Affaires jointes C-266/04 à C-270/04, C-276/04 et C-321/04 à C-325/04
Distribution Casino France SAS, anciennement Nazairdis SAS, e.a.
contre
Caisse nationale de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (Organic)
(demande de décision préjudicielle, introduite par
le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Étienne)
«Notion d'aide — Taxe assise sur la surface de vente — Lien contraignant entre la taxe et l'affectation du produit de la taxe»
Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 14 juillet 2005
Arrêt de la Cour (première chambre) du 27 octobre 2005
Sommaire de l'arrêt
1. Aides accordées par les États — Projets d'aides — Interdiction de mise à exécution avant la décision finale de la Commission — Portée — Obligations des juridictions nationales
(Art. 87, § 1, CE et 88, § 2 et 3, CE)
2. Aides accordées par les États — Dispositions du traité — Champ d'application — Taxes — Exclusion sauf pour les taxes finançant une aide — Taxe assortie d'exonérations prétendument constitutives d'une aide — Absence de lien d'affectation contraignant entre une taxe et le bénéfice de son exonération — Exclusion
(Art. 87, § 1, CE et 88, § 3, CE)
3. Aides accordées par les États — Notion — Mesures financées par une taxe prétendument illégale — Absence de lien d'affectation contraignant entre ladite taxe et les mesures concernées — Exclusion — Cas d'espèce
(Art. 87, § 1, CE et 88, § 3, CE)
1. Il ressort de l'article 88, paragraphe 3, CE que la Commission doit être informée des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un tel projet n'est pas compatible avec le marché commun, elle ouvre sans délai la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE, sans que l'État membre intéressé puisse mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. Une mesure d'aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, mise à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l'article 88, paragraphe 3, CE, est illégale. Il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des justiciables face à une éventuelle méconnaissance, de la part des autorités nationales, de l'interdiction de mise à exécution des aides, en tirant toutes les conséquences, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aides en cause que le recouvrement des soutiens financiers accordés.
(cf. points 29-30)
2. Les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions du traité concernant les aides d'État à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure. Dans l'hypothèse où une taxe constitue effectivement une partie intégrante d'une mesure d'aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, la méconnaissance par les autorités nationales des obligations découlant de l'article 88, paragraphe 3, CE affecte non seulement la légalité de la mesure d'aide, mais également celle de la taxe qui constitue son mode de financement.
Pour que l'on puisse considérer une taxe comme faisant partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide. Si un tel lien existe, le produit de la taxe influence directement l'importance de l'aide et, par voie de conséquence, l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché commun. Ce lien fait défaut s'agissant d'une taxe et de l'aide que constituerait l'exonération de celle-ci dont bénéficient certaines catégories d'entreprises, car aucun lien contraignant n'existe entre une taxe et une telle exonération. En effet, l'application d'une exonération fiscale et son étendue ne dépendent pas du produit de la taxe. Ainsi, les redevables d'une taxe ne sauraient exciper de ce que l'exonération dont bénéficient d'autres entreprises constitue une aide d'État pour se soustraire au paiement de ladite taxe. Il s'ensuit que, à supposer même que l'exonération fiscale de certaines entreprises constitue une mesure d'aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, l'éventuelle illégalité de l'aide ne serait pas de nature à affecter la légalité de la taxe elle-même, de sorte que les entreprises qui sont redevables de la taxe ne sauraient exciper devant les juridictions nationales de l'éventuelle illégalité de l'exonération pour se soustraire au paiement de ladite taxe ou pour en obtenir le remboursement.
(cf. points 34-35, 40-44)
3. Le lien contraignant entre une taxe et les mesures qu'elle finance, sans lequel cette taxe ne saurait être considérée comme un élément d'une aide d'État, fait défaut dans le cas d'une indemnité de départ versée à certains opérateurs économiques, dès lors que le montant effectivement versé à ce titre ne dépend pas du produit de la taxe mais est arrêté, conformément à un décret, dans les limites fixées par arrêté ministériel, en fonction des éléments qui caractérisent la situation de chaque demandeur et notamment de l'état de ses ressources et de ses charges. Il fait pareillement défaut s'agissant du financement des régimes d'assurance vieillesse de base de certaines catégories professionnelles, dès lors que, de par les modalités selon lesquelles est fixée la contribution de la taxe à ce financement, le produit de celle-ci n'affecte pas directement l'importance de l'avantage octroyé aux régimes bénéficiaires, lesquels ne correspondent d'ailleurs pas à une activité économique. Il fait tout autant défaut s'agissant de l'affectation d'une partie du produit de la taxe à un fonds d'intervention et à un comité professionnel, dès lors que ces organismes et les ministres compétents disposent d'un pouvoir discrétionnaire quant à cette affectation.
(cf. points 46, 48-49, 54-56)
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
27 octobre 2005 (*)
«Notion d’aide – Taxe assise sur la surface de vente – Lien contraignant entre la taxe et l’affectation du produit de la taxe»
Dans les affaires jointes C-266/04 à C-270/04, C-276/04 et C-321/04 à C-325/04,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Étienne (C-266/04 à C-270/04 et C-276/04) et par la cour d’appel de Lyon (C-321/04 à C-325/04) (France), par décisions des 5 avril et 24 février 2004, parvenues à la Cour les 24, 25 et 29 juin, ainsi que le 27 juillet 2004, dans les procédures
Distribution Casino France SAS, anciennement Nazairdis SAS (C-266/04),
Jaceli SA (C-267/04),
Komogo SA (C-268/04 et C-324/04),
Tout pour la maison SARL (C-269/04 et C-325/04),
Distribution Casino France SAS (C-270/04),
Bricorama France SAS (C-276/04),
Distribution Casino France 3 SAS (C-321/04),
Société Casino France, venant aux droits de IMQEF SA, venant aux droits de JUDIS SA (C-322/04),
Dechrist Holding SA (C-323/04),
contre
Caisse nationale de l’organisation autonome d’assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (Organic),
LA COUR (première chambre),
composée de M. K. Schiemann, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts (rapporteur), E. Juhász et M. Ilešič, juges,
avocat général: Mme C. Stix-Hackl,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 juin 2005,
considérant les observations présentées:
– pour Nazairdis SAS, Jaceli SA, Komogo SA, Tout pour la maison SARL, Distribution Casino France SAS, Distribution Casino France 3 SAS, Société Casino France, venant aux droits de IMQEF SA, venant aux droits de JUDIS SA, et Dechrist Holding SA, par Mes E. Meier et C. Cassan, avocats,
– pour Bricorama France SAS, par Mes B. Geneste, O. Davidson et C. Medina, avocats,
– pour la Caisse nationale de l’organisation autonome d’assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (Organic), par Me R. Waquet, avocat,
– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme S. Ramet, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M. C. Giolito, en qualité d’agent,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2005,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 87 CE et 88 CE.
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de recours dans lesquels a été mise en cause la légalité de la taxe française d’aide au commerce et à l’artisanat.
Le cadre juridique national
La taxe d’aide au commerce et à l’artisanat
3 L’article 3, paragraphe 2, de la loi nº 72-657, du 13 juillet 1972, instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et d’artisans âgés (JORF du 14 juillet 1972, p. 7419), établit une taxe d’aide au commerce et à l’artisanat (ci-après la «TACA»).
4 La TACA est une taxe progressive supportée directement par les magasins de détail situés en France disposant d’une surface de vente supérieure à 400 m2 et réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 460 000 euros. Les taux d’imposition sont progressifs en fonction du montant du chiffre d’affaires annuel par m2.
5 À l’époque des faits relatifs aux affaires en cause au principal, la TACA était perçue par la Caisse nationale de l’organisation autonome d’assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (ci-après l’«Organic»).
L’affectation du produit de la TACA
L’indemnité de départ
6 Conformément aux articles 8 à 10 de la loi n° 72-657, le produit de la TACA a d’abord été destiné au financement d’une aide spéciale compensatrice de départ en faveur de certains commerçants et artisans.
7 L’article 106 de la loi n° 81-1160, du 30 décembre 1981 (JORF du 31 décembre 1981, p. 3539), portant loi de finances pour 1982, tel que modifié par la loi n° 95-95, du 1er février 1995 (JORF du 2 février 1995, p. 1742), et par la loi n° 2002-1575, du 30 décembre 2002 (JORF du 31 décembre 2002, p. 22025), a remplacé cette aide spéciale compensatrice par une indemnité de départ. Il dispose:
«Les commerçants et artisans affiliés pendant quinze ans au moins aux régimes d’assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles et commerciales peuvent bénéficier sur leur demande, si leurs ressources sont inférieures à un plafond fixé par décret, d’une aide versée par les caisses des régimes précités après l’âge:
a. De soixante ans révolus, lorsqu’ils cessent définitivement toute activité;
[…]».
8 L’article 6 du décret n° 82-307, du 2 avril 1982 (JORF du 4 avril 1982, p. 1035), tel que modifié par le décret n° 91-1155, du 8 novembre 1991 (JORF du 10 novembre 1991), fixe les conditions d’attribution de l’indemnité de départ. Selon cette disposition, la commission locale arrête le montant de l’indemnité dans les limites fixées par arrêté ministériel en fonction «des éléments qui caractérisent la situation de chaque demandeur et notamment de l’état de ses ressources et de ses charges».
9 L’article 10 de l’arrêté ministériel du 13 août 1996 (JORF du 29 août 1996, p. 12940), tel que modifié par l’arrêté du 3 septembre 2001 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs (JORF du 11 septembre 2001, p. 14495), précise que «le montant de l’indemnité doit être compris entre 3 140 euros et 18 820 euros pour un ménage et entre 2 020 euros et 12 100 euros pour un isolé».
Les autres affectations de la TACA
10 Depuis l’institution de la TACA, le produit de celle-ci a considérablement augmenté en raison du développement de la part de marché de la grande distribution et de l’accroissement de la superficie des établissements commerciaux sur le territoire français.
11 L’excédent du produit de la TACA a été affecté aux régimes d’assurance vieillesse de base des travailleurs non salariés des professions artisanales et des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales, au Fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce (ci-après le «Fisac») et au comité professionnel de la distribution des carburants (ci-après le «CPDC»).
– Affectation en faveur des régimes d’assurance vieillesse
12 L’article 40-II de la loi n° 96-1160, du 27 décembre 1996, de financement de la sécurité sociale pour 1997 (JORF du 29 décembre 1996, p. 19369), a complété l’article L. 633-9 du code de la sécurité sociale par un paragraphe 6 qui prévoit qu’une fraction du produit de la TACA est affectée au financement des régimes d’assurance vieillesse de base des travailleurs non salariés des professions artisanales et des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales. Son montant est réparti, au prorata de leur déficit comptable, entre l’Organic et la Caisse nationale d’assurance vieillesse des artisans (ci-après la «Cancava»).
13 Le montant de la TACA affecté au financement des régimes d’assurance en question est fixé, chaque année, par un arrêté interministériel.
14 Ce dispositif de financement des régimes d’assurance vieillesse de base a été supprimé par l’article 35-IV de la loi n° 2002-1575.
– Affectation en faveur du Fisac
15 L’article 2 du décret nº 95-1140, du 27 octobre 1995, relatif à l’affectation du produit de la [TACA] (JORF 29 octobre 1995, p. 15808), prévoit qu’une partie de l’excédent du produit de la TACA alimente un compte spécial du Fisac.
16 Conformément à l’article 1er dudit décret, le Fisac finance, d’une part, des opérations collectives destinées à favoriser le maintien et l’adaptation du commerce et de l’artisanat afin de préserver l’animation commerciale dans des secteurs géographiques ou professionnels et la desserte de proximité propice à la vie sociale et, d’autre part, des opérations de transmission et de restructuration destinées aux entreprises commerciales et artisanales réalisant des chiffres d’affaires annuels inférieurs à des montants fixés par arrêté du ministre chargé du commerce et de l’artisanat.
17 En vertu de l’article 8 de ce décret, «les décisions [d’attribution des aides] sont prises par le ministre chargé du commerce et de l’artisanat après avis [d’une] commission» instituée par le même décret.
– Affectation en faveur du CPDC
18 Le CPDC a été créé par le décret n° 91-284, du 19 mars 1991 (JORF du 20 mars 1991, p. 3874), modifié par le décret n° 98-132, du 2 mars 1998 (JORF du 7 mars 1998, p. 3515), et par le décret n° 2001-1048, du 12 novembre 2001 (JORF du 13 novembre 2001, p. 18016, ci après le «décret 91-284»). Conformément à l’article 2 du décret n° 91-284, le CPDC est chargé:
«1. D’élaborer et de mettre en œuvre les programmes d’action ayant pour but l’aménagement du réseau de distribution des carburants, l’amélioration de sa productivité, la modernisation de ses conditions de commercialisation et de gestion et le maintien d’une desserte équilibrée sur l’ensemble du territoire national.
2. D’apporter son concours aux entreprises intéressées pour leur faciliter la réalisation des programmes retenus et de procéder à ces fins à toutes études utiles.
3. De réunir les informations de nature à concourir aux fins susmentionnées et de les diffuser auprès de la profession.»
19 L’article 8 du même décret précise que les décisions du CPDC sont prises par le conseil d’administration de ce comité, qu’elles sont notifiées au commissaire du gouvernement et au contrôleur d’État et qu’elles deviennent exécutoires si aucun d’entre eux n’a opposé son veto dans un délai de quinze jours.
20 Le décret 98-132 a renforcé les moyens du CPDC en complétant ses recettes par une partie de l’excédent de la TACA. Pour cela, il a modifié l’article 9 du décret 91-284 en le complétant par un point sous g) qui précise que «un arrêté conjoint du ministre chargé de l’industrie, du ministre chargé du commerce et de l’artisanat et du ministre chargé du budget fixe chaque année le plafond des ressources affectées dans ce cadre au comité professionnel de la distribution de carburants».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
21 Le 11 avril 2001, les sociétés demanderesses au principal dans les affaires C-321/04 à C-325/04 ont chacune formé un recours dirigé contre l’Organic devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Étienne. Ces recours visaient à obtenir le remboursement des sommes qu’elles avaient versées au titre de la TACA au cours des années 1999 et/ou 2000. Elles estimaient que la TACA avait été instituée en violation des dispositions des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE.
22 Par jugements en date du 27 janvier 2003, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Étienne a rejeté ces recours. Les demanderesses au principal ont alors interjeté appel devant la cour d’appel de Lyon.
23 Le 7 avril 2003, la demanderesse au principal dans l’affaire C-276/04 a introduit un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Étienne contre l’Organic afin d’obtenir le remboursement des sommes qu’elle avait versées au titre de la TACA pour les années 2000 à 2002.
24 Le 11 avril 2003, les demanderesses au principal dans les affaires C-266/04 à C-270/04 ont saisi ledit tribunal de cinq recours différents contre l’Organic afin d’obtenir le remboursement des sommes qu’elles avaient versées au titre de la TACA pour l’année 2001.
25 Les juridictions de renvoi dans les présentes affaires s’interrogent sur le point de savoir si la TACA a été instituée en violation des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE.
26 C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon, par décisions du 24 février 2004 (affaires C-321/04 à C-325/04), a décidé de surseoir à statuer et a demandé à la Cour qu’elle «se prononce sur la qualification en aide d’État ou non, au sens de l’article 87 CE, de la [TACA] recouvrée sur [les parties demanderesses]».
27 Par décisions du 5 avril 2004 (affaires C-266/04 à C-270/04 et C-276/04), le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Étienne a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 87 CE doit[-il] être interprété en ce sens que les concours publics versés par la France dans le cadre du CPDC [...], du Fisac [...], de l’aide au départ des artisans et commerçants et de la dotation aux régimes d’assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales, ainsi qu’à celui des travailleurs non salariés des professions artisanales, constituent des régimes d’aide d’État?»
28 Par ordonnance du président de la Cour du 24 septembre 2004, les présentes affaires ont été jointes.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
29 Il ressort de l’article 88, paragraphe 3, CE que la Commission doit être informée des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un tel projet n’est pas compatible avec le marché commun, elle ouvre sans délai la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE, sans que l’État membre intéressé puisse mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.
30 Une mesure d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, mise en exécution en méconnaissance des obligations découlant de l’article 88, paragraphe 3, CE est illégale (voir arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354/90, Rec. p. I-5505, point 17). Il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des justiciables face à une éventuelle méconnaissance, de la part des autorités nationales, de l’interdiction de mise à exécution des aides, en tirant toutes les conséquences, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aides en cause que le recouvrement des soutiens financiers accordés (voir arrêt du 27 novembre 2003, Enirisorse, C-34/01 à C-38/01, Rec. p. I-14243, point 42).
31 Même si, comme le souligne à juste titre Mme l’avocat général aux points 29 à 33 de ses conclusions, les décisions de renvoi ne fournissent que quelques informations sommaires sur le contexte factuel et juridique des litiges au principal, il ressort clairement desdites décisions que les procédures devant les juridictions nationales concernent toutes des demandes de remboursement des sommes payées au titre de la TACA.
32 Il ressort en outre des dossiers transmis à la Cour que les demanderesses au principal ont soutenu dans les procédures devant les juridictions nationales que la TACA est illégale dès lors qu’elle présenterait un lien avec des aides octroyées en violation des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE.
33 Dans ces conditions, les questions préjudicielles portent, en substance, sur la question de savoir si les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE s’opposent à la perception d’une taxe, telle que la TACA.
34 Selon une jurisprudence constante, les taxes n’entrent pas dans le champ d’application des dispositions du traité CE concernant les aides d’État à moins qu’elles constituent le mode de financement d’une mesure d’aide, de sorte qu’elles font partie intégrante de cette mesure (arrêt du 13 janvier 2005, Streekgewest, C-174/02, Rec. p. I-85, point 25).
35 Dans l’hypothèse où une taxe constitue effectivement une partie intégrante d’une mesure d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la méconnaissance par les autorités nationales des obligations découlant de l’article 88, paragraphe 3, CE affecte non seulement la légalité de la mesure d’aide, mais également celle de la taxe qui constitue son mode de financement (voir arrêt Enirisorse, précité, points 43 à 45).
36 Il convient donc d’examiner si une taxe, telle que la TACA, peut être considérée comme faisant partie intégrante d’une ou plusieurs mesures d’aide au sens de la jurisprudence précitée.
37 Les prétendues mesures d’aide qui sont contestées dans le cadre des procédures pendantes devant les juridictions nationales et qui sont, selon ces juridictions, susceptibles d’affecter la légalité de la TACA au titre des dispositions du traité relatives aux aides d’État sont, d’une part, l’exonération de la TACA en faveur des magasins de détail disposant d’une surface de vente inférieure à 400 m2 ou réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 460 000 euros (ci-après «les petites surfaces») et, d’autre part, les différentes mesures financées par le produit de la TACA.
38 Il y a lieu d’examiner séparément ces différentes mesures.
L’exonération de la TACA en faveur des petites surfaces
39 Les demanderesses au principal soutiennent que l’exonération de la TACA en faveur des petites surfaces constitue une mesure d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Il s’agirait d’un avantage sélectif, octroyé au moyen de ressources d’État et susceptible de porter atteinte à la concurrence et aux échanges entre les États membres. La taxe constituant un tout indivisible avec son exonération, elle ferait partie intégrante de l’aide.
40 À cet égard, il doit être rappelé que, pour que l’on puisse considérer une taxe comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide. Si un tel lien existe, le produit de la taxe influence directement l’importance de l’aide et, par voie de conséquence, l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché commun (arrêt Streekgewest, précité, point 26).
41 Toutefois, aucun lien contraignant n’existe entre une taxe et l’exonération de ladite taxe en faveur d’une catégorie d’entreprises. En effet, l’application d’une exonération fiscale et son étendue ne dépendent pas du produit de la taxe (voir arrêt Streekgewest, précité, point 28).
42 C’est ainsi que la Cour a jugé que les redevables d’une taxe ne sauraient exciper de ce que l’exonération dont bénéficient d’autres entreprises constitue une aide d’État pour se soustraire au paiement de ladite taxe (voir arrêt du 20 septembre 2001, Banks, C-390/98, Rec. p. I-6117, point 80).
43 Il s’ensuit que, à supposer même que l’exonération fiscale des petites surfaces constitue une mesure d’aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, l’éventuelle illégalité de l’aide ne serait pas de nature à affecter la légalité de la TACA.
44 Il résulte donc de ce qui précède que l’éventuelle illégalité de l’exonération de la TACA en faveur des petites surfaces n’est pas de nature à affecter la légalité de la taxe elle-même de sorte que les entreprises qui sont redevables de la TACA ne sauraient exciper devant les juridictions nationales de l’éventuelle illégalité de l’exonération pour se soustraire au paiement de ladite taxe ou pour en obtenir le remboursement.
Les différentes affectations du produit de la TACA
45 Selon les demanderesses au principal, les différentes affectations du produit de la TACA constituent toutes des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE qui ont été octroyées en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE.
46 Toutefois, il doit être rappelé que, dans le contexte des procédures au principal qui concernent toutes des demandes de remboursement de taxes prétendument illégales au regard des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE, la question de savoir si les différentes mesures financées par la TACA constituent des aides d’État serait uniquement pertinente pour autant qu’il serait établi qu’il existe un lien d’affectation contraignant entre la taxe et les mesures concernées (voir arrêt Streekgewest, précité, point 26).
47 Selon les demanderesses au principal, un tel lien contraignant existe entre la TACA et les mesures financées par cette taxe. En effet, le produit de la TACA ne serait pas affecté au Trésor. Au contraire, la réglementation instituant la TACA viserait spécifiquement à financer des mesures d’aide en faveur de certaines catégories de commerçants qui se trouveraient dans une relation concurrentielle avec les assujettis à la taxe.
48 S’agissant d’abord de l’indemnité de départ (voir points 6 à 9 du présent arrêt), il doit être constaté que, conformément à la législation nationale en cause, le financement de cette mesure est assuré par la TACA. Toutefois, contrairement à ce que prétendent les demanderesses au principal, le cadre réglementaire national ne fait pas apparaître l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre la TACA et l’indemnité de départ.
49 À cet effet, il doit être relevé que le montant de l’indemnité de départ octroyé aux commerçants et artisans qui cessent définitivement leur activité est, ainsi qu’il a été dit au point 9 du présent arrêt, «compris entre 3 140 euros et 18 820 euros pour un ménage et entre 2 020 euros et 12 100 euros pour un isolé». Le montant de l’indemnité effectivement versé ne dépend pas du produit de la taxe mais celui-ci est arrêté, conformément à l’article 6 du décret n° 82-307, «par la commission locale» dans les limites fixées par arrêté ministériel en fonction «des éléments qui caractérisent la situation de chaque demandeur et notamment de l’état de ses ressources et de ses charges».
50 La réglementation nationale en cause au principal se distingue ainsi de celle qui a été examinée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 juin 1970, France/Commission (47/69, Rec. p. 487, point 20), qui prévoyait que l’aide qu’elle instituait augmentait «à mesure de l’accroissement du rendement de la taxe».
51 De même, en vertu de la réglementation nationale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Enirisorse, précité, le produit de la taxe influençait directement l’importance de l’avantage économique octroyé. En effet, dans cette affaire, ladite réglementation prévoyait expressément que deux tiers du produit de la taxe seraient versés à une entreprise portuaire spécifique.
52 En revanche, dans les affaires au principal, il n’existe aucun rapport entre le produit de la TACA et le montant de l’indemnité de départ octroyé aux commerçants et aux artisans qui cessent définitivement leur activité. En effet, la réglementation nationale en cause fixe, indépendamment du produit de la taxe, le montant de l’indemnité de départ entre une valeur minimale et une valeur maximale. Il appartient alors à la commission locale de déterminer le montant de l’indemnité de départ en fonction de la seule situation personnelle des commerçants et des artisans concernés. Dès lors que le produit de la TACA n’influence pas l’importance de l’avantage octroyé aux commerçants et aux artisans au titre de l’indemnité de départ, l’existence d’un lien contraignant – au sens de la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt– entre la TACA et l’indemnité de départ fait défaut.
53 Dans ces conditions, l’éventuelle illégalité de l’indemnité de départ au regard des dispositions du traité relatives aux aides d’État n’est pas de nature à affecter la légalité de la TACA.
54 Concernant, ensuite, l’affectation d’une partie du produit de la TACA au financement des régimes d’assurance vieillesse de base des travailleurs non salariés des professions artisanales et des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (voir points 12 à 14 du présent arrêt), il doit être constaté que les caisses bénéficiaires (Organic et Cancava) exercent une activité de gestion d’un régime de sécurité sociale de base, reposant sur un mécanisme de solidarité. L’activité exercée par les caisses concernées ne constituant pas une activité économique (arrêt du 16 mars 2004, AOK-Bundesverband e.a., C-264/01, C-306/01, C-354/01 et C-355/01, Rec. p. I-2493, point 47), le financement de cette activité ne relève pas de l’article 87, paragraphe 1, CE.
55 En outre et en tout état de cause, la réglementation nationale en question n’établit en aucune façon de lien d’affectation contraignant entre la TACA et les régimes d’assurance vieillesse des artisans et des commerçants. En effet, conformément à l’article 40-II de la loi n° 96-1160, le montant de la TACA affecté au financement des régimes d’assurance en question est fixé, chaque année, par un arrêté conjoint des ministres compétents. Eu égard au pouvoir discrétionnaire dont disposent ces ministres, il ne saurait être admis que le produit de la TACA affecte directement l’importance de l’avantage octroyé aux caisses bénéficiaires en question (voir arrêt du 13 janvier 2005, Pape, C-175/02, Rec. p. I-127, point 16). Il ressort d’ailleurs des dossiers qui ont été soumis à la Cour que le montant affecté à l’Organic et à la Cancava est chaque année invariablement fixé à 45 730 000 euros indépendamment du produit de la TACA.
56 Enfin, sur la base des éléments des dossiers soumis à la Cour, il n’apparaît pas non plus qu’un lien d’affectation contraignant existe entre la TACA et les mesures financées par le Fisac (voir points 15 à 17 du présent arrêt) et le CPDC (voir points 18 à 20 du présent arrêt). En effet, le pouvoir discrétionnaire dont disposent le Fisac et le CPDC ainsi que les ministres compétents en vertu, respectivement, des articles 8 du décret n° 95-1140 et 4 du décret n° 91-284 pour l’affectation des fonds provenant du produit de la TACA exclut l’existence d’un tel lien d’affectation (voir arrêt Pape, précité, point 16).
57 Dès lors, à supposer que le Fisac et le CPDC financent des mesures susceptibles d’être qualifiées d’aides d’État, l’éventuelle illégalité de ces aides ne serait pas de nature à affecter la légalité de la TACA au regard des dispositions du traité relatives aux aides d’État.
58 Il résulte de tout ce qui précède que les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la perception d’une taxe, telle que la TACA.
Sur les dépens
59 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
Les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la perception d’une taxe, telle que la taxe française d’aide au commerce et à l’artisanat.
Signatures
* Langue de procédure: le français.