«Sixième directive TVA – Article 13, C – Exonération des opérations d'affermage et de location de biens immeubles – Droit d'opter pour la taxation – Déduction de la taxe payée en amont – Obtention préalable d'un agrément de l'administration fiscale»
| ||||
| ||||
Sommaire de l'arrêt
Dispositions fiscales – Harmonisation des législations – Taxes sur le chiffre d'affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations prévues par la sixième directive – Exonération des opérations d'affermage et de location de biens immobiliers – Droit d'option en faveur des assujettis – Droit à déduction subordonné à l'obtention d'un agrément préalable – Admissibilité
(cf. point 30 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
9 septembre 2004(1)
«Sixième directive TVA – Article 13, C – Exonération des opérations d'affermage et de location de biens immeubles – Droit d'opter pour la taxation – Déduction de la taxe payée en amont – Obtention préalable d'un agrément de l'administration fiscale»
Dans l'affaire C-269/03,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE,introduite par la Cour d'appel (Luxembourg), par décision du 18 juin 2003, parvenue le 20 juin 2003, dans la procédure Administration de l'enregistrement et des domaines,État du grand-duché de Luxembourgcontre
Vermietungsgesellschaft Objekt Kirchberg Sàrl,LA COUR (première chambre),,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 mars 2004,
rend le présent
3 L’article 13, B, sous b), et C, de la sixième directive dispose:
«B. Autres exonérations
Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
[…]
b) l’affermage et la location de biens immeubles […]
[…]
C. Options
Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation:
a) de l’affermage et de la location de biens immeubles;
[…]
Les États membres peuvent restreindre la portée du droit d’option; ils déterminent les modalités de son exercice.»
4 L’article 44, paragraphe 1, sous g), de la loi du 12 février 1979 (Mémorial A 1979, p. 451), concernant la taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée, prévoit:
«Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée dans les limites et sous les conditions à déterminer par règlement grand-ducal:
[…]
g) l’affermage et la location de biens immeubles […]»
5 L’article 45 de cette loi prévoit la possibilité de renoncer à cette exonération sous réserve de respecter les dispositions du règlement d’application de cette loi.
6 Le règlement grand-ducal du 7 mars 1980, déterminant les limites et les conditions de l’exercice du droit d’option pour l’application de la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations immobilières (Mémorial A 1980, p. 242, ci-après le «règlement grand-ducal»), a été adopté en application de la loi du 12 février 1979. Son article 1er permet aux assujettis d’«opter pour l’application de la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations immobilières visées ci-après:
[…]
b) quiconque, en vertu d’un contrat écrit et de gré à gré, donne en fermage ou en location à un assujetti des biens immeubles».
7 L’article 3, premier alinéa, du règlement grand-ducal dispose:
«Le droit d’option ne peut être exercé que pour l’immeuble qui est utilisé entièrement ou, en cas d’usage mixte, pour la partie prépondérante par [...] le locataire à l’exercice d’activités qui l’autorisent à déduire la taxe en amont».
8 Aux termes de l’article 5 du règlement grand-ducal:
«Quiconque fait usage du droit d’option doit présenter pour agrément une déclaration d’option écrite à l’administration de l’enregistrement.
En cas de livraison à titre onéreux, l’agrément doit avoir été obtenu avant la passation de l’acte authentique. L’administration statuera sur la déclaration d’option dans le mois de sa présentation.
En cas de location, l’application de la taxe est autorisée à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la déclaration d’option a été agréée. La décision administrative devra intervenir dans le mois de la réception de cette déclaration.»
9 VOK a fait construire, à Luxembourg, un immeuble de bureaux qu’elle a loué à un cabinet de réviseurs d’entreprises à partir du 1er janvier 1993, date de l’achèvement de l’immeuble. Dès le début de la location, VOK a adressé à ce dernier des factures mensuelles faisant apparaître la TVA.
10 VOK a exercé son droit d’opter pour la TVA en présentant, le 29 juin 1993, pour agrément une déclaration d’option à l’administration. L’agrément lui a été accordé le 30 juin 1993 avec effet à compter du 1er juillet 1993.
11 VOK a introduit ses déclarations de TVA en déduisant intégralement la TVA qu’elle avait supportée du fait des travaux de construction.
12 En application de l’article 5 du règlement grand-ducal, l’administration a cependant refusé la déduction de 50 % de la TVA acquittée en amont au motif que la location au cours des six mois allant de janvier à juin 1993 était exonérée de TVA puisqu’elle n’était pas couverte par l’agrément. Elle a, en conséquence, émis des bulletins portant rectification d’office des déclarations de TVA.
13 VOK a introduit une réclamation auprès du directeur de l’administration.
14 Ce dernier a adopté une décision en janvier 1998 sur le fondement de laquelle de nouveaux bulletins rectificatifs ont été émis au mois de février suivant. Il a considéré, en premier lieu, que le 1er janvier 1993 constituait le début de l’utilisation de l’immeuble. L’option n’ayant pris effet qu’à partir du 1er juillet 1993, la location de l’immeuble n’était pas soumise à la TVA pendant la moitié de l’année 1993 et la TVA en amont ne pouvait être déduite qu’à hauteur de 50 %, ce qui justifiait la rectification de la déclaration de 1993. Il a considéré, en second lieu, que l’exercice de l’option devait entraîner une deuxième rectification en 1994, à savoir que 9/10 de la TVA non déductible en 1993 devaient être rectifiés en faveur de VOK. En définitive 5 % de la TVA acquittée en amont restaient non déductibles et donc à la charge de VOK.
15 VOK a introduit un recours en mars 1998 contre la décision du directeur de l’administration. Par jugement du 7 novembre 2001, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg) a accueilli la demande de VOK en écartant l’application de l’article 5 du règlement grand-ducal et en retenant qu’elle avait exercé une activité soumise à la TVA durant l’intégralité de l’année 1993.
16 L’administration et l’État du grand-duché de Luxembourg ont interjeté appel de ce jugement en date du 14 mars 2002.
17 Doutant de la légalité d’une procédure d’agrément telle que celle prévue par la réglementation luxembourgeoise au regard des dispositions de l’article 13, C, de la sixième directive, relatives à l’affermage et à la location de biens immeubles, examinées à la lumière du principe du droit à déduction, la Cour d’appel a décidé, par arrêt du 18 juin 2003, de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 13, [C, premier alinéa, sous a)], de la sixième directive [...] permet-il à un État membre ayant fait usage de la faculté d’accorder à ses assujettis le droit d’opter pour la taxation de l’affermage et de la location de biens immeubles de faire dépendre la déduction intégrale de la TVA en amont de l’obtention préalable d’un agrément, non rétroactif, de la part de l’administration fiscale?»
18 VOK et la Commission soutiennent que les dispositions de l’article 13, C, de la sixième directive, relatives à l’affermage et à la location de biens immeubles, ne peuvent être interprétées en ce sens qu’elles permettraient aux États membres d’adopter une réglementation, telle que celle en cause au principal, comportant une procédure d’agrément préalable conduisant, dans certains cas, à une impossibilité de déduire intégralement la TVA acquittée en amont.
19 À cet égard, il convient de rappeler que le droit à déduction est un principe fondamental du système de la TVA. Il importe de vérifier si une procédure d’agrément, telle que celle adoptée par le grand-duché de Luxembourg, constitue une mise en œuvre incorrecte du droit d’opter pour la taxation prévu par les dispositions de l’article 13, C, de la sixième directive, en ce qu’elle porterait atteinte à ce principe.
20 Il ressort de ces dispositions que la taxation des opérations d’affermage et de location est une faculté que le législateur a consentie aux États membres en dérogation à la règle générale établie à l’article 13, B, sous b), de la sixième directive, selon laquelle les opérations d’affermage et de location sont en principe exonérées. Le droit à déduction ne s’exerce donc pas de manière automatique dans ce contexte mais uniquement si les États membres ont fait usage de la faculté visée à l’article 13, C, de la sixième directive et sous réserve que les assujettis exercent le droit d'option qui leur a été accordé.
21 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les États membres peuvent, en vertu de cette faculté, donner aux bénéficiaires des exonérations prévues à la sixième directive la possibilité de renoncer à l’exonération, soit dans tous les cas, soit dans certaines limites, soit encore sous certaines modalités. Il en résulte que les États membres jouissent d’une large marge d’appréciation dans le cadre des dispositions de l’article 13, B et C, de la sixième directive (voir arrêt du 3 décembre 1998, Belgocodex, C-381/97, Rec. p. I-8153, points 16 et 17).
22 Le grand-duché de Luxembourg, exerçant la faculté visée à l’article 13, C, second alinéa, de la sixième directive, a limité le droit d’option aux cas où le locataire est lui-même un assujetti ayant droit à déduction et a soumis l’exercice de cette option à une procédure d’agrément préalable.
23 Il y a lieu de considérer que cette procédure d’agrément constitue, ainsi qu’il ressort des conclusions de M. l’avocat général, une modalité d’exercice du droit d’option au sens de l’article 13, C, second alinéa, de la sixième directive.
24 Il convient de vérifier si cette modalité permet de mettre en œuvre le droit d’option sans porter indûment atteinte au droit à déduction.
25 Selon l’État du grand-duché de Luxembourg et l’administration, la procédure d’agrément est nécessaire afin de permettre à l’administration de vérifier que les conditions légales relatives en particulier à la qualité d’assujetti du locataire sont remplies. Ces deux appelants au principal précisent que cette procédure contribue à la sécurité juridique en permettant à un propriétaire-bailleur d’être informé le plus tôt possible de l’impossibilité éventuelle de soumettre une location immobilière à la TVA. Ils ajoutent que ladite procédure est destinée, notamment, à éviter les cas de fraude ou d’abus et ne vise aucunement à restreindre le droit à déduction.
26 À cet égard, il convient d’admettre, en premier lieu, que, lorsqu’un État membre soumet le droit d’opter pour la taxation à certaines conditions légales, une procédure d’agrément préalable permet de vérifier que ces conditions sont remplies.
27 Il importe de relever, en second lieu, que, dans l’espèce au principal, il n’est pas contesté qu’il eût suffi que l’intéressée, VOK, soumette sa déclaration d’option avant le début de la location, en pratique avant la fin du mois de décembre 1992, pour obtenir l’agrément au cours de ce mois et pouvoir exercer de manière intégrale son droit à déduction, dès le commencement de la location au 1er janvier 1993.
28 Il apparaît ainsi qu’une telle procédure d’agrément ne vise pas à porter atteinte au droit à déduction, mais permet au contraire à ce droit d’être pleinement exercé, sous réserve du respect de certaines exigences, notamment, la présentation d’une déclaration d’option et l’obtention de l’agrément dans certains délais.
29 L’absence de rétroactivité de la procédure d’agrément ne rend pas celle-ci disproportionnée. Au contraire, elle peut être considérée utile afin d’inciter les bailleurs à déposer leur déclaration d’option à l’avance. Il ne peut être exclu, en effet, qu’une procédure d’agrément à caractère rétroactif soit de nature à produire un effet inverse en conduisant les bailleurs à présenter tardivement leur déclaration d’option et qu’elle soit dès lors moins apte à assurer l’application correcte de l’exercice du droit d’option ainsi qu’à atteindre l’objectif de sécurité juridique mentionné au point 25 du présent arrêt.
30 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que les dispositions de l’article 13, C, premier alinéa, sous a), et second alinéa, de la sixième directive, ne s’opposent pas à ce qu’un État membre ayant fait usage de la faculté d’accorder à ses assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations d’affermage et de location de biens immeubles, adopte une réglementation qui fait dépendre la déduction intégrale de la TVA acquittée en amont de l’obtention d’un agrément préalable, non rétroactif, de la part de l’administration fiscale.
31 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, (première chambre) dit pour droit:
Les dispositions de l’article 13, C, premier alinéa, sous a), et second alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, ne s’opposent pas à ce qu’un État membre ayant fait usage de la faculté d’accorder à ses assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations d'affermage et de location de biens immeubles adopte une réglementation qui fait dépendre la déduction intégrale de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont de l’obtention d’un agrément préalable, non rétroactif, de la part de l’administration fiscale.
Signatures.
1 – Langue de procédure: le français.