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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme CHRISTINE Stix-Hackl

présentées le 8 septembre 2005 (1)





Table des matières

I –   Introduction

II – Les faits et la législation nationale

III – La procédure devant la Commission des Communautés européennes et la décision attaquée

IV – Sur le recours

A –   Remarques préalables sur les moyens de recours

B –   Sur le moyen général tiré de la prise en compte insuffisante des finalités et du caractère des mesures litigieuses (premier moyen)

1.     Principaux arguments du gouvernement italien

2.     Appréciation

C –   Sur le grief fait à la Commission d’avoir qualifié à tort et en violant son obligation de motivation les mesures litigieuses d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (deuxième moyen)

1.     Sur le caractère erroné de la décision attaquée quant à la question de savoir si les mesures litigieuses accordent un avantage sélectif au moyen de ressources d’État

a)     Principaux arguments du gouvernement italien

b)     Appréciation

2.     La question de la distorsion de concurrence et de l’incidence des mesures litigieuses sur les échanges entre États membres

a)     Principaux arguments du gouvernement italien

b)     Appréciation

3.     Sur le défaut de motivation tiré de l’absence d’appréciation distincte des mesures litigieuses au titre de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 87, paragraphe 3, CE ainsi que d’une appréciation trop globale des mesures litigieuses

a)     Principaux arguments du gouvernement italien

b)     Appréciation

D –   Sur la violation de l’article 87, paragraphe 3, CE et de l’obligation de motivation à propos de la question de la compatibilité avec le marché commun (troisième moyen)

1.     Principaux arguments du gouvernement italien

2.     Appréciation

V –   Dépens

VI – Conclusion

Affaire C-66/02

République italienne

contre

Commission des Communautés européennes

«Recours en annulation – Aides d’État – Article 87 CE – Décision 2002/581/CE – Avantages fiscaux octroyés aux banques»

I –    Introduction

1.     Par requête introduite déposée au greffe de la Cour le 21 février 2002, la République italienne a, en application de l’article 230, paragraphe 1, CE, demandé l’annulation de la décision 2002/581/CE de la Commission, du 11 décembre 2001, relative au régime d’aides d’État mis en œuvre par l’Italie en faveur des banques (2).

II – Les faits et la législation nationale

2.     Jusqu’aux années 80, le secteur bancaire italien était en partie détenu par l’État et était généralement caractérisé par une influence publique ainsi que par la spécialisation et la régionalisation. Au début des années 80, les autorités italiennes ont engagé un processus de privatisation des banques, qui devait par ailleurs entraîner une augmentation moyenne de la taille de celles-ci et mettre fin à leur spécialisation. En votant la loi n° 218/90, du 30 juillet 1990 (ci-après la «loi Amato»), le gouvernement italien a adopté des mesures fondamentales en vue d’une privatisation progressive du secteur bancaire.

3.     Les banques qui étaient détenues par l’État ont ainsi pu être transformées en sociétés anonymes et y ont été contraintes en 1993. Leurs actions ont été placées sur le marché ou ont été cédées à des organismes sans but lucratif dénommés «fondations bancaires». Ces dernières opérations ont débouché sur la scission suivante: les banques nouvellement créées (ci-après, de façon générale, les «banques») ont repris les opérations bancaires, tandis que les fondations bancaires possédaient et géraient les actions des banques tout en les contrôlant. Certaines dispositions fiscales contenues dans la loi Amato permettaient aux fondations bancaires de céder aux banques des biens et d’autres avoirs non indispensables à la réalisation de l’objet social.

4.     À la fin des années 90, le gouvernement italien a adopté de nouvelles mesures pour encourager la restructuration et la consolidation du secteur bancaire. La loi nº 461/98, du 23 décembre 1998 (ci-après la «loi Ciampi») a habilité ce gouvernement à arrêter notamment des dispositions fiscales pour faciliter la rétrocession des banques aux fondations bancaires des biens et d’autres avoirs non indispensables à la réalisation de l’objet social et la restructuration du secteur bancaire par des fusions entre banques ou d’autres mesures de restructuration.

5.     La loi Ciampi a été mise à exécution par le décret législatif nº 153/99, du 17 mai 1999 (ci-après le «décret nº 153/99»), qui institue des mesures fiscales particulières pour certaines opérations de restructuration et de rétrocession.

6.     Le point 5, sous-points 1 à 5, des motifs de la décision attaquée décrit en bref comme suit les mesures fiscales introduites (ci-après les «mesures litigieuses») par la loi Ciampi et le décret nº 153/99 (ci-après le «régime d’aides litigieux»):

«1)      [L]a réduction à 12,5 % du taux d’impôt sur le revenu (IRPEG) pour les banques qui entreprennent une fusion ou une restructuration semblable, pendant cinq périodes d’imposition consécutives, à condition que les bénéfices soient affectés à une réserve spéciale soumise à une contrainte de non-répartition pendant une période de trois ans. Les bénéfices qui peuvent être affectés à la réserve spéciale ne peuvent dépasser 1,2 % de la différence entre la somme totale des crédits et des débits des banques qui ont participé à la fusion et l’agrégat analogue de la plus grande banque qui a participé à cette opération (article 22, paragraphe 1, et article 23, paragraphe 1, du décret n° 153/99);

2)      la neutralité fiscale pour les opérations de rétrocession à l’organisme apporteur des biens et d’autres avoirs non indispensables à la réalisation de l’objet social, transférés précédemment aux banques conformément à la loi nº 218 du 30 juillet 1990 (article 16, troisième alinéa, du décret n° 153/99);

3)      l’application d’une taxe fixe au lieu des impôts dus en relation avec les opérations visées aux points 1 et 2 (article 24, paragraphe 1, et article 16, paragraphe 5, du décret nº 153/99);

4)      la neutralité fiscale, aux fins de l’impôt communal sur les plus-values immobilières, en relation avec les opérations visées aux points 1 et 2 (article 24, paragraphe 1, et article 16, paragraphe 5, du décret nº 153/99);

5)      l’exonération d’impôt pour le transfert des participations au capital de la Banca d’Italia détenues par les sociétés bénéficiaires des apports aux fondations bancaires (article 27, paragraphe 2, du décret nº 153/99).»

7.     Les mesures litigieuses s’appliquent aux opérations réalisées durant les années 1998 à 2004.

III – La procédure devant la Commission des Communautés européennes et la décision attaquée

8.     À l’occasion d’une question parlementaire à ce sujet, la Commission a entamé une enquête préliminaire en mars 1999 au sujet du régime d’aides litigieux. Au cours de la procédure, elle a informé les autorités italiennes, par lettre du 23 mars 2000, que la loi Ciampi et le décret nº 153/99 pourraient comporter des éléments d’aides et elle leur a demandé de ne plus appliquer provisoirement les mesures litigieuses. Les autorités italiennes ont indiqué à la Commission, par lettre du 12 avril 2000, qu’elles avaient suspendu l’application de ces mesures, de sorte que les avantages fiscaux n’avaient pu être attribués que durant les années 1998, 1999 et 2000.

9.     Par lettre du 25 octobre 2000, la Commission a notifié au gouvernement italien sa décision d’ouvrir une procédure en matière d’aides d’État.

10.   Le 11 décembre 2001, la Commission a adopté la décision attaquée, dans laquelle elle a constaté que les mesures litigieuses en faveur des banques, à l’exclusion de la mesure visée au point 5, sous-point 5, des motifs de cette décision, constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché commun (articles 1er et 2 de la décision). La Commission a par ailleurs enjoint au gouvernement italien de supprimer le régime d’aides litigieux (article 3 de la décision), de récupérer les aides accordées par ce régime d’aides, à majorer des intérêts (article 4 de la décision), et de l’informer dans les deux mois de la notification de la décision des mesures prises pour s’y conformer (article 5 de la décision).

IV – Sur le recours

A –    Remarques préalables sur les moyens de recours

11.   Le gouvernement italien invoque dans sa requête des violations de l’obligation de motivation et des articles 87, paragraphe 1, CE, 253 CE et 87, paragraphe 3, sous b et c, CE. La Commission a systématiquement contesté le bien-fondé de ces moyens du recours.

12.   Pour fonder son recours, le gouvernement italien fait d’abord valoir, dans un moyen plus général, que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte ou a ignoré dans la décision attaquée les finalités et caractéristiques des mesures litigieuses, ainsi que la continuité de la ratio legis des lois Amato et Ciampi, méconnaissant ainsi en particulier son obligation de motivation sous l’angle de l’appréciation de l’encouragement de la concurrence.

13.   Dans un deuxième moyen du recours, composé de plusieurs branches, le gouvernement italien soutient que les mesures litigieuses ont été qualifiées à tort d’«aides» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

14.   Dans un troisième moyen du recours, le gouvernement italien fait valoir que la Commission a violé les articles 87, paragraphe 3, CE et 253 CE en ce que, se fondant sur une motivation erronée en droit et contradictoire, elle n’a pas déclaré que les mesures litigieuses étaient «des aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun» ou des «aides destinées à faciliter le développement de certaines activités» au sens de ces dispositions et qu’elles étaient donc compatibles avec le marché commun.

15.   Le gouvernement italien a par ailleurs évoqué une violation de ses droits de la défense dans son mémoire en réplique. Il reproche à la Commission, dans ce mémoire, de n’avoir contesté l’imposition indirecte des banques privatisées que dans la décision attaquée – et non déjà durant la procédure préalable –, de sorte que ni lui ni les bénéficiaires des aides alléguées n’auraient eu l’occasion de faire valoir leurs droits de la défense à ce propos.

16.   Il faut constater au sujet de ce grief que, selon l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, la production de nouveaux moyens en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure (3).

17.   Étant donné, en effet, que le gouvernement italien a uniquement évoqué pour la première fois la violation de ses droits de la défense dans son mémoire en réplique et que ce moyen n’est pas fondé sur des éléments qui se sont révélés pendant la procédure, il s’ensuit que, comme le déclare à juste titre la Commission, ce moyen est irrecevable et ne doit donc pas être examiné sur le fond par la suite.

B –    Sur le moyen général tiré de la prise en compte insuffisante des finalités et du caractère des mesures litigieuses (premier moyen)

1.      Principaux arguments du gouvernement italien

18.   Le gouvernement italien prétend que la Commission s’est trompée sur le rôle important des mesures litigieuses dans le cadre de la réforme du secteur bancaire italien et qu’elle a mal compris les liens existant entre la loi Amato et la loi Ciampi. Les mesures litigieuses seraient en effet une étape nécessaire dans l’achèvement de la privatisation et de la restructuration du secteur en cause engagées par la loi Amato et seraient conformes aux objectifs d’intégration et de concurrence. Les mesures fiscales contenues dans la loi Amato n’auraient pas pleinement déployé les effets souhaités, par exemple en matière de segmentation du marché, qui persiste dans une large mesure. La loi Ciampi et le décret d’exécution nº 153/99, lequel comprend les mesures litigieuses, auraient par conséquent été nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par la loi Amato. La Commission commet donc aussi une erreur lorsqu’elle considère que la privatisation s’est achevée en 1992. Elle a méconnu son obligation de motivation parce qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte de la nature exceptionnelle de ces mesures comme composante de la réforme du secteur bancaire. Elle n’a donc pas apprécié à suffisance la question de savoir si lesdites mesures affectent effectivement la concurrence dans le secteur bancaire ou si, comme le soutient la requérante, elles lui sont profitables.

2.      Appréciation

19.   Il faut tout d’abord rappeler que l’article 87, paragraphe 1, CE définit les aides d’État régies par le traité CE comme étant les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres.

20.   D’après une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure comme étant une aide requiert que les conditions suivantes soient remplies de façon cumulative: i) la mesure doit accorder un avantage unilatéral à certaines entreprises ou à certaines productions; ii) l’avantage doit être accordé directement ou indirectement par des ressources d’État; iii) la mesure doit fausser ou menacer de fausser la concurrence; iv) elle doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres (4).

21.   La nature des objectifs poursuivis par des mesures d’État et leur justification n’interviennent en revanche pas pour leur qualification d’aide. Selon une jurisprudence constante, l’article 87 CE ne distingue «pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets» (5).

22.   Le «caractère» d’une mesure en tant que tel ne permet pas non plus de déduire si celle-ci remplit les conditions d’une aide ou non. Ainsi, la Cour a, par exemple, jugé de façon constante à propos de régimes de sécurité sociale que «le caractère social des interventions étatiques» ne suffit pas à les faire échapper d’emblée à la qualification d’«aides» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (6).

23.   Il est par ailleurs difficile aussi d’établir sans ambiguïté et de façon générale la finalité précise de réglementations fiscales. Comme le révèlent notamment les arguments avancés par le gouvernement italien dans sa requête, on peut en revanche identifier différents objectifs selon le point de vue d’après lequel on examine une réglementation. Ainsi, les mesures litigieuses peuvent certes avoir un lien plus ou moins étroit avec le projet de privatisation, mais ce gouvernement a par ailleurs déclaré que ces mesures devaient inciter à réaliser des opérations de fusion ou de rétrocession, ce qui devait accroître la rentabilité ou la capitalisation des banques en cause et la compétitivité du secteur bancaire. Il a déclaré dans un autre passage de sa requête que les mesures litigieuses devaient compenser la pression fiscale plus élevée que le secteur bancaire devait supporter par rapport à d’autres secteurs économiques.

24.   Les déclarations du gouvernement italien, selon lesquelles la mesures litigieuses ont été adoptées pour des considérations comme la privatisation et la stimulation de la concurrence ou conformément aux intérêts de l’unification européenne ne sont en toute hypothèse pas susceptibles, d’après la jurisprudence que nous avons évoquée aux points 21 et 22 des présentes conclusions, de les faire échapper à la qualification d’«aide» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE conformément aux critères énumérés au point 20 de celles-ci. Il appartient en tout cas à la Commission de procéder à une mise en balance plus poussée avec les intérêts politiques et économiques, tels que le gouvernement italien les a énumérés, et à une appréciation correspondante de la justification d’une aide dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont elle dispose pour l’autoriser en vertu de l’article 87, paragraphe 3, CE (7).

25.   Par ailleurs, on ne peut en ce sens contester toute pertinence ou qualité d’indice aux arguments relatifs à l’objectif et à la portée d’une mesure, notamment pour l’apprécier au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE lorsqu’ils peuvent apporter des éclaircissements sur la façon dont une mesure produit ses effets et jouer ainsi un rôle dans la vérification de l’existence des différentes caractéristiques de la notion d’aides «liées à ses effets» qui sont énumérés au point 20 des présentes conclusions (8).

26.   Toutefois, même compris de la sorte, l’argument avancé à plusieurs reprises, selon lequel les mesures litigieuses stimuleraient en fin de compte la concurrence ou rendraient les banques compétitives du fait de leur restructuration et de leur renforcement ne change rien au fait que ces mesures sont des aides.

27.   Les règles applicables en matière d’aides constituent en effet un instrument dans le cadre du système prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, «assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché». Il faudrait précisément voir une telle distorsion dans le fait qu’un État membre renforce certaines entreprises ou productions en termes de compétitivité, «stimulant» ainsi la concurrence par exemple par rapport aux entreprises ou productions de même nature dans le marché intérieur. La «stimulation» de la concurrence ou un plus de concurrence n’est en effet pas antinomique par rapport à des «distorsions de concurrence» auxquelles se réfèrent les règles communautaires en matière d’aides. La Cour a aussi jugé de façon constante en ce sens «que la circonstance qu’un État membre cherche à rapprocher, par des mesures unilatérales, les conditions de concurrence d’un certain secteur économique à celles prévalant dans d’autres États membres ne saurait enlever à ces mesures le caractère d’aides» (9).

28.   S’agissant, ensuite, de l’argumentation du gouvernement italien sur la continuité des objectifs des lois Amato et Ciampi, elle est manifestement fondée sur la circonstance que le régime d’aides litigieux ne devrait précisément pas être qualifié d’aide parce que la Commission l’a déjà examiné sur la base de la loi Amato et ne l’a pas contesté.

29.   Il faut souligner à ce propos que la qualification d’une mesure étatique d’«aide» au sens de l’article 87 CE conformément aux éléments constitutifs visés dans cette disposition dépend d’une série de facteurs et exige une analyse précise au cas par cas des caractéristiques techniques et juridiques de ces mesures ainsi que de leur contexte économique (10). C’est précisément parce que les règles en matière d’aides doivent s’insérer dans la réalité économique, comme le déclare à juste titre le gouvernement italien dans cette mesure, que le contrôle des aides au sens du traité n’est pas un concept statique. C’est ce qu’a exprimé comme suit le Conseil, par exemple, au quatrième considérant du règlement (CE) n° 659/1999 (11):

«l’achèvement et l’approfondissement du marché intérieur constitue un processus graduel, ce qui se reflète dans l’évolution constante de la politique en matière d’aides d’État; […] du fait de cette évolution, certaines mesures qui, au moment de leur mise en œuvre, ne constituaient pas une aide d’État, peuvent être devenues une telle aide».

30.   Il ne fait aucun doute au regard de ces considérations que la circonstance que la Commission n’a antérieurement soulevé aucune objection à l’égard d’un régime comme celui institué par la loi Amato –que la Commission, comme ne le conteste pas le gouvernement italien, n’a de plus examiné qu’au regard de certains aspects – ne permet pas de conclure qu’un autre régime, même s’il s’inscrit dans la «continuité» du premier ou poursuit les mêmes objectifs, ne devrait pas être qualifié d’aide. En d’autres termes, rien n’empêche certainement la Commission de qualifier un régime étatique d’aide au motif qu’elle n’a pas contesté le régime précédent.

31.   Enfin, le gouvernement italien invoquant une violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 253 CE, il y a lieu de rappeler à ce propos certains principes qui ressortent d’une jurisprudence constante.

32.   Il faut, en premier lieu, considérer que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (12).

33.   En ce qui concerne, en deuxième lieu, les exigences que doit respecter la motivation, une jurisprudence constante précise qu’elle doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction notamment du contenu de l’acte et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (13).

34.   S’agissant du grief tiré de la prise en compte insuffisante de la nature exceptionnelle des mesures en tant que partie d’une réforme du secteur bancaire, il faut constater au regard de ce qui précède que la Commission a synthétisé au paragraphe 16 de la décision attaquée les remarques de l’Italie sur la genèse et la finalité des mesures litigieuses. Les objectifs poursuivis par les aides, en particulier la consolidation du secteur bancaire, ont par ailleurs été évoqués dans le cadre de l’appréciation de leur légalité aux paragraphes 30 et 32 de la décision attaquée.

35.   Compte tenu en particulier du rôle des objectifs des mesures litigieuses pour leur qualification d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, comme nous avons décrit ce rôle aux points 21 à 25 ci-dessus, on ne peut donc constater aucun vice de motivation en ce qui concerne la prise en compte de leur nature et de leurs objectifs.

36.   L’argument relatif à la continuité entre les mesures litigieuses et la loi Amato a été examiné au paragraphe 53 de la décision attaquée.

37.   Le grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 253 CE, que le gouvernement italien avance dans le cadre de son premier moyen de recours général, doit donc être déclaré non fondé.

38.   Au regard des éléments qui précèdent, l’examen du premier moyen de recours n’a révélé aucun élément qui met en cause la légalité de la décision attaquée.

C –    Sur le grief fait à la Commission d’avoir qualifié à tort et en violant son obligation de motivation les mesures litigieuses d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (deuxième moyen)

39.   Ce moyen de recours est composé de plusieurs branches qui ne sont pas clairement structurées, dans lesquelles en bref le gouvernement italien évoque les aspects suivants à propos de la décision attaquée:

–       défaut de motivation parce que les mesures litigieuses n’ont pas été examinées de façon séparée au regard des articles 87, paragraphe 1, CE et 87, paragraphe 3, CE et qu’elles ont été appréciées de façon trop globale;

–       prémisse erronée et appréciation incorrecte de l’octroi d’avantages et de la sélectivité en ce qui concerne les mesures fiscales visées au paragraphe 5, point 1;

–       absence de charges pour le budget de l’État ou d’utilisation de ressources d’État par les mesures litigieuses et neutralité fiscale des mesures en ce qui concerne les opérations de rétrocession ;

–       absence de caractère sélectif des mesures litigieuses;

–       absence de distorsion de la concurrence entre les banques opérant en Italie ou entre les banques nationales et étrangères;

–       appréciation erronée et défaut de motivation en ce qui concerne les effets sur les échanges entre États membres.

1.      Sur le caractère erroné de la décision attaquée quant à la question de savoir si les mesures litigieuses accordent un avantage sélectif au moyen de ressources d’État

a)      Principaux arguments du gouvernement italien

40.   Dans la deuxième branche de son deuxième moyen de recours, le gouvernement italien fait valoir que, s’agissant de la mesure qu’elle évoque en son paragraphe 5, point 1, la décision attaquée est fondée sur une prémisse erronée en ce qui concerne l’octroi d’un avantage. La réduction à 12,5 % du taux d’impôt sur le revenu (IRPEG) concerne les bénéfices affectés à la réserve spéciale et non de façon générale l’ensemble des bénéfices des banques qui participent à une fusion ou à une opération de restructuration similaire. Cet avantage fiscal est soumis à quatre conditions que la Commission n’aurait pas examinées. Il ressort de ces conditions que leur finalité réside non pas dans une faveur accordée aux actionnaires mais dans la capitalisation de la banque résultant de la fusion, renforçant ainsi la compétitivité du secteur bancaire.

41.   Contrairement à ce que constate la Commission au paragraphe 33 de la décision attaquée, il ne s’agirait pas non plus d’une mesure sélective. Le gouvernement italien souligne en particulier le caractère erroné de la constatation de la Commission, d’après laquelle cette mesure favoriserait les banques plus petites par rapport aux plus grandes. Cette mesure ne se limiterait par ailleurs pas aux banques italiennes mais concernerait aussi les filiales de banques d’autres États membres en Italie.

42.   Le gouvernement italien soutient dans la troisième branche de son deuxième moyen de recours que la notion d’aide d’État suppose l’existence d’un avantage pour l’entreprise ainsi qu’une incidence directe sur le budget de l’État – par l’utilisation de ressources d’État ou le renoncement à ces ressources. D’un point de vue global et à plus long terme, les mesures litigieuses ne pèsent cependant pas sur le budget de l’État. Le législateur italien aurait toujours visé à utiliser des instruments qui soient neutres tant en ce qui concerne la concurrence que l’ensemble des ressources fiscales dans le secteur bancaire.

43.   Le gouvernement italien souligne par ailleurs que les mesures relatives aux rétrocessions aux fondations bancaires des biens et d’autres avoirs non indispensables à la réalisation de l’objet social ne doit pas être considérées comme des exonérations fiscales mais comme un simple instrument de neutralité fiscale. Ces rétrocessions ne généreraient aucune plus-value ou moins-value et même si cela se produit à une date postérieure par rapport à l’échéance initiale, les fondations bancaires devraient en principe acquitter les impôts qui n’ont pas été versés par les banques, de sorte que l’on pourrait uniquement parler d’une suspension limitée dans le temps de la dette fiscale. L’État ne renonce donc pas à des recettes fiscales. En outre, ces mesures favoriseraient aussi des entités comme les holdings qui ne sauraient être qualifiés d’entreprises dans le sens utilisé par les règles en matière d’aides.

44.   Le gouvernement italien affirme dans la quatrième branche de son deuxième moyen de recours que les mesures litigieuses ne remplissent pas non plus la condition de sélectivité. Il s’agirait au contraire de mesures générales qui seraient destinées sans discrimination à toutes les banques participant à la réforme.

45.   Pour examiner si un allégement fiscal est sélectif, il faudrait tout d’abord déterminer s’ils représentent une exception à l’application du régime fiscal généralement applicable en faveur de certaines entreprises d’un État membre. Si tel est le cas, il faut ensuite vérifier si l’exception ou la différenciation interne au système est justifiée par la nature ou l’aménagement interne du régime fiscal.

46.   Dans le présent cas d’espèce, les mesures litigieuses, bien qu’elles concernent uniquement le secteur bancaire, devraient être considérées comme des mesures non pas spécifiques mais générales parce qu’elles seraient fondées sur le principe fondamental de l’ordre juridique italien en vertu duquel les banques sont soumises à un régime fiscal différent de celui des entreprises industrielles. Le gouvernement italien déclare que le secteur bancaire est soumis à des obligations et contrôles spécifiques. Il présente aussi des particularités en termes de dynamique de la concurrence. Il existerait des différences objectives entre les contribuables du secteur bancaire et d’autres secteurs. Il est donc objectivement justifié de soumettre ce secteur à une imposition spécifique, ce que révèle aussi la Communication de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (14). Les mesures litigieuses ne devraient donc pas être considérées comme une «exception» par rapport au système général. Il s’agit de mesures exceptionnelles et limitées dans le temps en vue d’inciter les opérateurs à procéder aux adaptations structurelles nécessaires. De plus, l’amélioration de la concurrence dans le secteur bancaire présente aussi un avantage direct pour les autres secteurs économiques.

b)      Appréciation

47.   La notion d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE suppose d’abord l’existence d’un avantage accordé à certaines entreprises ou à certaines productions. Il faut rappeler à ce propos que, d’après une jurisprudence constante, la notion d’aide au sens de cette disposition est plus générale que celle de subvention parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise (15).

48.   L’aide est ainsi décrite en l’occurrence comme une dérogation favorable à un régime fiscal général ou à une imposition normale. Le point de référence nécessaire pour qu’un « avantage » existe est ainsi établi (16).

49.   Il faut ainsi tout d’abord déterminer de façon tout à fait fondamentale si les mesures litigieuses doivent être appréciées en relation avec le régime fiscal autrement applicable aux opérations correspondantes ou si, comme le soutient le gouvernement italien, elles constituent un système fiscal général ou un «système fiscal spécial».

50.   Dans le présent cas d’espèce, le contexte général des mesures litigieuses porte bien plus selon nous à évaluer ces mesures à l’aune du système fiscal général au lieu de les considérer comme un nouveau système général ou une «normalité juridique». Il s’agit d’un ensemble de dérogations individuelles par rapport aux dispositions fiscales générales antérieurement applicables, qui sont appelées à faciliter certaines opérations liées à des fusions bancaires (17). Le présent cas d’espèce ne se présente pas à ce propos de façon fondamentalement différente de celui ayant fait l’objet des affaires Steenkolenmijnen (18) ou Maribel (19), qui concernaient des dispositions fiscales particulières par rapport à un système général -dans ces cas, le système général de sécurité sociale. Dans ces affaires, la Cour a aussi examiné dans chaque cas ces dispositions particulières comme des dérogations au système fiscal général et non comme des mesures autonomes. La Cour n’a par ailleurs ainsi pas suivi dans son arrêt Adria-Wien Pipeline la thèse de l’avocat général Mischo, d’après lequel le régime de remboursement en cause dans cette affaire constituait une nouvelle mesure générale (20).

51.   S’agissant tout d’abord du respect de la condition de l’octroi d’un avantage par les mesures litigieuses, cet avantage résiderait dans le fait que, grâce aux mesures litigieuses, les banques concernées ne doivent pas supporter ou dans une faible mesure seulement certaines dépenses qui, d’après le système fiscal général, seraient normalement à leur charge -à savoir l’impôt sur le revenu et les prélèvements dus en cas d’opérations de rétrocession; en un mot, les entreprises concernées bénéficient d’une réduction d’impôt. La Commission a en ce sens qualifié à juste titre les mesures litigieuses d’«allégements fiscaux» et elle a notamment constaté au paragraphe 42 de cette décision que l’avantage est octroyé moyennant la renonciation à certaines recettes fiscales.

52.   En ce qui concerne en particulier les fusions ou des opérations similaires de restructuration – à savoir les opérations visées au paragraphe 5, point 1 de la décision attaquée –, l’avantage octroyé réside dans une réduction à 12,5 % de l’impôt sur le revenu dans certaines conditions qui sont notamment décrites dans le passage précité de la décision attaquée.

53.   Le gouvernement italien n’a à nos yeux avancé aucun élément qui mettrait en cause le fait que ces mesures octroient un avantage.

54.   Il faut d’abord constater que la Commission a manifestement reproduit ou synthétisé les caractéristiques de cette mesure fiscale au paragraphe 5, point 1 de la décision attaquée de la façon dont le gouvernement italien les a présentées. En particulier, elle a constaté explicitement dans ce passage que la réduction s’applique notamment «à condition que les bénéfices soient affectés à une réserve spéciale».

55.   En deuxième lieu, les caractéristiques «techniques» de ces mesures ne changent en particulier rien au fait qu’une réduction de l’impôt sur le revenu est accordée aux banques concernées.

56.   En troisième lieu, d’après les indications du gouvernement italien, cette mesure devrait expressément constituer un incitant fiscal pour les opérations de fusion.

57.   Il faut en quatrième lieu souligner qu’il ressort du paragraphe 8 de la décision attaquée, que le gouvernement italien n’a pas mis en cause, que les autorités italiennes ont elles-mêmes estimé à 2767 millions d’euros le montant maximal théorique des avantages fiscaux que les bénéficiaires pourraient avoir retiré de cette mesure durant la période en cause.

58.   En ce qui concerne ensuite concrètement les mesures litigieuses, si elles prévoient la «neutralité fiscale» des opérations réalisées dans le cadre de la restructuration des banques – en particulier pour les opérations de rétrocession à l’apporteur de biens et d’autres avoirs non indispensables à la réalisation de l’objet social –, cette «neutralité fiscale» se traduit par le fait que, d’après les indications fournies, elle empêche que ne soient dus les impôts que les banques devraient normalement verser en application du système fiscal général lors de la réalisation des opérations concernées, en particulier les impôts sur les plus-values.

59.   D’après nous, cela constitue sans ambiguïté un avantage fiscal. Peu importe en l’espèce que, comme l’a déclaré le gouvernement italien, ces mesures ne s’accompagnent d’aucun allégement fiscal pour certaines opérations -parce que dans le cas d’espèce concret elles ne sont déjà soumises à aucun impôt en raison d’autres dispositions, ou parce que dans certains cas particuliers l’opération ne donne lieu à aucun impôt sur les plus-values dans la mesure où elles n’en génèrent aucune. Comme la Commission le déclare notamment au paragraphe 29 de la décision attaquée, celle-ci concerne les mesures litigieuses en tant que telles et non des aides individuelles ou des cas d’application particuliers. La jurisprudence précise que la Commission peut en effet se limiter à étudier les caractéristiques générales d’un régime d’aide pour constater s’il comporte des éléments d’aide (21). La question ne porte pas sur l’existence d’un avantage dans chaque cas d’espèce. L’argument d’après lequel les mesures litigieuses bénéficient aussi dans cette mesure à des entités comme des holdings qui ne doivent pas être qualifiées d’entreprise au regard des règles sur les aides, n’est pas non plus pertinent en l’espèce pour les mêmes raisons. Ce qui est déterminant en l’occurrence, c’est le fait que, comme nous l’avons déjà indiqué, alors que la réalisation des opérations en cause donnerait normalement lieu à la perception d’un impôt, celui-ci est en principe «neutralisé» pour les banques.

60.   Indépendamment de cela, il faut souligner avec la Commission à propos du moyen du gouvernement italien, d’après lequel les mesures litigieuses, dans la mesure où elles concernent les opérations de rétrocession précitées, se sont uniquement traduites par un report dans le temps ou une suspension provisoire de la dette fiscale, qu’un simple délai de paiement en matière fiscale doit déjà être considéré comme un avantage financier (22).

61.   Enfin, le gouvernement italien a lui-même déclaré que les mesures applicables aux opérations de rétrocession devraient permettre d’écarter des obstacles fiscaux.

62.   Eu égard à tous les éléments qui précèdent, force est de conclure que le gouvernement italien n’a avancé aucun élément susceptible d’affecter la conclusion que les mesures litigieuses, dans la mesure où elles prévoient une «neutralité fiscale» pour certaines opérations, accordent un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

63.   L’attribution de fonds publics réside dans les cas d’aides «négatives», comme en l’espèce, dans la renonciation aux recettes fiscales dont s’accompagne l’avantage (23).

64.   Il faut rejeter l’argument du gouvernement italien, selon lequel, en fin de compte ou à terme, les mesures litigieuses ne pèseraient pas sur le budget de l’État. L’article 87 CE a pour objectif de prévenir que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (24). La caractéristique fondée sur l’utilisation de ressources d’État sert à faire la distinction entre des aides étatiques et des interventions privées qui ne sont pas visées par les règles sur les aides d’État (25). Cette caractéristique doit donc être distinguée de la question de savoir si, en fin de compte, cette utilisation se traduit réellement par une charge pour ce budget ou exerce même des effets favorables sur celui-ci. Peu importe ainsi que, in fine, le budget de l’État concerné supporte une charge ou non (26).

65.   Enfin, le gouvernement italien a, en particulier, contesté la sélectivité des mesures litigieuses.

66.   D’après le libellé de l’article 87, paragraphe 1, CE, un avantage économique accordé par un État membre ne revêt le caractère d’aides d’État que s’il est susceptible de favoriser simplement «certaines entreprises ou certaines productions».

67.   L’élément de sélectivité sert à distinguer les mesures publiques susceptibles de constituer des aides au sens de l’article 87 CE des mesures générales, qui sont l’expression de la politique fiscale et de gestion générale d’un État membre et qui sont réservées aux États membres.

68.   Il faut, en principe, considérer comme des mesures publiques générales non sélectives les mesures qui bénéficient de la même façon à tous les opérateurs économiques sur le territoire d’un État membre (27).

69.   Si l’on se situe en dessous de ce niveau de généralité, il peut cependant être difficile de faire la distinction entre des mesures générales et des mesures sélectives. En toute hypothèse, on peut même être en présence d’aides (sélectives) au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, lorsque les mesures concernent tout un secteur économique ou plusieurs secteurs économiques (28).

70.   Dans le présent cas d’espèce, il faut en tout cas constater de façon incontestable que les mesures litigieuses s’appliquent au secteur bancaire.

71.   Nous avons déjà indiqué que les mesures litigieuses, en ce qu’elles représentent des exonérations de charges financières pour les opérateurs favorisés par rapport à celles qu’ils devraient normalement supporter, doivent selon nous être appréciées dans le cadre ou en relation avec le régime applicable aux prélèvements concernés par ces exonérations.

72.   Ainsi, d’après une notion utilisée pour la première fois par l’avocat général Darmon dans les conclusions qu’il a présentées dans les affaires Sloman Neptun, une mesure sélective au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE est caractérisée par sa «nature dérogatoire», dans sa nature même, par rapport à l’économie du système général dans lequel elle s’insère (29).

73.   Pour déterminer si la différenciation instituée par une mesure –par laquelle un opérateur favorisé dans le régime général dont fait partie cette mesure se voit accorder un avantage – est sélective ou non, il faut examiner si cette différenciation ressort de la nature ou de l’économie du système général, – en un mot, si elle ressort de la logique fiscale interne à ce système.

74.   Au point 32 des motifs de la décision attaquée, la Commission s’est référée au constat établi par la Cour dans son arrêt Belgique/Commission, d’après lequel «une mesure destinée à exempter partiellement les entreprises d’un secteur industriel particulier des charges pécuniaires découlant de l’application normale du système général de prévoyance sociale, sans que cette exemption se justifie par la nature ou l’économie de ce système, doit être considérée comme une aide» (30).

75.   Une différenciation peut donc uniquement être sélective lorsque, par rapport au régime applicable aux prélèvements concernés dans lequel elle est décidée, elle est objectivement justifiée. La proximité de cette vérification par rapport à l’appréciation visant à déterminer s’il y a égalité de traitement est d’ailleurs manifeste en l’occurrence, ce que la Cour exprime, notamment, dans sa jurisprudence en matière de sélectivité lorsqu’elle constate que certaines entreprises ou certaines productions pourraient être favorisées «par rapport à d’autres, lesquelles se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable» (31).

76.   Les mesures litigieuses ont apporté dans le seul secteur bancaire une série de modifications au régime fiscal normalement applicable (réduction de l’impôt sur le revenu, neutralité fiscale à l’égard des plus-values, etc.). Étant donné qu’une différenciation au sein d’un régime fiscal n’a pas de «caractère dérogatoire» et ne doit donc pas être considérée comme étant sélective lorsqu’elle ressort pour ainsi dire de la «logique fiscale interne» à ce régime d’imposition, la différenciation introduite par les mesures litigieuses ne serait pas sélective uniquement si elle avait été conforme à la logique fiscale interne au régime général d’imposition ou si, comme l’a exprimé le gouvernement italien, une adaptation du régime général aux caractéristiques particulières de l’activité bancaire avait été réalisée.

77.   Nous nous rangeons cependant à la thèse de la Commission pour dire que tel n’est pas le cas en l’espèce; les mesures litigieuses n’ont, en d’autres termes, pas établi de différenciation objective entre le secteur bancaire et les autres secteurs et entreprises. Les mesures litigieuses sont des mesures ponctuelles qui devraient déboucher sur la consolidation du secteur bancaire italien ou, comme l’a déclaré le gouvernement italien, sur un renforcement de la compétitivité de ce secteur. C’est pourquoi nous jugeons correcte la déclaration de la Commission figurant au point 32 des motifs de la décision attaquée, selon laquelle il s’agit d’un fait extrinsèque, qui n’a rien à voir avec la structure du régime normalement applicable dans le cadre de fusions ou d’autres opérations qui sont soumises aux mesures litigieuses. La restructuration ou la privatisation du secteur bancaire d’un État membre peut en soi être un objectif légitime, mais cela ne signifie toutefois pas que le fait de favoriser uniquement ce secteur soit justifié par sa nature et les objectifs généraux du régime fiscal national normalement applicable. Les objectifs des mesures litigieuses, qui sont étrangers à ce régime, sont selon nous un indice qu’ils ne sont pas une adaptation du régime général.

78.   L’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a par ailleurs souligné que l’on peut uniquement prouver qu’une mesure est au service de la logique interne au système pour autant que soit exclue toute intention «d’améliorer les conditions d’un secteur par rapport à ses concurrents étrangers» (32). Le gouvernement italien a cependant déclaré à plusieurs reprises que les mesures litigieuses visaient aussi à renforcer la compétitivité – au moyen de fusions ou de la garantie d’une rentabilité accrue.

79.   Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous considérons que les mesures litigieuses, en ce qu’elles s’appliquent en tout cas uniquement aux opérations en cause dans le secteur bancaire, sont sélectives d’un point de vue sectoriel, comme l’a aussi constaté la Commission à juste titre au point 35 des motifs de la décision attaquée.

80.   La circonstance que les entreprises d’autres secteurs économiques – qui, si elles réalisaient les mêmes opérations de restructuration que celles faisant l’objet des allégements fiscaux dans le secteur bancaire en vertu des mesures litigieuses, devraient acquitter les prélèvements correspondants – ne sont pas en concurrence avec les banques n’enlève par ailleurs rien au caractère sélectif desdites mesures. Cela sera même souvent le cas en présence d’aides accordées à une «production» dans son ensemble, hypothèse qui est toutefois visée explicitement à l’article 87, paragraphe 1, CE.

81.   Cette disposition met avant tout l’accent sur l’influence exercée sur la concurrence dans la Communauté, c’est-à-dire qu’elle vise en l’espèce aussi la concurrence avec les secteurs bancaires d’autres États membres par exemple (33). Ainsi, la Cour a aussi admis dans l’affaire Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, citée par la Commission, l’existence d’un avantage sélectif, bien que le champ d’application des aides nationales en cause s’étendit très largement aux «entreprises productrices de biens corporels» (34).

82.   Dans la décision attaquée, la Commission a aussi établi des constatations (à titre éventuel) (35) à propos du caractère sélectif des mesures litigieuses dans le secteur bancaire, en particulier des mesures visées au point 5, sous-point 1, des motifs de cette décision, c’est-à-dire à propos de la sélectivité de la différenciation entre différentes banques.

83.   Étant donné que, comme nous l’avons indiqué, la constatation de la Commission à propos de la sélectivité sectorielle est correcte et que, pour qualifier une mesure d’aide, il suffit de constater qu’elle est sélective à un égard, il est inutile d’examiner si les mesures litigieuses sont, par ailleurs, sélectives aussi au sein du secteur (36).

84.   Il faut ainsi conclure que la Commission a pu constater à juste titre que les mesures litigieuses remplissent la condition de l’attribution unilatérale d’un avantage au moyen de ressources d’État.

2.      La question de la distorsion de concurrence et de l’incidence des mesures litigieuses sur les échanges entre États membres

a)      Principaux arguments du gouvernement italien

85.   Dans la cinquième branche de son deuxième moyen, le gouvernement italien fait valoir que la concurrence n’est faussée ni dans les relations entre les banques opérant en Italie ni dans celles existant entre les banques nationales et étrangères.

86.   Il déclare que toutes les banques qui répondent à certains critères objectifs peuvent se prévaloir des allégements fiscaux en cause. Dans le cas de certaines opérations, ces allégements sont simplement soumis à la condition qu’elles soient réalisées en Italie. La mesure visée au point 5, sous-point 1, des motifs de la décision attaquée est aussi applicable aux filiales de banques étrangères. L’accès des banques étrangères au marché national n’est ainsi pas rendu plus difficile.

87.   De plus, lorsque l’on examine l’incidence des mesures litigieuses sur la concurrence, il faut considérer que la pression fiscale supportée par les banques opérant en Italie par rapport à la moyenne européenne est sensiblement plus élevée. Une situation de ce type peut justifier des mesures visant à réduire la pression fiscale. La Commission a omis à tort d’examiner l’incidence des mesures litigieuses sur la concurrence en se fondant sur le marché en cause.

88.   Le gouvernement italien invoque, dans la sixième branche de son deuxième moyen, une appréciation erronée et un défaut de motivation en ce qui concerne l’incidence des mesures litigieuses sur les échanges intracommunautaires. Il conteste en particulier la conclusion tirée dans la décision attaquée, selon laquelle lesdites mesures facilitent l’expansion des banques italiennes à l’étranger et rendent plus difficile l’accès des banques étrangères au marché national. Cette motivation ne serait ni suffisante ni pertinente. Il déclare une fois de plus que les mesures litigieuses s’appliquent aussi aux banques étrangères et que les banques italiennes sont soumises à une pression fiscale plus élevée, de sorte qu’elles ne connaîtraient pas une expansion «potentiellement plus agressive».

b)      Appréciation

89.   Il faut d’abord considérer que, d’après une jurisprudence constante, il n’y a pas lieu d’établir que les mesures litigieuses affectent effectivement la concurrence et les échanges intracommunautaires, mais simplement qu’elles sont susceptibles d’affecter les échanges entre États membres et de fausser la concurrence (37).

90.   De plus, les circonstances dans lesquelles l’aide accordée peuvent à elles seules établir que celle-ci affecte les échanges intracommunautaires et qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (38).

91.   En ce qui concerne l’argument selon lequel il n’y a pas de distorsion de concurrence, nous avons déjà indiqué que les règles communautaires en matière d’aides sont un instrument visant à empêcher que la concurrence ne soit faussée dans le marché commun (39). Pour justifier l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, il suffit donc que les mesures litigieuses soient susceptibles d’influencer la concurrence avec les concurrents opérant dans le marché commun (40). La circonstance que les mesures litigieuses sont applicables en fonction de critères objectifs et que tant les banques nationales que les banques étrangères peuvent s’en prévaloir n’est pas à même d’établir, comme l’a déclaré la Commission, que lesdites mesures ne sont pas susceptibles d’avoir une telle influence. Ce qui importe c’est que, grâce aux mesures litigieuses, certaines banques opérant en Italie se voient renforcées en termes de taille – par des fusions – ou de puissance financière et de rentabilité – par exemple grâce à des rétrocessions. Même si, en principe, les filiales de banques étrangères peuvent aussi profiter des mesures litigieuses pour autant qu’elles en remplissent les conditions, cela n’enlève rien au fait que ces mesures peuvent influencer la concurrence entre les banques opérant en Italie par rapport à celles opérant dans les autres États membres. Compte tenu de la libéralisation qu’ont connue les marchés financiers ces dernières années, on ne peut ainsi pas contester sérieusement qu’il existe au moins une certaine concurrence intracommunautaire dans le secteur bancaire.

92.   S’agissant de l’argument selon lequel la pression fiscale qui pèse sur les banques opérant en Italie est sensiblement plus élevée que la moyenne européenne, il faut constater que, d’après la jurisprudence, le fait de rechercher à rapprocher, par des mesures unilatérales, les conditions de concurrence d’un certain secteur économique à celles prévalant dans d’autres États membres ne saurait enlever à ces mesures le caractère d’aides (41). Cette idée «compensatrice» dans l’argumentation du gouvernement italien doit ainsi être rejetée.

93.   Le gouvernement italien n’a donc pas établi que la Commission a supposé à tort que les mesures litigieuses étaient susceptibles de fausser la concurrence.

94.   Ensuite, en ce qui concerne l’appréciation portée et la motivation fournie quant à la possibilité que les mesures litigieuses influencent les échanges intracommunautaires, la jurisprudence de la Cour tant en matière d’influence sur la concurrence que d’incidence sur les échanges entre États membres ne fournit pas de critère strict (42).

95.   D’après la jurisprudence que cite de la Commission à juste titre au point 41 des motifs de la décision attaquée, lorsqu’une aide financière renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme étant influencés par l’aide (43).

96.   Selon les indications du gouvernement italien, les mesures litigieuses avaient pour objectif de renforcer la compétitivité du secteur bancaire italien. Elles devaient accroître la rentabilité des banques concernées et faciliter les fusions.

97.   Il suffit par ailleurs de constater que – compte tenu de l’évolution de la libéralisation des services financiers et de celle de l’intégration des marchés financiers, que la Commission évoque au point 41 des motifs de la décision attaquée et que le gouvernement italien n’a pas non plus contestée en tant que telle – l’on ne peut en tout cas pas exclure que les entreprises favorisées sont des concurrentes d’entreprises d’autres États membres (44).

98.   C’est donc à bon droit que la Commission pouvait partir de l’idée d’une incidence sur les échanges. De plus, la Commission a expliqué de façon détaillée au point 41 des motifs de la décision attaquée, pourquoi elle considère que le commerce intracommunautaire est influencé.

99.   Les arguments relatifs à l’appréciation erronée de l’incidence sur la concurrence et le commerce entre États membres sont donc eux aussi dépourvus de fondement.

3.      Sur le défaut de motivation tiré de l’absence d’appréciation distincte des mesures litigieuses au titre de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 87, paragraphe 3, CE ainsi que d’une appréciation trop globale des mesures litigieuses

a)      Principaux arguments du gouvernement italien

100. Le gouvernement italien fait tout d’abord valoir que, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas apprécié séparément deux questions distinctes, à savoir celle de la qualification des mesures litigieuses d’«aides» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et celle de l’applicabilité des dispositions dérogatoires de l’article 87, paragraphe 3, CE. De plus, la motivation avancée pour qualifier les mesures litigieuses d’«aides» d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE serait trop globale.

b)      Appréciation

101. Il y a lieu de constater à ce propos, à la lumière des principes relatifs à l’obligation de motivation, tels que je les ai évoqués aux points 32 et 33 des présentes conclusions, que la question de la qualification des mesures litigieuses d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et celle de l’applicabilité des dispositions dérogatoires de l’article 87, paragraphe 3, CE ont fait l’objet de motivations distinctes dans la décision attaquée, et ce, d’une part, aux points 32 à 43 des motifs et, d’autre part, aux points 45 à 48 desdits motifs.

102. On ne peut donc pas suivre l’argument de la requérante, selon lequel ces deux questions n’auraient pas été traitées de façon distincte.

103. Au regard des considérations qui précèdent sur les éléments constitutifs de la notion d’aide, dans lesquelles nous avons abordé les constatations correspondantes de la Commission, le grief général tiré d’une appréciation trop globale ou d’un défaut de motivation suffisante de la qualification des mesures litigieuses d’«aides» d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE est tout aussi peu justifié.

104. La première branche du deuxième moyen du recours est ainsi dépourvue de fondement elle aussi.

105. Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le deuxième moyen, d’après lequel la Commission aurait qualifié à tort et en violant son obligation de motivation les mesures litigieuses d’«aides» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, doit être rejeté comme non fondé.

D –    Sur la violation de l’article 87, paragraphe 3, CE et de l’obligation de motivation à propos de la question de la compatibilité avec le marché commun (troisième moyen)

1.      Principaux arguments du gouvernement italien

106. Le gouvernement italien reproche à la Commission d’avoir méconnu les articles 87, paragraphe 3, CE et 253 CE au motif que, se fondant sur une motivation erronée en droit et contradictoire, elle n’a pas déclaré que les mesures litigieuses étaient compatibles avec le marché commun.

107. Il déclare, tout d’abord, à propos du point 48 des motifs de la décision attaquée que la Commission ne pouvait pas déduire de l’absence de notification des mesures litigieuses conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, qu’elle ne devait pas déclarer ces dernières compatibles avec le marché commun ou qu’elle pouvait donc se satisfaire d’une appréciation superficielle des circonstances en cause. Dans d’autres cas aussi, qui concernaient des mesures non notifiées, la Commission a discuté sans préjugé avec le gouvernement italien et a, en fin de compte, appliqué les dérogations au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE. En l’espèce, la Commission a simplement utilisé des formules standard de façon incohérente.

108. Le gouvernement italien prétend, ensuite, que les mesures litigieuses auraient pu être déclarées compatibles avec le marché commun en tant qu’«aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun» au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

109. Il déclare à ce propos que, en adoptant la loi Ciampi, le législateur italien a voulu provoquer un effet significatif sur le marché bancaire italien, à savoir la privatisation complète et définitive des banques italiennes. Ce projet, qui correspond de surcroît à l’objectif européen de réaliser la zone euro et le marché intérieur, constitue un «projet important d’intérêt européen commun». Les États membres ne peuvent réaliser un tel projet qu’à l’égard des banques établies sur leur territoire. Toute la Communauté profiterait cependant de cette privatisation, qui renforcerait la concurrence sur un marché financier important comme celui de l’Italie. La constatation de la Commission figurant au point 45 des motifs de la décision attaquée, d’après laquelle les mesures litigieuses avantageront «principalement les opérateurs économiques d’un État membre et non la Communauté dans son ensemble» est insuffisante. De plus, seul le «projet» et non l’aide doit être «d’intérêt européen commun» et présenter donc un avantage pour la Communauté dans son ensemble. En outre, compte tenu des objectifs qu’il a indiqués de façon exhaustive, le gouvernement italien conteste l’affirmation selon laquelle il ne s’agit pas d’un «projet concret, précis et bien défini» (voir aussi ledit point 45).

110. Utilisant les mêmes arguments à propos des objectifs des mesures litigieuses, le gouvernement italien soutient, en outre, que celles-ci auraient pu être déclarées compatibles avec le marché commun en tant qu’«aides destinées à faciliter le développement de certaines activités» au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

111. Il déclare, par ailleurs, que la Commission n’aurait pas pu exclure la possibilité que les mesures litigieuses soient compatibles avec le marché commun au sens de cet article en se fondant uniquement sur des lignes directrices comme celles relatives aux aides d’État à finalité régionale (45). En particulier, dans un cas comme celui de l’espèce, qui concerne des mesures «atypiques», il faut aussi vérifier si, indépendamment des catégories visées par les lignes directrices, ces mesures peuvent relever de la notion d’«aide» au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

112. Enfin, le gouvernement italien critique surtout la constatation faite par la Commission au point 45 des motifs de la décision attaquée, d’après laquelle, par rapport aux mesures antérieures, en particulier celles adoptées dans le cadre de la loi Amato, les mesures litigieuses entraîneraient principalement une amélioration de la compétitivité des bénéficiaires des aides.

2.      Appréciation

113. Il faut tout d’abord rappeler que la Commission dispose, dans le cadre de l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (46).

114. Compte tenu de cette large marge de manœuvre, la Cour, en contrôlant la légalité de l’exercice d’une telle liberté, ne saurait substituer son appréciation en la matière à celle de l’autorité compétente (47).

115. Il n’appartient donc pas non plus à la Cour de déterminer si une aide d’État doit être déclarée ou aurait pu être déclarée compatible avec le marché commun (48).

116. Au contraire, le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (49).

117. Il y a lieu de constater à propos de l’argument du gouvernement italien relatif au point 48 des motifs de la décision attaquée que la Commission n’a pas déduit du fait que les mesures litigieuses ne lui avaient pas été notifiées qu’elles ne sont pas compatibles avec le marché commun.

118. Cette appréciation de la Commission se fonde au contraire sur les considérations que celle-ci a émises aux points 45 à 48 des motifs de la décision attaquée.

119. Dans ces points, la Commission a notamment examiné les hypothèses dérogatoires de l’article 87, paragraphe 3, CE et a expliqué pourquoi elle ne les jugeait pas applicables au regard des circonstances du présent cas d’espèce.

120. À la lumière des principes que nous avons évoqués aux points 32 et 33 des présentes conclusions à propos de l’obligation de motivation, force est donc de constater que la décision attaquée est suffisamment motivée en ce qui concerne la question de la compatibilité avec le marché commun (50). Le gouvernement italien fait valoir que ladite décision est contraire à des décisions antérieures, ce qui ne prouve pas que la motivation de la décision serait contradictoire en tant que telle.

121. Le gouvernement italien a soutenu que la Commission n’avait pas examiné les mesures litigieuses indépendamment de ses lignes directrices et il y a lieu de déclarer par ailleurs, à ce propos qu’il ressort des points 47 et 48 des motifs de la décision attaquée que la Commission n’a pas examiné la question de la compatibilité des mesures litigieuses avec le marché commun à la seule lumière des lignes directrices, bien qu’elle soit aussi parvenue à la conclusion que les circonstances de l’espèce ne permettaient pas de déclarer que lesdites mesures étaient compatibles avec le marché commun.

122. De plus, comme nous l’avons déjà indiqué, la question de savoir si les mesures litigieuses sont un «projet important d’intérêt européen commun» ou sont des «aides destinées à faciliter le développement de certaines activités» suppose des évaluations complexes d’ordre économique et social par la Commission, qui doivent être effectuées dans le contexte de la Communauté dans son ensemble. Dès lors, même si l’on admettait que lesdites mesures sont au service de la privatisation complète et définitive des banques italiennes et que cette opération est compatible avec la réalisation du marché intérieur et de la zone euro – ce qui, en soi, est déjà fonction d’un pouvoir d’appréciation –, on ne peut pas conclure de ce seul élément que la Commission a eu tort de ne pas faire relever les mesures litigieuses de l’article 87, paragraphe 3, sous b) ou c), CE.

123. Compte tenu de la multiplicité des objectifs poursuivis par les mesures litigieuses et de la façon dont elles produisent leurs effets, aspects que nous avons déjà examinés, nous considérons que le gouvernement italien n’a pas prouvé que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation lorsque, au point 45 des motifs de la décision attaquée, elle a constaté que le régime prévu par lesdites mesures avantagera «principalement les opérateurs économiques d’un État membre et non la Communauté dans son ensemble et qu’il ne promouvra pas un projet concret, précis et bien défini».

124. S’agissant, enfin, de la déclaration de la Commission figurant au point 45 des motifs de la décision attaquée, d’après laquelle, contrairement aux mesures précédentes (adoptées dans le cadre de la loi Amato), les mesures litigieuses entraîneront principalement une amélioration de la compétitivité, le fait que ces mesures puissent être comparées avec des mesures antérieures n’a de toute façon aucune incidence sur la question de leur compatibilité avec le marché commun (51). Étant donné que les mesures litigieuses ont à l’évidence pour effet de renforcer la compétitivité, comme le gouvernement italien l’a de plus déclaré lui-même, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a constaté que celles-ci entraîneront principalement une amélioration de la compétitivité des bénéficiaires de l’aide.

125. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le troisième moyen du recours doit aussi être rejeté comme étant non fondé.

V –    Dépens

126. En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à ce que la République italienne soit condamnée aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

VI – Conclusion

127. Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

1)      rejeter le recours;

2)      condamner la République italienne aux dépens.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – JO 2002, L 184, p. 27 (ci-après la «décision attaquée»).


3 – Voir, notamment, arrêts du 7 mai 1986, Barcella e.a./Commission (191/84, Rec. p. 1541, point 5), et du 6 avril 2000, Commission/France (C-256/98, Rec. p. I-2487, point 31).


4 – Voir notamment arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280/00, Rec. p. I-7747, point 75), et du 3 mars 2005, Heiser (C-172/03, Rec. p. I-1627, point 27).


5 – Voir, entre autres, arrêts du 26 septembre 1996, France/Commission (C-241/94, Rec. p. I-4551, point 21), du 29 avril 1999, Espagne/Commission (C-342/96, Rec. p. I-2459, point 23), du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission (C-382/99, Rec. p. I-5163, point 61), et du 13 février 2003, Espagne/Commission (C-409/00, Rec. p. I-1487, point 46).


6 – Voir, notamment, arrêts précités note 5, France/Commission, point 21, et Espagne/Commission, point 23.


7 – Nous examinons l'application de l'article 87, paragraphe 3, CE en l'espèce dans le cadre du troisième moyen du recours. Voir, en particulier, à ce propos nos considérations aux points 113 et suiv. des présentes conclusions.


8 – Voir, à ce sujet, Sutter, Das EG-Beihilfenverbot und sein Durchführungsverbot in Steuersachen, 2005, p. 44 et suiv.


9 – Voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, Rec. p. 523, point 21), et du 19 mai 1999, Italie/Commission (C-6/97, Rec. p. I-2981, point 21).


10 – Voir à ce sujet, sur la question de l'octroi unilatéral d'avantages, les considérations de l'avocat général Tizzano dans les conclusions qu'il a présentées le 8 mai 2001 dans l'affaire Ferring (arrêt du 22 novembre 2001, C-53/00, Rec. p. I-9067), point 39.


11 – Règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1).


12 – Voir notamment arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission (C-310/99, Rec. p. I-2289, point 48).


13 – Voir notamment arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France (C-367/95 P, Rec. p. I–1719, point 63), du 30 mars 2000, VBA/Florimex (C-265/97 P, Rec. p. I–2061, point 93), du 22 mars 2001, France/Commission (C-17/99, Rec. p. I–2481, points 35 et 36), et Italie/Commission, précité note 12, point 48.


14 – JO C 384 du 10/12/1998, p. 3.


15 – Voir notamment arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité (30/59, Rec. p. 3, en particulier 43), du 15 mars 1994, Banco Exterior de Espana (C-387/92, Rec. p. I-877, point 13), du 29 juin 1999, DM Transport (C-256/97, Rec. p. I-3913, point 19), et du 12 décembre 2002, Belgique/Commission (C-5/01, Rec. p. I-11.991, point 32).


16 – Voir par exemple Ross, «State aid and national courts: definition and other problems – a case of premature anticipation?» CMLR 2000, 407: «No advantage can be identified without a comparator first being found as a benchmark for treatment». Selon nous, l'identification d'un point de référence n'est pas seulement nécessaire en ce qui concerne la question du caractère unilatéral ou sélectif d'un avantage mais aussi à l'égard de l'octroi d'un avantage, étant donné qu'il faut aussi répondre à la question de savoir si une mesure déterminée accorde un avantage à une entreprise en ne se plaçant pas uniquement du point de vue de l'entreprise. Ainsi, d'après une jurisprudence constante, ce qui importe ce n'est pas de savoir si la situation d'un opérateur prétendument avantagé par une mesure s'est améliorée ou détériorée par rapport à la situation juridique antérieure ou si, au contraire, elle est demeurée inchangée. Voir notamment arrêt du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, Rec. p. 2855, point 10).


17 – Voir par exemple les conclusions présentées le 12 novembre 1998 par l'avocat général La Pergola, arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission (C-75/97, Rec. p. I-3671, point 11).


18 – Arrêt De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, précité note 15.


19 – Arrêt Belgique/Commission, précité note 17.


20 – Voir les conclusions présentées le 8 mai 2001 par l'avocat général Mischo, publiées sous l'arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline (C-143/99, Rec. p. I-8365), points 40 et suivants. Voir aussi arrêt du 29 avril 2004, GIL Insurance (C-308/01, Rec. p. I-4777, points 70 et suivants).


21 – Voir arrêts du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission (248/84, Rec. p. 4013, point 18), et Belgique/Commission, précité note 17, point 48.


22 – Voir arrêt DM Transport, précité note 15, point 19.


23 – Arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, Rec. p. I-6857, point 26).


24 – Arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709, point 26), et Banco Exterior de Espana, précité note 15, point 12.


25 – La question porte avant tout sur la possibilité d’attribuer l’intervention à l’État, ce qui ressort, par exemple, de l’arrêt du 20 novembre 2003, GEMO (C-126/01, Rec. p. I-13769, point 26).


26 – Voir Heidenhain, Handbuch des Europäischen Beihilfenrecht, 2003, p. 155, paragraphe 5.


27 – Voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, précité note 23, point 26.


28 – Voir arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, précité note 17, en particulier points 32 et 33.


29 – Point 50 des conclusions du 17 mars 1992 (arrêt du 17 mars 1993, C-72/91 et C-73/91, Rec. p. I-887). Pour un renvoi explicite à cette notion, voir arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, précité note 17, titre du point 32.


30 – Arrêt du 17 juin 1999, précité note 17, point 33, qui renvoie à l’arrêt Italie/Commission, précité note 24, point 33.


31 – Voir arrêt GIL Insurance e.a., précité note 20, point 68.


32 – Voir point 27 des conclusions présentées le 17 septembre 1998 (arrêt du 19 mai 1999, Italie/Commission, précité note 9, point 27).


33 – Voir aussi, à ce propos, les considérations que nous avons émises au point 27 des présentes conclusions.


34 – Arrêt précité note 20, point 30.


35 – Voir point 35 des motifs de ladite décision dans lequel la Commission parle comme suit de la sélectivité: «Même si l’aide devait s’appliquer à tous les opérateurs bancaires de manière indifférenciée, les mesures constitueraient une aide au secteur». C’est nous qui soulignons.


36 – Voir arrêt du 6 novembre 1990, Italie/Commission (C-86/89, Rec. p. I-3891, point 20).


37 – Voir arrêt Espagne/Commission, précité note 5, point 75.


38 – Voir, notamment, arrêt du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C-15/98 et C-105/99, Rec. p. I-8855, point 66 et jurisprudence citée).


39 – Voir point 27 des présentes conclusions.


40 – Voir aussi, à ce propos, Sutter, précité note 8, p. 132.


41 – Voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France, précité note 9, point 21, et du 19 mai 1999, Italie/Commission, précité note 9, point 21.


42 – Voir point 33 des conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 23 mars 1994 dans l’affaire Espagne/Commission (arrêt du 14 septembre 1994, C-278/92 à C-281/92, Rec. p. I-4103); voir aussi Keppenne, Guide des aides d’État en droit communautaire, 1999, p. 120, 132 et suiv.


43 – Voir, en particulier, arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission (730/79, Rec. p. 2671, point 11), et Ferring, précité note 10, point 21.


44 – Voir arrêt Heiser, précité à la note 4, point 35.


45 – Lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale (JO 1998, C 74, p. 9).


46 – Arrêts du 24 février 1987, Deufil/Commission (310/85, Rec. p. 901, point 18); du 8 mars 1988, Exécutif régional wallon et Glaverbel/Commission (62/87 et 72/87, Rec. p. 1573), et du 29 avril 2004, Italie/Commission (C-372/97, Rec. p. I-3679, point 83.


47 – Voir, notamment, arrêt du 14 janvier 1997, Espagne/Commission (C-169/95, Rec. p. I-135, point 34).


48 – Voir, notamment, ordonnance du 24 juillet 2003, Sicilcassa e.a. (C-297/01, Rec. p. I-7849, point 47).


49 – Voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, précité note 46, point 83.


50 – Voir aussi, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, précité note 46, point 87.


51 – Voir, à ce propos, les considérations que nous avons émises aux points 29 et 30 des présentes conclusions.