Affaire C-346/04
Robert Hans Conijn
contre
Finanzamt Hamburg-Nord
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof)
«Liberté d'établissement — Impôt sur le revenu — Déclaration de revenus — Consultation fiscale — Droit à déduction des frais»
Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 9 mars 2006
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 6 juillet 2006
Sommaire de l'arrêt
Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Législation fiscale
(Traité CE, art. 52 (devenu, après modification, art. 43 CE))
L'article 52 du traité (devenu, après modification, article 43 CE) s'oppose à une législation nationale qui ne permet pas à une personne partiellement assujettie de déduire du montant de son revenu imposable les frais de consultation fiscale qu'elle a exposés pour l'établissement de sa déclaration de revenus, en tant que dépenses exceptionnelles, au même titre qu'une personne intégralement assujettie.
Les frais de consultation fiscale sont en effet directement liés aux revenus imposés dans cet État membre, de sorte qu'ils grèvent de la même manière les revenus perçus par l'ensemble des contribuables, qu'ils soient résidents ou non-résidents.
(cf. points 22, 26 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
6 juillet 2006 (*)
«Liberté d’établissement – Impôt sur le revenu – Déclaration de revenus – Consultation fiscale – Droit à déduction des frais»
Dans l’affaire C-346/04,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 26 mai 2004, parvenue à la Cour le 12 août 2004, dans la procédure
Robert Hans Conijn
contre
Finanzamt Hamburg-Nord,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J.-P. Puissochet, S. von Bahr, U. Lõhmus (rapporteur) et A. Ó Caoimh, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour le gouvernement allemand, par M. C. D. Quassowski et Mme A. Tiemann, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et K. Gross, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 mars 2006,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Conijn au Finanzamt Hamburg-Mitte-Altstadt dont les tâches ont été reprises, le 1er mars 2005, par le Finanzamt Hamburg-Nord (ci-après le «Finanzamt»). M. Conijn demande qu’il lui soit reconnu le droit de déduire, du montant de son revenu imposable, les frais de consultation fiscale engagés pour l’établissement de sa déclaration des revenus perçus en Allemagne en qualité de personne partiellement assujettie.
Le cadre juridique national
3 Selon l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu), dans sa version de 1997 (ci-après l’«EStG 1997»), il convient de distinguer entre les contribuables assujettis à l’impôt sur l’intégralité de leurs revenus, qui sont résidents en Allemagne, et les contribuables partiellement assujettis qui ne sont pas résidents en Allemagne mais qui y sont imposables à hauteur des revenus qu’ils perçoivent dans cet État.
4 L’article 15, paragraphe 1, point 2 de l’EStG 1997, qui concerne les revenus tirés d’activités artisanales, industrielles ou commerciales, est libellé ainsi:
«1. On entend par revenus d’une activité artisanale, industrielle ou commerciale:
1) […]
2) les quote-part de bénéfices attribuées aux associés des ‘Offene Handelsgesellschaft’, ‘Kommanditgesellschaft’ et autres sociétés dans lesquelles l’associé doit être considéré comme le chef d’entreprise (ou comme un co-exploitant) ainsi que les rétributions que l’associé a perçues pour son activité au service de la société ou pour l’octroi de prêts ou la mise à disposition de biens. L’associé qui détient une participation indirecte dans la société à travers une ou plusieurs sociétés de personnes est assimilé à l’associé détenant une participation directe; il est considéré comme co-exploitant dans la société dont il est l’associé indirect si lui-même et les sociétés de personnes par l’intermédiaire desquelles il détient sa participation peuvent être considérés comme co-exploitants dans les sociétés de personnes dont ils sont les associés directs».
5 L’article 49, paragraphe 1, point 2, sous a), de l’EStG 1997 prévoit que des revenus d’activités industriels et commerciaux constituent des revenus imposables.
6 Conformément à l’article 50, paragraphe 1, de l’EStG 1997, les contribuables partiellement assujettis en Allemagne ne peuvent déduire des frais de consultation fiscale exposés en tant que dépenses exceptionnelles contrairement aux contribuables totalement assujettis qui peuvent les déduire au titre de l’article 10, paragraphe 1, point 6, de l’EStG 1997.
Le litige au principal et la question préjudicielle
7 M. Conijn, de nationalité néerlandaise et résidant aux Pays-Bas a perçu, en 1998, au titre de sa participation dans une société en commandite de droit allemand à travers une indivision successorale, des revenus de source allemande à caractère industriel et commercial, pour un montant de 146 373,50 DEM. Cette somme représentait moins de 90 % de son revenu mondial total.
8 Dans sa déclaration d’impôt pour l’année 1998, M. Conijn a déduit la somme de 1 046 DEM de son revenu imposable, somme correspondant aux frais de consultation fiscale à laquelle il a eu recours afin d’établir sa déclaration d’impôt en Allemagne, au titre des dépenses exceptionnelles en application de l’article 10, paragraphe 1, point 6, de la l’EStG 1997. Le Finanzamt a refusé d’admettre la déduction de ces frais en se fondant sur l’article 50, paragraphe 1, de l’EStG 1997.
9 M. Conijn a introduit un recours contre ce refus devant le Finanzgericht Hamburg. Ce recours a été rejeté par un jugement du 11 novembre 2003. M. Conijn s’est alors pourvu en «Revision» contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof demandant de l’annuler et de juger que les frais de consultation sont déductibles. Le Finanzamt a conclu au rejet du pourvoi.
10 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 52 du traité […] s’oppose-t-il à ce que le ressortissant d’un autre État membre partiellement assujetti à l’impôt sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne se voie interdire de déduire du montant de son revenu imposable les frais de consultation fiscale qu’il a exposés, en tant que dépenses exceptionnelles, alors qu’un contribuable assujetti à l’impôt sur l’intégralité de ses revenus le pourrait?»
Sur la question préjudicielle
11 La juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 52 du traité, s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui ne permet pas à une personne partiellement assujettie de déduire du montant de son revenu imposable les frais de consultation fiscale qu’elle a exposés pour l’établissement de sa déclaration de revenus, en tant que dépenses exceptionnelles, au même titre qu’une personne intégralement assujettie.
12 Selon une jurisprudence constante, la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les conditions définies par la législation de l’État d’établissement pour ses propres ressortissants (voir, notamment, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, Rec. p. 273, point 13; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, Rec. p. I-2651, point 22, et du 13 avril 2000, Baars, C-251/98, Rec. p. I-2787, point 27).
13 M. Conijn est imposé en Allemagne, en vertu de l’article 49 de l’EStG, au titre de ses revenus d’activités industrielles et commerciales dans cet État membre. Il apparaît qu’il est directement taxé au titre de cette activité, sur les bénéfices de la société en commandite et il est, à ce titre, considéré comme exerçant lui-même l’activité d’entrepreneur selon le droit fiscal national.
14 Si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16; du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/98, Rec. p. I-4071, point 32, et du 26 juin 2003, Skandia et Ramstedt, C-422/01, Rec. p. I-6817, point 25).
15 Ainsi, les dispositions fiscales nationales ne peuvent constituer une discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (voir, notamment, arrêts Wielockx, précité, point 16, et du 12 décembre 2002, De Groot, C-385/00, Rec. p. I-11819, point 75).
16 Le fait, cependant, pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde à un résident n’est, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de celui de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale (arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225, point 34, et du 14 septembre 1999, Gschwind, C-391/97, Rec. p. I-5451, point 23).
17 La résidence constitue d’ailleurs le facteur de rattachement à l’impôt sur lequel se fonde, en règle générale, le droit fiscal international actuel, et notamment le modèle de convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune, rapport du comité des affaires fiscales de l’OCDE, 1977, version du 29 avril 2000), en vue de répartir entre les États la compétence fiscale, en présence de situations comportant des éléments d’extranéité.
18 En l’occurrence, il ressort du dossier que M. Conijn, qui réside aux Pays-Bas, a perçu sur le territoire allemand moins de 90 % de son revenu global.
19 La question se pose donc de savoir si la différence objective entre la situation d’un tel non-résident et celle d’un résident permet qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, n’accorde pas la déduction des frais de consultation fiscale au premier alors que le second peut les déduire dans le cadre de sa déclaration de revenus.
20 Concernant des dépenses liées directement aux revenus d’une personne partiellement assujettie, la Cour a jugé que, pour des dépenses, tels les frais professionnels liés à une activité dans un autre État membre, la personne partiellement assujettie doit être traitée de la même manière que la personne intégralement assujettie (voir arrêt du 12 juin 2003, Gerritse, C-234/01, Rec. p. I-5933, point 27).
21 S’agissant des frais de consultation fiscale, leur déduction pour les contribuables intégralement assujettis au titre des «dépenses exceptionnelles» s’explique, selon le gouvernement allemand, car ces frais sont rendus nécessaires du fait de la complexité du droit fiscal national.
22 Des frais de consultation fiscale, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, ont été engagés par M. Conijn pour établir sa déclaration fiscale relative à ses revenus perçus en Allemagne. L’obligation de faire sa déclaration découle du fait que cette personne perçoit des revenus dans cet États membre. Les frais de consultation fiscale sont donc directement liés aux revenus imposés dans cet État membre, de sorte qu’ils grèvent de la même manière les revenus perçus par l’ensemble des contribuables, qu’ils soient résidents ou non-résidents.
23 De plus, les contribuables résidents et non-résidents sont placés dans une situation comparable face à la complexité du droit fiscal national. Ainsi, le droit à déduction qui vise à compenser les frais engagés dans le cadre d’une consultation fiscale, reconnu aux contribuables résidents, doit pouvoir s’appliquer également aux contribuables non-résidents qui sont confrontés à la même complexité du système fiscal national.
24 Dans ces conditions, au regard de la possibilité de déduire des frais de consultation fiscale au titre des dépenses exceptionnelles, les contribuables résidents et non-résidents sont placés dans une situation comparable et la disposition nationale qui refuse la possibilité de cette déduction aux non-résidents constitue une restriction interdite au sens de l’article 52 du traité.
25 Aucun argument précis n’ayant été avancé devant la Cour pour justifier une telle différence de traitement, il convient de considérer que la disposition nationale risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres et comporte donc une discrimination indirecte en raison de la nationalité.
26 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 52 du traité s’oppose à une législation nationale qui ne permet pas à une personne partiellement assujettie de déduire du montant de son revenu imposable les frais de consultation fiscale qu’elle a exposés pour l’établissement de sa déclaration de revenus, en tant que dépenses exceptionnelles, au même titre qu’une personne intégralement assujettie.
Sur les dépens
27 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
L’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) s’oppose à une législation nationale qui ne permet pas à une personne partiellement assujettie de déduire du montant de son revenu imposable les frais de consultation fiscale qu’elle a exposés pour l’établissement de sa déclaration de revenus, en tant que dépenses exceptionnelles, au même titre qu’une personne intégralement assujettie.
Signatures
* Langue de procédure: l'allemand.