«Article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure – Première et sixième directives TVA – Principe de neutralité fiscale – Application de la TVA à chaque transaction de production ou de distribution – Recouvrement»
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Sommaire de l'ordonnance
Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Livraison de biens facturée indûment en exonération de la taxe – Recouvrement a posteriori auprès de l'assujetti ayant effectué la livraison – Absence de violation du principe de neutralité fiscale – Taxe sur la vente ultérieure des biens au consommateur final ayant été versée au Trésor public – Absence d'incidence
(cf. point 31 et disp.)
ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)
3 mars 2004(1)
«Article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure – Première et sixième directives TVA – Principe de neutralité fiscale – Application de la TVA à chaque transaction de production ou de distribution – Recouvrement»
Dans l'affaire C-395/02, ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre Transport Service NVet
Belgische Staat,Bea Cars BVBA, Transport Service NVet
Belgische Staat,Bea Cars BVBA, une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du principe de la neutralité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée,LA COUR (cinquième chambre),
rend la présente
3 L’article 2 de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 1967, 71, p. 1301), telle que modifiée en dernier lieu par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «première directive»), est libellé comme suit:
«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.
À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.
Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée est appliqué jusqu’au stade du commerce de détail inclus.»
4 L’article 2, point 1, de la sixième directive 77/388, dans sa version résultant de la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 384, p. 47, ci-après la «sixième directive»), soumet à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.
5 L’article 21, point 1, sous a), de la sixième directive dispose:
«La taxe sur la valeur ajoutée est due:
1.en régime intérieur:
a)par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, autre que l’une des prestations de services visées au point b).
[…]
Les États membres peuvent prévoir qu’une personne autre que l’assujetti est solidairement tenue d’acquitter la taxe».
6 L’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive prévoit:
«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-après et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les États membres exonèrent:
a)les livraisons de biens, au sens de l’article 5 et au sens de l’article 28 bis paragraphe 5 point a), expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire visé à l’article 3 mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.»
7 La juridiction de renvoi relève que, selon facture du 18 janvier 1994, Transport Service a vendu deux véhicules de marque Mercedes, au prix de 2 061 646 BEF, à M. Schellinck, résidant au Luxembourg.
8 Il ressort du jugement de renvoi que, à la suite d’un contrôle du 30 septembre 1998, au cours duquel la livraison effective des véhicules en cause au client luxembourgeois avait été mise en question, le ministère des Finances a établi, le 22 février 1999, un procès-verbal définitif constatant que Transport Service était redevable au Belgische Staat d’une somme de 422 637 BEF au titre de la TVA et d’une somme de 845 274 BEF à titre d’amende légale ainsi que d’intérêts de retard. Une contrainte a été signifiée à cette société le 26 mai 1999.
9 Le 24 juin 1999, Transport Service a fait opposition à ladite contrainte. Dans le cadre de son recours contre le Belgische Staat devant le Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen, elle a appelé Bea Cars BVBA (ci-après «Bea Cars»), société de droit belge, en intervention et en garantie.
10 La juridiction de renvoi précise que, selon le Belgische Staat, la livraison n’a pas eu lieu entre Transport Service et M. Schellinck, mais entre cette société et Bea Cars. Dès lors, aucune forme d’exemption de la TVA ne pourrait être invoquée pour la livraison des véhicules en cause et, partant, Transport Service serait redevable de la TVA sur la livraison des deux véhicules.
11 Transport Service, quant à elle, fait valoir qu’elle a vendu les deux véhicules à M. Schellinck sur commande expresse de Bea Cars. Dans ce cadre, elle aurait agi de bonne foi et n’aurait pas éludé la TVA. Par conséquent, si la juridiction de renvoi devait estimer qu’elle reste redevable de la TVA, Bea Cars, qui l’aurait trompée, devrait la garantir et l’indemniser pour le préjudice qu’elle aurait subi.
12 Bea Cars soutient qu’elle n’est en aucune manière concernée par l’opposition formée par Transport Service, ou du moins qu’elle ne saurait être redevable d’un quelconque montant au titre de la TVA, d’amendes ou d’intérêts. En effet, elle aurait versé au Belgische Staat la TVA due lors de la revente des deux véhicules en cause.
13 En outre, Transport Service et Bea Cars invoquent toutes deux une violation par le Beligische Staat du principe de la neutralité du système commun de la TVA, en ce qu’il leur réclame le paiement de la TVA ainsi que d’une amende, alors qu’il ne serait nullement contesté que ladite taxe a été acquittée par le consommateur final.
14 Dans ces conditions, le Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Le principe de la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée s’oppose-t-il à ce qu’un État membre réclame la TVA à un assujetti qui a émis une facture, à juste titre ou à tort en exemption de la TVA pour cause de livraison intracommunautaire (article 39bis du code belge de la TVA), lorsqu’il apparaît que la TVA a été acquittée par le consommateur final et transférée à l’État membre par l’émetteur de la facture établie pour ledit consommateur final?»
15 Considérant que, à la lumière de sa jurisprudence, la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour a, conformément à l’article 104, paragraphe 3, de son règlement de procédure, informé la juridiction de renvoi qu’elle se proposait de statuer par voie d’ordonnance motivée et invité les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice à présenter leurs observations éventuelles à ce sujet.
16 Le Belgische Staat et la Commission des Communautés européennes ont indiqué qu’ils ne formulaient pas d’objection. Les autres parties n’ont pas soumis d’observations dans les délais.
17 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 2, point 1, de la sixième directive soumet à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel.
18 Toutefois, en vertu de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, en dehors du territoire d’un État membre mais à l’intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.
19 Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si la livraison en cause au principal répond à ces conditions. Si tel est le cas, aucune TVA n’est due sur ladite livraison.
20 Pour le cas où la livraison en cause ne répondrait pas auxdites conditions ni aux conditions d’une autre exonération prévue par la sixième directive ou d’une dérogation autorisée conformément à celle-ci, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts du 19 février 1998, SPAR, C-318/96, Rec. p. I-785, point 23, et du 8 juin 1999, Pelzl e.a., C-338/97, C-344/97 et C-390/97, Rec. p. I-3319, point 16), le principe du système commun de TVA consiste, en vertu de l’article 2 de la première directive , à appliquer aux biens et aux services, jusqu’au stade du commerce de détail, un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre de transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.
21 Selon le principe fondamental inhérent à ce système et résultant des articles 2 des première et sixième directives , la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir, notamment, arrêts du 8 juin 2000, Midland Bank, C-98/98, Rec. p. I-4177, point 29, et du 27 novembre 2003, Zita Modes, C-497/01, non encore publié au Recueil, point 37).
22 Il s’ensuit que, dans la mesure où une livraison de biens telle que celle en cause au principal ne répond pas aux conditions de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, ni à celles d’une autre exonération prévue par ladite directive ou d’une dérogation autorisée conformément à celle-ci, cette livraison est soumise à la TVA, en vertu de l’article 2, point 1, de la même directive .
23 En vertu de l’article 21, point 1, sous a), de la sixième directive, est redevable de la TVA en régime intérieur l’assujetti effectuant une livraison de biens imposable.
24 Par conséquent, un assujetti qui effectue une livraison de biens telle que celle en cause au principal, dans la mesure où elle ne répond pas aux conditions de l’article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, ni à celles d’une autre exonération prévue par ladite directive ou d’une dérogation autorisée conformément à celle-ci, est redevable de la TVA sur cette opération.
25 Ne s’oppose pas à cette constatation, le principe selon lequel le système commun de TVA garantit la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques qui sont soumises à la TVA, indépendamment de leurs buts ou résultats (voir, en dernier lieu, arrêt Zita Modes, précité, point 38), dès lors que, conformément à l’article 17 de la sixième directive, l’assujetti est autorisé à déduire ladite taxe qui, en amont, a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix des biens concernés et que l’acquéreur, pour autant qu’il est assujetti, peut à son tour, en principe, déduire la TVA qu’il acquitte sur ces biens.
26 La question de savoir si la TVA sur la vente ultérieure des biens concernés au consommateur final a ou non été versée au Trésor public est dénuée de pertinence à cet égard. En effet, ainsi que cela a déjà été rappelé aux points 20 et 21 de la présente ordonnance, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix, jusqu’au stade du commerce de détail.
27 Quant au recouvrement de la TVA, force est de constater qu’aucune disposition de la sixième directive ne porte sur cette question. Ladite directive définit seulement, à son article 20, les conditions à remplir pour que la déduction des taxes en amont puisse être régularisée auprès du bénéficiaire de la livraison de biens ou de la prestation de services.
28 Il appartient donc, en principe, aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles la TVA peut être recouvrée a posteriori par le Trésor public, tout en restant toutefois dans les limites découlant du droit communautaire.
29 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter, en vertu de l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel, C-454/98, Rec. p. I-6973, point 59; ainsi que, également, en ce qui concerne les mesures adoptées par les États membres afin de préserver les droits du Trésor public, arrêt du 18 décembre 1997, Molenheide e.a., C-286/94, C-340/95, C-401/95 et C-47/96, Rec. p. I-7281, points 46 à 48).
30 Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a rappelé à juste titre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le droit communautaire n’empêche pas les États membres de considérer l’établissement de factures irrégulières comme une tentative de fraude fiscale et d’appliquer, dans un tel cas, les amendes ou sanctions pécuniaires prévues par leur droit interne (voir arrêt Schmeink & Cofreth et Strobel, précité, point 62).
31 Dès lors, il convient de répondre à la question préjudicielle que le principe de la neutralité du système commun de TVA ne s’oppose pas à ce qu’un État membre procède au recouvrement a posteriori de la TVA auprès d’un assujetti qui a indûment facturé une livraison de biens en exonération de cette taxe. Est dénuée de pertinence, à cet égard, la question de savoir si la TVA sur la vente ultérieure des biens concernés au consommateur final a été versée ou non au Trésor public.
32 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen, par jugement du 4 novembre 2002, dit pour droit:
Le principe de la neutralité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée ne s’oppose pas à ce qu’un État membre procède au recouvrement a posteriori de la taxe sur la valeur ajoutée auprès d’un assujetti qui a indûment facturé une livraison de biens en exonération de cette taxe. Est dénuée de pertinence, à cet égard, la question de savoir si la taxe sur la valeur ajoutée sur la vente ultérieure des biens concernés au consommateur final a été versée ou non au Trésor public.
Fait à Luxembourg, le 3 mars 2004.
Le greffier |
Le président de la cinquième chambre |
R. Grass |
C. Gulmann |
1 – Langue de procédure: le néerlandais.