Avis juridique important
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 15 janvier 2002. - Andersen og Jensen ApS contre Skatteministeriet. - Demande de décision préjudicielle: Vestre Landsret - Danemark. - Rapprochement des législations - Directive 90/434/CEE - Régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions - Apport d'actifs ou apport d'une branche d'activité - Notions. - Affaire C-43/00.
Recueil de jurisprudence 2002 page I-00379
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
1. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Interprétation sollicitée en raison de l'applicabilité, aux situations purement internes, des dispositions d'une directive transposées en droit national, résultant d'un alignement du traitement des situations internes sur celles régies par le droit communautaire - Compétence pour fournir cette interprétation
(Art. 234 CE)
2. Rapprochement des législations - Régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents - Directive 90/434 - Apport d'une branche d'activité - Notion - Transaction comportant le maintien dans le chef de la société apporteuse du produit d'un emprunt contracté par elle et le transfert à la société bénéficiaire de l'apport des obligations en résultant - Exclusion - Rétention par la société apporteuse d'un petit nombre d'actions d'une société tierce - Absence d'incidence
(Directive du Conseil 90/434, art. 2, c) et i))
3. Rapprochement des législations - Régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents - Directive 90/434 - Apport d'une branche d'activité - Exploitation autonome - Notion - Appréciation par le juge national
(Directive du Conseil 90/434, art. 2, i))
1. La Cour est compétente, au titre de l'article 234 CE, pour interpréter les dispositions d'une directive même lorsque celles-ci ne régissent pas directement la situation en cause au principal, mais que le législateur national a décidé, lors de la transposition en droit national des dispositions de la directive, d'appliquer le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la directive, en sorte qu'il a aligné sur le droit communautaire les normes régissant les situations purement internes.
En effet, lorsqu'une législation nationale se conforme pour les solutions qu'elle apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit communautaire afin, notamment, d'éviter l'apparition de discriminations à l'encontre des ressortissants nationaux ou d'éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d'interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s'appliquer.
( cf points 17-19 )
2. L'article 2, sous c) et i), de la directive 90/434, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, doit être interprété en ce sens qu'il n'y a pas apport d'actifs, sous forme d'apport d'une branche d'activité, au sens de cette directive lorsqu'une transaction prévoit le maintien, dans le chef de la société apporteuse, du produit d'un emprunt important contracté par cette dernière et le transfert à la société bénéficiaire de l'apport des obligations y afférentes. En effet, il est nécessaire, pour qu'un apport d'actifs soit visé par la directive, que les éléments d'actif et de passif afférents à une branche d'activité soient transférés dans leur globalité.
Il n'importe pas à cet égard que la société apporteuse conserve un petit nombre d'actions d'une société tierce, cette circonstance n'étant pas de nature à exclure un transfert d'une branche d'activité sans rapport avec cette participation.
( voir points 24-25, 28-29, disp. 1 )
3. La question de savoir si un apport d'actifs porte sur une exploitation autonome au sens de l'article 2, sous i), de la directive 90/434, à savoir un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens, doit être appréciée en premier lieu d'un point de vue fonctionnel - les actifs transférés doivent pouvoir fonctionner comme une entreprise autonome sans avoir besoin, à cet effet, d'investissements ou d'apports supplémentaires - et seulement en second lieu d'un point de vue financier, étant précisé que cette appréciation doit être laissée à la juridiction nationale, au vu des circonstances particulières de chaque espèce. Tel est, plus particulièrement, le cas lorsqu'un crédit d'exploitation, nécessaire aux besoins de trésorerie futurs de la société bénéficiaire de l'apport, doit être consenti à celle-ci par une institution financière moyennant mise en gage des actions représentant le capital social de cette société.
( voir points 35, 37-38, disp. 2 )
Dans l'affaire C-43/00,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Vestre Landsret (Danemark) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Andersen og Jensen ApS
et
Skatteministeriet,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2, sous c) et i), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents (JO L 225, p. 1),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. P. Jann (rapporteur), président de chambre, S. von Bahr, A. La Pergola, L. Sevón et C. W. A. Timmermans, juges,
avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Andersen og Jensen ApS, par Me M. Serup, advokat,
- pour le Skatteministeriet et le gouvernement danois, par M. J. Molde, en qualité d'agent, assisté de Me K. Lundgaard Hansen, advokat,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. H. P. Hartvig et Mme H. Michard, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales d'Andersen og Jensen ApS, du Skatteministeriet et du gouvernement danois ainsi que de la Commission à l'audience du 27 juin 2001,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 septembre 2001,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 9 février 2000, parvenue à la Cour le 14 février suivant, le Vestre Landsret a posé, en vertu de l'article 234 CE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 2, sous c) et i), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents (JO L 225, p. 1, ci-après la «directive»).
2 Les questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la société Andersen og Jensen ApS au Skatteministeriet (ministère des Contributions danois) à propos du traitement fiscal d'un apport d'actifs.
Le cadre juridique du litige au principal
La réglementation communautaire
3 La directive instaure un régime fiscal commun pour les opérations de fusions, de scissions, d'apports d'actifs et d'échanges d'actions entre les sociétés de différents États membres. Aux termes du quatrième considérant de la directive, ledit régime doit éviter une imposition à l'occasion de l'une de ces opérations, tout en sauvegardant les intérêts financiers de l'État de la société apporteuse ou acquise.
4 La directive prévoit à son article 2:
«Aux fins de l'application de la présente directive, on entend par
[...]
c) apport d'actifs: l'opération par laquelle une société apporte, sans être dissoute, l'ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l'apport;
[...]
i) branche d'activité: l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens.»
5 L'article 4, paragraphe 1, de la directive, qui s'applique également aux apports d'actifs en vertu de l'article 9 de celle-ci, prévoit:
«La fusion ou la scission n'entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par différence entre la valeur réelle des éléments d'actif et de passif transférés et leur valeur fiscale.
On entend par:
- valeur fiscale: la valeur qui aurait été retenue pour le calcul d'un profit ou d'une perte entrant en compte pour l'assiette d'un impôt frappant le revenu, les bénéfices ou les plus-values de la société apporteuse si ces éléments d'actif et de passif avaient été vendus lors de la fusion ou de la scission mais indépendamment d'une telle opération,
- éléments d'actif et de passif transférés: les éléments d'actif et de passif de la société apporteuse qui, par suite de la fusion ou de la scission, sont effectivement rattachés à l'établissement stable de la société bénéficiaire situé dans l'État membre de la société apporteuse et qui concourent à la formation des résultats pris en compte pour l'assiette des impôts.»
La réglementation nationale
6 La fusionsskattelov (loi danoise sur le régime fiscal applicable aux fusions, Lovbekendtgørelse 1996-11-05, n_ 954) prévoit à son article 15 c:
«1. En cas d'apport d'actifs, les sociétés peuvent être imposées selon les dispositions de l'article 15 d lorsque tant la société apporteuse que la société bénéficiaire de l'apport relèvent de la notion de société d'un État membre au sens de l'article 3 de la directive 90/434/CEE. Cette imposition présuppose toutefois une autorisation du Ligningsråd. Le Ligningsråd peut assortir cette autorisation de certaines conditions.
2. Par apport d'actifs, on entend l'opération par laquelle une société apporte, sans être dissoute, l'ensemble ou une ou plusieurs branches de son activité à une autre société, moyennant la remise de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l'apport. Par branche d'activité, on entend l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens.»
7 Les travaux préparatoires de la fusionsskattelov (Folketingstidende 1991/92, supplément A, colonnes 495 et 514) exposent notamment ce qui suit:
«Le projet de loi tend à introduire dans la législation fiscale danoise les modifications nécessaires pour mettre cette législation en accord avec la directive sur les fusions.
Le projet de loi tend également à la mise en oeuvre de règles correspondant aux règles de la directive sur les fusions en ce qui concerne les scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés ayant toutes leur siège au Danemark.
[...]
`L'apport d'actifs' est défini à l'article 15 c, paragraphe 2, comme à l'article 2, sous c), de la directive sur les fusions. Une branche d'activité est définie comme à l'article 2, sous i), de la directive sur les fusions.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la demanderesse au principal était à l'origine une société anonyme de droit danois dénommée Randers Sport A/S, qui exerçait une activité de distribution en gros et en détail d'équipements de sport. En 1996, en vue de réaliser une succession de générations, les actionnaires de la demanderesse au principal ont créé une nouvelle société, Randers Sport Nyt A/S, à qui l'activité de l'entreprise devait être transférée. Il ressort du dossier que le capital social de Randers Sport A/S s'élevait à 300 000 DKK et celui de Randers Sport Nyt A/S à 500 000 DKK. Dans la mesure où ces actionnaires souhaitaient que le capital propre existant soit, pour l'essentiel, préservé des charges qui pèseraient sur l'activité future et demeure dans la société demanderesse au principal, celle-ci a souscrit un emprunt d'un montant de 10 millions de DKK dont le produit devait lui rester, tandis que l'obligation financière correspondante devait être transférée à Randers Sport Nyt A/S. Il était également prévu que les besoins de trésorerie de Randers Sport Nyt A/S seraient couverts par une ligne de crédit consentie par un établissement financier qui, en garantie, demanderait un droit de gage sur l'ensemble des actions représentant le capital social de cette dernière société. Par ailleurs, il était prévu que la demanderesse au principal conserve un petit nombre d'actions d'une société tierce, qui se trouvait à l'époque en liquidation.
9 Par lettre du 6 juin 1996, la demanderesse au principal a sollicité du Ligningsråd, qui constitue la plus haute autorité administrative danoise dans une série de domaines ayant trait au droit fiscal, l'autorisation de procéder à l'apport d'actifs envisagé en bénéficiant de l'exemption fiscale prévue aux articles 15 c et 15 d de la fusionsskattelov.
10 Par lettre du 20 novembre 1996, le Ligningsråd a répondu que l'autorisation sollicitée serait soumise à deux conditions cumulatives:
- le produit de l'emprunt de 10 millions de DKK et la dette y afférente devaient soit demeurer globalement au sein de la société apporteuse, soit être transférés globalement à la société bénéficiaire de l'apport;
- ni la société apporteuse, ni les principaux actionnaires qui sont des personnes physiques, ni des tiers ne devaient constituer des sûretés - que ce soit sous forme de caution, de gage, de consignation ou à d'autres titres - au profit de la société bénéficiaire de l'apport.
11 Le 15 mars 1997, la demanderesse au principal a formé un recours devant le Vestre Landsret contre le Skatteministeriet en vue de faire contrôler la légalité des conditions imposées par le Ligningsråd.
12 Le Vestre Landsret est d'avis que, même si le litige au principal s'inscrit dans un contexte purement national, son issue dépend de l'interprétation de règles communautaires. À cet égard, il renvoie aux travaux préparatoires et au libellé des dispositions applicables de la fusionsskattelov, d'où il résulterait que le législateur danois a voulu que ces dispositions fassent l'objet d'une application uniforme pour les opérations nationales et pour celles intéressant plusieurs États membres. Se fondant sur l'arrêt du 17 juillet 1997, Leur-Bloem (C-28/95, Rec. p. I-4161), il est d'avis que, dans ces conditions, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel.
13 Le Vestre Landsret a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Les dispositions de la directive 90/434/CEE (la directive sur les fusions) doivent-elles être entendues en ce sens qu'il est contraire aux dispositions de ladite directive, notamment l'article 2, sous c) et i), que les autorités d'un État membre refusent de considérer qu'une mesure relève des dispositions de la directive concernant les apports d'actifs lorsque la transaction en cause implique que l'ensemble du patrimoine de la société apporteuse est transféré à une autre société (la société bénéficiaire de l'apport), à l'exception, d'une part, d'un petit paquet d'actions et, d'autre part, du capital d'un prêt contracté par la société faisant l'apport?
2) La première question appelle-t-elle une réponse différente si l'on admet que la société apporteuse a contracté le prêt dont il s'agit en vue de diminuer la valeur nette du patrimoine apporté à la société bénéficiaire de l'apport, étant entendu que le capital du prêt est destiné à rester au sein de la société apporteuse, alors que l'obligation afférente à la dette est destinée à être supportée par la société bénéficiaire de l'apport?
3) La première question et/ou la deuxième question appellent-elles une réponse différente si l'on admet que le prêt dont il s'agit a été contracté en vue de permettre aux anciens collaborateurs de l'entreprise, dans le cadre d'une succession de générations, de financer la souscription d'actions de la société bénéficiaire de l'apport?
4) Les dispositions de la directive sur les fusions, notamment l'article 2, sous i), doivent-elles être entendues en ce sens qu'il est contraire aux dispositions de cette directive de subordonner la reconnaissance du fait qu'une mesure relève des dispositions de la directive relatives à l'apport d'actifs à la condition que la société apporteuse, les principaux actionnaires personnes physiques, ou au reste des tiers, ne constituent pas de sûretés au profit de l'entreprise bénéficiaire de l'apport, sachant que les besoins de trésorerie futurs de la société bénéficiaire de l'apport doivent être financés par un crédit d'exploitation à consentir par un institut financier, qui entend prendre en gage les actions de la société bénéficiaire de l'apport?»
Sur la compétence de la Cour
14 Les gouvernements danois et néerlandais ainsi que la Commission sont d'avis que, conformément aux principes fixés dans l'arrêt Leur-Bloem, précité, la Cour devrait se déclarer compétente pour répondre aux questions préjudicielles. Même si la situation à l'origine de l'affaire au principal ne relève pas directement de la directive, le législateur danois aurait décidé, ainsi qu'il ressortirait des travaux préparatoires, d'appliquer le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la directive et il aurait, à cette fin, aligné sur le droit communautaire les normes régissant les situations purement internes.
15 À cet égard, il convient de rappeler à titre liminaire que, conformément à l'article 234 CE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation du traité ainsi que des actes pris par les institutions de la Communauté.
16 Or, il est constant que le litige au principal porte sur une disposition de droit national qui s'applique dans un contexte purement national.
17 Cependant, la juridiction de renvoi a indiqué que le législateur danois avait décidé, lors de la transposition en droit national des dispositions de la directive, d'appliquer le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la directive, en sorte qu'il avait aligné sur le droit communautaire les normes régissant les situations purement internes. La juridiction de renvoi ajoute que l'interprétation des notions d'«apport d'actifs» et de «branche d'activité», prises dans leur contexte communautaire, est nécessaire à la solution du litige qui lui est soumis, que ces notions figurent dans la directive, qu'elles ont été reprises dans la loi nationale la transposant et que leur application a été étendue aux situations purement internes.
18 Selon la jurisprudence de la Cour, lorsque, comme en l'espèce au principal, une législation nationale se conforme pour les solutions qu'elle apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit communautaire afin, notamment, d'éviter l'apparition de discriminations à l'encontre des ressortissants nationaux ou d'éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d'interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s'appliquer (arrêt Leur-Bloem, précité, point 32).
19 Il résulte des considérations qui précèdent que la Cour est compétente pour interpréter les dispositions de la directive même si celles-ci ne régissent pas directement la situation en cause au principal. Il convient donc de répondre aux questions posées par le Vestre Landsret.
Sur les première, deuxième et troisième questions
20 Par ses première, deuxième et troisième questions, qu'il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 2, sous c) et i), de la directive doit être interprété en ce sens qu'il y a apport d'actifs au sens de la directive lorsque, d'une part, une transaction prévoit le maintien, dans le chef de la société apporteuse, du produit d'un emprunt contracté par cette dernière et le transfert à la société bénéficiaire de l'apport des obligations y afférentes et que, d'autre part, la société apporteuse conserve un petit nombre d'actions d'une société tierce.
21 Selon la demanderesse au principal, il convient de répondre par l'affirmative. Il serait indiqué d'avoir égard essentiellement au caractère autonome de l'exploitation composée par les éléments d'actif et de passif apportés plutôt qu'à la nature exacte de ces éléments.
22 Les gouvernements danois et néerlandais ainsi que la Commission soutiennent au contraire que les dispositions pertinentes de la directive doivent être interprétées en ce sens qu'il ne peut y avoir de dissociation entre le produit d'un emprunt et l'obligation financière correspondante. L'interdiction d'une scission arbitraire entre ces deux éléments résulterait du libellé de l'article 2, sous c) et i), de la directive qui évoque, d'un côté, l'apport de l'ensemble des éléments d'actif et de passif afférents à une branche d'activité et, d'un autre côté, une contrepartie en titres représentatifs du capital social.
23 Le gouvernement danois renvoie par ailleurs au point 36 de l'arrêt Leur-Bloem, précité, dans lequel la Cour a jugé que les dispositions de la directive s'appliquent à toutes les opérations d'apport d'actifs, «sans considération de leurs motifs, qu'ils soient financiers, économiques ou purement fiscaux».
24 À cet égard, il ressort du libellé de l'article 2, sous c) et i), de la directive, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de celle-ci, qu'un apport d'actifs doit, pour être visé par la directive, porter sur l'ensemble des éléments d'actif et de passif afférents à une branche d'activité. Selon l'article 2, sous i), de la directive, seul un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens peut constituer une telle branche d'activité.
25 Ainsi que l'a exposé M. l'avocat général au point 22 de ses conclusions, le législateur communautaire a donc estimé nécessaire que les éléments d'actif et de passif afférents à une branche d'activité soient transférés dans leur globalité. Or, le maintien, dans le chef de la société apporteuse, du produit d'un emprunt important contracté par cette dernière et le transfert à la société bénéficiaire de l'apport des obligations en résultant entraînent une dissociation entre ces éléments.
26 En outre, il convient d'ajouter que, en l'espèce au principal, la société apporteuse et la société bénéficiaire de l'apport auraient obtenu le même résultat si celle-ci avait souscrit l'emprunt et, par la suite, acquis les actifs de la société apporteuse en contrepartie, d'une part, de ses propres actions et, d'autre part, du capital emprunté. Or, un tel transfert, qui serait effectué en partie au comptant, ne constituerait pas un apport d'actifs au sens de la directive.
27 Il résulte de ce qui précède que, en ce qui concerne l'opération d'emprunt en cause au principal, les exigences de l'article 2, sous c) et i), de la directive ne sont pas remplies.
28 Quant à la circonstance que la société apporteuse a conservé un petit nombre d'actions d'une société tierce, il suffit de constater, comme relevé au point 27 des conclusions de M. l'avocat général, qu'elle est de nature à exclure un transfert de l'ensemble des activités de la société apporteuse mais non un transfert d'une branche d'activité sans rapport avec cette participation.
29 Il convient donc de répondre aux première, deuxième et troisième questions que l'article 2, sous c) et i), de la directive doit être interprété en ce sens qu'il n'y a pas apport d'actifs au sens de la directive lorsqu'une transaction prévoit le maintien, dans le chef de la société apporteuse, du produit d'un emprunt important contracté par cette dernière et le transfert à la société bénéficiaire de l'apport des obligations y afférentes. Il n'importe pas à cet égard que la société apporteuse conserve un petit nombre d'actions d'une société tierce.
Sur la quatrième question
30 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 2, sous i), de la directive doit être interprété en ce sens qu'une exploitation autonome, à savoir un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens, peut également exister lorsque les besoins de trésorerie futurs de la société bénéficiaire de l'apport doivent être satisfaits par un crédit d'exploitation à consentir par une institution financière qui exige, notamment, que les actionnaires de la société bénéficiaire de l'apport remettent en garantie des actions représentant le capital social de cette société.
31 La demanderesse au principal ainsi que la Commission font valoir que l'article 2, sous i), de la directive ne permet pas de considérer qu'une opération échappe nécessairement au champ d'application de la directive lorsque les actionnaires de la société bénéficiaire de l'apport remettent en gage leurs actions représentant le capital social de ladite société pour garantir un crédit consenti à celle-ci.
32 La demanderesse au principal soutient que la condition relative au caractère autonome de l'exploitation faisant l'objet de l'apport impose uniquement que la société bénéficiaire de celui-ci dispose de capitaux propres et de possibilités d'emprunt lui permettant de subsister. Selon la demanderesse au principal, l'administration fiscale doit procéder à une appréciation globale de chaque cas d'espèce.
33 Les gouvernements danois et néerlandais sont également d'avis que la question de savoir si une société peut fonctionner par ses propres moyens doit être appréciée selon les circonstances particulières de la situation. En l'espèce au principal, vu l'existence d'une dette importante et le nantissement de l'ensemble des actions représentant le capital social de la société bénéficiaire de l'apport, il semblerait que celle-ci ne pourrait fonctionner de manière autonome, par ses propres moyens.
34 À cet égard, il convient de rappeler que l'article 2, sous i), de la directive définit la notion de branche d'activité comme «l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome».
35 Il en résulte que le fonctionnement autonome de l'exploitation doit être apprécié en premier lieu d'un point de vue fonctionnel - les actifs transférés doivent pouvoir fonctionner comme une entreprise autonome sans avoir besoin, à cet effet, d'investissements ou d'apports supplémentaires - et seulement en second lieu d'un point de vue financier. Le fait qu'une société bénéficiaire d'un apport recourt à un crédit bancaire dans les conditions normales du marché ne saurait en soi exclure que l'exploitation apportée a un caractère autonome, même lorsque le crédit est garanti par des actionnaires de la société bénéficiaire de l'apport qui affectent leurs actions dans cette société en garantie du crédit accordé.
36 Cependant, il peut en aller différemment lorsque la situation financière de la société bénéficiaire de l'apport, prise dans son ensemble, impose de constater qu'elle ne pourra fort probablement pas survivre par ses propres moyens. Tel peut être le cas lorsque les revenus de la société bénéficiaire de l'apport apparaissent insuffisants par rapport aux intérêts et aux amortissements des dettes reprises.
37 L'appréciation du caractère autonome d'une exploitation doit cependant être laissée à la juridiction nationale, au vu des circonstances particulières de chaque espèce.
38 Il convient donc de répondre à la quatrième question qu'il revient à la juridiction nationale d'apprécier si un apport d'actifs porte sur une exploitation autonome au sens de l'article 2, sous i), de la directive, à savoir un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens, lorsque les besoins de trésorerie futurs de la société bénéficiaire de l'apport doivent être satisfaits par un crédit d'exploitation à consentir par une institution financière qui exige, notamment, que les actionnaires de la société bénéficiaire de l'apport remettent en garantie des actions représentant le capital social de cette société.
Sur les dépens
39 Les frais exposés par les gouvernements danois et néerlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Vestre Landsret, par ordonnance du 9 février 2000, dit pour droit:
1) L'article 2, sous c) et i), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, doit être interprété en ce sens qu'il n'y a pas apport d'actifs au sens de cette directive lorsqu'une transaction prévoit le maintien, dans le chef de la société apporteuse, du produit d'un emprunt important contracté par cette dernière et le transfert à la société bénéficiaire de l'apport des obligations y afférentes. Il n'importe pas à cet égard que la société apporteuse conserve un petit nombre d'actions d'une société tierce.
2) Il revient à la juridiction nationale d'apprécier si un apport d'actifs porte sur une exploitation autonome au sens de l'article 2, sous i), de la directive 90/434, à savoir un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens, lorsque les besoins de trésorerie futurs de la société bénéficiaire de l'apport doivent être satisfaits par un crédit d'exploitation à consentir par une institution financière qui exige, notamment, que les actionnaires de la société bénéficiaire de l'apport remettent en garantie des actions représentant le capital social de cette société.