Affaire C-434/03
P. Charles et T. S. Charles-Tijmens
contre
Staatssecretaris van Financiën
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden)
«Sixième directive TVA — Déduction de la taxe payée en amont — Bien immobilier utilisé partiellement pour l'entreprise et partiellement à titre privé»
Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 20 janvier 2005
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 14 juillet 2005
Sommaire de l'arrêt
Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Bien d'investissement utilisé en partie pour les besoins de l'entreprise et en partie à titre privé — Exclusion par des règles nationales antérieures à la sixième directive de l'affectation de la totalité du bien à l'entreprise et du droit à déduction de l'intégralité de la taxe due sur son acquisition — Inadmissibilité
(Directives du Conseil 67/228, art. 11, et 77/388, art. 6, § 2, et 17, § 2 et 6)
Les articles 6, paragraphe 2, et 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale, adoptée avant l'entrée en vigueur de cette directive, qui ne permet pas à un assujetti d'affecter à son entreprise la totalité d'un bien d'investissement utilisé en partie pour les besoins de l'entreprise et en partie à des fins étrangères à celle-ci et, le cas échéant, de déduire intégralement et immédiatement la taxe sur la valeur ajoutée due sur l'acquisition d'un tel bien.
S'il est vrai que l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive permet à un État membre de maintenir un régime national qui existait avant l'entrée en vigueur de cette directive, cette disposition présuppose toutefois que les exclusions que lesdits États peuvent maintenir en vertu de celle-ci étaient légales en vertu de la deuxième directive 67/228, qui est antérieure à la sixième directive. À cet égard, l'article 11 de la deuxième directive, en prévoyant à son paragraphe 4 que les États membres pouvaient exclure du régime des déductions «certains biens et certains services, notamment ceux susceptibles d'être exclusivement ou partiellement utilisés pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel», n'a pas accordé aux États membres un pouvoir discrétionnaire absolu d'exclure tous les biens et services ou la quasi-totalité de ceux-ci du régime du droit à déduction et notamment tous les biens dans la mesure où ils sont utilisés pour les besoins privés de l'assujetti.
(cf. points 31-34, 36 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
14 juillet 2005 (*)
«Sixième directive TVA – Déduction de la taxe payée en amont – Bien immobilier utilisé partiellement pour l’entreprise et partiellement à titre privé»
Dans l’affaire C-434/03,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 10 octobre 2003, parvenue à la Cour le 13 octobre 2003, dans la procédure
P. Charles,
T. S. Charles-Tijmens
contre
Staatssecretaris van Financiën,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts et A. Borg Barthet, présidents de chambre, MM. S. von Bahr (rapporteur), J. N. Cunha Rodrigues, J. Makarczyk, P. Kūris, E. Juhász et G. Arestis, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 novembre 2004,
considérant les observations présentées:
– pour M. Charles et Mme Charles-Tijmens, par MM. E. H. van den Elsen, adviseur, et G. Volkerink, belastingsadviseur,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et C. ten Dam, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par Mme A. Tiemann, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par Mme L. Ström van Lier et M. A. Weimar, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 janvier 2005,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6, paragraphe 2, ainsi que 17, paragraphes 1, 2 et 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Charles et Mme Charles-Tijmens au Staatssecretaris van Financiën au sujet du refus de ce dernier de faire droit à leur demande de remboursement de la totalité de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») qu’ils ont acquittée au titre d’un bungalow de vacances faisant l’objet d’une location pour 87,5 % du temps d’utilisation et occupé à des fins privées pour 12,5 % de celui-ci.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive dispose:
«Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:
a) l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;
b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l’assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.
Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence.»
4 Aux termes de l’article 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive:
«2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;
[…]
6. Au plus tard avant l’expiration d’une période de quatre ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.
Jusqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive.»
La réglementation nationale
5 L’article 2 de la loi de 1968 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting 1968, ci-après la «loi relative à la TVA») dispose:
«La taxe qui a grevé les livraisons de biens et les fournitures de services à l’entrepreneur, les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées par lui ainsi que les importations de marchandises qui lui étaient destinées est déduite de la taxe à acquitter sur les livraisons de biens et les fournitures de services.»
6 Le droit à la déduction est précisé à l’article 15 de la loi relative à la TVA dans les termes suivants:
«1. La taxe au sens de l’article 2 déduite par l’entrepreneur est:
a) la taxe que d’autres entrepreneurs lui ont facturée au moyen d’une facture établie selon les règles applicables, durant la période afférente à la déclaration pour les biens et les services qu’ils lui ont fournis;
[…]
dans la mesure où l’entrepreneur utilise les biens et les services dans le cadre de son entreprise […]
[…]
4. La déduction de la taxe est opérée conformément à la destination des biens et des services au moment où la taxe est facturée à l’entrepreneur ou au moment où elle devient exigible. S’il apparaît, au moment où l’entrepreneur se dispose à utiliser les biens et les services, qu’il déduit la taxe y afférente dans une proportion supérieure ou inférieure à celle à laquelle l’usage des biens ou des services lui donne droit, l’excédent déduit est exigible à ce moment-là. La taxe devenue exigible est acquittée conformément à l’article 14 [de la loi relative à la TVA].
La partie de la taxe qui pouvait être déduite et ne l’a pas été lui sera restituée à sa demande.
[…]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
7 Il ressort de la décision de renvoi que M. Charles et Mme Charles-Tijmens ont acheté ensemble, au cours du mois de mars de l’année 1997, un bungalow de vacances situé aux Pays-Bas. Celui-ci était destiné aussi bien à la location qu’à l’utilisation privée et, au cours de la période en cause au principal, à savoir du 1er avril au 30 juin 1997 inclus, ce bungalow a fait l’objet d’une location pour 87,5 % du temps d’utilisation et il a été occupé à des fins privées pour 12,5 % de celui-ci.
8 Le Hoge Raad der Nederlanden relève que, en raison de cette location, M. Charles et Mme Charles-Tijmens sont des assujettis au sens de la sixième directive et des entrepreneurs au sens de la loi relative à la TVA. Étant donné que ledit bungalow est loué à des personnes qui n’y séjournent que pour des périodes très brèves et que la location est effectuée dans le cadre d’une «entreprise de vacances», une telle location ne relève pas de l’exonération de la TVA dont bénéficie, aux Pays-Bas, la location de biens immobiliers, conformément à l’article 13, B, sous b), point 1, de la sixième directive.
9 Dans leur déclaration afférente à la TVA pour le deuxième trimestre de l’année 1997, M. Charles et Mme Charles-Tijmens ont déduit 87,5 % de la TVA qui leur avait été facturée au titre du bungalow. Ils ont en conséquence sollicité le remboursement du montant correspondant à ce pourcentage à l’inspecteur des impôts compétent pour connaître de cette demande (ci-après l’«inspecteur des impôts»).
10 Par décision du 1er octobre 1997, ce dernier a accordé à M. Charles et à Mme Charles-Tijmens la restitution qu’ils avaient demandée. Néanmoins, estimant que la TVA acquittée par eux pouvait être déduite à 100 %, ils ont introduit une demande de remboursement complémentaire correspondant aux 12,5 % de temps d’utilisation du bungalow à des fins privées.
11 L’inspecteur des impôts ayant jugé ladite demande irrecevable, M. Charles et Mme Charles-Tijmens ont introduit un recours devant le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch. Cette juridiction a annulé la décision d’irrecevabilité, mais, quant au fond, elle a confirmé la décision dudit inspecteur, en précisant que, puisque le bungalow était occupé à des fins privées pour 12,5 % du temps total d’utilisation de celui-ci, les intéressés n’étaient pas fondés à déduire l’intégralité de la TVA acquittée au titre de ce bungalow.
12 M. Charles et Mme Charles-Tijmens ont formé un pourvoi contre l’arrêt du Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch devant le Hoge Raad der Nederlanden. À l’appui de leur pourvoi, ils font valoir qu’il résulte de l’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive que l’utilisation privée du bungalow est une opération imposable, puisqu’ils ont choisi d’affecter ce dernier dans sa totalité au patrimoine de l’entreprise, ce qui, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la même directive, confère le droit de déduire l’intégralité de la TVA imputée à ce titre (voir, notamment, arrêts du 4 octobre 1995, Armbrecht, C-291/92, Rec. p. I-2775, et du 8 mars 2001, Bakcsi, C-415/98, Rec. p. I-1831).
13 M. Charles et Mme Charles-Tijmens ajoutent que l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive ne modifie pas cette interprétation, car, à la date de l’entrée en vigueur de la sixième directive, la législation néerlandaise ne prévoyait aucune exclusion du droit à déduction au sens de cette disposition, à l’exception des automobiles destinées au transport des personnes.
14 Le Hoge Raad der Nederlanden relève que la réglementation néerlandaise concernant les biens et services affectés à des fins mixtes, tels que celui en cause au principal, a été introduite en 1969 aux Pays-Bas, en application de l’article 11, paragraphe 1, de la deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Structures et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303, ci-après la «deuxième directive»).
15 Cette réglementation comporterait des conséquences différentes de celles de la sixième directive, ces conséquences étant, dans certains cas, plus favorables pour l’assujetti et, dans d’autres cas, moins favorables. En effet, ladite directive conférerait à l’assujetti un droit à déduction immédiate et totale, la correction pour utilisation d’un bien en dehors de l’entreprise n’ayant lieu que lorsque cette utilisation se produit. En revanche, dans le système institué par la loi relative à la TVA, il faudrait établir directement, ou du moins au cours de la première année, dans quelle mesure le bien sera utilisé en dehors de l’entreprise à l’avenir.
16 Le Hoge Raad der Nederlanden précise à cet égard que l’article 12, paragraphe 3, du règlement de 1968 portant mise en œuvre de la taxe sur le chiffre d’affaires (Uitvoeringsbeschikking omzetbelasting 1968, Stcrt. 1968, n° 169), adopté en application de l’article 15, paragraphe 6, de la loi relative à la TVA, dispose que, au moment où est effectuée la déclaration afférente à la dernière période d’imposition d’un exercice fiscal déterminé, la TVA déduite est recalculée sur la base des données applicables pour l’ensemble de l’année fiscale. Plus aucun calcul ni aucune révision de la déduction n’auraient lieu après cet exercice fiscal.
17 C’est dans ces circonstances que le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Un régime légal antérieur à la sixième directive […]
– qui ne permet pas d’inclure entièrement dans le patrimoine de l’entreprise un bien d’investissement ou assimilé ou un service assimilé lorsque l’acheteur utilise ce bien ou ce service aussi bien aux fins de son entreprise qu’à des fins étrangères à celle-ci (et notamment à des fins privées);
– qui, en conséquence, ne permet pas non plus de déduire immédiatement et entièrement la taxe facturée à l’occasion de l’achat de ce bien ou de ce service et
– qui ne prévoit pas une perception de la TVA au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive,
est-il compatible avec la sixième directive et, en particulier, avec l’article 17, paragraphes 1, 2 et 6, et avec l’article 6, paragraphe 2, de celle-ci?»
Sur la question préjudicielle
18 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 6, paragraphe 2, et 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale telle que celle en cause au principal, adoptée avant l’entrée en vigueur de cette directive, qui ne permet pas à un assujetti d’affecter à son entreprise la totalité d’un bien d’investissement utilisé en partie pour les besoins de l’entreprise et en partie à des fins étrangères à celle-ci, et qui, dans une telle situation, n’autorise pas la déduction intégrale et immédiate de la TVA due sur l’acquisition de ce bien et ne prévoit pas que l’utilisation de celui-ci à des fins étrangères à l’entreprise est assimilée à des prestations de services effectuées à titre onéreux.
Observations soumises à la Cour
19 M. Charles et Mme Charles-Tijmens estiment qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal est contraire à la jurisprudence de la Cour en matière de TVA, notamment à l’arrêt du 8 mai 2003, Seeling (C-269/00, Rec. p. I-4101).
20 Les gouvernements néerlandais et allemand font valoir que l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive permet à un État membre d’exclure du droit à déduction de la TVA un bien d’investissement ou assimilé ou un service assimilé dans la mesure où l’assujetti utilise ce bien ou ce service à des fins étrangères à son entreprise, notamment à des fins privées, lorsque cet État, faisant usage de la possibilité de dérogation prévue à l’article 6, paragraphe 2, second alinéa, de la même directive, considère qu’une telle utilisation n’est pas une opération imposable.
21 Dans l’hypothèse où la Cour jugerait que les articles 17, paragraphe 2, et 6, paragraphe 2, de la sixième directive n’autorisent pas une exclusion du droit à déduction de la TVA telle que celle en cause au principal, le gouvernement néerlandais soutient que le paragraphe 6 dudit article 17 permet à un État membre de maintenir un régime national qui existait avant l’entrée en vigueur de cette directive, régime qui exclut du droit à déduction de la TVA un bien d’investissement ou assimilé ou un service assimilé lorsque l’assujetti utilise ce bien ou ce service à des fins étrangères à son entreprise, notamment à des fins privées.
22 La Commission estime qu’un régime légal qui, conformément à la faculté de dérogation prévue à l’article 6, paragraphe 2, second alinéa, de la sixième directive, n’impose pas l’utilisation à des fins privées d’un bien d’investissement ou d’un bien ou d’un service qui y est assimilé et qui, en conséquence, n’autorise aucune déduction pour ce type de bien ou de service, pour autant qu’il soit utilisé à des fins privées, est compatible avec ladite directive.
Appréciation de la Cour
23 Il convient, tout d’abord, de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, en cas d’utilisation d’un bien d’investissement à des fins tant professionnelles que privées, l’intéressé a le choix, pour les besoins de la TVA, soit d’affecter ce bien en totalité au patrimoine de son entreprise, soit de le conserver en totalité dans son patrimoine privé en l’excluant ainsi complètement du système de la TVA, soit encore de ne l’intégrer dans son entreprise qu’à concurrence de l’utilisation professionnelle effective (voir en ce sens, notamment, arrêts précités Armbrecht, point 20; Bakcsi, points 25 et 26; Seeling, point 40, et du 21 avril 2005, HE, C-25/03, non encore publié au Recueil, point 46).
24 Si l’assujetti choisit de traiter des biens d’investissement utilisés à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées comme des biens d’entreprise, la TVA due en amont sur l’acquisition de ces biens est en principe intégralement et immédiatement déductible (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1991, Lennartz, C-97/90, Rec. p. I-3795, point 26, ainsi que arrêts précités Bakcsi, point 25, et Seeling, point 41).
25 Il résulte de l’article 6, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la sixième directive que, lorsqu’un bien affecté à l’entreprise a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA acquittée en amont, son utilisation pour les besoins privés de l’assujetti ou de son personnel ou à des fins étrangères à son entreprise est assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux. Cette utilisation, qui constitue donc une opération taxée au sens de l’article 17, paragraphe 2, de la même directive, est, conformément à l’article 11, A, paragraphe 1, sous c), de celle-ci, taxée sur la base du montant des dépenses engagées pour l’exécution de la prestation de services (voir, en ce sens, arrêts précités Lennartz, point 26; Bakcsi, point 30, et Seeling, point 42).
26 S’agissant de l’article 6, paragraphe 2, second alinéa, de la sixième directive, il convient d’emblée de rappeler que les exceptions à l’harmonisation doivent être définies de manière stricte. En effet, tout recours à des régimes dérogatoires de la TVA entraîne des différences de niveaux de la charge fiscale entre les États membres.
27 Ensuite, ledit article 6, paragraphe 2, second alinéa, doit, en principe, être interprété en ce sens que les États membres peuvent s’abstenir d’assimiler certaines prestations ou utilisations à des prestations de services effectuées à titre onéreux, notamment afin de simplifier les procédures administratives relatives à la perception de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2003, Cookies World C-155/01, Rec. p. I-8785, point 59).
28 Toutefois, l’article 6, paragraphe 2, second alinéa, de la sixième directive ne saurait avoir pour conséquence de permettre aux États membres de refuser aux assujettis qui ont choisi de traiter des biens d’investissement utilisés à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées comme des biens d’entreprise, la déduction intégrale et immédiate de la TVA due en amont sur l’acquisition de ces biens à laquelle ils ont droit conformément à la jurisprudence constante rappelée au point 24 du présent arrêt. Une telle limitation du droit à déduction serait contraire à ladite disposition.
29 Par ailleurs, une renonciation générale, fondée sur l’article 6, paragraphe 2, second alinéa, de la sixième directive, à la taxation de l’utilisation d’une partie d’un bien d’investissement pour les besoins privés d’un assujetti, lorsque celui-ci a pu déduire intégralement la TVA due en amont sur l’acquisition du bien concerné, ne serait pas non plus conforme à ladite disposition, car elle conduirait inévitablement à une distorsion de concurrence.
30 Dès lors, un assujetti a, d’une part, le droit de choisir d’affecter à son entreprise la totalité d’un bien d’investissement qu’il utilise en partie pour les besoins de l’entreprise et en partie à des fins étrangères à celle-ci ainsi que, le cas échéant, le droit de déduire intégralement et immédiatement la TVA due sur l’acquisition de ce bien et, d’autre part, en principe l’obligation, correspondant à ce droit, de payer la TVA sur le montant des dépenses engagées pour l’utilisation dudit bien à des fins étrangères à l’entreprise (voir, en ce sens, arrêt Seeling, précité, point 43).
31 Quant à l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive, il permet certes, ainsi que le soutient le gouvernement néerlandais, à un État membre de maintenir un régime national qui existait avant l’entrée en vigueur de cette directive. Toutefois, cette disposition présuppose que les exclusions que les États membres peuvent maintenir en vertu de celle-ci étaient légales en vertu de la deuxième directive, qui est antérieure à la sixième directive (voir arrêt du 5 octobre 1999, Royscot e.a., C-305/97, Rec. p. I-6671, point 21).
32 L’article 11 de la deuxième directive, tout en introduisant à son paragraphe 1 le droit à déduction, prévoyait, à son paragraphe 4, que les États membres pouvaient exclure du régime des déductions «certains biens et certains services, notamment ceux susceptibles d’être exclusivement ou partiellement utilisés pour les besoins privés de l’assujetti ou de son personnel».
33 Cette dernière disposition n’a donc pas accordé aux États membres un pouvoir discrétionnaire absolu d’exclure tous les biens et services ou la quasi-totalité de ceux-ci du régime du droit à déduction et de vider ainsi de sa substance le régime instauré par l’article 11, paragraphe 1, de la deuxième directive (voir arrêt Royscot e.a., précité, point 24).
34 Dès lors, bien que l’article 11, paragraphe 4, de la deuxième directive ait autorisé les États membres à exclure du régime des déductions certains biens, tels que les véhicules automobiles, cette disposition ne leur permettait pas d’exclure d’un tel régime tous les biens dans la mesure où ils sont utilisés pour les besoins privés de l’assujetti.
35 Il s’ensuit que l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 4, de la deuxième directive, n’autorise pas les États membres à maintenir une exclusion générale du régime des déductions de tous les biens de l’assujetti pour autant qu’ils sont utilisés pour les besoins privés de ce dernier.
36 Dès lors, il convient de répondre à la question posée que les articles 6, paragraphe 2, et 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale telle que celle en cause au principal, adoptée avant l’entrée en vigueur de cette directive, qui ne permet pas à un assujetti d’affecter à son entreprise la totalité d’un bien d’investissement utilisé en partie pour les besoins de l’entreprise et en partie à des fins étrangères à celle-ci et, le cas échéant, de déduire intégralement et immédiatement la TVA due sur l’acquisition d’un tel bien.
Sur les dépens
37 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
Les articles 6, paragraphe 2, et 17, paragraphes 2 et 6, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale telle que celle en cause au principal, adoptée avant l’entrée en vigueur de cette directive, qui ne permet pas à un assujetti d’affecter à son entreprise la totalité d’un bien d’investissement utilisé en partie pour les besoins de l’entreprise et en partie à des fins étrangères à celle-ci et, le cas échéant, de déduire intégralement et immédiatement la taxe sur la valeur ajoutée due sur l’acquisition d’un tel bien.
Signatures
* Langue de procédure: le néerlandais.