Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go
Arrêt de la Cour

Affaire C-315/02


Anneliese Lenz
contre
Finanzlandesdirektion für Tirol



(demande de décision préjudicielle, formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche))

«Libre circulation des capitaux – Impôt sur les revenus de capitaux – Revenus de capitaux d'origine autrichienne: taux d'imposition de 25 % avec effet libératoire ou taux égal à la moitié du taux d'imposition moyen applicable à l'ensemble des revenus – Revenus de capitaux originaires d'un autre État membre: taux normal d'imposition»

Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 25 mars 2004
    
Arrêt de la Cour (première chambre) du 15 juillet 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Libre circulation des capitaux – Restrictions – Imposition des revenus de capitaux – Imposition libératoire au taux de 25 % ou impôt ordinaire au taux réduit de moitié – Limitation aux revenus de capitaux d'origine nationale – Soumission des revenus de capitaux d'origine étrangère à l'impôt ordinaire sans réduction – Inadmissibilité – Justification – Absence
(Traité CE, art. 73 B et 73 D, § 1 et 3 (devenus art. 56 CE et 58, § 1 et 3, CE))

Les articles 73 B et 73 D, paragraphes 1 et 3, du traité (devenus, respectivement, articles 56 CE et 58, paragraphes 1 et 3, CE) s’opposent à une réglementation d’un État membre qui permet aux seuls titulaires de revenus de capitaux d’origine nationale de choisir entre l’impôt à caractère libératoire au taux de 25 % et l’impôt ordinaire sur le revenu avec application d’un taux réduit de moitié, alors qu’elle prévoit que les revenus de capitaux originaires d’un autre État membre sont obligatoirement soumis à l’impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux.

Une telle réglementation fiscale constitue une restriction prohibée à la libre circulation des capitaux en ce qu’elle a pour effet de dissuader les contribuables résidant dans l’État membre concerné d’investir leurs capitaux dans des sociétés établies dans un autre État membre; elle produit également un effet restrictif à l’égard des sociétés établies dans d’autres États membres en ce qu’elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux dans l’État membre concerné.

Cette réglementation ne saurait être justifiée par une différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement fiscal, conformément à l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité. En effet, au regard d’une règle fiscale qui vise à atténuer les effets d’une double imposition – impôt sur les sociétés puis impôt sur les revenus – des bénéfices distribués par la société au profit de laquelle l’investissement est réalisé, les actionnaires assujettis de façon illimitée à l’impôt dans l’État membre concerné qui perçoivent des revenus de capitaux d’une société établie dans un autre État membre se trouvent dans une situation comparable à celle d’actionnaires assujettis de façon illimitée à l’impôt également dans cet État membre, mais percevant des revenus de capitaux d’une société établie dans ce même État membre.

Par ailleurs, en l’absence de lien direct entre l’obtention des avantages fiscaux en cause dont bénéficient les contribuables résidant dans l’État membre concerné au titre de leurs revenus de capitaux d’origine nationale et l’imposition des bénéfices des sociétés au titre de l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les revenus des personnes physiques et l’impôt sur les sociétés étant en outre deux impositions distinctes qui frappent des contribuables distincts, et eu égard à ce que la finalité poursuivie, à savoir l’atténuation d’une double imposition, ne serait nullement affectée si l’on faisait également bénéficier de cette réglementation les titulaires de revenus de capitaux originaires d’un autre État membre, elle ne saurait être justifiée par la nécessité d’assurer la cohérence du régime fiscal en cause.

En outre, en l’absence d’un tel lien, le refus d’accorder aux titulaires de revenus de capitaux originaires d’un autre État membre lesdits avantages fiscaux ne peut être justifié par la circonstance que le revenu des sociétés établies dans un autre État membre y serait soumis à une fiscalité peu élevée. Un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait du reste être justifié par l’existence d’autres avantages fiscaux, à supposer que de tels avantages existent.

Quant à la réduction de recettes fiscales, elle ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale.

(cf. points 20-22, 28, 31-32, 34-36, 38, 40, 42-43, 49, disp. 1-2)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
15 juillet 2004(1)

«Libre circulation des capitaux – Impôt sur les revenus de capitaux – Revenus de capitaux d'origine autrichienne: taux d'imposition de 25 % avec effet libératoire ou taux égal à la moitié du taux d'imposition moyen applicable à l'ensemble des revenus – Revenus de capitaux originaires d'un autre État membre: taux normal d'imposition»

Dans l'affaire C-315/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Anneliese Lenz

et

Finanzlandesdirektion für Tirol,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE et 58 CE),

LA COUR (première chambre),,



composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Rosas et S. von Bahr, Mme R. Silva de Lapuerta et M. K. Lenaerts (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

– pour Mme A. Lenz, par MM. C. Huber et R. Leitner, Wirtschaftsprüfer et Steuerberater,

– pour le gouvernement autrichien, par M. H. Dossi, en qualité d'agent,

– pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, en qualité d'agent,

– pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et P. Boussaroque, en qualité d'agents,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. K. Manji, en qualité d'agent, assisté de M. M. Hoskins, barrister,

– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. K. Gross et R. Lyal, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales de Mme A. Lenz, représentée par MM. R. Leitner et G. Toifl, Steuerberater, du gouvernement autrichien, représenté par M. J. Bauer, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. M. Hoskins, et de la Commission, représentée par MM. K. Gross et R. Lyal, à l'audience du 29 janvier 2004,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 mars 2004,

rend le présent



Arrêt



1 Par ordonnance du 27 août 2002, parvenue à la Cour le 6 septembre suivant, le Verwaltungsgerichtshof a posé, en application de l’article 234 CE, trois questions préjudicielles relatives à l’interprétation des articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus, respectivement, articles 56 CE et 58 CE).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’une procédure engagée devant ladite juridiction par Mme Lenz, dans laquelle cette dernière a mis en cause la compatibilité avec le droit communautaire de la réglementation fiscale autrichienne relative à l’imposition des revenus de capitaux.


Le cadre juridique

3 Le régime fiscal autrichien prévoit une imposition des revenus des sociétés établies en Autriche à deux niveaux: celui de la société, sur les bénéfices qu’elle réalise, au taux fixe de 34 %, et celui de l’actionnaire, sur les revenus de capitaux, à savoir les dividendes et les autres bénéfices distribués par la société.

4 En ce qui concerne l’imposition des actionnaires, le régime applicable diffère selon qu’il s’agit de revenus d’origine autrichienne ou d’origine étrangère.

L’imposition des revenus de capitaux d’origine autrichienne

5 Aux termes de l’article 93, paragraphe 2, de l’Einkommensteuergesetz 1988 (loi de 1988 relative à l’impôt sur le revenu, BGBl. 1988/400, ci-après l’«EStG»): «[o]n est en présence de revenus de capitaux d’origine autrichienne lorsque le débiteur des revenus de capitaux est domicilié en Autriche ou que la direction commerciale ou le siège social se trouve en Autriche ou lorsque le débiteur est une succursale, en Autriche, d’un établissement de crédit […]» (version publiée au BGBl. 1996/201).

6 L’article 93, paragraphe 1, de l’EStG (version publiée au BGBl. 1996/201) dispose que, «[s]’agissant de revenus de capitaux d’origine autrichienne [...], l’impôt sur le revenu est prélevé par le biais d’une retenue sur les revenus des capitaux (‘Kapitalertragsteuer’)», qui s’élève, conformément à l’article 95, paragraphe 1, de l’EStG, à 25 %.

7 L’article 97, paragraphe 1, de l’EStG (version publiée au BGBl. 1996/797) prévoit que l’impôt sur les revenus de capitaux «est considéré comme ayant été acquitté de manière définitive du fait de la retenue de l’impôt». Les revenus de capitaux ne sont alors plus soumis à l’impôt sur le revenu.

8 Dans les cas où l’impôt à caractère libératoire ne peut pas être perçu au moyen d’une retenue fiscale à la source (c’est-à-dire auprès des sociétés), il est prévu à l’article 97, paragraphe 2, de l’EStG que l’impôt est perçu par «versement volontaire, au guichet payeur, d’un montant correspondant à l’impôt sur les revenus des capitaux» (version publiée au BGBl. 1996/797).

9 Si le contribuable décide de ne pas opter pour l’impôt libératoire de 25 % sur ses revenus de capitaux d’origine autrichienne, il bénéficie, conformément à l’article 37, paragraphes 1 et 4, de l’EStG (version publiée au BGBl. 1996/797), du régime dit «du taux réduit de moitié» («Halbsatzverfahren»).

10 Dans ce cas, les revenus de capitaux contribuent à déterminer le revenu total imposable, avec pour conséquence une augmentation possible du taux applicable. Toutefois, en contrepartie de cette augmentation, lesdits revenus de capitaux sont soumis à un taux d’imposition réduit à la moitié du taux moyen applicable au revenu total.

L’imposition des revenus de capitaux d’origine étrangère

11 Les revenus de capitaux d’origine étrangère versés à un contribuable résidant en Autriche sont soumis à l’impôt ordinaire sur le revenu. Ils contribuent donc à déterminer le revenu total imposable et sont régulièrement soumis à l’impôt sur le revenu dont le taux maximal est de 50 %.

12 Le cadre juridique autrichien a été amendé par une loi entrée en vigueur le 1er avril 2002. Cette loi est postérieure au litige au principal et ne s’applique donc pas à celui-ci.


Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Mme Lenz, ressortissante allemande assujettie de façon illimitée à l’impôt en Autriche, a déclaré au titre de l’année 1996 des revenus de capitaux sous forme de dividendes perçus de sociétés anonymes établies en Allemagne. L’administration fiscale autrichienne a soumis ces revenus à l’impôt ordinaire sur les revenus. Le taux d’imposition réduit de moitié prévu à l’article 37 de l’EStG et l’imposition libératoire prévue à l’article 97 lu en combinaison avec l’article 93 de l’EStG (ci-après les «avantages fiscaux en cause») ne s’appliquent en effet qu’aux revenus de capitaux d’origine autrichienne.

14 Considérant que l’application du taux progressif ordinaire de l’impôt sur ses revenus de capitaux d’origine allemande est contraire à la libre circulation des capitaux prévue à l’article 73 B, paragraphe 1, du traité, Mme Lenz a déposé une réclamation devant la Finanzlandesdirektion für Tirol. Cette réclamation a été rejetée, par une décision du 16 avril 1999, contre laquelle Mme Lenz a introduit un recours devant le Verwaltungsgerichtshof.

15 C’est dans ces circonstances que le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les dispositions combinées des articles 73 B, paragraphe 1, et 73 D, paragraphes 1, sous a) et b), et 3, du traité CE [devenus article 56, paragraphe 1, CE et article 58, paragraphes 1, sous a) et b), et 3, CE] s’opposent-elles à une disposition, comme celle que prévoit l’article 97, paragraphes 1 et 4, de l’EStG en liaison avec l’article 37, paragraphes 1 et 4, de l’EStG, selon laquelle, pour des dividendes d’actions nationales, l’assujetti peut choisir leur imposition forfaitaire et libératoire au taux de 25 % ou leur imposition à un taux réduit à la moitié du taux d’imposition moyen applicable au total des revenus, alors que les dividendes d’actions étrangères sont toujours imposés au taux normal de l’impôt sur le revenu?

2) Le montant de l’imposition des revenus de la société de capitaux dans laquelle la participation est prise et ayant son siège et sa direction dans un autre État membre ou dans un pays tiers importe-t-il pour répondre à la première question?

3) En cas de réponse affirmative à la première question: peut-on parvenir à une situation conforme à l’article 73 B, paragraphe 1, du traité en déduisant, au prorata, de l’impôt sur le revenu autrichien de la personne percevant des dividendes l’impôt sur les sociétés, acquitté dans leur pays par des sociétés par actions ayant leur siège et leur direction dans d’autres États membres ou dans des pays tiers?»


Sur les deux premières questions préjudicielles

16 Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 73 B, paragraphe 1, et 73 D, paragraphes 1 et 3, du traité s’opposent à une réglementation d’un État membre qui réserve l’application d’un taux d’imposition libératoire de 25 % ou d’un taux d’imposition réduit de moitié aux revenus de capitaux versés par une société établie dans cet État membre, à l’exclusion de ceux d’origine étrangère, et si, le cas échéant, l’appréciation de la compatibilité d’une telle réglementation avec lesdites dispositions du traité dépend du niveau d’imposition des bénéfices des sociétés au titre de l’impôt sur les sociétés dans l’État où elles sont établies.

17 Dès lors que le litige au principal concerne le refus par les autorités fiscales d’un État membre d’octroyer les avantages fiscaux en cause à une personne assujettie de façon illimitée à l’impôt dans cet État membre et ayant reçu des dividendes d’une société établie dans un autre État membre, les questions posées n’appellent de réponse que pour autant qu’elles concernent la libre circulation des capitaux entre les États membres.

18 Il y a lieu d’examiner d’abord si, comme le soutiennent Mme Lenz et la Commission des Communautés européennes, une réglementation fiscale, telle que celle en cause au principal, restreint la libre circulation des capitaux au sens de l’article 73 B, paragraphe 1, du traité.

19 Il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16; du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/98, Rec. p. I-4071, point 32, et du 4 mars 2004, Commission/France, C-334/02, non encore publié au Recueil, point 21).

20 Or, force est de constater que la réglementation fiscale en cause a pour effet de dissuader les contribuables résidant en Autriche d’investir leurs capitaux dans des sociétés établies dans un autre État membre. En effet, cette réglementation permet au contribuable résidant en Autriche de choisir, pour l’imposition de ses revenus de capitaux d’origine autrichienne, entre l’impôt libératoire au taux fixe de 25 % et l’impôt ordinaire sur le revenu à un taux réduit de la moitié, alors que ses revenus de capitaux originaires d’un autre État membre sont soumis à l’application de l’impôt ordinaire dont le taux peut atteindre 50 %.

21 Ladite réglementation produit également un effet restrictif à l’égard des sociétés établies dans d’autres États membres en ce qu’elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux en Autriche. En effet, dans la mesure où les revenus de capitaux originaires d’un autre État membre sont fiscalement traités de manière moins favorable que les revenus de capitaux d’origine autrichienne, l’acquisition d’actions de sociétés établies dans d’autres États membres est, pour les investisseurs résidant en Autriche, moins attrayante que celle d’actions de sociétés établies dans cet État membre (voir, en ce sens, arrêts Verkooijen, précité, point 35, et Commission/France, précité, point 24).

22 Il résulte de ce qui précède qu’une réglementation telle que celle en cause au principal constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 73 B, paragraphe 1, du traité.

23 Il convient toutefois d’examiner si cette restriction à la libre circulation des capitaux est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité.

24 À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à l’article 73 D, paragraphe 1, du traité, «l’article 73 B ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres […] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne […] le lieu où leurs capitaux sont investis» ni à leur droit «de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements».

25 Selon les gouvernements autrichien, danois, français et du Royaume-Uni, il ressort clairement de cette disposition que les États membres sont en droit de réserver les avantages fiscaux en cause aux seuls revenus de capitaux versés par les sociétés établies sur leur territoire.

26 À cet égard, il importe de relever que l’article 73 D, paragraphe 1, du traité, qui, en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte, ne saurait être interprété en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils investissent leurs capitaux serait automatiquement compatible avec le traité. En effet, la dérogation de l’article 73 D, paragraphe 1, du traité est elle-même limitée par l’article 73 D, paragraphe 3, du traité, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article «ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 73 B».

27 Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l’article 73 D, paragraphe 1, du traité des discriminations arbitraires interdites par l’article 73 D, paragraphe 3, de celui-ci. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu’une réglementation fiscale nationale, telle que celle en cause, qui opère une distinction entre les revenus de capitaux versés par des sociétés établies sur le territoire de l’État membre concerné et ceux originaires d’un autre État membre, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal, la lutte contre l’évasion fiscale et l’efficacité des contrôles fiscaux (arrêts Verkooijen, précité, point 43; du 21 novembre 2002, X et Y, C-436/00, Rec. p. I-10829, points 49 et 72, et Commission/France, précité, point 27). En outre, pour être justifiée, la différence de traitement entre différentes catégories de revenus de capitaux ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint.

28 Les gouvernements qui ont présenté des observations dans la présente affaire font valoir, en premier lieu, que les autorités autrichiennes collectent l’impôt relatif aux bénéfices que les sociétés établies en Autriche distribuent à leurs actionnaires en partie auprès des sociétés et en partie auprès des actionnaires. En ce qui concerne les sociétés établies hors de leur territoire, les autorités autrichiennes ne seraient pas à même de percevoir l’impôt sur les revenus des sociétés de la même manière. La réglementation fiscale en cause serait donc justifiée par une différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement fiscal, conformément à l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité (arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225, points 30 à 34 et 37, ainsi que Verkooijen, précité, point 43).

29 Il convient donc d’examiner si, conformément à l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité, la différence de traitement d’une personne assujettie de façon illimitée à l’impôt en Autriche selon qu’elle perçoit des revenus de capitaux de sociétés établies dans cet État membre ou des revenus de capitaux de sociétés établies dans d’autres États membres se rapporte à des situations qui ne sont pas objectivement comparables.

30 Il ressort du dossier que la réglementation fiscale autrichienne vise à atténuer les effets sur le plan économique d’une double imposition des bénéfices des sociétés, qui résulterait de l’imposition des bénéfices réalisés par la société, au titre de l’impôt sur les sociétés, et de l’imposition du contribuable actionnaire, au titre de l’impôt sur le revenu, des mêmes bénéfices distribués sous forme de dividendes.

31 Or, tant les revenus de capitaux d’origine autrichienne que ceux originaires d’un autre État membre sont susceptibles de faire l’objet d’une double imposition. En effet, dans les deux cas, les revenus sont en principe d’abord assujettis à l’impôt sur les sociétés puis – dans la mesure où ils sont distribués sous forme de dividendes – à l’impôt sur les revenus.

32 Au regard d’une règle fiscale qui vise à atténuer les effets d’une double imposition des bénéfices distribués par la société au profit de laquelle l’investissement est réalisé, les actionnaires assujettis de façon illimitée à l’impôt en Autriche qui perçoivent des revenus de capitaux d’une société établie dans un autre État membre se trouvent donc dans une situation comparable à celle d’actionnaires assujettis de façon illimitée à l’impôt également en Autriche, mais percevant des revenus de capitaux d’une société établie dans ce dernier État membre.

33 Il s’ensuit que la réglementation fiscale autrichienne, qui subordonne l’application du taux d’imposition libératoire de 25 % ou du taux réduit de moitié sur les revenus de capitaux à la condition que ces revenus soient d’origine autrichienne, ne se rapporte pas à une différence de situation au sens de l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité entre les revenus de capitaux d’origine autrichienne et ceux originaires d’un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 27 juin 1996, Asscher, C-107/94, Rec. p. I-3089, points 41 à 49, et du 12 juin 2003, Gerritse, C-234/01, Rec. p. I-5933, points 47 à 54).

34 Les gouvernements qui ont soumis des observations à la Cour soutiennent, en second lieu, que la réglementation fiscale autrichienne est objectivement justifiée par la nécessité d’assurer la cohérence du régime fiscal national (arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann, C-204/90, Rec. p. I-249, et Commission/Belgique, C-300/90, Rec. p. I-305). Ils font valoir à cet égard que les avantages fiscaux en cause visent à atténuer les effets d’une double imposition des bénéfices des sociétés. Il existerait en effet un lien économique direct entre l’imposition des bénéfices de la société et ces avantages fiscaux. Par conséquent, dès lors que seules les sociétés établies en Autriche sont soumises à l’impôt sur les sociétés dans cet État membre, il serait justifié de réserver lesdits avantages fiscaux aux seuls titulaires de revenus de capitaux d’origine autrichienne.

35 Il importe de rappeler que, aux points 28 et 21 respectivement des arrêts précités Bachmann et Commission/Belgique, dans lesquels la Cour a admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité, il existait un lien direct entre la déductibilité des cotisations versées dans le cadre des contrats d’assurance contre la vieillesse et le décès, d’une part, et l’imposition des sommes dues par les assureurs en exécution desdits contrats, d’autre part, lien qu’il était nécessaire de préserver en vue de sauvegarder la cohérence du système fiscal en cause (voir, notamment, arrêts du 28 octobre 1999, Vestergaard, C-55/98, Rec. p. I-7641, point 24, ainsi que X et Y, précité, point 52).

36 Dans l’affaire au principal, outre le fait que l’impôt sur les revenus des personnes physiques et l’impôt sur les sociétés sont deux impositions distinctes qui frappent des contribuables distincts (voir arrêts du 13 avril 2000, Baars, C-251/98, Rec. p. I-2787, point 40; Verkooijen, précité, points 57 et 58, et du 18 septembre 2003, Bosal, C-168/01, non encore publié au Recueil, point 30), il importe de constater que la réglementation fiscale autrichienne ne fait pas dépendre l’obtention des avantages fiscaux en cause dont bénéficient les contribuables résidant en Autriche au titre de leurs revenus de capitaux d’origine autrichienne de l’imposition des bénéfices des sociétés au titre de l’impôt sur les sociétés.

37 Il importe également de rappeler que l’argument fondé sur la nécessité de préserver la cohérence d’un système fiscal doit être vérifié eu égard à la finalité poursuivie par la réglementation fiscale en cause (voir arrêt du 11 mars 2004, De Lasteyrie du Saillant, C-9/02, non encore publié au Recueil, point 67).

38 Or, la finalité poursuivie par la réglementation fiscale autrichienne, à savoir l’atténuation d’une double imposition, ne serait nullement affectée si l’on faisait également bénéficier de la réglementation fiscale autrichienne les titulaires de revenus de capitaux originaires d’un autre État membre. Au contraire, le fait de réserver le taux d’imposition libératoire de 25 % et le taux d’imposition réduit de moitié uniquement aux titulaires de revenus de capitaux d’origine autrichienne a pour conséquence d’accroître l’écart entre la charge fiscale globale pesant sur les bénéfices des sociétés autrichiennes et celle grevant les bénéfices des sociétés établies dans un autre État membre.

39 Une argumentation fondée sur la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal autrichien ne saurait donc être accueillie.

40 Il convient certes de relever que l’octroi de l’avantage fiscal en cause également aux titulaires de revenus de capitaux originaires d’un autre État membre entraînerait, pour l’État membre concerné, une réduction de ses recettes fiscales. Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante que la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale (arrêts Verkooijen, précité, point 59; du 3 octobre 2002, Danner, C-136/00, Rec. p. I-8147, point 56, ainsi que X et Y, précité, point 50).

41 En outre, contrairement à ce que soutiennent les gouvernements autrichien et danois, le niveau d’imposition des sociétés établies dans un autre État membre n’est pas pertinent au regard de la réglementation fiscale autrichienne pour apprécier la compatibilité d’une législation nationale avec les articles 73 B et 73 D, paragraphes 1 et 3, du traité.

42 À cet égard, il importe de rappeler que, pour les revenus de capitaux d’origine autrichienne, la réglementation fiscale en cause n’établit aucun lien direct entre l’imposition des bénéfices des sociétés au titre de l’impôt sur les sociétés et les avantages fiscaux dont bénéficient les contribuables résidant en Autriche au titre de l’impôt sur les revenus. Dans ces conditions, le niveau d’imposition des sociétés établies hors du territoire autrichien ne saurait justifier un refus d’accorder aux titulaires de revenus de capitaux versés par ces dernières sociétés ces mêmes avantages fiscaux.

43 Certes, il ne peut pas être exclu que l’extension de la réglementation fiscale en cause aux revenus de capitaux originaires d’un autre État membre pourrait rendre avantageux, pour les investisseurs résidant en Autriche, l’achat d’actions de sociétés établies dans d’autres États membres, où le niveau de l’impôt sur les sociétés serait moins élevé qu’en Autriche. Toutefois, cette possibilité n’est nullement de nature à justifier une réglementation telle que celle en cause au principal. En effet, s’agissant d’un argument fondé sur un éventuel avantage fiscal pour les contribuables percevant dans leur pays de résidence des revenus de capitaux de sociétés établies dans un autre État membre, il suffit de relever qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait être justifié par l’existence d’autres avantages fiscaux, à supposer que de tels avantages existent (arrêt Verkooijen, précité, point 61, et jurisprudence citée).

44 Le gouvernement français fait en outre valoir que la réglementation fiscale autrichienne est justifiée par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux.

45 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort notamment de l’article 73 D, paragraphe 1, sous b), du traité que l’efficacité des contrôles fiscaux peut être invoquée pour justifier des restrictions à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité (voir arrêts du 8 juillet 1999, Baxter e.a., C-254/97, Rec. p. I-4809, point 18, et du 26 septembre 2000, Commission/Belgique, C-478/98, Rec. p. I-7587, point 39).

46 En ce qui concerne, en premier lieu, l’avantage fiscal résultant de l’imposition à un taux réduit des revenus de capitaux d’origine autrichienne, il n’est nullement démontré que l’application de différents taux d’imposition en fonction de l’origine des revenus de capitaux serait de nature à rendre les contrôles fiscaux plus efficaces.

47 En ce qui concerne, en second lieu, l’impôt libératoire au taux de 25 %, il importe de rappeler que celui-ci est retenu directement à la source par les sociétés établies en Autriche. Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 33 et 34 de ses conclusions, l’impôt à caractère libératoire ne présuppose pas nécessairement un impôt à la source. Ainsi, l’article 97, paragraphe 2, de l’EStG prévoit que, dans les cas où la retenue à la source n’est pas possible, l’impôt à caractère libératoire peut être acquitté par «versement volontaire, au guichet payeur, d’un montant correspondant à l’impôt sur les revenus de capitaux». Pour les revenus provenant de sociétés établies dans d’autres États membres, une modalité similaire de «versement volontaire» à l’administration fiscale pourrait donc être prévue.

48 Certes, la retenue à la source, réalisée directement par les sociétés établies en Autriche, constitue une opération plus aisée pour l’administration fiscale qu’un «versement volontaire». Toutefois, de simples inconvénients administratifs ne sont pas de nature à justifier un obstacle à une liberté fondamentale du traité, telle que la libre circulation des capitaux (arrêt Commission/France, précité, points 29 et 30).

49 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deux premières questions que les articles 73 B et 73 D, paragraphes 1 et 3, du traité s’opposent à une réglementation qui permet aux seuls titulaires de revenus de capitaux d’origine autrichienne de choisir entre l’impôt à caractère libératoire au taux de 25 % et l’impôt ordinaire sur le revenu avec application d’un taux réduit de moitié, alors qu’elle prévoit que les revenus de capitaux originaires d’un autre État membre sont obligatoirement soumis à l’impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux. Le refus d’accorder aux titulaires de revenus de capitaux originaires d’un autre État membre les avantages fiscaux accordés aux titulaires de revenus de capitaux d’origine autrichienne ne peut être justifié par la circonstance que le revenu des sociétés établies dans un autre État membre y serait soumis à une fiscalité peu élevée.


Sur la troisième question préjudicielle

50 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 73 B, paragraphe 1, du traité s’oppose à une législation fiscale qui permet au contribuable résidant en Autriche et percevant des revenus de capitaux originaires d’un autre État membre de déduire, au prorata de son impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés acquitté par la société dans laquelle il détient une participation.

51 Mme Lenz et la Commission émettent des réserves sur la recevabilité de cette question. Il s’agirait d’une question dénuée de pertinence pour la solution du litige au principal dès lors qu’elle porterait sur un régime fiscal qui n’est pas en vigueur en Autriche.

52 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la Cour ne peut pas statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke, C-83/91, Rec. p. I-4871, point 25; du 13 juillet 2000, Idéal tourisme, C-36/99, Rec. p. I-6049, point 20, et du 5 février 2004, Schneider, C-380/01, non encore publié au Recueil, point 22).

53 Or, les dispositions évoquées dans l’ordonnance de renvoi ne prévoient pas la possibilité de déduire en Autriche l’impôt sur les sociétés versé dans un autre État membre. Invité par la Cour à fournir des précisions sur ce point, le gouvernement autrichien a confirmé que la législation fiscale en vigueur à la date des faits au principal ne permettait pas d’identifier une déduction telle que celle indiquée par la juridiction de renvoi, même en procédant à une interprétation extensive de la loi.

54 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question posée.


Sur les dépens

55 Les frais exposés par les gouvernements autrichien, danois, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Verwaltungsgerichtshof, par ordonnance du 27 août 2002, dit pour droit:

1) Les articles 73 B et 73 D, paragraphes 1 et 3, du traité CE (devenus, respectivement, articles 56 CE et 58, paragraphes 1 et 3, CE) s’opposent à une réglementation qui permet aux seuls titulaires de revenus de capitaux d’origine autrichienne de choisir entre l’impôt à caractère libératoire au taux de 25 % et l’impôt ordinaire sur le revenu avec application d’un taux réduit de moitié, alors qu’elle prévoit que les revenus de capitaux originaires d’un autre État membre sont obligatoirement soumis à l’impôt ordinaire sur le revenu sans réduction de taux.

2) Le refus d’accorder aux titulaires de revenus de capitaux originaires d’un autre État membre les avantages fiscaux accordés aux titulaires de revenus de capitaux d’origine autrichienne ne peut être justifié par la circonstance que le revenu des sociétés établies dans un autre État membre y serait soumis à une fiscalité peu élevée.

Jann

Rosas

von Bahr

Silva de Lapuerta

Lenaerts

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2004.

Le greffier

Le président de la première chambre

R. Grass

P. Jann


1 – Langue de procédure: l'allemand.