Affaire C-512/03
J. E. J. Blanckaert
contre
Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen
(demande de décision préjudicielle, introduite par
le Gerechtshof te 's-Hertogenbosch)
«Fiscalité directe — Impôt sur les revenus provenant de l'épargne et des placements — Convention fiscale — Réductions d'impôt réservées aux affiliés au régime national de sécurité sociale»
Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 12 mai 2005
Arrêt de la Cour (première chambre) du 8 septembre 2005
Sommaire de l'arrêt
Libre circulation des capitaux — Restrictions — Impôt sur le revenu provenant de l'épargne et des placements — Législation nationale réservant le bénéfice des réductions d'impôt au titre des assurances sociales aux contribuables résidents affiliés au régime national de sécurité sociale — Admissibilité
(Art. 56 CE et 58 CE)
Les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation d'un État membre en vertu de laquelle un contribuable non-résident, qui perçoit dans cet État uniquement des revenus provenant de l'épargne et des placements et qui n'est pas affilié au régime de sécurité sociale de cet État membre, ne peut prétendre au bénéfice des réductions d'impôt au titre des assurances sociales, alors qu'un contribuable résident qui est affilié audit régime de sécurité sociale bénéficie de telles réductions lors du calcul de son revenu imposable, quand bien même il perçoit uniquement des revenus de même nature et ne verse pas de cotisations de sécurité sociale.
En effet, si une telle législation est de nature à entraver la libre circulation des capitaux en ce que le traitement fiscal moins favorable réservé aux non-résidents pourrait dissuader ces derniers d'effectuer dans cet État membre des investissements procurant des revenus considérés comme provenant de l'épargne et des placements, elle peut toutefois être justifiée, au regard de l'article 58, paragraphe 1, sous a), CE, par la différence de situation objective qui existe entre un affilié au régime national de sécurité sociale et une personne non affiliée à celui-ci.
En outre, dès lors que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale, il appartient, en l'absence d'une harmonisation au niveau communautaire, à la législation de l'État membre concerné de déterminer le cercle des affiliés et le niveau des cotisations dues par les affiliés au régime national de sécurité sociale ainsi que les réductions y afférentes. Il relève en outre de la logique interne d'un tel régime de réserver le bénéfice des réductions de cotisations aux seuls redevables de celles-ci, à savoir les affiliés à ce régime.
(cf. points 39, 49-51 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
8 septembre 2005 (*)
«Fiscalité directe – Impôt sur les revenus provenant de l’épargne et des placements – Convention fiscale – Réductions d’impôt réservées aux affiliés au régime national de sécurité sociale»
Dans l’affaire C-512/03,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch (Pays-Bas), par décision du 4 décembre 2003, parvenue à la Cour le 8 décembre 2003, dans la procédure
J. E. J. Blanckaert
contre
Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen,
LA COUR (première chambre),
composée de M. K. Lenaerts (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la première chambre, Mme N. Colneric, MM. K. Schiemann, E. Juhász et M. Ilešič, juges,
avocat général: Mme C. Stix-Hackl,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mars 2005,
considérant les observations présentées:
– pour M. Blanckaert, par M. P. J. M. de Graaf, adviseur,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et C. ten Dam, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par Mme A. Tiemann et M. W.-D. Plessing, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et A. Weimar, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 mai 2005,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur la question de savoir si le droit communautaire s’oppose à une réglementation nationale qui réserve aux seuls affiliés au régime national de sécurité sociale la possibilité de bénéficier de réductions d’impôt au titre des assurances sociales dans l’hypothèse où les réductions de cotisations octroyées dans le cadre dudit régime n’ont pu être totalement imputées sur les cotisations sociales dues.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Blanckaert à l’Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/ Ondernemingen buitenland te Heerlen au sujet du refus de ce dernier de lui accorder des réductions d’impôt au titre des assurances sociales.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article 56, paragraphe 1, CE énonce:
«Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.»
4 L’article 58, paragraphe 1, CE prévoit:
«L’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres:
a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis;
b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale [...]»
5 L’article 58, paragraphe 3, CE dispose:
«Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56.»
6 L’article 13, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) nº 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 209, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»), dispose que les personnes exerçant une activité salariée ou non salariée ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre.
7 Conformément à l’article 13, paragraphe 2, sous a) et b), dudit règlement, la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre.
La réglementation nationale
La réglementation relative aux assurances sociales
8 Les assurances sociales en cause dans le litige au principal sont celles régies par la loi sur l’assurance vieillesse (Algemene Ouderdomswet), la loi sur l’assurance généralisée des survivants (Algemene Nabestaandenwet) et la loi relative à l’assurance générale des frais de maladie spéciaux (Algemene Wet Bijzondere Ziektekosten). Conformément aux dispositions de ces trois lois d’assurance sociale, ont la qualité d’affiliés les résidents aux Pays-Bas ainsi que les non-résidents soumis à l’impôt sur le revenu en raison du travail salarié fourni dans cet État membre.
9 L’article 12, paragraphe 1, de l’arrêté sur l’extension et la limitation du cercle d’affiliés aux assurances sociales (Besluit uitbreiding en beperking kring verzekerden volksverzekeringen), du 24 décembre 1998, précise toutefois que les résidents aux Pays-Bas qui exercent leur activité professionnelle dans un autre État membre sont affiliés au régime de sécurité sociale de ce dernier État.
10 Conformément à l’article 6 de la loi sur le financement de la sécurité sociale (Wet financiering volksverzekeringen, ci-après la «WFV»), l’affilié est redevable de cotisations de sécurité sociale.
11 L’article 8 de la WFV dispose que ces cotisations sont fixées en fonction du revenu imposable provenant du travail et d’une habitation de l’affilié. Les cotisations dues représentent un pourcentage de ce revenu. Le montant ainsi obtenu est toutefois diminué, conformément à l’article 10 de ladite loi, des réductions de cotisations au titre des différentes assurances sociales mentionnées au point 8, première phrase, du présent arrêt (ci-après les «réductions de cotisations au titre des assurances sociales»).
La réglementation fiscale
12 Conformément à l’article 2.1, premier alinéa, de la loi de 2001 relative à l’impôt sur le revenu (Wet op de inkomstenbelasting 2001, ci-après la «loi IB»), les contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu sont les personnes physiques qui résident aux Pays-Bas (contribuables résidents) et celles qui ne résident pas dans cet État membre mais qui y perçoivent des revenus (contribuables non-résidents).
13 L’article 2.3 de la loi IB prévoit que l’impôt sur le revenu porte sur les revenus suivants perçus par le contribuable au cours de l’année civile:
a) les revenus imposables d’un travail ou d’une habitation;
b) les revenus imposables provenant d’une participation importante, et
c) les revenus imposables provenant de l’épargne et des placements.
14 En vertu de l’article 5.2 de la loi IB, les revenus provenant de l’épargne et des placements sont fixés légalement à 4 % de la moyenne de la valeur des possessions diminuée de la valeur des dettes au début et à la fin de l’année civile, dans la mesure où cette moyenne est supérieure au capital exonéré d’impôt. Celui-ci s’élevait, au moment des faits, à 17 600 euros et il a pour objectif d’exempter les petits épargnants de l’impôt sur les revenus provenant de l’épargne et des placements.
15 L’impôt sur le revenu et les cotisations sociales sont perçus par les services fiscaux néerlandais.
16 Les contribuables résidents bénéficient de l’avantage afférent au capital exonéré d’impôt et de diverses réductions d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu. S’ils sont affiliés au régime néerlandais de sécurité sociale, ils peuvent également prétendre aux réductions de cotisations au titre des assurances sociales.
17 L’article 2.7, paragraphe 2, de la loi IB dispose que, si le contribuable est redevable de cotisations au titre des assurances sociales et si les réductions de ces cotisations ne peuvent pas être totalement compensées avec les cotisations dues, le montant de l’impôt sur le revenu est diminué à concurrence de cette part non déductible. Les réductions des cotisations au titre des assurances sociales sont ainsi susceptibles de se transformer en réductions d’impôt.
18 Les contribuables non-résidents n’ont droit ni à un capital exonéré d’impôt ni aux réductions d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu. Ils ne bénéficient des réductions des cotisations au titre des assurances sociales que s’ils sont affiliés au régime néerlandais de sécurité sociale.
19 Les contribuables non-résidents qui ont, aux Pays-Bas, des revenus provenant uniquement de l’épargne et des placements ne sont pas affiliés au régime néerlandais de sécurité sociale et ne sont pas susceptibles, contrairement aux contribuables résidents qui ont de tels revenus, de bénéficier des réductions d’impôt au titre des assurances sociales.
20 En vertu de l’article 2.5 de la loi IB, les contribuables non-résidents peuvent choisir d’être assimilés à des contribuables résidents. L’exercice d’une telle option signifie, d’une part, que ces contribuables bénéficient du capital exonéré d’impôt et des réductions d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu, sans toutefois pouvoir prétendre à des réductions d’impôt au titre des assurances sociales s’ils perçoivent aux Pays-Bas uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements, et, d’autre part, qu’ils sont soumis à l’impôt aux Pays-Bas sur leur revenu mondial.
La convention tendant à éviter la double imposition
21 L’article 25, paragraphe 3, de la convention tendant à éviter la double imposition conclue le 19 octobre 1970 entre le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement du Royaume des Pays-Bas (Tractatenblad 1970, p. 192) prévoit dans des termes généraux que «[l]es personnes physiques résidentes de l’un des États bénéficient dans l’autre État des déductions personnelles, abattements et réductions qui sont accordés par cet autre État à ses propres résidents en raison de leur situation ou de leurs charges de famille».
22 L’arrêté du secrétaire d’État aux Finances, du 21 février 2002, dispose qu’il est tenu compte du capital exonéré d’impôt et des réductions d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu lors du calcul de l’impôt dû sur les revenus de l’épargne et des placements des contribuables non-résidents habitant en Belgique. Aucune réduction d’impôt au titre des assurances sociales n’est en revanche accordée à ces contribuables.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
23 M. Blanckaert est un ressortissant belge résidant en Belgique. Avec son épouse, il est propriétaire d’une maison de vacances aux Pays-Bas. Cette maison lui procure des revenus provenant de l’épargne et des placements au sens de l’article 2.3 de la loi IB.
24 M. Blanckaert perçoit moins de 90 % de ses revenus aux Pays-Bas. Les seuls revenus imposables qu’il y perçoit sont les revenus provenant de sa maison de vacances. Il n’a pas choisi d’être assimilé à un contribuable résident, au sens de l’article 2.5 de la loi IB.
25 Il n’est pas affilié au régime néerlandais de sécurité sociale et, partant, il n’est pas redevable aux Pays-Bas de cotisations au titre des assurances sociales.
26 Pour l’année 2001, M. Blanckaert a été imposé au titre de l’impôt sur le revenu par les autorités fiscales néerlandaises en raison de ses revenus imposables provenant de l’épargne et des placements. En application des dispositions de la convention tendant à éviter la double imposition du 19 octobre 1970, lors de l’établissement de l’avis d’imposition, il a été tenu compte du capital exonéré d’impôt et des réductions d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu. En revanche, aucune réduction d’impôt au titre des assurances sociales ne lui a été accordée.
27 M. Blanckaert a introduit une réclamation contre l’avis d’imposition pour l’année 2001 devant le défendeur au principal. Cette réclamation ayant été rejetée, M. Blanckaert a formé un recours contre cette décision de rejet devant le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch.
28 Considérant que le traité CE et la jurisprudence de la Cour n’apportent pas une réponse claire aux questions soulevées par le litige dont il est saisi, le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Un contribuable non-résident, ayant son domicile dans un autre État membre et qui ne perçoit pas de revenus du travail aux Pays-Bas mais uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements, et qui par conséquent n’est pas redevable des cotisations et ne verse pas celles-ci au titre des assurances sociales néerlandaises, a-t-il droit, sur la base du droit communautaire, lors de l’établissement de son revenu imposable provenant de l’épargne et des placements, à ce que les Pays-Bas lui accordent les réductions d’impôt au titre des assurances sociales (les réductions d’impôt au titre de l’assurance générale vieillesse, de l’assurance de survie et de l’assurance générale relative aux frais médicaux spéciaux), si, lors de l’établissement du revenu imposable provenant de l’épargne et des placements, un contribuable résident a droit à ces réductions d’impôt, au motif qu’il est affilié au régime des assurances sociales néerlandaises et à ce titre est redevable de cotisations sociales, même s’il ne perçoit pas de revenus du travail aux Pays-Bas mais uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements et que, pour cette raison, il ne verse pas de cotisations sociales au régime des assurances sociales néerlandaises?
2) Dans le cadre de la réponse à la première question, est-il pertinent que le contribuable non-résident perçoive moins de 90 % des revenus du ménage aux Pays-Bas? Et plus particulièrement:
a) Est-ce que le test Schumacker [arrêt du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225] pour les résidents et les non-résidents s’applique uniquement aux aspects fiscaux subjectifs ou personnels, tels que le droit de déduire les frais liés à la famille ou à la personne, ou s’applique-t-il également aux aspects fiscaux objectifs ou non personnels, tels que le taux d’imposition?
b) Pour décider si les non-résidents sont traités comme les résidents, les États membres peuvent-ils utiliser une règle quantitative (telle que la règle des 90 %) malgré le fait que cette règle ne permet pas de garantir que toute forme de discrimination soit éliminée?
3) Le régime d’option tel que prévu à l’article 2.5 de la loi IB constitue-t-il un remède procédural efficace permettant de garantir que l’intéressé puisse faire usage des droits qui lui sont garantis par le traité CE et qui excluent toute forme de discrimination?
En cas de réponse affirmative à cette question, ce régime constitue-t-il également un remède suffisant lorsque l’intéressé ne perçoit que des revenus provenant de son épargne et de ses placements alors que […] le régime d’option ne peut l’avantager?»
Sur les questions préjudicielles
29 Les questions posées par la juridiction de renvoi ne mentionnent aucune disposition spécifique du droit communautaire. Elles font référence au «droit communautaire» en général ainsi qu’aux «droits […] garantis par le traité CE».
30 Il ressort toutefois du libellé de ces questions, lues en combinaison avec les motifs de la décision de renvoi, que celles-ci portent sur l’interprétation des articles 56 CE et 58 CE. En effet, dans lesdits motifs, la juridiction de renvoi rappelle que ces dispositions «interdisent toute entrave à la libre circulation des capitaux entre les États membres et contiennent une interdiction des entraves discriminatoires». Cette juridiction souligne que l’investissement immobilier effectué par le demandeur au principal est susceptible de tomber dans le champ d’application de ces dispositions.
Sur la première question
31 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui refuse le bénéfice de réductions d’impôt au titre des assurances sociales à une personne résidant en Belgique qui n’est pas affiliée au régime néerlandais de sécurité sociale et dont les revenus imposables aux Pays-Bas proviennent uniquement de l’épargne et des placements, alors qu’une personne résidant dans ce dernier État membre, qui est affiliée audit régime et perçoit des revenus de même nature, bénéficie de telles réductions quand bien même, en l’absence de revenus provenant du travail ou d’une habitation, elle ne verse pas de cotisations de sécurité sociale.
32 M. Blanckaert soutient que la réglementation en cause au principal entraîne une différence de traitement injustifiée entre les résidents et les non-résidents. En effet, la situation d’un résident aux Pays-Bas qui perçoit uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements et qui ne verse pas de cotisations de sécurité sociale serait comparable à celle d’un non-résident qui perçoit également aux Pays-Bas uniquement des revenus de l’épargne et des placements et qui ne verse pas non plus de cotisations dans le cadre du régime néerlandais de sécurité sociale.
33 Les gouvernements allemand et néerlandais ainsi que la Commission font valoir que l’avantage dont bénéficient les résidents relève du droit de la sécurité sociale. Ils estiment qu’il existe une différence objective entre, d’une part, la situation d’un contribuable non-résident dont les revenus proviennent exclusivement de l’épargne et des placements, tel que M. Blanckaert, qui n’est pas affilié au régime néerlandais de sécurité sociale et n’est donc pas redevable des cotisations dues au titre de ce régime et, d’autre part, la situation d’un contribuable résident ayant des revenus de même nature, qui est affilié au régime néerlandais de sécurité sociale et, de ce fait, est en principe redevable de telles cotisations. Cette différence de situation justifierait la différence de traitement de ces deux catégories de contribuables.
34 À cet égard, il importe de rappeler que M. Blanckaert, qui réside en Belgique, a effectué un investissement immobilier aux Pays-Bas. Conformément aux articles 2.3 et 5.2 de la loi IB, l’investissement lui procure des revenus fictifs qui sont taxés aux Pays-Bas en tant que revenus provenant de l’épargne et des placements.
35 Il ressort d’une jurisprudence constante que les mouvements de capitaux au sens de l’article 56 CE comprennent les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d’un État membre (voir arrêts du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21; du 11 janvier 2001, Stefan, C-464/98, Rec. p. I-173, point 5, et du 5 mars 2002, Reisch e.a., C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99, Rec. p. I-2157, point 30).
36 Il convient donc d’examiner si la réglementation nationale en cause au principal comporte une restriction aux mouvements de capitaux entre les États membres en ce qu’elle aurait un effet restrictif à l’égard des personnes résidant dans un État membre autre que les Pays-Bas souhaitant effectuer un investissement immobilier dans ce dernier État.
37 Conformément à l’article 2.7, paragraphe 2, de la loi IB, les réductions de cotisations au titre des assurances sociales qui, le cas échéant, sont portées en déduction de l’impôt dû sur les revenus de l’année concernée – dont font partie les revenus des investissements immobiliers – sont réservées aux contribuables affiliés au régime néerlandais de sécurité sociale.
38 Le critère de l’affiliation retenu par la législation des Pays-Bas avantage, dans la plupart des cas, les résidents de cet État membre. En effet, les contribuables non affiliés audit régime sont le plus souvent des non-résidents.
39 Le traitement fiscal moins favorable réservé aux non-résidents pourrait dissuader ces derniers d’effectuer des investissements immobiliers aux Pays-Bas. Ladite législation est donc de nature à entraver la libre circulation des capitaux.
40 Il convient toutefois d’examiner si une telle restriction à la libre circulation des capitaux est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité.
41 À cet égard, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE, «[l]’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres […] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence […]».
42 Cependant, il y a lieu de distinguer les traitements inégaux qui sont permis au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE des discriminations arbitraires qui sont interdites par le paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêts du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/98, Rec. p. I-4071, point 43, et du 7 septembre 2004, Manninen, C-319/02, Rec. p. I-7477, points 28 et 29).
43 La question se pose donc de savoir s’il existe, en ce qui concerne l’octroi des réductions d’impôt au titre des assurances sociales, une différence de situation objective entre un non-résident, tel que M. Blanckaert, et un résident, qui, à l’instar du demandeur au principal, perçoit aux Pays-Bas uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements.
44 Force est de constater, tout d’abord, que, pour le contribuable percevant des revenus imposables aux Pays-Bas, l’avantage fiscal auquel ce dernier peut prétendre doit être considéré comme tel uniquement lorsque les réductions de cotisations au titre des assurances sociales ne peuvent pas être imputées totalement sur les cotisations de sécurité sociale dues.
45 Même si, sur le plan fiscal, la législation nationale en cause au principal défavorise en particulier les non-résidents, l’octroi des réductions de cotisations au titre des assurances sociales est directement et exclusivement lié à la qualité d’affilié du contribuable concerné au régime néerlandais de sécurité sociale. En effet, tant les résidents que les non-résidents qui sont affiliés à ce régime bénéficient de ces réductions, alors que les résidents et les non-résidents qui ne sont pas affiliés à celui-ci n’en bénéficient pas.
46 À cet égard, le demandeur au principal fait valoir qu’un contribuable résidant aux Pays-Bas qui perçoit des revenus provenant uniquement de l’épargne et des placements bénéficie, en tant qu’affilié au régime néerlandais de sécurité sociale, de véritables réductions d’impôt au titre des assurances sociales. En effet, il ne paie pas de cotisations au titre des assurances sociales en l’absence de revenus provenant du travail ou d’une habitation, de sorte que les réductions de ces cotisations ne pourront pas être compensées avec des cotisations de sécurité sociale. En revanche, un contribuable non-résident qui ne perçoit aux Pays-Bas que des revenus provenant de l’épargne et des placements n’est pas affilié audit régime et ne paie pas non plus de cotisations au titre des assurances sociales dans cet État membre, mais il ne peut prétendre obtenir des réductions d’impôt au titre des assurances sociales.
47 Toutefois, l’octroi de l’avantage en cause au principal à des personnes non affiliées au régime néerlandais de sécurité sociale reviendrait à traiter des situations différentes de manière égale dès lors que les affiliés à ce régime ne bénéficient qu’exceptionnellement de réductions d’impôt au titre des assurances sociales. En effet, ce n’est que dans l’hypothèse où un affilié ne peut pas compenser les réductions de cotisations avec les cotisations dues qu’il peut prétendre obtenir de telles réductions d’impôt. En revanche, une personne non affiliée, telle que le demandeur au principal, bénéficierait toujours et automatiquement de réductions d’impôt du fait de l’octroi de réductions de cotisations au titre des assurances sociales. En effet, en l’absence d’une obligation de cotiser, une telle personne ne pourrait jamais imputer lesdites réductions sur des cotisations de sécurité sociale dues.
48 Il importe de constater, ensuite, que les dispositions de la législation nationale relative à l’affiliation au régime néerlandais de sécurité sociale sont conformes aux dispositions de l’article 13, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 1408/71. En effet, les résidents qui exercent leur activité professionnelle en dehors des Pays-Bas ne relèvent pas de ce régime, alors que les non-résidents qui travaillent dans cet État membre sont soumis audit régime.
49 Dès lors que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale (arrêt du 13 mai 2003, Müller-Fauré et Van Riet, C-385/99, Rec. p. I-4509, point 100), il appartient, en l’absence d’une harmonisation au niveau communautaire, à la législation de l’État membre concerné de déterminer le cercle des affiliés et le niveau des cotisations dues par les affiliés au régime national de sécurité sociale ainsi que les réductions y afférentes. Il relève en outre de la logique interne d’un tel régime de réserver le bénéfice des réductions de cotisations aux seuls redevables de celles-ci, à savoir les affiliés à ce régime.
50 Il s’ensuit qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal peut être justifiée, au regard de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE, par la différence de situation objective qui existe entre un affilié au régime néerlandais de sécurité sociale et une personne non affiliée à celui-ci.
51 Il convient dès lors de répondre à la première question que les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre en vertu de laquelle un contribuable non-résident, qui perçoit dans cet État uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements et qui n’est pas affilié au régime de sécurité sociale dudit État membre, ne peut prétendre au bénéfice des réductions d’impôt au titre des assurances sociales, alors qu’un contribuable résident qui est affilié audit régime de sécurité sociale bénéficie de telles réductions lors du calcul de son revenu imposable, quand bien même il perçoit uniquement des revenus de même nature et ne verse pas de cotisations de sécurité sociale.
Sur les deuxième et troisième questions
52 Eu égard à la réponse donnée à la première question, il n’y a plus lieu de répondre aux deuxième et troisième questions posées par la juridiction de renvoi.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
Les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre en vertu de laquelle un contribuable non-résident, qui perçoit dans cet État uniquement des revenus provenant de l’épargne et des placements et qui n’est pas affilié au régime de sécurité sociale de cet État membre, ne peut prétendre au bénéfice des réductions d’impôt au titre des assurances sociales, alors qu’un contribuable résident qui est affilié audit régime de sécurité sociale bénéficie de telles réductions lors du calcul de son revenu imposable, quand bien même il perçoit uniquement des revenus de même nature et ne verse pas de cotisations de sécurité sociale.
Signatures
* Langue de procédure: le néerlandais.