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Affaire C-452/04

Fidium Finanz AG

contre

Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main)

«Libre prestation des services — Libre circulation des capitaux — Société établie dans un État tiers — Activité entièrement ou principalement tournée vers le territoire d'un État membre — Octroi de crédits à titre professionnel — Exigence d'un agrément préalable dans l'État membre dans lequel la prestation est fournie»

Conclusions de l'avocat général Mme C. Stix-Hackl, présentées le 16 mars 2006 

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 3 octobre 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Libre prestation des services — Libre circulation des capitaux — Dispositions du traité — Examen d'une mesure nationale se rattachant à ces deux libertés fondamentales

(Art. 49 CE et 56 CE)

2.     Libre prestation des services — Dispositions du traité — Champ d'application

(Art. 49 CE et 56 CE)

1.     Il ressort du libellé des articles 49 CE et 56 CE ainsi que de la place qu'ils occupent dans deux chapitres différents du titre III du traité que, tout en étant étroitement liées, ces dispositions ont été destinées à réglementer des situations différentes et qu'elles ont chacune un champ d'application distinct. Certes, il ne saurait être exclu, dans certains cas spécifiques où une disposition nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, que celle-ci soit susceptible d'entraver simultanément l'exercice de ces deux libertés.

À cet égard, il ne saurait être soutenu que, dans de telles conditions, les dispositions relatives à la libre prestation des services s'appliquent de manière subsidiaire par rapport à celles qui régissent la libre circulation des capitaux.

Lorsqu'une mesure nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, il convient d'examiner dans quelle mesure l'exercice de ces libertés fondamentales est affecté et si, dans les circonstances de l'espèce au principal, l'une d'elles prévaut sur l'autre. L'examen de la mesure en cause s'opère, en principe, au regard de l'une seulement de ces deux libertés s'il s'avère que, dans les circonstances de l'espèce, l'une d'elles est tout à fait secondaire par rapport à l'autre et peut lui être rattachée.

(cf. points 28, 30-31, 34)

2.     Un régime national en vertu duquel un État membre soumet à un agrément préalable l'exercice de l'activité d'octroi de crédits à titre professionnel, sur son territoire, par une société établie dans un État tiers, et en vertu duquel un tel agrément doit être refusé notamment lorsque ladite société n'a pas sa direction générale ou une succursale sur ce territoire, ayant pour effet d'entraver l'accès au marché financier d'un État membre des sociétés établies dans des États tiers, affecte de manière prépondérante l'exercice de la libre prestation des services au sens des articles 49 CE et suivants.

Dès lors que les effets restrictifs d'un tel régime sur la libre circulation des capitaux ne sont qu'une conséquence inéluctable de la restriction imposée à l'égard des prestations de services, il n'y a pas lieu d'examiner la compatibilité de ce régime avec les articles 56 CE et suivants.

Une société établie dans un État tiers ne saurait invoquer les articles 49 CE et suivants. En effet, contrairement au chapitre du traité relatif à la libre circulation des capitaux, celui portant sur la libre prestation des services ne comporte aucune disposition qui étende le bénéfice de ses dispositions aux prestataires de services ressortissants d'État tiers et établis à l'extérieur de l'Union européenne, l'objectif de ce dernier chapitre étant d'assurer la libre prestation des services au profit des ressortissants d'États membres.

(cf. points 25, 49-50 et disp.)




ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

3 octobre 2006 (*)

«Libre prestation des services – Libre circulation des capitaux – Société établie dans un État tiers – Activité entièrement ou principalement tournée vers le territoire d’un État membre – Octroi de crédits à titre professionnel – Exigence d’un agrément préalable dans l’État membre dans lequel la prestation est fournie»

Dans l’affaire C-452/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne), par décision du 11 octobre 2004, parvenue à la Cour le 27 octobre 2004, dans la procédure

Fidium Finanz AG

contre

Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas (rapporteur) et K. Schiemann, présidents de chambre, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts, E. Juhász, G. Arestis, A. Borg Barthet et M. Ilešič, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 janvier 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour Fidium Finanz AG, par Mes C. Fassbender et A. Eckhard, Rechtsanwälte, ainsi que par M. N. Petersen, Assessor,

–       pour la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht, par Mmes S. Ihle, S. Deppmeyer et A. Sahavi, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement hellénique, par MM. S. Spyropoulos et D. Kalogiros, ainsi que par Mmes S. Vodina et Z. Chatzipavlou, en qualité d’agents,

–       pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. M. Collins, SC,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–       pour le gouvernement portugais, par MM. L. Fernandes, L. Máximo dos Santos et Â. Seiça Neves, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement suédois, par Mme K. Wistrand, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. H. Støvlbæk et T. Scharf, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mars 2006,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 CE, 56 CE et 58 CE.

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours formé par Fidium Finanz AG (ci-après «Fidium Finanz»), société établie en Suisse, contre une décision de la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (Office fédéral de contrôle des services financiers, ci-après la «Bundesanstalt») par laquelle cette autorité lui a interdit d’accorder, à titre professionnel, des crédits à des clients établis en Allemagne au motif qu’elle ne dispose pas de l’agrément requis par la législation allemande.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3       Les articles 49 CE à 55 CE régissent la libre prestation des services. L’article 49, premier alinéa, CE interdit les restrictions à cette liberté à l’intérieur de la Communauté à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

4       Les articles 56 CE à 60 CE ont trait à la libre circulation des capitaux. L’article 56, paragraphe 1, CE prévoit que, dans le cadre des dispositions du chapitre 4, du titre III, du traité CE intitulé «Les capitaux et les paiements», toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

5       L’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [article abrogé par le traité d’Amsterdam] (JO L 178, p. 5), intitulée «Nomenclature des mouvements de capitaux visés à l’article 1er de la directive», précise dans son introduction:

«[…]

Les mouvements de capitaux énumérés dans la présente nomenclature s’entendent comme couvrant:

–       l’ensemble des opérations nécessaires à la réalisation des mouvements de capitaux: conclusion et exécution de la transaction et transferts y afférents. […]

[…]

–       les opérations de remboursement des crédits ou prêts.

La présente nomenclature n’est pas limitative de la notion de mouvement de capitaux, d’où la présence d’une rubrique XIII – F ‘Autres mouvements de capitaux: Divers’. Elle ne saurait donc être interprétée comme restreignant la portée du principe d’une libération complète des mouvements de capitaux, tel qu’énoncé à l’article 1er de la directive.»

6       Ladite nomenclature comprend treize catégories différentes de mouvements de capitaux. Sous la rubrique VIII, intitulée «Prêts et crédits financiers», de cette même nomenclature, figurent les prêts et les crédits accordés par des non-résidents à des résidents.

 La réglementation nationale

7       Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la loi sur le secteur du crédit (Gesetz über das Kreditwesen), dans sa version du 9 septembre 1998 (BGBl. 1998 I, p. 2776, ci-après le «KWG»), on entend par «établissements de crédit», des «entreprises qui réalisent des opérations bancaires à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale» et, par «opérations bancaires», entre autres «l’octroi de prêts d’argent et de crédits d’acceptation (opérations de crédit)».

8       L’article 1er, paragraphe 1a, de cette même loi définit la notion d’«établissements de services financiers» comme des «entreprises qui fournissent à des tiers des services financiers à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale».

9       L’article 32, paragraphe 1, premier alinéa, du KWG dispose:

«Toute personne qui souhaite exercer des activités bancaires ou fournir des services financiers dans le pays à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale doit obtenir l’agrément écrit de la Bundesanstalt;

[…]»

10     L’article 33, paragraphe 1, premier alinéa, point 6, du KWG prévoit que l’agrément doit être refusé notamment lorsque l’établissement n’a pas sa direction générale dans le pays.

11     L’article 53, paragraphe 1, du KWG dispose que, si une entreprise établie à l’étranger dispose en Allemagne d’une succursale qui exerce des activités bancaires ou fournit des services financiers, la succursale est considérée comme un établissement de crédit ou un établissement de services financiers.

12     L’article 53b, paragraphe 1, du KWG prévoit un régime particulier auquel sont soumis les établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Espace économique européen.

13     Selon la circulaire de la Bundesanstalt du 16 septembre 2003, il y a exercice d’une activité bancaire ou fourniture de services financiers «dans le pays» au sens de l’article 32 du KWG lorsque «le fournisseur des services a son siège ou sa résidence habituelle à l’étranger et s’adresse de façon ciblée au marché du pays pour proposer de façon répétée et à titre professionnel des transactions bancaires ou des services financiers à des entreprises et/ou des personnes ayant leur siège ou leur résidence habituelle dans le pays».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14     Fidium Finanz est une société de droit suisse ayant son siège et sa direction générale à Saint-Gall (Suisse). Elle octroie des crédits d’un montant de 2 500 ou de 3 500 €, à un taux d’intérêt effectif de 13,94 % par an, à des clients établis à l’étranger.

15     D’après les indications fournies par Fidium Finanz, environ 90 % des crédits qu’elle accorde le sont à des personnes résidant en Allemagne. Les crédits en cause étaient proposés, dans un premier temps, aux ressortissants allemands domiciliés en Allemagne et remplissant certaines conditions. Par la suite, le groupe ciblé a été constitué par des travailleurs domiciliés dans cet État membre répondant auxdites conditions. Pour ces crédits, aucun renseignement n’est demandé au préalable auprès de la Schufa (Centrale allemande de renseignements sur les crédits).

16     Les crédits en cause sont proposés par un site Internet géré depuis la Suisse. Sur ce site, les clients peuvent télécharger les documents nécessaires afin de les remplir et de les envoyer par courrier à Fidium Finanz. Lesdits crédits sont également proposés au moyen d’intermédiaires de crédit opérant en Allemagne. Selon la juridiction de renvoi, ces derniers n’agissent ni en tant que représentants ni en tant que mandataires de Fidium Finanz. Ils concluent des contrats pour cette dernière et perçoivent une commission.

17     Fidium Finanz ne dispose pas de l’agrément prévu à l’article 32, paragraphe 1, premier alinéa, du KWG pour exercer des activités bancaires et pour fournir des services financiers en Allemagne. Pour son activité en Suisse, elle est soumise à la législation de ce pays sur les crédits à la consommation mais, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, l’exigence d’obtenir une autorisation en vertu de cette législation n’était pas appliquée, à l’époque des faits au principal, aux entreprises suisses qui accordent des crédits exclusivement à l’étranger.

18     Considérant que Fidium Finanz exerçait une activité bancaire «dans le pays» au sens de l’article 32 du KWG, tel qu’interprété par la circulaire du 16 septembre 2003, la Bundesanstalt a fait part à cette société de l’exigence d’obtenir un agrément pour son activité d’octroi de crédits. Fidium Finanz a cependant soutenu que son activité n’était soumise à aucun agrément de la part d’une autorité allemande dans la mesure où elle n’exerce pas son activité «dans le pays» au sens du KWG, mais plutôt «à destination» de l’Allemagne.

19     Par décision du 22 août 2003, la Bundesanstalt a, entre autres, interdit à Fidium Finanz de réaliser, à titre professionnel ou pour un volume qui nécessite l’existence d’une entreprise organisée de façon commerciale, des opérations de crédit consistant à contacter de façon ciblée des clients établis en Allemagne. Considérant que cette décision ainsi que la décision ultérieure de la Bundesanstalt confirmant celle-ci constituent une restriction à la libre circulation des capitaux au sens des articles 56 CE et suivants, Fidium Finanz a introduit un recours devant le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main.

20     Estimant que la solution du litige au principal nécessite l’interprétation des dispositions du traité, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne, en l’occurrence la Suisse, peut-elle, dans le cadre de son activité professionnelle d’octroi de crédits à des résidents d’un État membre de l’Union européenne, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, invoquer à l’égard de cet État membre et des mesures de ses autorités ou de ses tribunaux la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE, ou bien le démarchage, la fourniture et l’exécution de tels services financiers relèvent-ils uniquement de la libre prestation des services visée aux articles 49 CE et suivants?

2)      Une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne peut-elle invoquer la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE lorsqu’elle accorde des crédits à titre professionnel ou principalement à des résidents établis au sein de l’Union européenne et que son siège est situé dans un pays dans lequel l’accès à cette activité et son exercice ne sont pas soumis à l’exigence d’un agrément préalable par une autorité publique de cet État ni à l’exigence d’un contrôle courant de ses activités d’une façon qui est habituelle pour les établissements de crédit au sein de l’Union européenne et, en particulier, en l’occurrence, en République fédérale d’Allemagne, ou bien le fait d’invoquer la libre circulation des capitaux constitue-t-il dans un tel cas un abus de droit?

Au regard du droit de l’Union européenne, une telle entreprise peut-elle être traitée de la même façon que les personnes et entreprises établies sur le territoire de l’État membre en cause en ce qui concerne l’agrément obligatoire bien que son siège ne soit pas établi dans cet État membre et qu’elle n’y possède pas de succursale non plus?

3)      Une législation en vertu de laquelle l’octroi de crédits à titre professionnel par une entreprise établie dans un État situé en dehors de l’Union européenne à des personnes résidant au sein de l’Union européenne est subordonné à l’obtention d’un agrément préalable par une autorité de l’État membre de l’Union européenne dans lequel l’emprunteur est établi affecte-t-elle la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE?

La circonstance que l’octroi non autorisé de crédits à titre professionnel constitue une infraction pénale ou simplement une irrégularité importe-t-elle dans cette mesure?

4)      L’exigence d’agrément préalable visée à la troisième question est-elle justifiée par l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, en particulier en ce qui concerne

–       la protection de l’emprunteur en matière d’obligations contractuelles et financières à l’égard de personnes dont la fiabilité n’a pas été vérifiée au préalable,

–       la protection de ces personnes à l’égard de personnes ou d’entreprises qui n’opèrent pas de façon régulière en ce qui concerne leur comptabilité et les obligations de conseil et d’information des clients qui leur incombent en vertu de réglementations générales,

–       la protection de ces personnes contre des publicités déraisonnables ou abusives,

–       la garantie que l’entreprise accordant les crédits dispose d’une dotation financière suffisante,

–       la protection du marché des capitaux contre un octroi incontrôlé de grands crédits,

–       la protection du marché des capitaux et de la société en général contre des actes criminels, comme ceux faisant en particulier l’objet des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent ou le terrorisme?

5)      L’aménagement d’une exigence d’agrément au sens de la troisième question, exigence permise en soi en droit communautaire, est-il couvert par l’article 58, paragraphe l, sous b), CE, en vertu duquel la délivrance d’un agrément suppose obligatoirement que l’entreprise ait son administration principale ou, du moins, une succursale dans l’État membre concerné, en particulier en vue

–       de permettre que les procédures et transactions puissent effectivement être contrôlées par les organes de l’État membre concerné, c’est-à-dire notamment à bref délai ou de façon imprévue,

–       de permettre de comprendre complètement les procédures et transactions au moyen des documents disponibles ou tenus à disposition dans l’État membre,

–       d’avoir accès aux représentants personnellement responsables de l’entreprise sur le territoire de l’État membre,

–       d’assurer ou du moins de faciliter le respect des engagements financiers à l’égard des clients de l’entreprise dans l’État membre?»

21     Lors de l’audience de plaidoiries, le conseil de Fidium Finanz a informé la Cour que, en mars 2005, les autorités compétentes du canton de Saint-Gall ont donné un agrément à ladite société pour l’exercice de l’activité d’octroi de crédits à la consommation.

 Sur les questions préjudicielles

 Remarques préliminaires

22     Par sa demande préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’activité d’octroi de crédits à titre professionnel constitue une prestation de services et relève des articles 49 CE et suivants et/ou si elle entre dans le champ d’application des articles 56 CE et suivants régissant la libre circulation des capitaux. Dans l’hypothèse où ces dernières dispositions trouveraient à s’appliquer dans les circonstances du litige au principal, elle se demande si lesdites dispositions s’opposent à un régime national, tel que celui en cause au principal, qui soumet à un agrément préalable l’exercice de ladite activité, sur le territoire national, par une société établie dans un État tiers, et qui prévoit qu’un tel agrément doit être refusé notamment lorsque ladite société n’a pas sa direction générale ou une succursale sur ce territoire (ci-après le «régime litigieux»).

23     D’emblée, il convient de préciser que le régime litigieux s’applique aux sociétés établies en dehors de l’Espace économique européen. En effet, les établissements de crédit établis dans des États membres de l’Espace économique européen sont soumis, en vertu de l’article 53b, paragraphe 1, du KWG, à un régime particulier, qui ne fait pas l’objet de la demande préjudicielle.

24     Ainsi qu’il ressort des points 14 et 15 du présent arrêt, Fidium Finanz, établie en Suisse, accorde des crédits à titre professionnel à des personnes résidant en Allemagne.

25     Contrairement au chapitre du traité relatif à la libre circulation des capitaux, celui portant sur la libre prestation des services ne comporte aucune disposition qui étende le bénéfice de ses dispositions aux prestataires de services ressortissants d’État tiers et établis à l’extérieur de l’Union européenne. Ainsi que la Cour l’a constaté dans son avis 1/94, du 15 novembre 1994 (Rec. p. I-5267, point 81), l’objectif de ce dernier chapitre est d’assurer la libre prestation des services au profit des ressortissants d’États membres. Dès lors, les articles 49 CE et suivants ne sauraient être invoqués par une société établie dans un État tiers.

26     Par ailleurs, à l’époque des faits au principal, l’accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (JO 2002, L 114, p. 6), signé à Luxembourg le 21 juin 1999, qui vise notamment à faciliter la prestation de services sur le territoire des Parties contractantes, n’était pas encore entré en vigueur.

27     Ainsi, se pose la question de la délimitation et du rapport entre, d’une part, les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et, d’autre part, celles régissant la libre circulation des capitaux.

28     À cet égard, il ressort du libellé des articles 49 CE et 56 CE ainsi que de la place qu’ils occupent dans deux chapitres différents du titre III du traité que, tout en étant étroitement liées, ces dispositions ont été destinées à réglementer des situations différentes et qu’elles ont chacune un champ d’application distinct.

29     Cette circonstance est confirmée notamment par l’article 51, paragraphe 2, CE qui distingue, d’une part, les services des banques et des assurances qui sont liés à des mouvements de capitaux et, d’autre part, la libre circulation des capitaux, et qui prévoit que la libération desdits services doit être réalisée «en harmonie avec la libération de la circulation des capitaux».

30     Certes, il ne saurait être exclu, dans certains cas spécifiques où une disposition nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, que celle-ci soit susceptible d’entraver simultanément l’exercice de ces deux libertés.

31     Il a été soutenu devant la Cour que, dans de telles conditions et eu égard au libellé de l’article 50, premier alinéa, CE, les dispositions relatives à la libre prestation des services s’appliquent de manière subsidiaire par rapport à celles qui régissent la libre circulation des capitaux.

32     Cet argument ne saurait être retenu. S’il est vrai que figure dans la définition de la notion de «services», prévue à l’article 50, premier alinéa, CE, la précision selon laquelle il s’agit des prestations qui «ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes», il n’en demeure pas moins que cette précision intervient au niveau de la définition de ladite notion sans pour autant établir de priorité entre la libre prestation des services et les autres libertés fondamentales. En effet, la notion de «services» couvre les prestations qui ne sont pas régies par les autres libertés dans le but de ne pas voir une activité économique échapper au champ d’application des libertés fondamentales.

33     L’existence d’une telle priorité ne saurait non plus être déduite de l’article 51, paragraphe 2, CE. Cette disposition s’adresse notamment au législateur communautaire et s’explique par le rythme potentiellement différent de libération des prestations des services, d’une part, et des mouvements de capitaux, d’autre part.

34     Or, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, il convient d’examiner dans quelle mesure l’exercice de ces libertés fondamentales est affectée et si, dans les circonstances de l’espèce au principal, l’une d’elles prévaut sur l’autre (voir, par analogie, arrêts du 25 mars 2004, Karner, C-71/02, Rec. p. I-3025, point 47; du 14 octobre 2004, Omega, C-36/02, Rec. p. I-9609, point 27, et arrêt de la Cour AELE du 14 juillet 2000, State Management Debt Agency/Ìslandsbanki-FBA, E-1/00, EFTA Court Report 2000-2001, p. 8, point 32). La Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (voir, par analogie, arrêts du 24 mars 1994, Schindler, C-275/92, Rec. p. I-1039, point 22; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, Rec. p. I-607, point 31; Karner, précité, point 46; Omega, précité, point 26, et du 26 mai 2005, Burmanjer e.a., C-20/03, Rec. p. I-4133, point 35).

35     C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de répondre à la demande préjudicielle.

 Sur la première question

36     Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une société établie dans un État tiers peut, dans le cadre de son activité d’octroi de crédits à titre professionnel à des résidents d’un État membre, invoquer la libre circulation des capitaux visée à l’article 56 CE ou si le démarchage, la fourniture et l’exécution de tels services financiers relèvent uniquement de la libre prestation des services visée aux articles 49 CE et suivants.

37     La Bundesanstalt, les gouvernements allemand et hellénique, l’Irlande, ainsi que les gouvernements italien et portugais considèrent que l’activité d’octroi de crédits à titre professionnel constitue une prestation de services au sens de l’article 50, premier alinéa, CE et que les articles 56 CE et suivants ne trouvent pas à s’appliquer dans les circonstances du litige au principal. La Commission des Communautés européennes et Fidium Finanz soutiennent que l’activité en cause relève de la libre circulation des capitaux et que cette société peut se prévaloir de l’article 56 CE.

38     Il convient de déterminer, tout d’abord, à quelle liberté fondamentale se rapporte l’activité d’octroi de crédits à titre professionnel, telle que celle exercée par Fidium Finanz.

39     Il est de jurisprudence constante que l’activité d’un établissement de crédit consistant à octroyer des crédits constitue un service au sens de l’article 49 CE (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson, C-484/93, Rec. p. I-3955, point 11, et du 9 juillet 1997, Parodi, C-222/95, Rec. p. I-3899, point 17). Par ailleurs, la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mars 2000, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO L 126, p. 1), vise à réglementer, sous le double aspect de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, notamment l’activité d’octroi de crédits.

40     S’il est vrai que Fidium Finanz n’est pas un établissement de crédit au sens du droit communautaire dans la mesure où son activité ne consiste pas à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables, il n’en demeure pas moins que son activité d’octroi de crédits à titre professionnel constitue une prestation de services.

41     En ce qui concerne la notion de «mouvements de capitaux», celle-ci n’est pas définie par le traité. Il est cependant de jurisprudence constante que, dans la mesure où l’article 56 CE a repris en substance le contenu de l’article 1er de la directive 88/361, et même si celle-ci a été adoptée sur la base des articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CEE (les articles 67 à 73 du traité CEE ont été remplacés par les articles 73 B à 73 G du traité CE, devenus articles 56 CE à 60 CE), la nomenclature des «mouvements de capitaux» qui lui est annexée conserve la valeur indicative qui était la sienne pour définir la notion de «mouvements de capitaux» (voir en ce sens, notamment, arrêts du 16 mars 1999, Trummer et Mayer, C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21; du 5 mars 2002, Reisch e.a., C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99, Rec. p. I-2157, point 30, et du 23 février 2006, Van Hilten-van der Heijden, C-513/03, Rec. p. I-1957, point 39).

42     Les prêts et crédits accordés par des non-résidents à des résidents apparaissent sous la rubrique VIII de l’annexe I de la directive 88/361, intitulée «Les prêts et crédits financiers». Selon les notes explicatives de ladite annexe, cette catégorie comprend notamment les crédits à la consommation.

43     Il s’ensuit que l’activité d’octroi de crédits à titre professionnel se rapporte, en principe, tant à la libre prestation des services au sens des articles 49 CE et suivants qu’à la libre circulation des capitaux au sens des articles 56 CE et suivants.

44     Il convient donc d’examiner si, et le cas échéant dans quelle mesure, le régime litigieux affecte l’exercice de ces deux libertés dans les circonstances de l’espèce au principal et s’il est susceptible d’entraver celles-ci.

45     Il ressort du dossier que le régime en cause relève de la législation allemande du contrôle des entreprises qui réalisent des opérations bancaires et proposent des services financiers. Ce régime a pour objet de contrôler la fourniture de tels services et de n’autoriser celle-ci qu’à des entreprises qui garantissent l’exécution régulière des opérations. Une fois autorisé l’accès de l’opérateur au marché national, le démarchage en vue du prêt effectué et le contrat de prêt signé, ce contrat est mis à exécution et le montant du crédit est matériellement transféré à l’emprunteur.

46     Le régime litigieux a pour effet d’empêcher l’accès au marché financier allemand des opérateurs économiques n’ayant pas les aptitudes requises par le KWG. Il est de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir, notamment, arrêt du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439/99, Rec. p. I-305, point 22). Si l’exigence d’un agrément constitue une restriction à la libre prestation des services, l’exigence d’un établissement stable est en fait la négation même de cette liberté. Pour qu’une telle exigence soit admise, il faut établir qu’elle constitue une condition indispensable pour atteindre l’objectif recherché (voir, notamment, arrêts précités Parodi, point 31, et Commission/Italie, point 30).

47     Eu égard aux considérations développées au point 25 du présent arrêt, les articles 49 CE et suivants ne sauraient être invoqués par une société établie dans un État tiers, telle que Fidium Finanz.

48     Pour ce qui est de la libre circulation des capitaux au sens des articles 56 CE et suivants, il est possible que, en rendant moins accessibles aux clients établis en Allemagne les prestations de services financiers proposées par des sociétés qui sont établies en dehors de l’Espace économique européen, le régime ait comme effet de rendre moins fréquent le recours par ces clients auxdits services et, ainsi, de diminuer les flux financiers transfrontaliers afférents à de telles prestations. Cependant, il ne s’agit que d’une conséquence inéluctable de la restriction à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts Omega, précité, point 27, et du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, non encore publié au Recueil, point 33. Voir également, par analogie, arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann, C-204/90, Rec. p. I-249, point 34).

49     Il apparaît que, dans les circonstances de l’affaire en cause au principal, l’aspect de la libre prestation des services prévaut sur celui de la libre circulation des capitaux. En effet, le régime litigieux ayant pour effet d’entraver l’accès au marché financier allemand des sociétés établies dans des États tiers, il affecte de manière prépondérante la libre prestation de services. Les effets restrictifs dudit régime sur la libre circulation des capitaux n’étant qu’une conséquence inéluctable de la restriction imposée à l’égard des prestations de services, il n’y a pas lieu d’examiner la compatibilité de ce régime avec les articles 56 CE et suivants.

50     Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la première question qu’un régime national en vertu duquel un État membre soumet à un agrément préalable l’exercice de l’activité d’octroi de crédits à titre professionnel, sur son territoire, par une société établie dans un État tiers, et en vertu duquel un tel agrément doit être refusé notamment lorsque ladite société n’a pas sa direction générale ou une succursale sur ce territoire, affecte de manière prépondérante l’exercice de la libre prestation des services au sens des articles 49 CE et suivants. Une société établie dans un État tiers ne saurait invoquer ces dispositions.

51     Compte tenu de la réponse à la première question, il n’y pas lieu de répondre aux autres questions posées par la juridiction de renvoi.

 Sur les dépens

52     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit:

Un régime national en vertu duquel un État membre soumet à un agrément préalable l’exercice de l’activité d’octroi de crédits à titre professionnel, sur son territoire, par une société établie dans un État tiers, et en vertu duquel un tel agrément doit être refusé notamment lorsque ladite société n’a pas sa direction générale ou une succursale sur ce territoire, affecte de manière prépondérante l’exercice de la libre prestation des services au sens des articles 49 CE et suivants. Une société établie dans un État tiers ne saurait invoquer ces dispositions.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.