Affaire C-25/03
Finanzamt Bergisch Gladbach
contre
HE
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof)
«Sixième directive TVA — Construction d’une maison d’habitation par deux époux en communauté qui n’exerce pas elle-même d’activité économique — Utilisation d’une pièce par l’un des copropriétaires à des fins professionnelles — Qualité d’assujetti — Droit à déduction — Modalités d’exercice — Exigences quant à la facture»
Conclusions de l’avocat général M. A. Tizzano, présentées le 11 novembre 2004
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 21 avril 2005.
Sommaire de l’arrêt
1. Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Assujettis — Notion — Personne ayant acquis un immeuble aux fins de l’habiter avec sa famille, mais utilisant une partie de celui-ci pour les besoins de l’exercice d’une activité économique et affectant cette partie au patrimoine de son entreprise — Inclusion
(Directive du Conseil 77/388, art. 2, 4 et 17)
2. Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Acquisition d’un bien d’investissement par une communauté résultant d’un mariage — Qualification des époux copropriétaires en tant que bénéficiaires de l’opération, impliquant un droit à déduction pour chacun d’eux pris individuellement
(Directive du Conseil 77/388, art. 17)
3. Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Acquisition d’un bien d’investissement par deux époux en communauté — Utilisation d’une part du bien par l’un des copropriétaires pour les besoins de son entreprise — Droit pour ce copropriétaire de déduire la totalité de la taxe ayant grevé ladite part — Condition — Montant déduit n’excédant pas les limites de la quote-part détenue par l’assujetti dans la copropriété dudit bien
(Directive du Conseil 77/388, art. 17)
4. Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Obligations de l’assujetti — Détention d’une facture contenant certaines mentions — Acquisition d’un immeuble par deux époux en communauté — Utilisation d’une partie de l’immeuble par l’un des copropriétaires à des fins professionnelles — Exigence pour ce dernier de disposer d’une facture établie à son nom et faisant apparaître les fractions du prix et de la taxe correspondant à sa quote-part dans la copropriété — Absence
(Directive du Conseil 77/388, art. 18, § 1, a), et 22, § 3)
1. Une personne qui acquiert ou fait construire une maison aux fins de l’habiter avec sa famille agit en qualité d’assujetti et bénéficie donc du droit à déduction en application de l’article 17 de la sixième directive 77/388, tant dans sa version initiale que dans celle résultant de la directive 91/680, dans la mesure où elle utilise une pièce de cet immeuble comme bureau pour les besoins de l’exercice, fût-ce à titre accessoire, d’une activité économique au sens des articles 2 et 4 de la même directive et où elle affecte cette partie de l’immeuble au patrimoine de son entreprise.
(cf. point 52 et disp.)
2. Lorsqu’une communauté résultant d’un mariage, qui n’est pas dotée de la personnalité juridique et n’exerce pas elle-même une activité économique au sens de la sixième directive 77/388, tant dans sa version initiale que dans celle résultant de la directive 91/680, passe commande d’un bien d’investissement, les copropriétaires formant ladite communauté doivent être considérés comme bénéficiaires de l’opération pour les besoins de l’application de cette directive.
En effet, étant donné qu’une telle communauté n’est pas assujettie et ne peut, de ce fait, déduire la taxe sur la valeur ajoutée en amont, un tel droit à déduction doit, conformément au principe de neutralité, être reconnu aux époux pris individuellement pour autant qu’ils aient la qualité d’assujettis.
(cf. points 57-58 et disp.)
3. Lorsque deux époux en communauté du fait de leur mariage acquièrent un bien d’investissement dont une partie est utilisée à des fins professionnelles de façon exclusive par l’un des époux copropriétaires, celui-ci bénéficie du droit à déduction pour la totalité de la taxe sur la valeur ajoutée en amont ayant grevé la part du bien qu’il utilise pour les besoins de son entreprise, pour autant que le montant déduit n’excède pas les limites de la quote-part que l’assujetti détient dans la copropriété dudit bien.
En effet, si l’opérateur en cause ne pouvait déduire qu’une fraction de la taxe qu’il a supportée pour la partie utilisée entièrement pour ses opérations taxables - fraction déterminée en fonction de sa quote-part dans la copropriété de l’immeuble pris dans sa globalité -, il ne serait pas déchargé de l’intégralité de la taxe afférente au bien qu’il utilise pour les besoins de son activité économique, contrairement aux exigences du principe de neutralité.
(cf. points 71, 74 et disp.)
4. Les articles 18, paragraphe 1, sous a), et 22, paragraphe 3, de la sixième directive 77/388, tant dans sa version initiale que dans celle résultant de la directive 91/680, n’exigent pas que, pour pouvoir exercer le droit à déduction, un assujetti qui a acquis en communauté avec son époux un immeuble dont il utilise une partie à des fins professionnelles dispose d’une facture établie à son nom et faisant apparaître les fractions du prix et de la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à sa quote-part dans la copropriété. Une facture délivrée indistinctement aux époux en copropriété et sans mention d’une telle ventilation est suffisante à cet effet.
(cf. point 83 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
21 avril 2005 (*)
« Sixième directive TVA – Construction d’une maison d’habitation par deux époux en communauté qui n’exerce pas elle-même d’activité économique – Utilisation d’une pièce par l’un des copropriétaires à des fins professionnelles – Qualité d’assujetti – Droit à déduction – Modalités d’exercice – Exigences quant à la facture»
Dans l'affaire C-25/03,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 29 août 2002, parvenue à la Cour le 23 janvier 2003, dans la procédure
Finanzamt Bergisch Gladbach
contre
HE,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. R. Schintgen (rapporteur), G. Arestis et J. Klučka, juges,
avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 23 septembre 2004,
considérant les observations présentées:
– pour le Finanzamt Bergisch Gladbach, par M. A. Eich, en qualité d'agent,
– pour M. HE, par Me C. Fuhrmann, Rechtsanwalt, et M. K. Korn, Steuerberater,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et K. Gross, en qualité d'agents,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 novembre 2004,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 4, 17, 18 et 22 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), tant dans leur version initiale que dans celle résultant de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388 (JO L 376, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Bergisch Gladbach (ci-après le «Finanzamt») à M. HE et tendant à savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure M. HE, qui est copropriétaire avec son épouse d’un immeuble d’habitation, dans lequel il utilise une pièce seul et à des fins uniquement professionnelles, peut bénéficier du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») ayant grevé la construction dudit immeuble.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Aux termes de l’article 2, constituant le titre II, intitulé «Champ d’application», de la sixième directive:
«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:
1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;
2. les importations de biens.»
4 L’article 4, formant le titre IV, intitulé «Assujettis», de cette directive dispose:
«1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
[…]»
5 L’article 5 «Livraisons de biens», du titre V, intitulé «Opérations imposables», de la même directive prévoit à son paragraphe 1:
«Est considéré comme ‘livraison d’un bien’ le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.»
6 Selon l’article 17 «Naissance et étendue du droit à déduction», inséré au titre XI, intitulé «Déductions», de la sixième directive:
«1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.
2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;
[…]
6. Au plus tard avant l’expiration d’une période de quatre ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.
Jusqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive.
[…]»
7 Au cours de la période en cause dans l’affaire au principal est intervenue la directive 91/680 qui oblige, à son article 3, les États membres à adapter leur régime de TVA aux dispositions qu’elle édicte et à prendre les mesures nécessaires afin que ces adaptations soient mises en vigueur le 1er janvier 1993. Ledit article 17, paragraphe 2, dans sa version résultant de la directive 91/680, dispose:
«2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti redevable de la taxe à l’intérieur du pays;
[…]»
8 L’article 18, intitulé «Modalités d’exercice du droit à déduction» et faisant partie du même titre XI de la sixième directive, est libellé comme suit:
«1. Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit:
a) pour la déduction visée à l’article 17 paragraphe 2 sous a), détenir une facture établie conformément à l’article 22 paragraphe 3;
[…]»
9 Conformément à l’article 22 «Obligations en régime intérieur», inséré au titre XIII, intitulé «Obligations des redevables», de la sixième directive:
«[…]
3. a) Tout assujetti doit délivrer une facture, ou un document en tenant lieu, pour les livraisons de biens et les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti, et doit conserver un double de tous les documents émis.
[…]
b) La facture doit mentionner, d’une façon distincte, le prix hors taxe et la taxe correspondante pour chaque taux différent ainsi que, le cas échéant, l’exonération.
c) Les États membres fixent les critères selon lesquels un document peut être considéré comme tenant lieu de facture.
[…]
8. […] les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude.
[…]»
10 Ledit article 22 a été modifié comme suit par la directive 91/680:
«[…]
3. a) Tout assujetti doit délivrer une facture, ou un document en tenant lieu, pour les livraisons de biens et les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie. […] L’assujetti doit conserver un double de tous les documents émis.
[…]
b) La facture doit mentionner, d’une façon distincte, le prix hors taxe et la taxe correspondante pour chaque taux différent ainsi que, le cas échéant, l’exonération.
[…]
c) Les États membres fixent les critères selon lesquels un document peut être considéré comme tenant lieu de facture.
[…]
8. Les États membres ont la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.
[…]»
La réglementation nationale
11 Les dispositions pertinentes de la loi allemande relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz, ci-après l’«UStG»), dans leur version applicable pendant les années d’imposition 1991 à 1993 (voir respectivement BGBl. 1991 I, p. 351, et BGBl. 1993 I, p. 566), en cause dans l’affaire au principal, avaient la teneur suivante:
«Article 14 Établissement de factures
1) Lorsque l’assujetti effectue des livraisons de biens ou des prestations de services taxables conformément à l’article 1er, paragraphe 1, points 1 et 3, il peut et, dans la mesure où il effectue ces opérations aux fins de l’entreprise d’un autre assujetti, il doit, à la demande de ce dernier, établir des factures faisant apparaître distinctement le montant de la taxe. Les factures doivent contenir les mentions suivantes:
1. le nom et l’adresse de l’assujetti qui effectue la livraison de biens ou la prestation de services;
2. le nom et l’adresse du bénéficiaire de la livraison ou de la prestation de services;
3. la quantité et la désignation commerciale usuelle des biens livrés ou la nature et l’étendue de la prestation de services;
4. la date de la livraison de biens ou de la prestation de services;
5. la rémunération de la livraison de biens ou de la prestation de services (article 10), et
6. le montant de la taxe afférent à la rémunération (point 5).
[…]
Article 15 Déduction de la taxe en amont
1) L’assujetti peut déduire les montants de taxe en amont suivants:
1. la taxe mentionnée séparément sur les factures au sens de l’article 14 que lui ont délivrées d’autres assujettis pour des livraisons de biens ou des prestations de services effectuées aux fins de son entreprise. Lorsque le montant de la taxe indiqué séparément porte sur des opérations de cette nature qui ont été payées sans encore être exécutées, il est déductible dès le moment où la facture est établie et où le paiement a été effectué;
[…]»
12 Le Bundesfinanzhof s’étant référé dans sa décision de renvoi à la situation juridique telle qu’elle existe en la matière en République d’Autriche, il convient de préciser que, dans cet État membre, l’article 12, paragraphe 2, point 2, de la loi de 1994 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuergesetz, BGBl. 663/1994) prévoit ce qui suit:
«Ne sont pas réputées être effectuées aux fins de l’entreprise, les livraisons de biens, les prestations de services ou les importations
a) dont la rémunération ne constitue pas principalement des dépenses (charges) déductibles au sens de l’article 20, paragraphe 1, points 1 à 5, de la loi de 1988 relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, BGBl. 100/1988)
[…]»
13 Cette dernière disposition est ainsi rédigée:
«Ne peuvent être déduits des différentes recettes:
[…]
2. […]
d) les charges ou dépenses afférentes à un bureau situé dans le logement et à son équipement, ainsi qu’aux biens d’équipement du logement. Si un bureau situé dans le logement constitue le centre de toute l’activité de l’entreprise et de l’activité professionnelle de l’assujetti, les charges et dépenses qui s’y rapportent, frais d’équipement compris, sont déductibles.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 Il ressort du dossier de l’affaire au principal que, au cours de l’année 1990, M. HE a acquis en indivision un terrain avec son épouse. Les quotes-parts s’élevaient à un quart pour le mari et à trois quarts pour son épouse. Par la suite, lesdits époux ont chargé différentes entreprises de construire sur ce terrain une maison à usage d’habitation. Lors de l’audience devant la Cour, le représentant de M. HE a précisé que, s’agissant dudit immeuble, les quotes-parts des copropriétaires étaient également d'un quart pour le mari et de trois quarts pour l’épouse. Toutes les factures concernant cette construction ont été adressées à M. et Mme HE, sans qu’il ait été opéré de distinction en fonction de la quote-part de chacun des coproprietaires.
15 Il est constant que M. HE a utilisé une pièce de cette maison comme bureau, afin d’y exercer, parallèlement à sa profession salariée, une activité professionnelle accessoire d’auteur spécialisé.
16 Aux fins de ses déclarations de TVA pour la période portant sur les années d’imposition 1991, 1992 et 1993, M. HE a, sur la base des factures relatives à la construction de l’immeuble, opéré des déductions proportionnelles pour lesquelles il a estimé la part déductible à 12 %, correspondant au rapport entre la surface du bureau et la surface totale habitable de la maison.
17 Le Finanzamt a toutefois refusé ces déductions, au motif que le maître d’ouvrage et bénéficiaire de la construction était la communauté formée par les époux HE et non pas M. HE pris individuellement.
18 Le recours introduit par M. HE contre cette décision de refus a été accueilli partiellement en première instance par le Finanzgericht.
19 Ainsi, selon cette juridiction, sur le plan du droit civil, M. HE n’était maître d’ouvrage et preneur des travaux de construction correspondant au bureau qu’à concurrence d’un quart. À défaut d’autres éléments, ladite juridiction s’est en effet fondée sur la répartition, entre les époux, de la propriété de l’immeuble. Compte tenu du fait que la quote-part de l’épouse était de trois quarts, le Finanzgericht n’a reconnu à M. HE le droit de déduire la TVA en amont se rapportant au bureau qu’à concurrence d’un quart, soit un quart de 12 % du total des montants de la taxe en amont. Selon la même juridiction, la circonstance que les factures avaient été adressées aux deux époux sans différenciation est dépourvue de pertinence dans ce contexte.
20 Tant le Finanzamt que M. HE ont introduit un recours en «Revision» contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof.
21 D’après le Finanzamt, il convient d’opérer une distinction selon que les prestations en cause au principal ont été fournies à la communauté ou à un seul des copropriétaires. Si l’identité du maître d’ouvrage ne ressort pas clairement de la commande, la communauté serait réputée bénéficiaire des travaux. Les rapports entre M. et Mme HE quant à la propriété de l’immeuble seraient dépourvus de pertinence à cet égard. En toute hypothèse, l’absence de répartition du montant de la TVA en amont entre ces derniers ainsi que l’émission des factures au nom des deux époux sans distinction s’opposeraient à ce que M. HE bénéficie d’une déduction quelconque.
22 En revanche, M. HE considère que, disposant d’un droit exclusif de jouissance de la partie de l’immeuble utilisée comme bureau, il doit être regardé comme le seul maître d’ouvrage en ce qui concerne les travaux de construction de cette partie. Selon lui, le refus de la déduction sollicitée, sur le seul fondement du droit civil national, est incompatible avec le système commun de la TVA. Contrairement à ce qu’a jugé la juridiction de première instance, le droit à déduction devrait être étendu à toute la TVA relative à la construction du bureau, soit 12 % de la totalité de la TVA afférente à la maison.
23 Le Bundesfinanzhof relève que, en application du droit allemand, lorsque la commande est passée conjointement par plusieurs personnes agissant non pas comme entité juridique autonome – société de personnes ou de capitaux –, mais en tant que simple communauté de fait, chaque membre de celle-ci est bénéficiaire de la prestation à hauteur de la part convenue en sa faveur. En l’espèce au principal, si l’on se place du point de vue de la TVA, la communauté en tant que telle ne serait pas intervenue, de sorte qu’il conviendrait de considérer que les deux époux sont bénéficiaires de la prestation en cause.
24 Cette juridiction relève également que, selon les constatations du Finanzgericht, seul M. HE a exercé une activité professionnelle dans le bureau situé dans l’immeuble construit en commun. Conformément à sa jurisprudence, le droit à déduction, dans l’hypothèse des communautés d’acquisition, est ouvert à chacun des entrepreneurs ayant acquis un bien pour l’utiliser à des fins professionnelles à concurrence de sa part dans la communauté. Dans le cas où des époux avaient loué des locaux professionnels qu’un seul des conjoints utilisait pour les besoins de son entreprise, le Bundesfinanzhof s’est fondé, en l’absence d’autres éléments, sur l’article 742 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch), en vertu duquel les droits et obligations sont répartis par moitié entre les membres de la communauté, pour juger que la déduction au profit de l’un desdits membres utilisant le bien à des fins professionnelles n’est ouverte qu’à concurrence de la moitié du montant total de la taxe d’amont.
25 Tel serait également le résultat auquel aurait abouti en l’occurrence le Finanzgericht, qui aurait jugé à bon droit que ce raisonnement n’est pas remis en cause par la circonstance que les factures avaient été libellées au nom des deux époux.
26 Le Bundesfinanzhof se demande toutefois si cette solution est compatible avec la sixième directive.
27 Tout d’abord, il ne serait pas possible de répondre avec certitude que les prestations de construction d’un immeuble à usage d’habitation, dans lequel est aménagé un bureau, ont été acquises par M. HE «comme assujetti» et «pour les besoins de ses opérations taxées», au sens de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, ou bien qu’elles l’ont été pour des besoins privés d’habitation, d’autant plus que, par exemple, les autorités autrichiennes excluent dans un tel cas le droit à déduction.
28 Dans ce contexte, il conviendrait également de déterminer si les dépenses consacrées à la construction d’un bureau dans un domicile ont ou non «un caractère strictement professionnel», de sorte que, dans ce dernier cas, elles seraient en elles-mêmes exclues du droit à déduction conformément à l’article 17, paragraphe 6, deuxième phrase, de la sixième directive.
29 À supposer que le droit à déduction existe quant à son principe dans un tel cas de figure, il y aurait lieu ensuite de se prononcer sur les modalités d’exercice, en droit communautaire, de ce droit à déduction lors de l’acquisition d’un bien d’investissement par une communauté résultant d’une indivision ou d’un mariage et qui n’agit pas elle-même en tant qu’assujettie.
30 Enfin, l’application des conditions énoncées aux articles 18, paragraphe 1, sous a), et 22, paragraphe 3, sous a) et c), de la sixième directive soulèverait des doutes au regard de la jurisprudence nationale selon laquelle les exigences tenant aux indications supplémentaires à porter sur la facture en ce qui concerne les quotes-parts respectives présentent un caractère mineur.
31 C’est dans ces conditions que le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une personne qui acquiert ou construit une maison à usage d’habitation aux fins de l’habiter agit-elle en qualité d’assujettie lors de l’acquisition ou de la construction de ladite maison, si elle entend utiliser l’une des pièces de cet immeuble comme bureau pour une activité indépendante accessoire?
2) En cas de réponse affirmative à la première question:
Si une communauté par indivision ou par mariage, qui n’agit pas elle-même à des fins professionnelles, passe commande d’un bien d’investissement, faut-il considérer qu’il y a acquisition par un non-assujetti, qui n’est pas en droit de déduire la TVA en amont ayant grevé l’acquisition, ou faut-il considérer que tous les copropriétaires sont bénéficiaires de l’opération?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question:
Si des époux acquièrent un bien d’investissement en indivision et que ce bien n’est utilisé à des fins professionnelles que par l’un des copropriétaires pour son entreprise, le droit à déduction peut-il être exercé
a) par ce copropriétaire à concurrence uniquement de la fraction de taxe en amont correspondant à sa quote-part d’acquéreur,
ou
b) ce propriétaire peut-il, conformément à l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, déduire le montant de taxe en amont correspondant à la part de son utilisation professionnelle du bien dans son ensemble (sous réserve des conditions de facturation envisagées à la quatrième question)?
4) Pour exercer le droit à déduction conformément à l’article 18 de la sixième directive, une facture, au sens de l’article 22, paragraphe 3, de cette directive, doit-elle être établie au nom de ce seul copropriétaire/époux − et mentionner les fractions du prix et de la taxe correspondant à sa quote-part − ou celle qui a été délivrée aux copropriétaires/époux sans faire apparaître une telle ventilation suffit-elle?»
Observations liminaires
32 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il ressort du dossier que:
– les époux HE ont acquis en communauté un terrain sur lequel ils ont fait construire en copropriété une maison d’habitation;
– dans la communauté ainsi formée par les époux HE du fait de leur mariage, la quote-part du mari s’élève à un quart et celle de son épouse à trois quarts en ce qui concerne tant le terrain que la maison;
– outre sa profession salariée, M. HE exerce, à titre accessoire, une activité professionnelle indépendante d’auteur spécialisé;
– pour les besoins de cette dernière activité, il utilise de manière exclusive une pièce de la maison comme bureau; il est constant que cette pièce représente 12 % de la surface totale habitable de l’immeuble;
– l’épouse de M. HE n’exerce aucune activité économique au sens de la sixième directive et n’a à aucun moment fait usage de ce bureau;
– la communauté formée par les époux HE du fait de leur mariage n’exerce pas non plus d’activité économique au sens de la sixième directive et elle n’est pas dotée de la personnalité juridique, pas plus qu’elle ne possède un pouvoir d’action autonome;
– n’ayant ainsi pas la qualité d’assujettis, ni l’épouse de M. HE ni ladite communauté ne bénéficient du droit à déduction en application de la sixième directive;
– les factures afférentes à la construction de la maison ont été adressées indistinctement aux époux HE et ne précisaient pas les fractions de prix ainsi que de TVA correspondant à la quote-part de chacun des deux époux dans la copropriété;
– M. HE sollicite la déduction de la TVA en amont pour l’intégralité du bureau utilisé par lui à des fins exclusivement professionnelles, soit 12 %, alors qu’il détient une quote-part de 25 % dans la copropriété immobilière.
33 C’est à la lumière de ces caractéristiques de l’affaire au principal qu’il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles.
34 Il convient d’ajouter que, aux fins de ces réponses, s’agissant des articles 17 et 22 de la sixième directive, il n’y a pas lieu d’opérer de distinction entre la version initiale de ces dispositions et celle résultant de la directive 91/680, au motif qu’elles doivent être considérées comme revêtant une portée en substance identique pour les besoins de l’interprétation que la Cour sera amenée à donner dans le cadre de la présente affaire.
Sur la première question
35 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si une personne qui acquiert ou fait construire une maison aux fins de l’habiter avec sa famille agit en qualité d’assujetti et bénéficie donc du droit à déduction en application de l’article 17 de la sixième directive, dans la mesure où elle utilise une pièce de cet immeuble comme bureau pour les besoins de l’exercice, à titre accessoire, d’une activité économique au sens des articles 2 et 4 de la même directive.
36 À cet égard, il y a lieu de rappeler d’emblée que la sixième directive établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (voir arrêt du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, C-305/01, Rec. p. I-6729, point 38).
37 Il résulte de l’article 2 de ladite directive, qui définit le champ d’application de la TVA, lu en combinaison avec l’article 4 de la même directive, que seules sont soumises à cette taxe les activités qui ont un caractère économique, dès lors qu’elles sont effectuées à l’intérieur de l’État membre par un assujetti agissant en tant que tel.
38 En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante, l’une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2 de cet article.
39 La notion d’«activités économiques» est définie audit paragraphe 2 comme englobant «toutes» les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. Ce concept d’«exploitation» se réfère, conformément aux exigences du principe de neutralité du système commun de TVA, à toutes ces opérations, quelle que soit leur forme juridique (voir arrêt du 21 octobre 2004, BBL, C-8/03, non encore publié au Recueil, point 36).
40 Selon une jurisprudence constante, l’article 4 de la sixième directive assigne ainsi un champ d’application très large à la TVA, englobant tous les stades de la production, de la distribution et de la prestation de services (voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1990, Van Tiem, C-186/89, Rec. p. I-4363, point 17, et MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, précité, point 42).
41 Or, sur la base des critères énoncés à l’article 4 de ladite directive, au regard desquels la qualité d’assujetti doit être exclusivement appréciée (voir arrêts précités Van Tiem, point 25, et BBL, point 36), une personne telle que M. HE doit être considérée comme ayant cette qualité.
42 En effet, il ressort du dossier que, au cours de la période en cause au principal, qui s’étend de 1991 à 1993, l’intéressé a exercé effectivement – même si ce n’est qu’à titre accessoire – une activité économique indépendante au sens dudit article 4.
43 En outre, il résulte de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive que, dans la mesure où l’assujetti, agissant en tant que tel, utilise le bien pour les besoins de ses opérations taxées, il est autorisé à déduire la TVA due ou acquittée pour ledit bien. À l’inverse, lorsque le bien n’est pas utilisé pour les besoins des activités économiques de l’assujetti au sens de l’article 4 de la même directive, mais que ce dernier l’utilise pour sa consommation privée, aucun droit à déduction ne peut prendre naissance (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, Rec. p. I-3795, points 8 et 9).
44 Or, il ressort à cet égard du dossier que, au cours de la période en cause dans l’affaire au principal, M. HE a, pour les besoins de l’exercice de son activité économique indépendante d’auteur spécialisé, utilisé à titre exclusif une pièce de l’immeuble qu’il a fait construire avec son épouse et dont il est copropriétaire.
45 La circonstance que, en l’occurrence, l’intéressé n’a utilisé qu’une partie de cet immeuble pour les besoins de son activité économique est dénuée de pertinence.
46 Il est en effet de jurisprudence constante que, en cas d’utilisation d’un bien d’investissement à des fins tant professionnelles que privées, l’intéressé a le choix, pour les besoins de la TVA, soit d’affecter ce bien en totalité au patrimoine de son entreprise, soit de le conserver en totalité dans son patrimoine privé en l’excluant ainsi complètement du système de la TVA, soit – comme en l’espèce au principal – de ne l’intégrer dans son entreprise qu’à concurrence de l’utilisation professionnelle effective (voir en ce sens, notamment, arrêts du 8 mars 2001, Bakcsi, C-415/98, Rec. p. I-1831, points 24 à 34, et du 8 mai 2003, Seeling, C-269/00, Rec. p. I-4101, points 40 et 41).
47 Dans ce dernier cas, il convient donc de considérer que, dans les limites de l’utilisation professionnelle du bien, l’opérateur concerné a agi en tant qu’assujetti lors de l’acquisition ou de la construction de l’immeuble qui, dans cette mesure, doit être regardé comme étant utilisé pour les besoins des opérations taxées de cet opérateur au sens de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive.
48 L’interprétation qui précède est corroborée par le principe de neutralité, en vertu duquel la personne concernée ne doit supporter la charge de la TVA que lorsque celle-ci se rapporte à des biens ou services que cette personne utilise pour sa consommation privée et non pas pour ses activités professionnelles taxables.
49 Ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission, les doutes exprimés par la juridiction de renvoi quant à la question de savoir si une opération telle que celle en cause au principal relève du champ d’application de la sixième directive ne sont pas fondés.
50 En effet, la circonstance qu’un autre État membre (comme en l’espèce la République d’Autriche) exclut le droit à déduction dans le cas d’un bureau situé dans un logement est dépourvue de pertinence, eu égard au caractère commun du système de la TVA ainsi qu’au but d’harmonisation que celui-ci poursuit et dont il résulte que les dérogations au droit à déduction ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la sixième directive, en vue de garantir leur application identique dans l’ensemble des États membres.
51 Par ailleurs, pour autant que la juridiction de renvoi se fonde sur l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive, il y a lieu de relever, d’abord, qu’il n’existe pas, en l’état actuel du droit communautaire, d’acte du Conseil qui exclurait du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation. Ensuite, la législation allemande applicable au moment de l’entrée en vigueur de ladite directive ne comportait aucune exclusion du droit à déduction pour les bureaux situés dans un logement. Enfin, la République fédérale d’Allemagne n’a pas été autorisée à introduire des mesures particulières dérogatoires à cette directive au sens de l’article 27 de celle-ci.
52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question qu’une personne qui acquiert ou fait construire une maison aux fins de l’habiter avec sa famille agit en qualité d’assujetti et bénéficie donc du droit à déduction en application de l’article 17 de la sixième directive, dans la mesure où elle utilise une pièce de cet immeuble comme bureau pour les besoins de l’exercice, fût-ce à titre accessoire, d’une activité économique au sens des articles 2 et 4 de la même directive et qu’elle affecte cette partie de l’immeuble au patrimoine de son entreprise.
Sur la deuxième question
53 Cette question porte en substance sur le point de savoir si, dans l’hypothèse où une communauté résultant d’un mariage, qui n’est pas dotée de la personnalité juridique et n’exerce pas elle-même une activité économique au sens de la sixième directive, passe commande d’un bien d’investissement, les copropriétaires formant ladite communauté doivent être considérés comme bénéficiaires de l’opération pour les besoins de l’application de ladite directive.
54 À cet égard, il ressort du dossier à la disposition de la Cour que la communauté formée par les époux HE du fait de leur mariage n’a pas elle-même exercé une activité économique sous la forme d’une société de droit civil dotée d’une personnalité juridique propre ou d’une entité qui, même dépourvue de cette personnalité, possède en fait le pouvoir d’agir de façon indépendante. En effet, lesdits époux se sont bornés à agir dans les faits de façon conjointe lors de l’acquisition du terrain et de la construction de l’immeuble.
55 Ladite communauté n’est donc pas intervenue dans les opérations en cause au principal du point de vue de la TVA et ne peut, dès lors, pas être regardée comme un assujetti au sens de la sixième directive.
56 Dans ces conditions et à défaut d’autres éléments pertinents, il convient de considérer que les époux HE, en leur qualité de copropriétaires du bien d’investissement, sont bénéficiaires de la livraison de ce bien pour les besoins de l’application de la sixième directive.
57 Cette solution est également conforme au principe de neutralité. Étant donné que la communauté formée par lesdits époux n’est pas assujettie et ne peut, de ce fait, déduire la TVA en amont, un tel droit à déduction doit être reconnu aux époux pris individuellement pour autant qu’ils aient la qualité d’assujettis.
58 Il y a dès lors lieu de répondre à la deuxième question que, lorsqu’une communauté résultant d’un mariage, qui n’est pas dotée de la personnalité juridique et n’exerce pas elle-même une activité économique au sens de la sixième directive, passe commande d’un bien d’investissement, les copropriétaires formant ladite communauté doivent être considérés comme bénéficiaires de l’opération pour les besoins de l’application de ladite directive.
Sur la troisième question
59 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si, lorsque deux époux en communauté du fait de leur mariage acquièrent un bien d’investissement dont une partie est utilisée à des fins professionnelles de façon exclusive par l’un des époux copropriétaires, celui-ci bénéficie du droit à déduction pour la totalité de la TVA en amont ayant grevé la part du bien qu’il utilise pour les besoins de son entreprise ou bien seulement pour la fraction de la TVA en amont correspondant à sa quote-part d’acquéreur.
60 En vue de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que la juridiction nationale de première instance a jugé que, du point de vue du droit civil allemand, M. HE n’était bénéficiaire des travaux de construction se rapportant au bureau qu’à concurrence d’un quart. Elle s’est fondée à cet égard sur la répartition de la propriété du terrain entre les époux copropriétaires, la quote-part du mari ne s’élevant qu’à 25 % de la copropriété. Cette juridiction n’a dès lors reconnu à M. HE que le droit de déduire un quart de la taxe en amont afférente au bureau utilisé aux fins de l’entreprise, soit un quart de 12 % du montant total de la TVA en amont.
61 En revanche, M. HE considère qu’il bénéficie, au titre de la sixième directive, du droit de déduire le montant de la TVA en amont correspondant à la part de son utilisation professionnelle du bien dans son ensemble, soit 12 % du montant total de la taxe en amont.
62 À cet égard, il importe de rappeler d’emblée que, ainsi qu’il résulte de son intitulé même, la sixième directive vise à établir un système commun de TVA en déterminant de manière uniforme et selon des règles communautaires les opérations taxables (voir point 36 du présent arrêt et jurisprudence citée).
63 En outre, il est de jurisprudence constante que les termes d’une disposition de la sixième directive qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme, en vue d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre (voir arrêt du 27 novembre 2003, Zita Modes, C-497/01, non encore publié au Recueil, point 34).
64 S’agissant plus particulièrement de l’article 5, paragraphe 1, de la sixième directive, selon lequel est considéré comme livraison d’un bien le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la notion de livraison d’un bien ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien. La finalité de ladite directive pourrait être compromise si la constatation d’une livraison de biens, qui est l’une des trois opérations taxables, était soumise à la réalisation de conditions qui varient en fonction du droit civil de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe, C-320/88, Rec. p. I-285, points 7 et 8; du 4 octobre 1995, Armbrecht, C-291/92, Rec. p. I-2775, points 13 et 14, ainsi que du 6 février 2003, Auto Lease Holland, C-185/01, Rec. p. I-1317, points 32 et 33).
65 En conséquence, ni la position de la juridiction nationale de première instance, qui fonde son raisonnement sur le régime de la propriété en droit civil allemand, ni celle défendue par la Commission dans ses observations écrites, selon laquelle la demande de M. HE ne pourrait pas être accueillie si ce dernier, selon les règles nationales en matière de régime matrimonial, n’a pas le droit de disposer de l’intégralité du bien d’investissement, ne sauraient être suivies.
66 Par ailleurs, le point de savoir lequel des copropriétaires a en fait payé les factures relatives à la construction de l’immeuble est dépourvu de pertinence aux fins de la réponse à la question posée, puisqu’il ressort de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive que la contrepartie peut également être versée par un tiers.
67 Pour répondre à la troisième question, il importe au contraire de rappeler que, en l’occurrence, M. HE utilise le bureau situé dans la maison d’habitation personnellement et à concurrence de 100 % pour les besoins de ses activités économiques et qu’il a décidé d’affecter cette pièce entièrement à son entreprise. Il apparaît ainsi que l’intéressé dispose en fait de cette pièce comme un propriétaire et remplit donc la condition qui résulte de la jurisprudence mentionnée au point 64 du présent arrêt.
68 Il y a lieu d’ajouter que M. HE demande à déduire un montant de la TVA en amont qui équivaut à celui se rapportant à la part du bien qu’il utilise exclusivement à des fins professionnelles et qu’il a décidé de traiter comme un bien d’entreprise.
69 Au demeurant, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le bureau n’est pas susceptible d’engendrer un droit à déduction dans le chef d’un opérateur autre que M. HE, en sorte qu’aucune situation de fraude ou d’abus ne risque de se présenter en l’occurrence.
70 La demande de M. HE visant à obtenir la déduction de la totalité de la TVA ayant grevé ce bureau doit, dans ces conditions, être regardée comme étant conforme au régime des déductions qui vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit ainsi la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que celles-ci soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêt Zita Modes, précité, point 38).
71 Il s’ensuit qu’un opérateur qui, tel M. HE, a affecté la totalité de la pièce utilisée comme bureau au patrimoine de son entreprise doit pouvoir bénéficier de la déduction de toute la TVA qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix de cette partie de l’immeuble. S’il ne pouvait déduire qu’une fraction de la TVA qu’il a supportée pour cette pièce utilisée entièrement pour ses opérations taxables – fraction déterminée en fonction de sa quote-part dans la copropriété de l’immeuble pris dans sa globalité –, ledit opérateur ne serait pas déchargé de l’intégralité de la taxe afférente au bien qu’il utilise pour les besoins de son activité économique, contrairement aux exigences du principe de neutralité.
72 L’interprétation qui précède est également en harmonie avec le principe d’égalité de traitement, qui constitue le corollaire du principe de neutralité.
73 Ainsi, deux assujettis, qui se trouvent objectivement dans la même situation en ce que chacun utilise à titre exclusif le même pourcentage d’un immeuble comme bureau qu’il a affecté à son entreprise, sont traités de façon identique, puisqu’ils ont le droit de déduire le même montant de la TVA en amont. Par contre, il est tenu compte de la différence qui caractérise leur situation − l’un ayant la propriété exclusive de l’immeuble alors que l’autre n’en possède qu’une quote-part − par le fait que le premier bénéficie de la possibilité de déduire la TVA en amont à concurrence de 100 % dès lors qu’il choisit d’intégrer l’immeuble à usage mixte intégralement dans son entreprise, tandis que le second ne peut jamais être déchargé d’un montant de TVA supérieur à celui qu’il a réellement supporté, à savoir celui afférent à sa quote-part dans la copropriété (soit 25 % en l’espèce au principal).
74 Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que, lorsque deux époux en communauté du fait de leur mariage acquièrent un bien d’investissement dont une partie est utilisée à des fins professionnelles de façon exclusive par l’un des époux copropriétaires, celui-ci bénéficie du droit à déduction pour la totalité de la TVA en amont ayant grevé la part du bien qu’il utilise pour les besoins de son entreprise, pour autant que le montant déduit n’excède pas les limites de la quote-part que l’assujetti détient dans la copropriété dudit bien.
Sur la quatrième question
75 Cette question tend en substance à déterminer si les articles 18, paragraphe 1, sous a), et 22, paragraphe 3, de la sixième directive exigent que, pour pouvoir exercer le droit à déduction dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’assujetti dispose d’une facture établie à son nom, faisant apparaître les fractions du prix et de la TVA correspondant à sa quote-part dans la copropriété ou bien si une facture délivrée indistinctement aux époux en copropriété et sans mention d’une telle ventilation est suffisante à cet effet.
76 À cet égard, il découle en particulier de l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, tant dans sa version initiale que dans celle résultant de la directive 91/680, que, pour les besoins de l’exercice du droit à déduction, la facture doit mentionner, d’une façon distincte, le prix hors taxe et la taxe correspondante pour chaque taux différent ainsi que, le cas échéant, l’exonération.
77 Il en résulte que, hormis ces exigences minimales, la sixième directive ne prescrit pas d’autres mentions obligatoires, telles que celles visées par la quatrième question préjudicielle.
78 Certes, conformément à l’article 22, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive, les États membres ont la possibilité de fixer les critères selon lesquels un document peut être considéré comme tenant lieu de facture et, en application du paragraphe 8 du même article, ces États disposent de la faculté de prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la taxe et pour éviter la fraude.
79 La République fédérale d’Allemagne a fait usage de cette dernière possibilité. Aussi, dans cet État membre, l’UStG dispose-t-il que les factures doivent contenir, notamment, le nom et l’adresse du bénéficiaire de l’opération, la quantité et la désignation commerciale usuelle des biens livrés ou la nature et l’étendue de la prestation de services, ainsi que la rémunération de l’opération.
80 Toutefois, ainsi que la Commission l’a rappelé, il est de jurisprudence constante que l’exigence, pour l’exercice du droit à déduction, d’autres mentions sur la facture que celles énoncées à l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive doit être limitée à ce qui est nécessaire pour assurer la perception de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale. En outre, de telles mentions ne doivent pas, par leur nombre ou par leur technicité, rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction (arrêt du 14 juillet 1988, Jeunehomme et EGI, 123/87 et 330/87, Rec. p. 4517, point 17). Aussi, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter en vertu de l’article 22, paragraphe 8, de la même directive, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation communautaire en la matière (arrêts du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 52, et du 19 septembre 2000, Schmeink & Cofreth et Strobel, C-454/98, Rec. p. I-6973, point 59).
81 Or, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, il n’existe aucun risque de fraude ou d’abus, puisque ce cas concerne un type bien particulier de communauté, à savoir une copropriété de fait entre époux qui n’a pas elle-même la qualité d’assujettie et à l’intérieur de laquelle seul l’un des époux exerce une activité économique, de sorte qu’il est exclu que les factures, même établies au nom de «Monsieur et Madame HE» et sans mention des fractions du prix et de la TVA correspondant à la quote-part de chacun des époux dans la copropriété, puissent être utilisées par l’époux non assujetti ou par la communauté pour obtenir une nouvelle fois la déduction du même montant de la TVA.
82 Il serait, dans ces conditions, incompatible avec le principe de proportionnalité de refuser à l’époux assujetti le droit à déduction au seul motif que les factures ne contiennent pas les mentions prescrites par le droit national applicable.
83 Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre à la quatrième question que les articles 18, paragraphe 1, sous a), et 22, paragraphe 3, de la sixième directive n’exigent pas que, pour pouvoir exercer le droit à déduction dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’assujetti dispose d’une facture établie à son nom et faisant apparaître les fractions du prix et de la TVA correspondant à sa quote-part dans la copropriété. Une facture délivrée indistinctement aux époux en copropriété et sans mention d’une telle ventilation est suffisante à cet effet.
Sur les dépens
84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, tant dans sa version initiale que dans celle résultant de la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388, doit être interprétée de la manière suivante:
– une personne qui acquiert ou fait construire une maison aux fins de l’habiter avec sa famille agit en qualité d’assujetti et bénéficie donc du droit à déduction en application de l’article 17 de la sixième directive 77/388, dans la mesure où elle utilise une pièce de cet immeuble comme bureau pour les besoins de l’exercice, fût-ce à titre accessoire, d’une activité économique au sens des articles 2 et 4 de la même directive et qu’elle affecte cette partie de l’immeuble au patrimoine de son entreprise;
– lorsqu’une communauté résultant d’un mariage, qui n’est pas dotée de la personnalité juridique et n’exerce pas elle-même une activité économique au sens de la sixième directive 77/388, passe commande d’un bien d’investissement, les copropriétaires formant ladite communauté doivent être considérés comme bénéficiaires de l’opération pour les besoins de l’application de cette directive ;
– lorsque deux époux en communauté du fait de leur mariage acquièrent un bien d’investissement dont une partie est utilisée à des fins professionnelles de façon exclusive par l’un des époux copropriétaires, celui-ci bénéficie du droit à déduction pour la totalité de la taxe sur la valeur ajoutée en amont ayant grevé la part du bien qu’il utilise pour les besoins de son entreprise, pour autant que le montant déduit n’excède pas les limites de la quote-part que l’assujetti détient dans la copropriété dudit bien;
– les articles 18, paragraphe 1, sous a), et 22, paragraphe 3, de la sixième directive 77/388 n’exigent pas que, pour pouvoir exercer le droit à déduction dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’assujetti dispose d’une facture établie à son nom et faisant apparaître les fractions du prix et de la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à sa quote-part dans la copropriété. Une facture délivrée indistinctement aux époux en copropriété et sans mention d’une telle ventilation est suffisante à cet effet.
Signatures
* Langue de procédure: l'allemand.