«Sixième directive TVA – Article 26 bis – Régime particulier applicable dans le domaine des biens d'occasion – Notion de bien d'occasion – Cheval revendu après dressage»
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Sommaire de l'arrêt
Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Régime particulier des biens d'occasion – Notion de biens d'occasion – Animaux vivants – Inclusion – Animal acheté à un particulier et revendu après dressage
(cf. points 26-27, 29, disp. 1-2)
ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
1er avril 2004(1)
«Sixième directive TVA – Article 26 bis – Régime particulier applicable dans le domaine des biens d'occasion – Notion de bien d'occasion – Cheval revendu après dressage»
Dans l'affaire C-320/02, ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Regeringsrätten (Suède) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre Förvaltnings AB Stenholmenet
Riksskatteverket, une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 26 bis de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 94/5/CE du Conseil, du 14 février 1994 (JO L 60, p. 16),LA COUR (cinquième chambre),,
considérant les observations écrites présentées:
– pour Förvaltnings AB Stenholmen, par M. M. Ljungqvist, Verkställande direktör, – pour le Riksskatteverket, par M. L. Hamberg, en qualité d'agent, – pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et L. Parpala, en qualité d'agents,ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 juillet 2003,
rend le présent
3 L’article 2 de la sixième directive prévoit que les livraisons de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).
4 L’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive prévoit:
«Est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»
5 L’article 5, paragraphe 2, de la même directive donne plusieurs exemples de biens corporels. Il ne vise pas explicitement les animaux.
6 L’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive dispose:
«La base d’imposition est constituée:
a) pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations».
7 L’article 26 bis, introduit dans la sixième directive par la directive 94/5, prévoit un régime particulier applicable notamment dans le domaine des biens d’occasion.
8 Ainsi qu’il résulte des troisième et cinquième considérants de la directive 94/5, ce régime particulier vise à éviter les doubles impositions et les distorsions de concurrence entre assujettis.
9 Afin de réaliser cet objectif, l’article 26 bis, B, de la sixième directive prévoit que la TVA n’est perçue que sur la marge bénéficiaire réalisée par l’assujetti-revendeur, lorsqu’il a lui-même acquis le bien sans pouvoir déduire la TVA en amont, c’est-à-dire lorsque le bien lui a été livré:
«– par une personne non assujettie
ou
–par un autre assujetti, dans la mesure où la livraison du bien par cet autre assujetti est exonérée conformément à l’article 13 titre B point c)
ou
–par un autre assujetti, dans la mesure où la livraison du bien par cet autre assujetti bénéficie de la franchise prévue à l’article 24 et porte sur un bien d’investissement
ou
–par un autre assujetti-revendeur, dans la mesure où la livraison du bien par cet autre assujetti-revendeur a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée conformément au présent régime particulier.»
10 L’article 26 bis, A, donne les définitions suivantes:
«[…]
d) ‘biens d’occasion’, les biens meubles corporels susceptibles de remploi, en l’état ou après réparation, autres que des objets d’art, de collection ou d’antiquité et autres que des métaux précieux ou des pierres précieuses tels que définis par les États membres;
e) ‘assujetti-revendeur’, l’assujetti qui, dans le cadre de son activité économique, achète ou affecte aux besoins de son entreprise ou importe, en vue de leur revente, des biens d’occasion, des objets d’art, de collection ou d’antiquité, que cet assujetti agisse pour son compte ou pour le compte d’autrui en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente;
[…]»
11 L’article 26 bis de la sixième directive a été transposé en droit suédois par le chapitre 9 a de la mervärdeskattelagen (loi sur la TVA) (1994:200, ci-après la «ML»).
12 Stenholmen envisage d’acheter de jeunes chevaux à des particuliers, de les dresser pour en faire des chevaux de selle et ensuite de les revendre. Afin de connaître les conséquences fiscales de cette activité, elle a adressé la question suivante au Skatterättsnämnden (la commission de droit fiscal):
«Un cheval – acheté à un particulier (autre que l’éleveur), en tant que jeune cheval non dressé et revendu après avoir fait l’objet d’un dressage de cheval de selle – doit-il être considéré comme un bien d’occasion au moment de la revente, ce qui permettrait d’appliquer le régime d’imposition de la marge bénéficiaire?»
13 Dans un avis préalable, du 12 novembre 2001, le Skatterättsnämnden a répondu par la négative. La motivation de cet avis, telle qu’elle est reproduite dans l’ordonnance de renvoi, comporte notamment les passages suivants:
«La définition de la notion de bien d’occasion indique que le bien, outre le fait qu’il a déjà servi, doit être susceptible de remploi en l’état ou après réparation. Il semble, selon cette définition, que le caractère de bien d’occasion de l’objet doive être apprécié lors de l’acquisition de celui-ci par le revendeur. On peut également considérer que cela découle de la disposition qui définit la notion d’assujetti-revendeur. Le bien doit ainsi être revendu dans l’état dans lequel il se trouvait au moment de l’acquisition ou, – vraisemblablement – s’il est en mauvais état et s’il lui manque par conséquent une fonction normale que l’on attend d’un tel bien, après avoir été rendu utilisable par une réparation.
Il semble en résulter que, avant la vente du bien, celui-ci ne saurait se voir ajouter ou acquérir, lorsqu’il est en la possession du revendeur, des caractéristiques qui peuvent affecter sa valeur d’une autre manière que par la réparation. On peut considérer qu’il en est ainsi indépendamment du point de savoir si ces caractéristiques lui ont été ajoutées par un processus biologique ou d’une autre manière. Les organismes vivants en croissance, qu’il s’agisse d’animaux ou de végétaux, subissent de telles modifications au cours de leur cycle de vie que l’on peut considérer qu’ils acquièrent continuellement, dans une mesure plus ou moins grande, de nouvelles caractéristiques qui peuvent affecter leur valeur.
Il convient de rappeler par ailleurs que, en dehors de la notion de biens d’occasion, il ne fait pas de doute que les biens qui sont visés au chapitre 9 a de la ML sont des objets inanimés qui, à l’exception de certains objets de collection, ont été fabriqués. De même, dans le langage courant, la notion de biens d’occasion tend à être réservée à de tels objets et ne vise pas les organismes vivants. Le terme ‘réparation’ indique lui aussi qu’il s’agit de quelque chose de fabriqué qui est remis en état de fonctionnement par une réparation.
Eu égard à ce qui précède et étant donné que les animaux acquièrent en outre en l’espèce des aptitudes de chevaux de selle qu’ils n’avaient pas ou en tout cas qu’ils n’avaient pas dans la même mesure au moment de leur acquisition par la société, le Skatterättsnämnden considère que la revente des chevaux ne peut pas être assimilée à la vente de biens d’occasion.»
14 Stenholmen a fait appel de cet avis préalable devant le Regeringsrätten. Le Riksskatteverket est intervenu devant cette juridiction pour demander la confirmation de l’avis préalable attaqué.
15 Le Regeringsrätten, dans son ordonnance de renvoi, considère que les animaux vivants sont des biens au sens de la réglementation communautaire en matière de TVA. Il se demande toutefois s’il est possible que des animaux vivants soient considérés comme des biens d’occasion au sens de cette même réglementation.
16 Estimant qu’une interprétation du droit communautaire est nécessaire sur ce point, le Regeringsrätten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Un animal peut-il être considéré comme un bien d’occasion?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, un animal acheté à un particulier (autre que l’éleveur), qui est revendu après avoir été dressé pour une utilisation spécifique, doit-il être considéré comme un bien d’occasion?»
17 Il convient d’examiner ces questions ensemble.
Observations soumises à la Cour
18 Toutes les parties reconnaissent que les animaux sont des biens au sens de la sixième directive.
19 S’agissant de la première question, Stenholmen et la Commission estiment qu’un animal peut être considéré comme un bien d’occasion, conformément à l’article 26 bis de la sixième directive, même lorsqu’il a été acheté à un particulier (autre que l’éleveur) et qu’il est revendu après avoir été dressé pour une utilisation spécifique.
20 Elles rappellent l’objectif du régime particulier applicable aux biens d’occasion qui est d’éviter l’imposition cumulative et soulignent qu’exclure les animaux du champ d’application de ce régime y porterait atteinte. Stenholmen précise que les commerçants faisant négoce d’animaux seraient défavorisés par rapport à d’autres catégories de commerçants faisant négoce d’autres biens d’occasion.
21 S’agissant de la seconde question, Stenholmen et la Commission considèrent que la qualité de bien d’occasion dépend des seuls critères exprimés à l’article 26 bis, B, de la sixième directive, c’est-à-dire, en substance, de l’impossibilité de déduire la TVA en amont. La condition du vendeur ou l’utilisation future de l’animal ne devraient pas être prises en considération.
22 Le Riksskatteverket soutient, en substance, les mêmes arguments que ceux développés par le Skatterättsnämnden dans la motivation de son avis préalable. Il souligne que l’essentiel de la valeur de la cession future d’un cheval revendu après avoir été dressé pour une utilisation spécifique résulte du processus de dressage et qu’il serait économiquement injuste et contraire à l’intention du législateur de ne taxer que la valeur économique créée lors de la phase finale du cycle économique si le cheval a été acheté auprès d’un particulier ou de toute personne non assujettie.
Réponse de la Cour
23 Il convient tout d’abord de constater que, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 21 juin 1988, Tattersalls (10/87, Rec. p. 3281), les animaux sont des biens corporels au sens de l’article 5 de la sixième directive.
24 Ensuite, il y a lieu de relever que rien dans l’article 26 bis de la sixième directive n’indique que le régime particulier applicable aux livraisons de biens d’occasion ne s’applique pas aux livraisons d’animaux tels que des chevaux.
25 Au contraire, ainsi que l’a souligné Mme l’avocat général au point 34 de ses conclusions, exclure ces livraisons du régime particulier applicable aux biens d’occasion irait à l’encontre de l’intention expresse du législateur d’éviter la double taxation, exprimée dans les troisième et cinquième considérants de la directive 94/5. En effet, taxer la livraison par un assujetti-revendeur d’un animal tel qu’un cheval, acheté à un particulier et revendu après dressage, sur la totalité de son prix entraînerait en principe une double imposition puisque, quelle qu’importante que serait la partie du prix attribuable au dressage, il subsisterait toujours une partie du prix qui correspond au prix d’achat et qui incorpore dans la quasi-totalité des cas un montant de TVA acquitté en amont par le particulier sans que ni celui-ci ni l'assujetti-revendeur puisse le déduire.
26 Dès lors, l’interprétation restrictive proposée par le Riksskatteverket des termes «en l’état ou après réparation», figurant à la définition des biens d’occasion de l’article 26 bis, A, de la sixième directive ne saurait être retenue. En effet, dans ce contexte, il importe peu que l’augmentation de la valeur d’un animal concerné ne trouve pas son origine dans une «réparation», au sens strict du terme, mais, par exemple, dans un processus biologique ou dans le dressage de l’animal.
27 En outre, il y a lieu de relever que le système commun de TVA vise en principe à imposer la valeur économique ajoutée aux différents stades du processus de production et de distribution, jusqu’à la phase de consommation finale, par des assujettis agissant en tant que tels, au sens de la sixième directive. Il est évident que, dans une situation telle que celle au principal, il serait contraire à ce système de taxer la totalité du prix de vente demandé par l’assujetti-revendeur et non pas la seule valeur économique ajoutée lorsque l’animal était en sa possession.
28 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Riksskatteverket, il n’est ni économiquement injuste ni contraire à l’intention du législateur communautaire de ne taxer que la valeur économique ajoutée à cette dernière phase du cycle économique.
29 Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’il y a lieu de répondre aux questions posées de la manière suivante:
–l’article 26 bis de la sixième directive doit être interprété en ce sens que les animaux vivants peuvent être considérés comme des biens d’occasion au sens de cette disposition;
–peut ainsi être considéré comme un bien d’occasion au sens de cette disposition un animal acheté à un particulier (autre que l’éleveur), qui est revendu après avoir été dressé pour une utilisation spécifique.
30 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Regeringsrätten, par ordonnance du 10 septembre 2002, dit pour droit:
1)L’article 26 bis de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 94/5/CE du Conseil, du 14 février 1994, doit être interprété en ce sens que les animaux vivants peuvent être considérés comme des biens d’occasion au sens de cette disposition.
2)Peut ainsi être considéré comme un bien d’occasion au sens de cette disposition un animal acheté à un particulier (autre que l’éleveur), qui est revendu après avoir été dressé pour une utilisation spécifique.
Jann |
Rosas |
von Bahr |
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er avril 2004.
Le greffier |
Le président |
R. Grass |
V. Skouris |
1 – Langue de procédure: le suédois.