Avis juridique important
Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 novembre 2000. - Floridienne SA et Berginvest SA contre Etat belge. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Tournai - Belgique. - Sixième directive TVA - Déduction de la taxe payée en amont - Entreprise assujettie uniquement pour une partie de ses opérations - Déduction au prorata - Calcul - Perception de ses filiales par un holding de dividendes d'actions et d'intérêts de prêts - Immixtion dans la gestion des filiales. - Affaire C-142/99.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-09567
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Entreprise assujettie uniquement pour une partie de ses opérations - Déduction au prorata - Calcul - Perception de dividendes distribués par ses filiales à un holding s'immisçant dans la gestion de celles-ci - Exclusion - Perception d'intérêts de prêts - Exclusion - Condition
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 2, et 19)
$$En vertu de l'article 19 de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, une entreprise qui n'est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'ensemble de ses opérations peut déduire du montant de la taxe dont elle est redevable le montant de la taxe qu'elle a acquittée dans la limite d'un prorata, qui résulte d'une fraction comportant, au dénominateur, le montant total du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction. Cette disposition doit être interprétée en ce sens que doivent être exclus dudit dénominateur, d'une part, les dividendes distribués par ses filiales à un holding qui est assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée pour d'autres activités et fournit à ces filiales des services de gestion, puisque, n'étant la contrepartie d'aucune activité économique, la perception de dividendes n'entre pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, et, d'autre part, les intérêts versés par ces filiales à ce holding en raison des prêts que celui-ci leur a accordés, lorsque ces opérations de prêts ne constituent pas, au sens de l'article 4, paragraphe 2, de ladite directive, une activité économique dudit holding.
(voir points 21, 32 et disp.)
Dans l'affaire C-142/99,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Tribunal de première instance de Tournai (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Floridienne SA,
Berginvest SA
et
tat belge,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 19 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR
(première chambre),
composée de MM. M. Wathelet, président de chambre, P. Jann et L. Sevón (rapporteur), juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Floridienne SA et Berginvest SA, par Mes P. Malherbe, D. Waelbroeck et P.-P. Hendrickx, avocats au barreau de Bruxelles,
- pour le gouvernement belge, par Mme A. Snoecx, conseiller au ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, en qualité d'agent, assistée de Me B. van de Walle de Ghelcke, avocat au barreau de Bruxelles,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. E. Traversa, conseiller juridique, et Mme H. Michard, membre du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Floridienne SA et de Berginvest SA, du gouvernement belge et de la Commission à l'audience du 17 février 2000,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 4 avril 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par jugement du 31 mars 1999, parvenu à la Cour le 21 avril suivant, le Tribunal de première instance de Tournai a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 19 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Floridienne SA (ci-après «Floridienne») et Berginvest SA (ci-après «Berginvest») à l'État belge au sujet du traitement, aux fins de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), des dividendes et des intérêts sur prêts qu'elles perçoivent, en leur qualité de holdings, des filiales du groupe.
La réglementation communautaire
3 L'article 2, point 1, de la sixième directive soumet à la TVA les livraisons de biens ainsi que les prestations de services effectuées à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel et, par voie de conséquence, il exclut du champ d'application de ladite taxe les activités n'ayant pas un caractère économique. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d'une façon indépendante, l'une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cette disposition. La notion d'«activités économiques» est définie à l'article 4, paragraphe 2, comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
4 L'article 17 de la sixième directive, intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», dispose, à son paragraphe 2, que l'assujetti n'a droit à déduction que «Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées...». En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise, conformément au paragraphe 5 de ladite disposition, que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle aux opérations taxées.
5 Ce prorata est déterminé, pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti, conformément à l'article 19 de la sixième directive, dont les paragraphes 1 et 2 prévoient:
«1. Le prorata de déduction, prévu par l'article 17 paragraphe 5 premier alinéa, résulte d'une fraction comportant:
- au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l'article 17 paragraphes 2 et 3,
- au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction. Les États membres ont la faculté d'inclure également dans le dénominateur le montant des subventions autres que celles visées à l'article 11 sous A paragraphe 1 sous a).
Le prorata est déterminé sur une base annuelle, fixé en pourcentage et arrondi à un chiffre qui ne dépasse pas l'unité supérieure.
2. Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, du montant du chiffre d'affaires afférent aux livraisons de biens d'investissement utilisés par l'assujetti dans son entreprise. Il est également fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations accessoires immobilières et financières ou à celles visées à l'article 13 sous B sous d), lorsqu'il s'agit d'opérations accessoires. Lorsque les États membres exercent la possibilité prévue à l'article 20 paragraphe 5 de ne pas exiger la régularisation pour les biens d'investissement, ils peuvent inclure le produit de la cession de ces biens dans le calcul du prorata de déduction.»
Les faits au principal et la question préjudicielle
6 Le jugement de renvoi expose que Floridienne, holding qui est à la tête d'un groupe de sociétés actives dans le domaine de la chimie, des plastiques et de l'agroalimentaire, et Berginvest, holding intermédiaire qui chapeaute le sous-groupe des plastiques, soutiennent qu'elles s'immiscent directement ou indirectement dans la gestion de leurs filiales, notamment en leur fournissant des services administratifs, comptables et informatiques, ainsi qu'en leur consentant des prêts de financement. En outre, Floridienne et Berginvest perçoivent de leurs filiales des dividendes générés par leurs participations et des intérêts sur lesdits prêts.
7 Dans le cadre de leurs activités de prestations de services à leurs filiales, Floridienne et Berginvest effectuent des opérations soumises à la TVA, lesquelles ouvrent le droit à la déduction des taxes ayant grevé les biens et les services fournis à ces deux sociétés. Leur pratique consistant à déduire l'intégralité de ces taxes payées en amont a été remise en cause par l'administration fiscale belge, au motif notamment qu'une partie des biens et des services reçus est consacrée à la perception de dividendes et d'intérêts, activité que l'administration considère comme exonérée de la TVA. Estimant que les intérêts des prêts accordés par lesdites sociétés à leurs filiales correspondent toutefois à une activité professionnelle spécifique à caractère financier, l'administration les a repris au dénominateur de la fraction du prorata général de déduction. En revanche, s'agissant des dividendes, seuls ceux provenant de filiales ayant effectivement bénéficié d'une assistance à la gestion ont été retenus dans les revenus financiers repris au dénominateur de ladite fraction.
8 Dans ces conditions, l'administration a décerné des contraintes en vue du recouvrement de la TVA due, selon elle, par les deux sociétés pour des opérations effectuées au cours des années 1990 à 1994. Ces contraintes portaient sur un montant en principal de 13 812 839 BEF pour Floridienne et de 17 598 876 BEF pour Berginvest. Ces sociétés ont formé opposition auxdites contraintes et demandé l'annulation de celles-ci ainsi que l'indemnisation des dommages qui leur auraient été causés par l'État belge.
9 Devant la juridiction de renvoi, Floridienne et Berginvest soutiennent notamment que l'application du mécanisme de déduction doit se limiter aux opérations relevant de l'activité économique de l'assujetti et que le simple fait de détenir des parts sociales ou des actions ne constitue pas une activité taxable. Par ailleurs, aucun moyen significatif ne serait affecté par elles à l'obtention des recettes provenant de dividendes et d'intérêts de leurs filiales. La perception des dividendes produits par ces parts ou actions n'entrerait dès lors pas dans le champ d'application de la TVA.
10 Constatant que les deux sociétés sont des assujettis partiels, dès lors qu'elles effectuent à la fois des opérations ouvrant droit à déduction de la TVA et des opérations «hors champ», le Tribunal de première instance de Tournai a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les dividendes d'actions et les intérêts des prêts doivent-ils toujours être exclus du dénominateur de la fraction servant [au] calcul du prorata de déduction, y compris dans l'hypothèse où la société qui recueille ces dividendes et perçoit ces intérêts s'est immiscée dans la gestion des entreprises qui paient ou attribuent lesdits dividendes et intérêts, hors le cas de l'exercice des droits que détient cette société en sa qualité d'actionnaire ou d'associé?»
Sur la question préjudicielle
11 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 19 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que doivent être exclus du dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata de déduction, d'une part, les dividendes distribués par ses filiales à un holding qui est assujetti à la TVA pour d'autres activités et fournit à ces filiales des services de gestion et, d'autre part, les intérêts versés par ces dernières à ce holding en raison des prêts que celui-ci leur a accordés.
12 Afin de répondre à cette question, il convient d'examiner en particulier si les revenus en question sont étrangers au champ d'application de la TVA en raison du fait qu'ils ne résultent pas d'opérations qui ressortissent à une activité économique soumise à la TVA.
13 S'agissant, en premier lieu, des dividendes, Floridienne et Berginvest font valoir que ceux-ci ne constituent pas la contrepartie d'une activité économique déterminée de l'actionnaire, mais sont le résultat de la simple propriété du bien et que, dès lors, ils n'entrent pas dans le champ d'application de la TVA et ne doivent pas être pris en considération dans le calcul du prorata de déduction, même si la société qui recueille ces dividendes s'est immiscée dans la gestion de ses filiales.
14 Si le holding est assujetti à la TVA pour cette activité de gestion, les dividendes ne sauraient toutefois relever de cette activité qu'à la condition qu'ils en constituent la rémunération, ce qui présupposerait un lien direct avec l'activité soumise à la TVA. Or, un tel lien serait difficilement concevable, étant donné que l'attribution de dividendes résulte d'une décision unilatérale de la filiale et qu'un même dividende est attribué à toutes les actions d'une catégorie donnée, indépendamment de la question de savoir si celles-ci appartiennent au holding. S'agissant du litige au principal, Floridienne et Berginvest précisent à cet égard que, indépendamment des dividendes qui leur sont attribués, elles perçoivent une rémunération spécifique pour les prestations de services qu'elles fournissent à leurs filiales.
15 Le gouvernement belge et la Commission soutiennent, en revanche, que l'immixtion d'un holding dans la gestion de ses filiales doit être considérée comme une activité économique consistant en l'exploitation d'un bien en vue d'en retirer des recettes sous la forme de dividendes. Dans cette mesure, ces dernières constitueraient en effet la contrepartie de ladite activité économique. Ces dividendes devraient dès lors être inclus dans la fraction servant au calcul du prorata de déduction, mais uniquement à son dénominateur étant donné que ladite activité n'ouvre pas droit à déduction.
16 Le gouvernement belge ajoute qu'une interprétation contraire de l'article 19 de la sixième directive porterait atteinte au principe de neutralité de la TVA en permettant d'obtenir un droit à la déduction intégrale de la TVA payée pour les biens et services utilisés par le holding, alors que ceux-ci ont été affectés tant à des opérations ouvrant droit à déduction qu'à des opérations n'ouvrant pas ce droit.
17 À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle n'a pas la qualité d'assujetti à la TVA et n'a pas de droit à déduction selon l'article 17 de la sixième directive un holding dont l'objet unique est la prise de participation dans d'autres entreprises sans que celui-ci s'immisce directement ou indirectement dans la gestion de ces entreprises, sous réserve des droits que ledit holding détient en sa qualité d'actionnaire ou d'associé. Cette conclusion est fondée notamment sur la constatation que la simple prise de participations financières dans d'autres entreprises ne constitue pas une activité économique au sens de la sixième directive (arrêts du 20 juin 1991, Polysar Investments Netherlands, C-60/90, Rec. p. I-3111, point 17, et du 22 juin 1993, Sofitam, C-333/91, Rec. p. I-3513, point 12).
18 Cependant, la Cour a jugé qu'il en va différemment lorsque la participation est accompagnée d'une immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés où s'est opérée la prise de participation, sans préjudice des droits que détient l'auteur des participations en sa qualité d'actionnaire ou d'associé (arrêt Polysar Investments Netherlands, précité, point 14).
19 Il s'ensuit que doit être considérée comme une activité économique au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive une telle immixtion dans la gestion des filiales, dans la mesure où elle implique la mise en oeuvre de transactions soumises à la TVA en vertu de l'article 2 de cette directive, telles que la fourniture de services administratifs, comptables et informatiques par Floridienne et Berginvest à leurs filiales.
20 Toutefois, pour que la perception de dividendes attribués par ces filiales au holding s'immisçant ainsi dans la gestion de celles-ci entre dans le champ d'application de la TVA, il est exigé en outre que ces dividendes puissent être considérés comme une contrepartie de l'activité économique en cause, ce qui présuppose un lien direct entre l'activité exercée et la contre-valeur reçue (voir, notamment, arrêts du 5 février 1981, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats, 154/80, Rec. p. 445, point 12, et du 24 octobre 1996, Argos Distributors, C-288/94, Rec. p. I-5311, point 16).
21 À cet égard, la Cour a déjà jugé que, n'étant la contrepartie d'aucune activité économique, la perception de dividendes n'entre pas dans le champ d'application de la TVA et que, par conséquent, les dividendes résultant de la détention de participations sont étrangers au système des droits à déduction (arrêt Sofitam, précité, point 13).
22 Cette exclusion s'explique notamment par certaines caractéristiques des dividendes. Il est tout d'abord constant que l'attribution de dividendes présuppose normalement l'existence de bénéfices distribuables et dépend ainsi du résultat de l'exercice de la société. Ensuite, le prorata de dividende est déterminé en fonction du type de participation, notamment des séries d'actions, et non en raison de l'identité du détenteur de telle ou telle participation. Il convient de relever, enfin, que les dividendes représentent, par leur nature même, le fruit de la participation dans une société et résultent de la simple propriété de ce bien (arrêt Polysar Investments Netherlands, précité, point 13).
23 En effet, compte tenu précisément de ce que le montant du dividende dépend ainsi partiellement d'un aléa et que le droit au dividende est seulement fonction de la détention de participations, il n'existe pas entre le dividende et une prestation de services, même fournie par un actionnaire qui perçoit ce dividende, de lien direct nécessaire pour que celui-ci puisse constituer la contrepartie desdits services.
24 En ce qui concerne, en second lieu, les intérêts qu'un holding perçoit sur les prêts qu'il a accordés à ses filiales, Floridienne et Berginvest font valoir que la mise à disposition d'un tiers d'un capital ne relève d'une activité économique consistant en une exploitation de biens que lorsqu'elle excède la simple gestion d'un patrimoine, de manière à se rattacher à une autre activité taxable dont elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire. Or, tel ne serait pas le cas des opérations ayant donné lieu au litige au principal. Les deux sociétés auraient simplement réinvesti des dividendes tirés des filiales en des prêts à certaines d'entre elles, sans aucun lien avec les services de gestion fournis à celles-ci. Les intérêts des prêts constitueraient au contraire le fruit de la propriété des créances sur les filiales, voire celui d'opérations de crédit accessoires à une activité principale, à savoir la détention de participations, qui échappe en tant que telle au champ d'application de la TVA.
25 Le gouvernement belge et la Commission font valoir, en revanche, que les revenus financiers résultant des prêts à des filiales constituent le prolongement direct, permanent et nécessaire d'une activité assujettie consistant en la fourniture de services, notamment de gestion, aux filiales et que ces revenus financiers doivent dès lors être repris au dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata de déduction.
26 À cet égard, il convient de relever que la Cour a jugé, s'agissant d'intérêts perçus par une entreprise de gestion d'immeubles en rémunération de placements, effectués pour son propre compte, de fonds versés par les copropriétaires ou les locataires, que de tels intérêts ne sauraient être exclus du champ d'application de la TVA, dès lors que le versement de ceux-ci ne résulte pas de la simple propriété du bien, mais constitue la contrepartie d'une mise à disposition d'un capital à un tiers (arrêt du 11 juillet 1996, Régie dauphinoise, C-306/94, Rec. p. I-3695, point 17).
27 L'article 2, point 1, de la sixième directive excluant certes du champ d'application de la TVA les opérations pour lesquelles l'assujetti n'agit pas en cette qualité, la soumission à la TVA d'opérations de prêt, telles que celles en cause au principal, présuppose qu'elles constituent soit une activité économique de l'opérateur visée à l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, soit le prolongement direct, permanent et nécessaire d'une activité taxable, sans toutefois être accessoires à celle-ci au sens de l'article 19, paragraphe 2, de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt Régie dauphinoise, précité, point 18).
28 Pour que l'activité d'un holding consistant à mettre un capital à disposition de ses filiales puisse être considérée comme une activité économique par elle-même, consistant à exploiter ce capital en vue d'en tirer des recettes à caractère permanent sous la forme d'intérêts, il est nécessaire que cette activité ne soit pas exercée à titre occasionnel seulement et qu'elle ne se limite pas à gérer des investissements à l'instar d'un investisseur privé (voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 1996, Wellcome Trust, C-155/94, Rec. p. I-3013, point 36, et du 26 septembre 1996, Enkler, C-230/94, Rec. p. I-4517, point 20), mais qu'elle soit effectuée dans le cadre d'un objectif d'entreprise ou dans un but commercial, caractérisé notamment par un souci de rentabilisation des capitaux investis.
29 Par ailleurs, l'octroi de prêts à des filiales auxquelles le holding fournit des services d'administration, de comptabilité, d'informatique et de gestion en général ne saurait être soumis à la TVA au motif qu'il s'agirait du prolongement direct, permanent et nécessaire de cette prestation de services au sens de l'arrêt Régie dauphinoise, précité. En effet, de tels prêts ne sont ni nécessairement ni directement liés aux services ainsi fournis.
30 En outre, il convient de relever qu'un simple réinvestissement, par un holding, des dividendes qu'il perçoit de ses filiales et qui sont eux-mêmes exclus du champ d'application de la TVA, en des prêts à ces filiales ne constitue en aucun cas une activité taxable. Les intérêts sur de tels prêts doivent au contraire être considérés comme les fruits de la simple propriété du bien et ils sont dès lors étrangers au système de la déduction.
31 Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si, dans l'affaire au principal, il est satisfait, conformément aux critères exposés aux points 26 à 30 du présent arrêt, aux conditions de soumission à la TVA des opérations de prêt en cause.
32 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l'article 19 de la sixième directive doit être interprété en ce sens que doivent être exclus du dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata de déduction:
- d'une part, les dividendes distribués par ses filiales à un holding qui est assujetti à la TVA pour d'autres activités et fournit à ces filiales des services de gestion et,
- d'autre part, les intérêts versés par ces dernières à ce holding en raison des prêts que celui-ci leur a accordés, lorsque ces opérations de prêts ne constituent pas, au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, une activité économique dudit holding.
Sur les dépens
33 Les frais exposés par le gouvernement belge et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(première chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de première instance de Tournai, par jugement du 31 mars 1999, dit pour droit:
L'article 19 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que doivent être exclus du dénominateur de la fraction servant au calcul du prorata de déduction:
- d'une part, les dividendes distribués par ses filiales à un holding qui est assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée pour d'autres activités et fournit à ces filiales des services de gestion et,
- d'autre part, les intérêts versés par ces dernières à ce holding en raison des prêts que celui-ci leur a accordés, lorsque ces opérations de prêts ne constituent pas, au sens de l'article 4, paragraphe 2, de ladite directive, une activité économique dudit holding.