Avis juridique important
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 8 mai 2003. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement d'État - Sixième directive TVA - Article 12, paragraphe 3, sous a) et b) - Fournitures de gaz et d'électricité par les réseaux publics - Abonnement aux réseaux de distribution - Taux réduit. - Affaire C-384/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-04395
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Dans l'affaire C-384/01,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. E. Traversa et C. Giolito, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par MM. G. de Bergues et P. Boussaroque, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en appliquant un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée à la part fixe des prix des fournitures de gaz et d'électricité effectuées par les réseaux publics, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, paragraphe 3, sous a) et b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 96/95/CE du Conseil, du 20 décembre 1996, modifiant, en ce qui concerne le niveau du taux normal, la directive 77/388 (JO L 338, p. 89),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de M. M. Wathelet, président de chambre, MM. D. A. O. Edward (rapporteur), A. La Pergola, P. Jann et A. Rosas, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: M. R. Grass,
vu le rapport du juge rapporteur,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 octobre 2002,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 5 octobre 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en appliquant un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») à la part fixe des prix des fournitures de gaz et d'électricité effectuées par les réseaux publics, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12, paragraphe 3, sous a) et b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 96/95/CE du Conseil, du 20 décembre 1996, modifiant, en ce qui concerne le niveau du taux normal, la directive 77/388 (JO L 338, p. 89, ci-après la «sixième directive»).
Le cadre juridique
2 L'article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive prévoit:
«Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d'imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de service. À partir du 1er janvier 1997 et jusqu'au 31 décembre 1998, ce pourcentage ne peut être inférieur à 15 %.
[...]
Les États membres peuvent également appliquer soit un, soit deux taux réduits. Ces taux sont fixés à un pourcentage de la base d'imposition qui ne peut être inférieur à 5 % et ils s'appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de service visées à l'annexe H.»
3 L'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive dispose:
«Les États membres peuvent appliquer un taux réduit aux fournitures de gaz naturel et d'électricité, à condition qu'il n'en résulte aucun risque de distorsion de concurrence. Un État membre qui envisage d'appliquer un tel taux en informe la Commission au préalable. La Commission se prononce sur l'existence d'un risque de distorsion de concurrence. Si la Commission ne s'est pas prononcée dans les trois mois à partir de la réception de l'information, aucun risque de distorsion de concurrence n'est censé exister.»
4 L'article 29 de la loi n_ 98-1266, du 30 décembre 1998, portant loi de finances pour 1999 (JORF du 31 décembre 1998, p. 20050), a modifié l'article 279 du code général des impôts et inséré dans celui-ci la disposition suivante:
«La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5,50 % en ce qui concerne:
[$]
b decies. les abonnements relatifs aux livraisons d'électricité et de gaz combustible, distribués par réseaux publics».
5 Le gouvernement français applique donc un taux réduit de 5,50 % aux abonnements aux réseaux publics de distribution de gaz et d'électricité et un taux normal de 19,60 % pour la consommation de ces deux produits.
La procédure précontentieuse
6 Par courrier du 8 juillet 1998, le gouvernement français a communiqué à la Commission son intention d'appliquer, conformément à l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, un taux réduit aux abonnements aux réseaux de distribution de gaz et d'électricité.
7 La Commission a demandé aux autorités françaises, par lettre du 31 juillet 1998, de lui communiquer les modalités de mise en oeuvre de ce projet. Dans son courrier, elle faisait valoir que, «[d]ans la mesure où l'abonnement constitue la contrepartie de la fourniture d'énergie, le taux réduit est applicable. En revanche, si cette même contrepartie représente, totalement ou partiellement, une prestation d'une autre nature, telle que, par exemple, la location du compteur, l'entretien du réseau, etc., le taux réduit ne peut s'appliquer que sur la partie directement afférente à la fourniture d'énergie».
8 Le 7 septembre 1998, les autorités françaises ont adressé une lettre à la Commission rédigée dans les termes suivants:
«Monsieur le Commissaire,
Dans le courrier que vous nous avez adressé le 31 juillet 1998, vous précisez que, conformément à l'article 12, paragraphe 3-b, de la sixième directive, le taux réduit de TVA pourrait s'appliquer à l'abonnement aux réseaux de distribution de gaz et d'électricité à condition que celui-ci constitue la contrepartie de la fourniture d'énergie.
Tel est le cas en France. En effet, la facturation des consommations de gaz et d'électricité selon un tarif qui comprend une part fixe (l'abonnement) et une part variable a pour objectif de différencier le prix de l'énergie consommée en fonction du volume et des modes de consommation.
Le coût de l'énergie fournie aux utilisateurs varie en fonction des puissances de consommation souscrites: plus la quantité d'énergie consommée est forte, plus les outils de production et de distribution sollicités pour satisfaire cette demande doivent être importants.
Dès lors, la ventilation du prix entre une part fixe et une part variable permet d'établir trois tarifs selon que l'utilisateur est un usager domestique, un usager du secteur commercial ou de la petite industrie ou un usager industriel.
Il en résulte que l'abonnement n'est pas la rémunération d'une prestation spécifique, mais la contrepartie de la fourniture de gaz et d'électricité. Le fait que les coûts fixes supportés pour la production effective représentent plus de la moitié des charges exposées par l'opérateur alors que l'abonnement ne représente qu'environ 27 % des montants facturés aux usagers souligne que l'amortissement des coûts fixes est inclus aussi bien dans le prix de l'abonnement que dans la part variable du prix acquitté par le consommateur.»
9 Le 7 décembre 1998, la Commission a adressé une lettre aux autorités françaises libellée comme suit:
«Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d'État,
Je vous remercie pour votre lettre du 7 septembre dernier, en réponse à mon courrier du 31 juillet, dans laquelle vous m'apportez des précisions sur les modalités de mise en oeuvre de l'application du taux réduit de TVA aux abonnements de gaz et d'électricité.
Conformément aux dispositions de l'article 12, paragraphe 3-b), de la sixième directive TVA, le taux réduit de TVA peut s'appliquer aux fournitures de gaz et d'électricité sous certaines conditions.
Vous indiquez que l'abonnement n'est pas la rémunération d'une prestation spécifique mais la contrepartie de la fourniture de gaz et d'électricité. Or la Commission s'interroge sur la réalisation de cette condition dans la mesure où la part fixe du prix de l'énergie que constitue l'abonnement ne comprend aucune consommation effective d'énergie. Je vous saurai donc gré de bien vouloir lui communiquer des précisions sur ce point afin de lui permettre de prendre une décision sur la mesure envisagée.
Par ailleurs, il me semble que la réflexion devrait porter également sur la disposition de l'article 12, paragraphe 3-a).
En ce qui concerne le délai d'examen de trois mois dont dispose la Commission en vertu de l'article 12, paragraphe 3-b), pour examiner la demande, je vous rappelle que celui-ci, déjà interrompu par la précédente demande d'informations de la Commission du 31 juillet dernier, se trouve à nouveau interrompu par la présente demande. Il redémarrera à la réception de votre réponse.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire d'État, l'expression de mes sentiments les meilleurs.»
10 Les autorités françaises n'ont pas répondu à cette lettre du 7 décembre 1998. Toutefois, le 30 décembre 1998, le Parlement français a adopté la loi n_ 98-1266, dont l'article 29 a modifié l'article 279 du code général des impôts en prévoyant l'application d'un taux de TVA de 5,50 % aux abonnements relatifs aux livraisons d'électricité et de gaz.
11 Le 22 octobre 1999, estimant que la République française avait adopté ledit article 29 en méconnaissance de l'article 12, paragraphe 3, sous a) et b), de la sixième directive, la Commission a envoyé à cet État membre une lettre de mise en demeure, l'invitant à présenter ses observations dans un délai de deux mois.
12 En l'absence de réponse de la part des autorités françaises, la Commission a, le 13 juin 2000, émis un avis motivé reprenant les termes de la lettre de mise en demeure et invitant la République française à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
13 Le 7 août 2000, les autorités françaises ont répondu audit avis motivé en contestant la position de la Commission et cette dernière a alors décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
14 Par son recours, la Commission reproche à la République française d'avoir mis en vigueur un taux réduit de la TVA pour l'abonnement aux réseaux d'énergie et un taux normal pour la consommation d'énergie, en méconnaissance des dispositions de l'article 12, paragraphe 3, sous a) et b), de la sixième directive.
15 Le recours pose essentiellement trois questions.
16 Premièrement, la Commission a des doutes quant à la qualification des «abonnements relatifs aux livraisons d'électricité et de gaz combustible, distribués par les réseaux publics» comme «fournitures de gaz naturel et d'électricité» au sens de l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. En effet, elle s'interroge sur la question de savoir si l'abonnement ne devrait pas plutôt être qualifié de contrepartie d'une «prestation spécifique représentative de coûts fixes distincte de la fourniture d'énergie».
17 Deuxièmement, selon la Commission, même s'il s'agit d'une fourniture, le même taux doit s'appliquer à l'abonnement et à toute autre consommation d'électricité, conformément au principe de neutralité.
18 Troisièmement, en adoptant la disposition litigieuse, la République française aurait méconnu la procédure prévue à l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive. Il convient d'examiner successivement ces griefs.
Sur la qualification de l'abonnement comme «fourniture»
19 Il convient de rappeler que, comme indiqué aux points 7 à 9 du présent arrêt, la Commission avait initialement accepté que, «[d]ans la mesure où l'abonnement constitue la contrepartie de la fourniture d'énergie, le taux réduit est applicable». Les autorités françaises ont précisé que l'abonnement était, en effet, «la contrepartie de la fourniture de gaz et d'électricité». Dans sa lettre du 7 décembre 1998, la Commission s'est bornée à s'interroger sur cette qualification «dans la mesure où la part fixe du prix de l'énergie que constitue l'abonnement ne comprend aucune consommation effective d'énergie».
20 Devant la Cour, la Commission n'a apporté aucun argument permettant de conclure que l'abonnement ne saurait en aucun cas être considéré comme fourniture et devrait donc être considéré comme prestation de services. Elle n'a, à cet égard, émis que des doutes, des hypothèses ou des interrogations.
Sur le principe de neutralité
21 La Commission considère que, si l'abonnement est considéré comme une fourniture, l'application d'un taux réduit de la TVA à l'abonnement aux réseaux d'énergie et d'un taux normal à toute autre fourniture d'énergie romprait avec le principe de neutralité inhérent à la sixième directive.
22 À cet égard, il convient de relever que l'article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive présuppose que le même taux de TVA, le taux normal, est applicable aux livraisons de biens et aux prestations de service.
23 Cette même disposition prévoit ensuite que soit un, soit deux taux réduits peuvent être appliqués, et ce uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de service visées à l'annexe H.
24 L'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive autorise l'application d'un taux réduit aux fournitures de gaz naturel et d'électricité.
25 La Cour a déjà affirmé que l'introduction et le maintien de taux réduits de TVA inférieurs au taux normal fixé à l'article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive ne sont admissibles que s'ils ne méconnaissent pas le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, lequel s'oppose à ce que des marchandises semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 3 mai 2001, Commission/France, C-481/98, Rec. p. I-3369, points 21 et 22).
26 Or, la Commission n'a fourni aucun élément permettant de conclure que ledit principe serait, en l'espèce, enfreint par l'application sélective du taux réduit de la TVA à un seul aspect de la fourniture de gaz et d'électricité.
27 En tout état de cause, rien dans le texte de l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive n'impose que cette disposition soit interprétée comme exigeant que le taux réduit ne s'applique que s'il vise toutes les fournitures de gaz naturel et d'électricité. Il est vrai que le texte français de cette disposition utilise l'article défini «aux» devant le terme «fournitures», mais une comparaison des différentes versions linguistiques, dont certaines n'utilisent pas l'article défini, plaide pour une interprétation selon laquelle une application sélective du taux réduit ne saurait être exclue, à condition qu'elle n'entraîne aucun risque de distorsion de concurrence.
28 Par ailleurs, le taux réduit étant l'exception, la limitation de son application à des aspects concrets et spécifiques, tels que l'abonnement donnant droit à une quantité minimale d'électricité pour les abonnés, est cohérente avec le principe selon lequel les exemptions ou dérogations doivent être interprétées restrictivement.
29 Il y a donc lieu de conclure que la Commission n'a pas démontré que l'application d'un taux réduit au seul abonnement donnant droit à une fourniture minimale d'énergie exige nécessairement l'application du même taux réduit à toute autre fourniture d'énergie.
30 En ce qui concerne la condition selon laquelle l'application d'un taux réduit n'entraîne aucun risque de distorsion de concurrence, cette condition sera examinée dans le cadre de l'analyse de la question concernant la procédure prévue à l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive.
Sur la procédure prévue à l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive
31 La Commission considère que, pour mettre en vigueur le taux réduit de la TVA applicable aux abonnements, les autorités françaises auraient dû attendre l'aboutissement de la procédure prévue à l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive.
32 Selon cette disposition, un État membre qui envisage d'appliquer un taux réduit doit en informer la Commission au préalable. Si la Commission ne se prononce pas sur l'existence d'un risque de distorsion de concurrence dans les trois mois à partir de la réception de cette information, aucun risque de distorsion n'est censé exister.
33 Cette disposition ne prévoit aucune possibilité d'extension ou de suspension du délai de trois mois.
34 Même en supposant que la Commission puisse interrompre le délai de trois mois en demandant des renseignements complémentaires, dans la présente affaire la Commission a attendu jusqu'au dernier moment, soit deux jours avant l'expiration du délai qu'elle s'était accordé, pour répondre à la lettre des autorités françaises du 7 septembre 1998.
35 Or, en l'espèce, dans sa lettre du 7 décembre 1998, la Commission ne pose aux autorités françaises aucune question concrète et ne sollicite aucune information particulière concernant un éventuel risque de distorsion de concurrence. Elle ne se prononce pas non plus sur la qualification des faits à cet égard.
36 Dans ces conditions, la Commission n'ayant constaté, dans le délai de trois mois qui lui est imparti par l'article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, aucun risque de distorsion de concurrence, l'application du taux réduit est réputée ne produire aucun risque de ce type.
37 Partant, il ne saurait être reproché aux autorités françaises d'avoir procédé à la mise en oeuvre des mesures envisagées.
38 La Commission ayant succombé en ses trois griefs, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
39 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République française ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.