisation ne peut pas intervenir dans le cadre d'une procédure ultérieure introduite pour des motifs d'équité, mais aurait dû intervenir dans le cadre de la procédure de fixation de la taxe, n'a pas trait à la recevabilité mais au fond de la première question.
41 De même, s'agissant de la troisième question, l'argument du gouvernement allemand, selon lequel la notion de bonne foi ne devrait pas être examinée en l'espèce parce que l'émission de factures par des assujettis qui savent, comme dans les litiges au principal, qu'ils ne sont pas en droit d'indiquer séparément la TVA constituerait un abus, porte en fait déjà sur le contenu de la notion de bonne foi et a donc également trait au fond de cette question.
42 Il s'ensuit que les première et troisième questions sont recevables.
Sur les questions posées
Sur la deuxième question
43 Par sa deuxième question, qu'il convient d'examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la régularisation de la TVA indûment facturée est subordonnée à la bonne foi de l'émetteur de la facture.
44 Le gouvernement allemand fait valoir que, en l'absence de règles communautaires en la matière, il appartient aux États membres de déterminer les modalités d'une régularisation de la TVA indûment facturée.
45 Selon ce gouvernement, la possibilité offerte, par son droit national, à l'émetteur d'une facture de bonne foi qui a commis une erreur excusable de régulariser, pour des raisons objectives, la TVA indûment facturée au moyen d'une mesure d'équité correspondrait aux exigences du droit communautaire telles qu'elles découlent de l'arrêt Genius Holding, précité.
46 Lorsque la TVA n'a pas été indiquée indûment de bonne foi, mais de manière abusive par l'émetteur de la facture parce que celui-ci sait soit qu'il n'est pas assujetti, soit que la livraison de biens ou la prestation de services sur laquelle porte la facture n'a pas été exécutée, le principe de neutralité de la TVA n'exigerait pas qu'une possibilité de régularisation de la TVA indûment facturée soit offerte. Dans de tels cas, la règle de droit national selon laquelle la personne qui indique séparément un montant de TVA sur une facture est redevable de ce montant aurait un rôle de sanction et de dissuasion.
47 Il convient en premier lieu de rappeler que, en vertu de l'article 21, point 1, sous c), de la sixième directive, est redevable de la TVA en régime intérieur toute personne qui mentionne la TVA sur une facture ou tout document en tenant lieu.
48 Il convient en second lieu de constater que la sixième directive ne prévoit aucune disposition relative à la régularisation, par l'émetteur de la facture, de la TVA indûment facturée. La sixième directive définit seulement, en son article 20, les conditions à remplir pour que la déduction des taxes en amont puisse être régularisée auprès du bénéficiaire de la livraison de biens ou de la prestation de services.
49 Dans ces conditions, il appartient en principe aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la TVA indûment facturée peut être régularisée.
50 La juridiction de renvoi a relevé que, selon l'arrêt Genius Holding, précité, l'émetteur de la facture ne pourrait être autorisé à régulariser la TVA indûment facturée que s'il démontre sa bonne foi.
51 Il importe de rappeler à cet égard que, dans l'affaire Genius Holding, précitée, la requérante au principal avait déduit la TVA que lui avaient facturée deux de ses sous-traitants, en violation du droit national applicable selon lequel la TVA n'était pas due par les sous-traitants sur les prestations qu'ils fournissaient à l'entrepreneur, mais uniquement par l'entrepreneur sur le montant qu'il facture au maître d'ouvrage. L'administration fiscale avait considéré que la TVA avait été indûment facturée à la requérante et que celle-ci ne pouvait dès lors la déduire. Elle lui avait imposé, en conséquence, un redressement de la base d'imposition.
52 La requérante ayant fait valoir que l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive permettait la déduction de toute taxe mentionnée sur la facture, le juge national décida de saisir la Cour de la question de savoir si l'article 17, paragraphe 2, devait être interprété en ce sens.
53 En réponse à cette question, la Cour a dit pour droit, dans l'arrêt Genius Holding, précité, que l'exercice du droit à déduction prévu dans la sixième directive ne s'étend pas à la taxe qui est due exclusivement parce qu'elle est mentionnée sur la facture. La Cour a précisé, au point 13 de ce dernier arrêt, que l'exercice du droit à déduction est limité aux seules taxes dues, c'est-à-dire à celles correspondant à une opération soumise à la TVA ou acquittées dans la mesure où elles étaient dues.
54 Ainsi que la Cour l'a relevé au point 17 de l'arrêt Genius Holding, précité, si toute taxe facturée pouvait être déduite, même lorsqu'elle ne correspond pas à la taxe légalement due, la fraude fiscale serait rendue plus facile.
55 Dans l'affaire Genius Holding, précitée, la déduction initialement pratiquée par la requérante devait par conséquent être régularisée conformément à l'article 20, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive.
56 C'est dans ce contexte que la Cour a précisé au point 18 de l'arrêt Genius Holding, précité, que, pour assurer l'application du principe de la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leurs ordres juridiques internes, la possibilité de correction de toute taxe indûment facturée, dès lors que l'émetteur de la facture démontre sa bonne foi.
57 Il convient de relever que, dans les litiges au principal et à la différence de l'affaire Genius Holding précitée, le risque de perte de recettes fiscales a été, en temps utile, éliminé complètement soit parce que l'émetteur de la facture a récupéré et détruit la facture avant son utilisation par le destinataire, soit parce que, la facture ayant été utilisée, l'émetteur de la facture a acquitté le montant indiqué séparément sur la facture.
58 Dans de telles circonstances où l'émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de la neutralité de la TVA exige que la TVA indûment facturée puisse être régularisée, sans qu'une telle régularisation puisse être subordonnée par les États membres à la bonne foi de l'émetteur de ladite facture.
59 Il importe de rappeler à cet égard que les mesures que les États membres ont la faculté d'adopter, en vertu de l'article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, afin d'assurer l'exacte perception de la taxe et d'éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs (arrêt du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, non encore publié au Recueil, point 52). Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu'elles remettraient en cause la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation communautaire en la matière.
60 Or, force est de constater que l'exigence que l'émetteur de la facture démontre sa bonne foi lorsqu'il a, en temps utile, éliminé complètement le risque de diminution des recettes fiscales n'est pas nécessaire pour assurer la perception de la TVA et prévenir la fraude fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 1998, Grandes sources d'eaux minérales françaises, C-361/96, Rec. p. I-3495, points 29 et 30).
61 En revanche, lorsque, comme dans l'affaire Genius Holding, précitée, le risque de perte de recettes fiscales n'a pas été complètement éliminé, les États membres peuvent subordonner la possibilité de régularisation de la TVA indûment facturée à la condition que l'émetteur de la facture démontre sa bonne foi. En effet, ainsi que l'a indiqué la juridiction de renvoi, s'il se révélait qu'il n'est plus possible d'annuler auprès du destinataire de la facture la déduction qui lui a été accordée, l'émetteur de la facture qui n'est pas de bonne foi peut être tenu responsable du déficit de recettes fiscales afin de garantir la neutralité fiscale.
62 Enfin, il convient de souligner que, comme l'a fait valoir à juste titre la Commission, le droit communautaire n'empêche pas les États membres de considérer l'établissement de factures fictives indiquant indûment une TVA comme une tentative de fraude fiscale et d'appliquer, dans un tel cas, les amendes ou sanctions pécuniaires prévues par leur droit interne.
63 Il y a dès lors lieu de répondre à la deuxième question que, lorsque l'émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de la neutralité de la TVA exige que la taxe indûment facturée puisse être régularisée, sans qu'une telle régularisation puisse être subordonnée à la bonne foi de l'émetteur de ladite facture.
Sur la première question
64 Par sa première question, qu'il convient d'examiner en second lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, selon quelle procédure la régularisation de la TVA indûment facturée doit avoir lieu.
65 Ainsi qu'il résulte des points 47 à 49 du présent arrêt, il appartient en principe aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la TVA indûment facturée peut être régularisée.
66 Les États membres peuvent dès lors décider, notamment, si une telle régularisation a lieu au cours de la procédure de fixation de la taxe ou au cours d'une procédure ultérieure.
67 Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 20 de ses conclusions, un État membre peut estimer que la régularisation de la TVA indûment facturée doit avoir lieu au cours d'une procédure ultérieure afin de permettre à l'administration fiscale de vérifier, notamment lorsqu'il a été procédé à une déduction de la TVA indûment facturée, que tout risque de perte de recettes fiscales est écarté.
68 Toutefois, lorsqu'un tel risque a été éliminé, la régularisation de la TVA indûment facturée ne saurait dépendre du pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration fiscale.
69 En effet, il résulte de la réponse apportée à la deuxième question que, dans une telle situation, le principe de la neutralité de la TVA exige que la TVA indûment facturée puisse être régularisée.
70 Il y a dès lors lieu de répondre à la première question qu'il appartient aux États membres de définir la procédure selon laquelle la TVA indûment facturée peut être régularisée, pourvu que cette régularisation ne dépende pas du pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration fiscale.
Sur la troisième question
71 Compte tenu de la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n'est pas nécessaire de répondre à la troisième question.
Sur les dépens
72 Les frais exposés par le gouvernement allemand ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesfinanzhof, par ordonnance du 15 octobre 1998, dit pour droit:
1) Lorsque l'émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée exige que la taxe indûment facturée puisse être régularisée, sans qu'une telle régularisation puisse être subordonnée à la bonne foi de l'émetteur de ladite facture.
2) Il appartient aux États membres de définir la procédure selon laquelle la taxe sur la valeur ajoutée indûment facturée peut être régularisée, pourvu que cette régularisation ne dépende pas du pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration fiscale.