Avis juridique important
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 19 septembre 2000. - Ampafrance SA contre Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99). - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Nantes et Tribunal administratif de Melun - France. - TVA - Déduction de la taxe - Exclusion du droit à déduction - Dépenses de représentation - Proportionnalité. - Affaires jointes C-177/99 et C-181/99.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-07013
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
1 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Introduction de mesures particulières dérogatoires - Lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales - Décision 89/487 - Exclusion du droit à déduction de la taxe sur certaines dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles - Violation du principe de proportionnalité - Illégalité
(Directive du Conseil 77/388, art. 27; décision du Conseil 89/487)
2 Droit communautaire - Principe de protection de la confiance légitime - Invocation du principe par un État membre pour échapper aux conséquences d'une décision de la Cour constatant l'invalidité d'un acte communautaire - Inadmissibilité
1 La décision 89/487 du Conseil, adoptée sur le fondement de l'article 27 de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, selon lequel un État membre peut être autorisé à introduire des mesures particulières dérogatoires à la sixième directive afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales, et autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la sixième directive, est invalide au regard du principe général de proportionnalité, en tant qu'elle autorise cet État à refuser aux opérateurs économiques le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant des dépenses dont ils peuvent démontrer le caractère strictement professionnel.
La mesure consistant, en effet, à exclure par principe l'ensemble des dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, lequel constitue un principe fondamental du système de la taxe sur la valeur ajoutée mis en place par la sixième directive, alors que des moyens appropriés, moins attentatoires à ce principe qu'une exclusion du droit à déduction s'agissant de certaines dépenses, sont envisageables ou existent déjà dans l'ordre juridique national, n'apparaît pas nécessaire pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et, en l'état actuel du droit communautaire, ne constitue pas un moyen approprié à cet objectif et affecte excessivement les objectifs et principes de la sixième directive. (voir points 35, 57, 61-62 et disp.)
2 Le principe de la confiance légitime, qui est le corollaire du principe de sécurité juridique et qui est en général invoqué par les particuliers (opérateurs économiques) se trouvant dans un état de confiance légitime créé par les pouvoirs publics, ne saurait être invoqué par un État membre pour échapper aux conséquences d'une décision de la Cour constatant l'invalidité d'un acte communautaire, car il remettrait en cause la possibilité pour les particuliers d'être protégés contre un comportement des pouvoirs publics qui aurait pour fondement des règles illégales. (voir point 67)
Dans les affaires jointes C-177/99 et C-181/99,
ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par les tribunaux administratifs de Nantes (C-177/99) et de Melun (C-181/99) (France) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant ces juridictions entre
Ampafrance SA
et
Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99)
et entre
Sanofi Synthelabo, anciennement Sanofi Winthrop SA,
et
Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99),
une décision à titre préjudiciel sur la validité de la décision 89/487/CEE du Conseil, du 28 juillet 1989, autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO L 239, p. 21),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, L. Sevón, P. J. G. Kapteyn, H. Ragnemalm et M. Wathelet (rapporteur), juges,
avocat général: M. G. Cosmas,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Ampafrance SA, par Mes J.-C. Bouchard et O. Cortez, avocats au barreau des Hauts-de-Seine,
- pour Sanofi Synthelabo, par M. J.-C. Leroy, directeur financier,
- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. S. Seam, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,
- pour le Conseil de l'Union européenne, par M. J. Monteiro, conseiller juridique, et Mme M.-J. Vernier, membre du service juridique, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. E. Traversa, conseiller juridique, et Mme H. Michard, membre du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Ampafrance SA, représentée par Mes J.-C. Bouchard et O. Cortez, de Sanofi Synthelabo, représentée par Mes B. Geneste et O. Davidson, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, du gouvernement français, représenté par M. S. Seam, du Conseil, représenté par M. J. Monteiro et Mme M.-J. Vernier, et de la Commission, représentée par Mme H. Michard, à l'audience du 27 janvier 2000,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 mars 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par jugements du 3 décembre 1998 et du 11 mai 1999, parvenus à la Cour respectivement les 14 et 17 mai 1999, les tribunaux administratifs de Melun (C-181/99) et de Nantes (C-177/99) ont posé chacun, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à la validité de la décision 89/487/CEE du Conseil, du 28 juillet 1989, autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO L 239, p. 21).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, la société Ampafrance SA (ci-après «Ampafrance») (C-177/99) et, d'autre part, la société Sanofi Winthrop SA, devenue, à la suite d'opérations de fusion-absorption, Sanofi, le 12 mai 1998, puis Sanofi Synthelabo, le 18 mai 1999 (ci-après «Sanofi») (C-181/99), à l'administration fiscale au sujet de redressements fiscaux appliqués à ces sociétés fondés sur l'exclusion du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») pour les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Aux termes de l'article 2, deuxième alinéa, de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, 71, p. 1301, ci-après la «première directive»):
«À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix».
4 L'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), qui régit le droit pour les assujettis à la déduction de la TVA acquittée en amont, prévoit, en son paragraphe 2, sous a):
«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti».
5 L'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive comporte une clause de gel (ou de «standstill») prévoyant le maintien des exclusions nationales du droit à déduction de la TVA qui étaient applicables avant l'entrée en vigueur de la sixième directive, c'est-à-dire avant le 1er janvier 1979. Cette disposition est ainsi libellée:
«Au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.
Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive.»
6 À ce jour, les règles communautaires visées à l'article 17, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive n'ont pas encore été adoptées, à défaut d'un accord au sein du Conseil sur les dépenses pour lesquelles une exclusion du droit à déduction de la TVA peut être envisagée.
7 L'article 27 de la sixième directive prévoit:
«1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.
2. L'État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation.
3. La Commission en informe les autres États membres dans un délai d'un mois.
4. La décision du Conseil sera réputée acquise si, dans un délai de deux mois à compter de l'information visée au paragraphe 3, ni la Commission, ni un État membre n'ont demandé l'évocation de l'affaire par le Conseil.
5. ...»
La réglementation nationale
8 En France, l'exclusion du droit à déduction de la TVA pour les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles a été progressivement instaurée entre 1967 et 1979.
9 Les dispositions excluant le droit à déduction concernant certains biens et services qui étaient applicables avant le 1er janvier 1979, date de l'entrée en vigueur de la sixième directive, figuraient aux articles 7 et 11 du décret n_ 67-604, du 27 juillet 1967 (JORF du 28 juillet 1967, p. 7541, ci-après le «décret n_ 67-604»).
10 L'article 7 de ce décret disposait:
«La taxe afférente aux dépenses exposées pour assurer le logement ou l'hébergement des dirigeants et du personnel des entreprises n'est pas déductible.
Toutefois, cette exclusion ne concerne pas la taxe afférente aux dépenses exposées pour assurer, sur les lieux du travail, le logement gratuit du personnel salarié chargé de la sécurité ou de la surveillance d'un ensemble industriel ou commercial ou d'un chantier de travaux.»
11 Selon l'article 11 du décret n_ 67-604:
«La taxe afférente aux dépenses exposées pour assurer la satisfaction des besoins individuels des dirigeants et du personnel des entreprises, et notamment celle afférente aux frais de réception, de restaurant et de spectacle, n'est pas déductible.
Toutefois, cette exclusion ne concerne pas les dépenses afférentes:
À des biens qui constituent des immobilisations et qui sont spécialement affectés sur les lieux mêmes du travail à la satisfaction collective des besoins du personnel;
Aux vêtements de travail ou de protection attribués par une entreprise à son personnel.»
12 Le décret n_ 79-1163, du 29 décembre 1979 (JORF du 31 décembre 1979, p. 3333, ci-après le «décret n_ 79-1163»), adopté après l'entrée en vigueur de la sixième directive, a prévu, à son article 25, le remplacement de l'article 236 de l'annexe II du code général des impôts par le texte suivant:
«N'est pas déductible la taxe ayant grevé des biens ou services utilisés par des tiers, par des dirigeants ou le personnel de l'entreprise, tels que le logement ou l'hébergement, les frais de réception, de restaurant, de spectacles ou toute dépense ayant un lien direct ou indirect avec les déplacements ou la résidence.
Toutefois, cette exclusion ne concerne pas les vêtements de travail ou de protection, les locaux et le matériel mis à disposition du personnel sur les lieux de travail, le logement gratuit du personnel salarié chargé sur les lieux du travail de la sécurité ou de la surveillance.»
13 Le Conseil d'État, dans son arrêt du 3 février 1989, Compagnie Alitalia (ci-après l'«arrêt Alitalia»), a jugé que l'article 25 du décret n_ 79-1163 était entaché d'invalidité en ce qu'il excluait le droit à déduction de la TVA ayant grevé tous les biens et les services utilisés par des tiers, «méconnai[ssant] ainsi l'objectif de non-extension des exclusions existantes, défini à l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive».
14 À la suite de l'arrêt Alitalia, la République française a, par lettre du 13 avril 1989, demandé au Conseil, sur le fondement de l'article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, à pouvoir introduire «jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions définitives de l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive une dérogation aux dispositifs de cet article afin d'introduire dans sa législation une disposition qui exclut la déduction des dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles».
15 Selon le gouvernement français,
«Cette mesure particulière est destinée à éviter la fraude et les évasions fiscales qui résulteraient de la détaxation de dépenses qui constituent des consommations finales par nature. Les risques de fraude et d'évasion fiscales sont importants puisque les entreprises seront incitées à prendre en charge, sous la forme d'avantages en nature ou de cadeaux, des consommations finales détaxées et à ne pas distinguer correctement les dépenses concernant les dirigeants et le personnel et celles relatives aux tiers.
Toutefois, l'exclusion ne concernerait pas:
- les dépenses supportées par un assujetti pour la fourniture à titre onéreux de logement, de repas, d'aliments ou de boissons;
- les dépenses relatives à la fourniture à titre gratuit du logement sur les chantiers ou dans les locaux d'une entreprise du personnel de sécurité, de gardiennage ou de surveillance;
- les dépenses supportées par un assujetti du fait de la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle ou légale à l'égard de ses clients (exemple: dépenses d'hébergement et de nourriture exposées par une compagnie aérienne au profit des passagers et consécutives à arrêt prolongé dans un aéroport)».
16 Le 28 juillet 1989, le Conseil a adopté la décision 89/487. Suivant ses deuxième et troisième considérants:
«... la République française a, par lettre enregistrée à la Commission le 17 avril 1989, sollicité l'autorisation d'introduire une mesure particulière dérogatoire aux dispositions de l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de ladite directive;
... certaines livraisons et prestations destinées à un assujetti et concernant notamment des dépenses de représentation de cet assujetti sont exclues, en France, du droit à déduction, conformément à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive ... ladite mesure vise à exclure du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont elles ont été grevées d'autres dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles, afin d'éviter la fraude ou des évasions fiscales ... l'exclusion ne concerne pas les dépenses supportées par un assujetti pour la fourniture à titre onéreux, par ce même assujetti, de logements, de repas, d'aliments ou de boissons, ni les dépenses relatives à la fourniture à titre gratuit du logement sur les chantiers ou dans les locaux d'une entreprise du personnel de sécurité, de gardiennage ou de surveillance, ni les dépenses supportées par un assujetti du fait de la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle ou légale à l'égard de ses clients».
17 L'article 1er de la décision 89/487 prévoit que:
«1. Par dérogation aux dispositions de l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive, la République française est autorisée, à titre temporaire et au plus tard jusqu'à l'entrée en vigueur des règles communautaires qui détermineront le traitement des dépenses visées au premier alinéa dudit paragraphe, à exclure du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont elles ont été grevées, les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles.
2. L'exclusion visée au paragraphe 1 n'est pas applicable:
- aux dépenses supportées par un assujetti relatives à la fourniture à titre onéreux par cet assujetti de logements, de repas, d'aliments ou de boissons,
- aux dépenses relatives à la fourniture à titre gratuit du logement sur les chantiers ou dans les locaux d'une entreprise du personnel de sécurité, de gardiennage ou de surveillance,
- aux dépenses supportées par un assujetti du fait de la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle ou légale à l'égard de ses clients.»
18 À la suite de la décision 89/487, le gouvernement français a, par l'article 4 du décret n_ 89-885, du 14 décembre 1989 (JORF du 15 décembre 1989, p. 15578), modifié le texte de l'article 236 de l'annexe II du code général des impôts. Cet article est désormais rédigé comme suit:
«... À titre temporaire, la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles est exclue du droit à déduction.
Toutefois, cette exclusion n'est pas applicable:
1_ Aux dépenses supportées par un assujetti relatives à la fourniture à titre onéreux par cet assujetti de logements, de repas, d'aliments ou de boissons;
2_ Aux dépenses relatives à la fourniture à titre gratuit du logement sur les chantiers ou dans les locaux d'une entreprise du personnel de sécurité, de gardiennage ou de surveillance;
3_ Aux dépenses supportées par un assujetti du fait de la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle ou légale à l'égard de ses clients».
Les litiges au principal
Affaire C-177/99
19 Ampafrance supporte, dans le cadre de l'exercice de son activité commerciale, diverses dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles. Elle a déduit la TVA ayant grevé les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles engagées, tant pour son personnel que pour des tiers, en juin 1993.
20 Le 30 novembre 1993, l'administration fiscale a adressé à Ampafrance un avis de mise en recouvrement d'un montant de 252 086 FRF, correspondant à la TVA déduite au titre des dépenses sus-mentionnées. Ce redressement était fondé sur l'article 236 de l'annexe II du code général des impôts, qui a transposé en droit français la décision 89/487 et exclut du droit à déduction la TVA grevant les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles.
21 La réclamation d'Ampafrance contre cet avis ayant fait l'objet d'une décision de rejet par les services fiscaux de Maine-et-Loire, Ampafrance a formé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Nantes.
22 Dans le cadre de son recours, Ampafrance a demandé la restitution de la somme qu'elle avait acquittée au titre de la TVA à raison des opérations du mois de juin 1993 et, à titre subsidiaire, la saisine de la Cour à titre préjudiciel sur la question de la validité de la décision 89/487.
Affaire C-181/99
23 En 1995, l'administration fiscale, se fondant également sur l'article 236 de l'annexe II du code général des impôts, a adressé aux laboratoires Choay, Millot Solac et Clin Midy des avis de mise en recouvrement d'un montant de, respectivement, 260 524 FRF pour le laboratoire Choay, 661 796 FRF pour le laboratoire Millot Solac, et 635 422 FRF pour le laboratoire Clin Midy, correspondant à la déduction par ces derniers de la TVA afférente à des dépenses de réception exposées au profit de fournisseurs et de clients au cours des mois de novembre et décembre 1993.
24 Les réclamations introduites à l'encontre de ces avis de mise en recouvrement ayant été rejetées par décisions du directeur des services fiscaux du Val-de-Marne, Sanofi, venant aux droits et obligations des laboratoires Choay, Millot Solac et Clin Midy, a formé un recours contre ces décisions devant le tribunal administratif de Paris. À la suite de la création du tribunal administratif de Melun, l'affaire a été renvoyée devant cette juridiction, territorialement compétente.
25 Devant le tribunal administratif de Melun, Sanofi a soutenu notamment que la décision 89/487, sur laquelle est fondé l'article 236 de l'annexe II du code général des impôts, était invalide. Elle a avancé à cet égard cinq motifs d'invalidité dont quatre ont été écartés par le tribunal. Par son cinquième moyen, Sanofi a soutenu que la décision 89/487 violait le principe communautaire de proportionnalité.
Les questions préjudicielles
26 Dans l'affaire C-177/99, le tribunal administratif de Nantes a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:
«Considérant que la solution du litige est subordonnée au point de savoir si les dispositions de la décision du Conseil des Communautés européennes en date du 28 juillet 1989 autorisant le gouvernement français à déroger au gel instauré par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes en date du 17 mai 1977 et à étendre aux tiers les exclusions de déduction de taxe pour les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles sont conformes, d'une part, aux objectifs de la sixième directive et notamment à son article 27 qui spécifie que `le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales', et, d'autre part, au principe de proportionnalité entre l'objectif fiscal poursuivi et les moyens mis en oeuvre; que la réponse donnée à cette question, dont la solution n'est pas claire, permettra seule d'apprécier le bien-fondé des moyens de la requête».
27 Dans l'affaire C-181/99, le tribunal administratif de Melun a jugé que:
«... il est constant que l'autorisation temporaire d'exclure du droit à déduction la taxe ayant grevé la totalité des dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles supportées par un assujetti n'a pas été motivée par le constat d'une fraude ou d'une évasion fiscale systématique qu'auraient suscitées de telles dépenses mais par la présomption découlant de leur caractère mixte qui les fait se prêter aisément à de tels errements; que, si l'administration justifie néanmoins le bien-fondé de cette mesure d'exclusion systématique [du droit à déduction de la TVA ayant grevé lesdites dépenses] par la difficulté de la mise en place d'un dispositif efficace de contrôle du caractère professionnel desdites dépenses, la déduction de celles-ci des bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés ou l'impôt sur le revenu, qui est admise par les dispositions de l'article 39.5.b et f du code général des impôts, fait l'objet d'un tel contrôle, sur pièce ou sur place, par les services fiscaux sous le contrôle du juge de l'impôt, dont les modalités sont à l'évidence transposables, nonobstant la différence des conditions de déclaration et de collecte des impositions en cause; que l'objectif poursuivi pourrait également être atteint par une limitation forfaitaire du montant des déductions autorisées; qu'ainsi, et eu égard à la circonstance que cette mesure dérogatoire, de portée générale et absolue, fait obstacle à la déduction de la taxe ayant grevé des dépenses dont le caractère strictement professionnel ne serait pas contesté, il y a lieu de s'interroger sérieusement sur le caractère strictement nécessaire et proportionné aux objectifs poursuivis de la dérogation accordée à la République française par ... [la décision 89/487]».
28 En conséquence, il a décidé:
«... de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête tendant à la décharge des impositions litigieuses jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la validité, au regard du principe de proportionnalité, de la décision ... [89/487]».
29 Par ordonnance du président de la cinquième chambre du 18 novembre 1999, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.
Sur les questions préjudicielles
30 Par leurs questions préjudicielles, les deux juridictions de renvoi interrogent la Cour en substance sur la validité de la décision 89/487.
31 Avant d'examiner la validité de la décision 89/487, il convient d'en préciser la portée.
Sur la portée de la décision 89/487
32 Pour les demanderesses au principal, il ressort du libellé même de la décision 89/487, qui reproduit la demande de dérogation introduite par le gouvernement français, que la portée de la dérogation accordée est générale et vise l'ensemble des dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles, sans distinguer selon qu'elles ont été engagées au profit des dirigeants ou du personnel de l'entreprise ou en faveur des tiers à l'entreprise, ou selon qu'elles ont été engagées à des fins professionnelles ou pour satisfaire des besoins individuels. Par conséquent, si la Cour devait juger que la décision 89/487 est invalide, ce serait l'exclusion du droit à déduction de la TVA grevant ce type de dépenses qui deviendrait dans son ensemble inapplicable en France.
33 Pour le gouvernement français et la Commission, même si la décision 89/487, qui reproduit la demande de dérogation du gouvernement français, vise de manière générale les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles, sa portée est en réalité plus limitée et ne vise que les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles engagées au profit de tiers à l'entreprise. Cette interprétation restrictive serait fondée sur l'arrêt Alitalia, dans lequel le Conseil d'État n'a jugé l'article 25 du décret n_ 79-1163 contraire à l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive qu'en ce qu'il excluait du droit à déduction de la TVA les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles engagées au profit de tiers à l'entreprise.
34 Il convient de rappeler que, selon le principe fondamental inhérent au système de TVA et résultant des articles 2 des première et sixième directives, la TVA s'applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la TVA qui a grevé directement les opérations effectuées en amont (arrêt du 6 juillet 1995, BP Soupergaz, C-62/93, Rec. p. I-1883, point 16). Selon une jurisprudence constante, le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité. Il s'exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts BP Soupergaz, précité, point 18, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, non encore publié au Recueil, point 43). Toute limitation du droit à déduction de la TVA a une incidence sur le niveau de la charge fiscale et doit s'appliquer de manière similaire dans tous les États membres. En conséquence, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la directive (arrêt BP Soupergaz, précité, point 18).
35 C'est dans ce cadre que doit être appréciée la portée de la décision 89/487, adoptée sur le fondement de l'article 27 de la sixième directive, selon lequel un État membre peut être autorisé à introduire des mesures particulières dérogatoires à la sixième directive afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales.
36 Cette décision autorise la République française à déroger aux règles de la sixième directive en ce qui concerne le principe général du droit à déduction de la TVA énoncé à l'article 17 de ladite directive.
37 Dans la mesure où elle est fondée sur l'article 27 de la sixième directive, il y a lieu de considérer que la décision 89/487, nonobstant les termes généraux de la dérogation accordée à la République française, autorise cette dernière à introduire dans son ordre juridique national, en ce qui concerne les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles, des exclusions du droit à déduction de la TVA qui n'étaient pas prévues par sa législation au moment de l'entrée en vigueur de la sixième directive.
38 Une telle interprétation est fondée sur le libellé de l'article 27 de la sixième directive, qui utilise le terme «introduire» et doit être lu en combinaison avec l'article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la même directive, qui autorise le maintien par les États membres des exclusions du droit à déduction prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la sixième directive.
39 À cet égard, il y a lieu de relever que les exclusions du droit à déduction de la TVA existant préalablement à l'entrée en vigueur de la sixième directive ont ultérieurement été maintenues à l'identique dans le droit français, lequel a par ailleurs étendu l'exclusion du droit à déduction à certaines autres situations. Dans ces conditions, les dépenses qui étaient déjà exclues du droit à déduction de la TVA en application du décret n_ 67-604 doivent être considérées comme couvertes par la clause de «standstill» de l'article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la sixième directive.
40 La dérogation accordée par la décision 89/487 concerne donc en réalité, d'une part, les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles engagées au profit de tiers à l'entreprise, qui n'étaient pas visées par le décret n_ 67-604, et, d'autre part, celles des dépenses du même type engagées au profit des dirigeants ou du personnel de l'entreprise qui n'étaient pas couvertes par l'exclusion résultant du décret n_ 67-604. À ce sujet, il est utile de relever que le décret n_ 67-604 excluait du droit à déduction de la TVA les dépenses exposées pour assurer le logement des dirigeants ou du personnel de l'entreprise, sans distinguer selon qu'elles avaient été engagées à des fins professionnelles ou pour répondre à des besoins individuels, et les dépenses de réception, de restaurant et de spectacles exposées pour assurer la satisfaction des besoins individuels des dirigeants ou du personnel de l'entreprise.
41 La portée de la dérogation accordée par la décision 89/487 ayant été précisée, il convient d'examiner la question de la validité de cette décision au regard du principe de proportionnalité, ainsi que le demandent les juridictions de renvoi.
Sur la validité de la décision 89/487
42 À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité ayant été reconnu par une jurisprudence constante de la Cour comme faisant partie des principes généraux de droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1989, Schräder, 265/87, Rec. p. 2237, point 21), le contrôle de la validité des actes des institutions communautaires peut être effectué à l'aune de ce principe général du droit (arrêt du 15 avril 1997, Bakers of Nailsea, C-27/95, Rec. p. I-1847, point 17).
43 Pour ce faire, il convient d'examiner si les dispositions que contient la décision 89/487 sont nécessaires et appropriées à la réalisation de l'objectif spécifique qu'elles poursuivent et si elles affectent le moins possible les objectifs et les principes de la sixième directive.
44 Ampafrance et Sanofi, qui concluent à l'invalidité de la décision 89/487, soutiennent en premier lieu qu'elle recourt à des moyens disproportionnés pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales dans la mesure où elle introduit une exclusion générale et systématique du droit à déduction de la TVA, fondée sur la présomption d'un risque de fraude ou d'évasion fiscales découlant du caractère mixte (privé et professionnel) des dépenses concernées. Il serait, en effet, disproportionné d'exclure du droit à déduction certaines dépenses au nom de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales sans avoir à prouver qu'un risque de fraude ou d'évasion fiscales existe réellement et sans permettre à l'assujetti de démontrer l'absence de fraude ou d'évasion fiscales en établissant que les dépenses engagées l'ont bien été à des fins professionnelles.
45 Ampafrance ajoute que, conformément à l'arrêt du 29 mai 1997, Skripalle (C-63/96, Rec. p. I-2847, point 30), le Conseil ne pouvait autoriser l'introduction de dérogations nationales visant à la réalisation d'objectifs autres que ceux énumérés limitativement à l'article 27 de la sixième directive. Or, en demandant au Conseil l'autorisation de déroger aux règles de la sixième directive, les autorités françaises n'auraient pas cherché à lutter contre les risques de fraude et d'évasion fiscales, mais à mettre en place un mécanisme leur permettant de ne plus vérifier le caractère professionnel ou non de certaines dépenses.
46 Ampafrance et Sanofi soutiennent en deuxième lieu que la décision 89/487 est contraire au principe de proportionnalité parce que l'objectif qu'elle poursuit pourrait être atteint par d'autres moyens, moins attentatoires aux principes et objectifs de la sixième directive. Ainsi, il existerait en droit français d'autres mesures qui permettraient aux autorités fiscales de faire face efficacement au problème de la fraude et de l'évasion fiscales et qui seraient moins contraignantes pour les assujettis qu'une exclusion générale et systématique du droit à déduction de la TVA afférente aux dépenses litigieuses.
47 Les demanderesses au principal soulignent d'abord, à cet égard, qu'il existait déjà en droit français une disposition excluant la déductibilité de la TVA pour les dépenses engagées par des assujettis à des fins privées. L'article 230, paragraphe 1, de l'annexe II du code général des impôts prévoirait ainsi que la TVA ayant grevé les biens et les services que les assujettis acquièrent ou se livrent à eux-mêmes n'est déductible que si ces biens et services sont «nécessaires» à l'exploitation.
48 Ensuite, Ampafrance fait valoir qu'il existe en droit français un système de contrôle efficace des dépenses concernées, à savoir celui prévoyant l'obligation de produire un relevé détaillé des frais généraux (l'imprimé n_ 2067), joint à la déclaration annuelle de résultats. Ce relevé comprend cinq catégories de frais généraux, en ce compris les frais de restauration et de spectacles.
49 Enfin, les demanderesses au principal relèvent que, suivant les dispositions du droit français relatives à l'impôt sur les sociétés (article 39.1.1 du code général des impôts), les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles ayant un caractère professionnel peuvent être déduites du bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés, s'il est démontré qu'elles ont été engagées dans l'intérêt de l'entreprise. Il ressort du jugement de renvoi dans l'affaire C-181/99 que la déduction de telles dépenses des bénéfices imposables fait l'objet d'un contrôle de leur caractère professionnel, sur pièce ou sur place, par les services fiscaux sous le contrôle du juge de l'impôt.
50 En dernier lieu, selon Sanofi, il ressort du quatrième considérant de la décision 89/487 que l'autorisation accordée à la République française d'introduire des mesures dérogeant aux règles de la sixième directive relatives au droit à déduction de la TVA ne pouvait l'être qu'à titre temporaire et au plus tard jusqu'à la mise en vigueur des règles communautaires qui détermineront les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction. L'incapacité du Conseil à adopter les dispositions prévues à l'article 17, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive aurait fait perdurer cette situation provisoire, de telle manière que la dérogation serait inévitablement devenue disproportionnée par rapport au but qu'elle poursuivait.
51 Le gouvernement français, le Conseil et la Commission contestent ces arguments.
52 En premier lieu, pour le Conseil et le gouvernement français, la décision 89/487 se justifierait indépendamment de la constatation d'une intention ou de l'existence de fraude ou d'évasion fiscales systématiques. En effet, par leur nature même, les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles pourraient être utilisées comme moyen de fraude et d'évasion fiscales en raison du risque de consommation finale en franchise de taxe, difficilement contrôlable par l'administration dans la mesure où il serait peu aisé de déterminer si de telles dépenses ont été engagées pour satisfaire des besoins professionnels ou privés. Il serait pertinent à cet égard que l'article 17, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive dispose que les règles communautaires à adopter excluront en tout état de cause du droit à déduction de la TVA les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement et de représentation.
53 En deuxième lieu, pour le gouvernement français, le Conseil et la Commission, l'exclusion du droit à déduction de la TVA pour les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles ne serait pas un moyen disproportionné au regard de l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales défini à l'article 27 de la sixième directive dans la mesure où, en l'espèce, l'exclusion du droit à déduction aurait été expressément limitée aux situations dans lesquelles existent des risques réels de fraude et d'évasion fiscales, qui correspondent aux situations dans lesquelles il est impossible de déterminer la nature professionnelle ou privée des dépenses.
54 Le gouvernement français et la Commission font valoir, à ce sujet, que, dans leur demande de dérogation, les autorités françaises ont limité l'exclusion du droit à déduction de la TVA aux dépenses pour lesquelles existe un risque sérieux de fraude et d'évasion fiscales puisqu'elles ont demandé que l'autorisation d'exclusion du droit à déduction ne s'applique pas à trois situations, dans lesquelles pareil risque de fraude ou d'évasion fiscales n'existe pas. Le Conseil se fonde sur les mêmes arguments pour conclure que la décision 89/487, qui reproduit textuellement la demande du gouvernement français, satisfait aux exigences formulées par la Cour en matière de proportionnalité des moyens mis en oeuvre avec les objectifs poursuivis.
55 En dernier lieu, selon le Conseil et le gouvernement français, l'exclusion du droit à déduction de la TVA pour les dépenses visées par la décision 89/487 constitue un moyen nécessaire pour atteindre efficacement l'objectif poursuivi. Le Conseil reconnaît que d'autres mesures étaient envisageables, telle la limitation forfaitaire du montant des déductions autorisées. Cette mesure ne lui semble toutefois pas efficace, car elle pourrait soit avoir un impact minimal sur la situation des assujettis, dans le cas où le forfait serait fixé à un niveau très bas, soit ne pas atteindre l'objectif poursuivi, dans le cas inverse d'un forfait très élevé. Le gouvernement français, quant à lui, fait valoir que l'exclusion du droit à déduction de la TVA pour les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles est nécessaire pour atteindre l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, défini à l'article 27 de la sixième directive, dans la mesure où il n'existerait pas d'autres moyens satisfaisants permettant de vérifier la nature des dépenses en question.
56 Quant à l'argument selon lequel l'exclusion du droit à déduction serait justifiée par l'impossibilité de contrôler efficacement la nature professionnelle ou non des dépenses litigieuses et poursuivrait dès lors un objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, il convient de relever qu'il peut s'avérer difficile d'opérer une ventilation entre la partie privée et la partie professionnelle de dépenses telles que les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles, et ce même lorsqu'elles sont engagées dans le cadre du fonctionnement normal de l'entreprise. Il n'est pas contestable que puisse exister un risque de fraude ou d'évasion fiscales justifiant des mesures particulières du type de celles dont l'article 27 de la sixième directive permet l'introduction. Toutefois, ce risque n'existe pas lorsqu'il ressort de données objectives que les dépenses ont été engagées à des fins strictement professionnelles.
57 Pour cette raison, les arguments avancés par le gouvernement français, le Conseil et la Commission et rappelés aux points 53 et 54 du présent arrêt ne sauraient être retenus. En effet, force est de constater que, en dépit des trois exceptions à l'exclusion mentionnées à son article 1er, paragraphe 2, la décision 89/487 autorise la République française à refuser aux opérateurs économiques le droit de déduire la TVA grevant des dépenses dont ils peuvent démontrer le caractère strictement professionnel.
58 Il en résulte que l'application du système d'exclusion du droit à déduction qu'autorise la décision 89/487 peut conduire à l'interdiction de déduire la TVA afférente à des dépenses professionnelles des entreprises et donc à soumettre à la TVA certaines formes de consommation intermédiaire, ce qui est contraire au principe du droit à déduction de la TVA qui garantit la neutralité de cette taxe.
59 En ce qui concerne le caractère nécessaire de l'exclusion du droit à déduction qui a été demandée, il faut relever, d'une part, que la décision 89/487 n'indique pas les raisons pour lesquelles la dérogation demandée par le gouvernement français était nécessaire pour éviter certaines fraudes ou évasions fiscales.
60 D'autre part, il y a lieu de rappeler que, pour qu'un acte communautaire concernant le système de la TVA soit conforme au principe de proportionnalité, les dispositions qu'il contient doivent être nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique qu'il poursuit et affecter le moins possible les objectifs et les principes de la sixième directive.
61 Or une mesure consistant à exclure par principe l'ensemble des dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles du droit à déduction de la TVA, lequel constitue un principe fondamental du système de TVA mis en place par la sixième directive, alors que des moyens appropriés, moins attentatoires à ce principe qu'une exclusion du droit à déduction s'agissant de certaines dépenses, sont envisageables ou existent déjà dans l'ordre juridique national, n'apparaît pas nécessaire pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.
62 Sans qu'il appartienne à la Cour de se prononcer sur l'adéquation d'autres moyens de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales qui pourraient être envisagés, parmi lesquels la limitation forfaitaire du montant des déductions autorisées ou un contrôle calqué sur celui opéré dans le cadre de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, il y a lieu de préciser que, dans l'état actuel du droit communautaire, une législation nationale excluant du droit à déduction de la TVA les dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles sans qu'il soit possible à l'assujetti de démontrer l'absence de fraude ou d'évasion fiscales afin de bénéficier du droit à déduction ne constitue pas un moyen proportionné à l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales et affecte excessivement les objectifs et principes de la sixième directive.
63 En conséquence, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles des tribunaux administratifs de Nantes et de Melun que la décision 89/487 est invalide.
Sur la limitation dans le temps des effets de l'arrêt
64 Lors de l'audience, le gouvernement français a évoqué la possibilité pour la Cour, dans l'hypothèse où elle estimerait que la décision 89/487 est contraire au principe de proportionnalité, de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
65 À l'appui de cette demande, le gouvernement français a invoqué la protection de la confiance légitime qu'il pouvait nourrir à l'égard de la conformité au droit communautaire de la décision 89/487. Il observe à cet égard qu'il a respecté le cadre prescrit par l'article 27 de la sixième directive afin d'obtenir d'abord l'aval de la Commission, puis une décision du Conseil autorisant les autorités françaises à appliquer, à titre dérogatoire et dans l'attente de l'adoption du régime harmonisé concernant les exclusions du droit à déduction de la TVA, une exclusion du droit à déduction concernant les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles engagées au profit de tiers à l'entreprise. L'aval de la Commission et la décision du Conseil auraient fait naître, dans le chef du gouvernement français, des espoirs infondés quant à la conformité avec le droit communautaire de la décision 89/487.
66 Il convient de souligner que ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Cette limitation ne peut être admise, selon la jurisprudence constante de la Cour, que dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée. Pour décider s'il y a lieu ou non de limiter la portée d'un arrêt dans le temps, il faut prendre en considération le fait que, si les conséquences pratiques de toute décision juridictionnelle doivent être pesées avec soin, on ne saurait cependant aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé (arrêts du 2 février 1988, Blaizot, 24/86, Rec. p. 379, points 28 et 30, et du 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163/90, Rec. p. I-4625, point 30).
67 Pour ce qui est de la présente affaire préjudicielle, il convient de relever que le principe de la confiance légitime est invoqué pour la première fois par un gouvernement à l'appui d'une demande de limitation dans le temps des effets d'un arrêt. Ce principe, qui est le corollaire du principe de sécurité juridique (arrêts du 15 février 1996, Duff e.a., C-63/93, Rec. p. I-569, point 20, et du 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma, C-107/97, non encore publié au Recueil, point 66), est en règle générale invoqué par les particuliers (opérateurs économiques) se trouvant dans un état de confiance légitime créé par les pouvoirs publics (voir, par exemple, arrêt Duff e.a., précité, point 22 et la jurisprudence citée). Ainsi que l'a indiqué l'avocat général au point 83 de ses conclusions, le principe de la confiance légitime ne saurait être invoqué par un gouvernement pour échapper aux conséquences d'une décision de la Cour constatant l'invalidité d'un acte communautaire, car il remettrait en cause la possibilité pour les particuliers d'être protégés contre un comportement des pouvoirs publics qui aurait pour fondement des règles illégales.
68 En tout état de cause, même si, en l'espèce, la Commission et le Conseil ont avalisé la demande des autorités françaises de déroger aux règles de l'article 17 de la sixième directive pour des raisons de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, la jurisprudence de la Cour impose clairement au droit dérivé de respecter les principes généraux du droit communautaire et, notamment, le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 1977, Bela-Mühle, 114/76, Rec. p. 1211, point 7, et du 11 juin 1998, Grandes sources d'eaux minérales françaises, C-361/96, Rec. p. I-3495, point 30). En particulier, la Cour a déjà jugé qu'une mesure fondée sur l'article 27 de la sixième directive et visant à éviter des fraudes ou évasions fiscales ne pouvait déroger à un principe posé par la sixième directive que dans les limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 1984, Commission/Belgique, 324/82, Rec. p. 1861, point 29) et devait donc respecter le principe de proportionnalité.
69 En l'occurrence, les autorités françaises ont largement contribué à la détermination du contenu de la décision 89/487, laquelle reproduit littéralement les termes de leur demande de dérogation (points 9 et 10 de la lettre du 13 avril 1989), avec pour effet d'autoriser, en tant que mesure particulière destinée à éviter la fraude et l'évasion fiscales, l'exclusion du droit à déduction de la TVA acquittée en amont même lorsqu'il s'agit de dépenses dont le caractère strictement professionnel peut être démontré. Dans ces circonstances, les autorités françaises ne pouvaient ignorer que, de par son contenu, la décision 89/487 n'était pas conforme au principe de proportionnalité et, en conséquence, ne sauraient arguer de ce qu'elles pouvaient raisonnablement penser que ladite décision était valide.
70 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de limiter les effets du présent arrêt dans le temps.
Sur les dépens
71 Les frais exposés par le gouvernement français, par le Conseil et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre)
statuant sur les questions à elle soumises par les tribunaux administratifs de Melun, par jugement du 3 décembre 1998, et de Nantes, par jugement du 11 mai 1999, dit pour droit:
La décision 89/487/CEE du Conseil, du 28 juillet 1989, autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, est invalide.