Affaire C-256/06
Theodor Jäger
contre
Finanzamt Kusel-Landstuhl
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof)
«Libre circulation des capitaux — Articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE et 58 CE) — Impôts sur les successions — Évaluation des biens compris dans la succession — Bien agricole et forestier situé dans un autre État membre — Méthode moins favorable d’évaluation du bien et de calcul de l’impôt dû»
Sommaire de l'arrêt
Libre circulation des capitaux — Restrictions — Impôt sur les successions
(Traité CE, art. 73 B, § 1, et 73 D (devenus art. 56, § 1, CE et 58 CE)
L’article 73 B, paragraphe 1, du traité (devenu article 56, paragraphe 1, CE), lu en combinaison avec l’article 73 D du traité (devenu article 58 CE), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, aux fins du calcul de l’impôt sur une succession se composant de biens situés sur le territoire dudit État et d’un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre,
- prévoit que le bien situé dans cet autre État membre est pris en considération à hauteur de sa valeur vénale, alors qu’un bien identique situé sur le territoire national se voit appliquer une procédure particulière d’évaluation dont les résultats ne correspondent en moyenne qu’à 10 % de ladite valeur vénale, et
- réserve aux biens agricoles et forestiers situés sur le territoire national l’application d’un abattement octroyé en fonction de ces biens ainsi que la prise en compte de leur valeur résiduelle à concurrence de 60 % seulement de son montant.
En effet, une telle réglementation, en tant qu’elle aboutit à ce qu’une succession comprenant un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre soit soumise, dans le premier État membre, à des droits de succession plus élevés que ceux qui seraient dus si les biens constituant la succession étaient exclusivement situés sur le territoire de ce dernier État, ont pour effet de restreindre les mouvements de capitaux en diminuant la valeur d’une succession comprenant un tel bien situé hors du territoire national.
Une telle réglementation nationale ne saurait être justifiée au motif qu'elle se rapporte à des situations qui ne sont pas objectivement comparables, dès lors que le calcul des droits de succession est, en application de ladite réglementation, directement lié à la valeur des biens inclus dans la succession, et que, partant, il n'existe objectivement aucune différence de situation de nature à justifier une inégalité de traitement fiscal en ce qui concerne le niveau des droits de succession dus au titre, respectivement, d'un bien situé sur le territoire national et d'un bien situé dans un autre État membre.
Par ailleurs, l’objectif consistant à éviter que la charge de l’impôt sur les successions mette en péril la continuation de l’activité des exploitations agricoles et forestières et, ainsi, le maintien de la fonction sociale de ces dernières n'est pas susceptible de justifier la réglementation en cause, vu qu’aucun élément ne permet de constater que les exploitations établies dans d’autres États membres ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des exploitations situées sur le territoire national.
Il en va de même pour d’éventuelles difficultés rencontrées lors de la détermination de la valeur d’un bien situé sur le territoire d’un autre État membre selon une procédure nationale particulière, ces difficultés ne pouvant suffire à justifier un refus catégorique d’accorder l’avantage fiscal tel qu’il découle de la réglementation en cause laquelle, hormis ladite procédure d’évaluation, réserve également l’application de deux autres avantages fiscaux aux biens situés sur le territoire national.
(cf. points 32, 43-44, 52, 54-55, 57 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
17 janvier 2008 (*)
«Libre circulation des capitaux – Articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE et 58 CE) – Impôts sur les successions – Évaluation des biens compris dans la succession – Bien agricole et forestier situé dans un autre État membre – Méthode moins favorable d’évaluation du bien et de calcul de l’impôt dû»
Dans l’affaire C-256/06,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 11 avril 2006, parvenue à la Cour le 8 juin 2006, dans la procédure
Theodor Jäger
contre
Finanzamt Kusel-Landstuhl,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), K. Schiemann, J. Makarczyk et Mme C. Toader, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour M. Jäger, par Me K. Cronauer, Rechtsanwältin,
– pour le Finanzamt Kusel-Landstuhl, par M. M. Trauten, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et U. Forsthoff, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et W. Mölls, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 septembre 2007,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus, respectivement, articles 56 CE et 58 CE).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Jäger au Finanzamt Kusel-Landstuhl (ci-après le «Finanzamt») au sujet du calcul des droits dus sur une succession se composant de biens situés en Allemagne et d’une propriété à vocation agricole et forestière située en France, et, en particulier, des règles relatives à l’évaluation de ces biens.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [article abrogé par le traité d’Amsterdam] (JO L 178, p. 5), intitulée «Nomenclature des mouvements de capitaux visés à l’article 1er de la directive», comprend treize catégories de mouvements de capitaux.
4 La onzième de ces catégories, consacrée aux «Mouvements de capitaux à caractère personnel», comprend, notamment, une rubrique intitulée «Successions et legs».
La réglementation nationale
L’application des droits de succession aux biens situés dans un autre État membre
5 En vertu de l’article 2, paragraphe 1, point 1, de la loi sur les droits de succession et de donation (Erbschaftsteuer- und Schenkungsteuergesetz), dans sa version publiée au BGBl. 1997 I, p. 378 (ci-après l’«ErbStG»), la totalité de la dévolution patrimoniale d’une personne domiciliée en Allemagne est soumise aux droits de succession à la date à laquelle l’impôt a pris naissance. Les biens situés à l’étranger y sont également soumis.
6 L’article 21 de l’ErbStG régit, aux fins du calcul des droits de succession en Allemagne, l’imputation des droits de succession acquittés dans un autre État en l’absence de convention fiscale préventive de la double imposition. Son paragraphe 1, première phrase, dispose:
«Lorsque des acquéreurs dont le patrimoine étranger est soumis, dans un pays étranger, à une imposition – étrangère – correspondant aux droits de succession allemands, les droits étrangers fixés et dus par l’acquéreur, acquittés et non susceptibles de bénéficier d’une réduction, sont, dans les cas visés à l’article 2, paragraphe 1, point 1, et dans la mesure où les dispositions d’une convention [fiscale] préventive de [la] double imposition ne sont pas applicables, imputés, si une demande est faite en ce sens, sur les droits de succession allemands dans la mesure où le patrimoine étranger est également soumis aux droits de succession allemands.»
7 La deuxième phrase de cette disposition prévoit:
«Si le patrimoine dévolu n’est composé qu’en partie d’un patrimoine étranger, la part des droits de succession allemands correspondant à ce patrimoine doit être déterminée de telle manière que les droits de succession qui en découlent pour l’ensemble du patrimoine imposable, y compris le patrimoine étranger imposable, soient divisés proportionnellement selon le rapport entre le patrimoine étranger imposable et l’ensemble du patrimoine imposable.»
Les règles d’évaluation des biens agricoles et forestiers
8 Aux termes de l’article 12, paragraphe 6, de l’ErbStG, lu en combinaison avec les articles 9 et 31 de la loi d’évaluation (Bewertungsgesetz, BGBl. 1991 I, p. 230, ci-après le «BewG»), un patrimoine agricole et forestier situé à l’étranger est évalué à sa valeur vénale. Celle-ci se définit, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du BewG, par le prix auquel ce bien pourrait être vendu dans le cadre de transactions commerciales normales.
9 En revanche, un patrimoine agricole et forestier situé en Allemagne est évalué conformément à l’article 12, paragraphe 3, de l’ErbStG, selon une procédure particulière prévue aux articles 140 à 144 du BewG. Les évaluations réalisées suivant cette procédure ne correspondent, en moyenne, qu’à 10 % de la valeur vénale des patrimoines concernés.
10 Ces dispositions du BewG, qui ont été insérées dans ladite loi par l’article 1er, point 36, de la loi fiscale annuelle de 1997 (Jahressteuergesetz 1997, BGBl. 1996 I, p. 2049), du 20 décembre 1996, permettent d’évaluer l’unité d’exploitation du patrimoine agricole et forestier national selon une procédure simplifiée de calcul de la valeur de rendement faisant appel à des valeurs standardisées pour les différents types d’exploitations et se fondant notamment sur les revenus moyens constants des exploitations à but lucratif, en Allemagne, au 1er janvier 1996. À titre subsidiaire, et sur demande, le BewG prévoit une évaluation selon la procédure des revenus individuels.
Les règles de calcul des droits de succession sur un bien agricole et forestier
11 L’article 13a, paragraphe 1, point 1, de l’ErbStG prévoit, en cas d’acquisition par succession d’un patrimoine agricole et forestier situé en Allemagne, un «abattement octroyé en fonction des biens» de 500 000 DEM sur la valeur de ce patrimoine, qui s’ajoute à l’abattement personnel de 400 000 DEM accordé au titre de l’article 16 de la même loi.
12 En outre, en vertu de l’article 13a, paragraphe 2, de l’ErbStG, la valeur restante dudit patrimoine, après déduction de l’abattement octroyé en fonction des biens, est prise en compte, sous la forme d’une «évaluation à une valeur réduite», à concurrence de 60 % seulement, aux fins du calcul de l’impôt.
13 Selon l’article 13a, paragraphe 4, de la même loi, l’abattement octroyé en fonction des biens ainsi que l’évaluation à une valeur réduite ne sont pas appliqués aux patrimoines agricoles et forestiers situés à l’étranger.
Le litige au principal et la question préjudicielle
14 M. Jäger, qui réside en France, est l’unique héritier de sa mère décédée en 1998, dont le dernier domicile se trouvait en Allemagne.
15 La succession comportait, outre des biens situés en Allemagne, une propriété foncière située en France et exploitée à des fins agricoles ainsi que forestières. Le père de M. Jäger, lui-même décédé en 1994, avait acquis une partie de cette propriété au mois d’août de l’année 1988 puis avait fait l’acquisition des terrains formant l’autre partie de ladite propriété au mois de janvier de l’année 1990.
16 Sa valeur vénale ayant été fixée, en France, à 5 444 666 FRF (1 618 152 DEM), cette même propriété a été soumise, dans cet État membre, à des droits de succession d’un montant de 1 192 148 FRF (354 306 DEM).
17 Par une décision du 3 janvier 2000, le Finanzamt a calculé les droits de succession à la charge de M. Jäger.
18 Ces droits ont été calculés sur une masse successorale nette de 1 737 167 DEM comprenant la propriété foncière située en France, pour un montant de 1 618 152 DEM, soit sa valeur vénale, et des biens situés en Allemagne, évalués à 119 015 DEM. Après déduction de l’abattement personnel de 400 000 DEM, le montant imposable a été réduit à 1 337 100 DEM en données arrondies. Sur la base de ce montant, le Finanzamt a fixé des droits d’un montant de 254 049 DEM.
19 À la suite d’une demande de M. Jäger formée au titre de l’article 21, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’ErbStG, le Finanzamt a imputé sur ce dernier montant une somme de 236 644 DEM au titre des droits de succession déjà acquittés en France.
20 Sur la base de ces éléments, le Finanzamt, dans sa décision susmentionnée du 3 janvier 2000, a fixé les droits de succession à la charge de M. Jäger à 17 405 DEM.
21 M. Jäger a introduit une réclamation à l’encontre de la décision du Finanzamt ainsi qu’un recours devant le Finanzgericht. Ceux-ci n’ayant pas été accueillis, l’intéressé a formé un pourvoi en «Revision» devant le Bundesfinanzhof. Estimant que, au plus tard à compter de l’intervention de l’arrêt du 11 décembre 2003, Barbier (C-364/01, Rec. p. I-15013), il apparaissait douteux que les dispositions du droit allemand, en tant qu’elles établissent une distinction en fonction du lieu où sont situés les biens faisant l’objet de la succession ou d’une partie de celle-ci, puissent être conciliées avec le principe de la libre circulation des capitaux, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Est-il compatible avec l’article 73 B [paragraphe 1] du traité instituant la Communauté européenne (devenu article 56, paragraphe 1, CE) que, aux fins des droits de succession,
– un patrimoine agricole et forestier (étranger) situé dans un autre État membre soit évalué à sa valeur vénale (valeur marchande), alors qu’un patrimoine agricole et forestier interne se voit appliquer une procédure particulière d’évaluation dont les résultats ne correspondent en moyenne qu’à 10 % de la valeur vénale, et que
– l’acquisition d’un patrimoine agricole et forestier allemand soit exonérée à concurrence d’un abattement particulier et que la valeur résiduelle ne soit évaluée qu’à 60 %,
dès lors que cette réglementation aboutit, si un héritier recueille une succession se composant d’un patrimoine interne et d’un patrimoine agricole et forestier étranger, à ce que l’acquisition du patrimoine interne soit soumise, du fait de la situation à l’étranger du patrimoine agricole et forestier, à des droits de succession supérieurs à ceux qui seraient imposés si ce patrimoine agricole et forestier était lui-même situé en Allemagne?»
Sur la question préjudicielle
22 Par sa question, le Bundesfinanzhof demande en substance si l’article 73 B, paragraphe 1, du traité s’oppose à une réglementation d’un État membre telle que celle en cause au principal, qui, aux fins du calcul de l’impôt sur une succession se composant de biens situés sur le territoire dudit État et d’un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre,
– prévoit que le bien situé dans cet autre État membre est pris en considération à hauteur de sa valeur vénale, alors qu’un bien identique situé sur le territoire national se voit appliquer une procédure particulière d’évaluation dont les résultats ne correspondent en moyenne qu’à 10 % de la valeur vénale de ce bien, et
– réserve aux biens agricoles et forestiers situés sur le territoire national l’application d’un abattement octroyé en fonction de ces biens ainsi que la prise en compte de leur valeur résiduelle à concurrence de 60 % seulement de son montant.
23 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen, C-319/02, Rec. p. I-7477, point 19; du 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer, C-386/04, Rec. p. I-8203, point 15, et du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, Rec. p. I-2647, point 21).
24 Il y a lieu également de rappeler que le traité CE ne définit pas la notion de mouvements de capitaux. Il est cependant de jurisprudence constante que, dans la mesure où l’article 73 B du traité a repris en substance le contenu de l’article 1er de la directive 88/361, et même si celle-ci a été adoptée sur le fondement des articles 69 et 70, paragraphe 1, du traité CEE (les articles 67 à 73 du traité CEE ont été remplacés par les articles 73 B à 73 G du traité CE, eux-mêmes devenus articles 56 CE à 60 CE), la nomenclature des mouvements de capitaux qui lui est annexée conserve la valeur indicative qui était la sienne pour définir la notion de mouvements de capitaux (voir, notamment, arrêts du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden, C-513/03, Rec. p. I-1957, point 39, et du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C-452/04, Rec. p. I-9521, point 41).
25 À cet égard, la Cour, en rappelant notamment que les successions, qui consistent en une transmission à une ou à plusieurs personnes du patrimoine laissé par une personne décédée, relèvent de la rubrique XI de l’annexe I de la directive 88/361, intitulée «Mouvements de capitaux à caractère personnel», a jugé, au point 42 de l’arrêt van Hilten-van der Heijden, précité, que les successions constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 73 B du traité (voir également, en ce sens, arrêt Barbier, précité, point 58), à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.
26 Or, une situation, dans laquelle une personne résidant en Allemagne au moment de son décès laisse en héritage à une autre personne résidant en France des biens situés dans ces deux États membres et faisant l’objet conjointement d’un calcul de droits de succession en Allemagne, ne constitue nullement, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission des Communautés européennes, une situation purement interne.
27 Par conséquent, la succession en cause au principal constitue un mouvement de capitaux au sens de l’article 73 B, paragraphe 1, du traité.
28 Dès lors, il y a lieu d’examiner, d’abord, si, comme le soutiennent M. Jäger et la Commission, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux.
29 Le gouvernement allemand soutient que la réglementation nationale en cause au principal ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux. D’une part, il fait valoir que l’acquisition initiale du bien situé en France ayant été faite par le père de M. Jäger avant le 1er juin 1990, date à laquelle la directive 88/361 devait être transposée en droit national, les droits tirés de cette directive ou du traité n’étaient pas susceptibles d’être invoqués directement par l’acquéreur du bien en question. D’autre part, selon ce gouvernement, un tel acquéreur ne saurait être dissuadé par les effets d’une réglementation telle que celle en cause au principal, qui ne pèsent, en effet, nullement sur l’intéressé lui-même, mais tout au plus sur ses héritiers. Pour cette raison, les effets d’une telle réglementation seraient trop indirects pour pouvoir constituer une restriction aux mouvements de capitaux.
30 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que des dispositions nationales qui déterminent la valeur d’un bien immobilier aux fins du calcul du montant de l’impôt dû en cas d’acquisition par succession peuvent non seulement être de nature à dissuader l’achat de biens immobiliers sis dans l’État membre concerné ainsi que l’aliénation de tels biens au profit d’une autre personne par un résident d’un autre État membre, mais elles peuvent également avoir pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État membre autre que celui dans lequel se trouvent lesdits biens (voir, en ce sens, arrêt Barbier, précité, point 62).
31 En outre, en ce qui concerne le cas des successions, la jurisprudence a confirmé que les mesures interdites par l’article 73 B, paragraphe 1, du traité, en ce qu’elles constituent des restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui ont pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État autre que l’État membre où se trouvent les biens concernés et qui impose la succession desdits biens (arrêt van Hilten-van der Heijden, précité, point 44).
32 En l’occurrence, les dispositions nationales en cause au principal, en tant qu’elles aboutissent à ce qu’une succession comprenant un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre soit soumise, en Allemagne, à des droits de succession plus élevés que ceux qui seraient dus si les biens constituant la succession étaient exclusivement situés sur le territoire de ce dernier État, ont pour effet de restreindre les mouvements de capitaux en diminuant la valeur d’une succession comprenant un tel bien situé hors du territoire allemand.
33 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments invoqués par le gouvernement allemand, rappelés au point 29 du présent arrêt, dès lors que ceux-ci sont sans pertinence au regard des critères découlant de la jurisprudence citée aux points 30 et 31 de ce dernier. En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal a produit des effets sur la valeur de la succession après le 1er juin 1990 et ces derniers ne sont manifestement pas trop indirects pour pouvoir constituer une restriction aux mouvements des capitaux.
34 Il en va de même de l’argument du gouvernement allemand selon lequel il ne saurait y avoir de restriction résultant d’une diminution de la valeur de la succession, l’incidence d’une réglementation telle que celle en cause au principal étant seulement la conséquence inévitable d’une coexistence de systèmes fiscaux nationaux. Cette circonstance est, en effet, sans pertinence au regard des critères découlant de la jurisprudence citée aux points 30 et 31 du présent arrêt. D’ailleurs, force est de constater que, en tout état de cause, la diminution de la valeur de la succession découle de l’application de la seule réglementation allemande concernée.
35 Il en résulte que le fait de subordonner l’octroi d’avantages fiscaux en matière de droits de succession à la condition que le bien acquis par voie de succession soit situé sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 73 B, paragraphe 1, du traité.
36 Ensuite, il convient d’examiner si la restriction à la libre circulation des capitaux ainsi constatée est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité.
37 À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité, «[l]’article 73 B ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres […] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne […] le lieu où leurs capitaux sont investis».
38 Selon le Finanzamt et le gouvernement allemand, il ressort de cette disposition que la République fédérale d’Allemagne est en droit de réserver le bénéfice de l’évaluation selon la procédure particulière aux seuls biens situés sur son territoire. Le Finanzamt ajoute que l’article 31 du BewG est justifié par l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité, lu à la lumière de la déclaration nº 7 annexée à l’acte final du traité sur l’Union européenne, car le régime d’évaluation des biens situés à l’étranger, en cause au principal, existait à la fin de l’année 1993, au sens de cette déclaration.
39 Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si ce régime d’évaluation des biens situés à l’étranger existait ou non au 31 décembre 1993, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen (C-35/98, Rec. p. I-4071), la Cour à été amenée à répondre à une argumentation fondée sur l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité, alors que les faits au principal étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de cette disposition. Elle a souligné que, dès avant l’entrée en vigueur de l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité, des dispositions fiscales nationales du type de celles visées par cet article, en ce qu’elles établissaient certaines distinctions, pouvaient être compatibles avec le droit communautaire dès lors qu’elles s’appliquaient à des situations qui n’étaient pas objectivement comparables (point 43).
40 Cela étant précisé, il importe de relever que l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité, en tant que dérogation au principe fondamental de libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux serait automatiquement compatible avec le traité.
41 En effet, la dérogation prévue à l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité est elle-même, ainsi que l’a fait observer le gouvernement allemand, limitée par l’article 73 D, paragraphe 3, du traité, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article «ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 73 B» (voir arrêts précités Verkooijen, point 44, et Manninen, point 28). En outre, pour être justifiée, la différence de traitement entre les biens agricoles et forestiers situés en Allemagne et ceux situés dans les autres États membres ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint.
42 Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l’article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité des discriminations arbitraires interdites en vertu du paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu’une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal, qui, aux fins du calcul des droits de succession, opère une distinction entre les biens situés dans un autre État membre et ceux situés sur le territoire allemand, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir arrêts Verkooijen, précité, point 43; Manninen, précité, point 29, et du 11 octobre 2007, Hollmann, C-443/06, non encore publié au Recueil, point 45).
43 À cet égard, il convient, en premier lieu, de constater que la différence de montant des droits acquittés selon que la succession comprend seulement un bien agricole et forestier sis en Allemagne ou qu’elle inclut également un tel bien situé dans un autre État membre ne saurait être justifiée au motif qu’elle se rapporte à des situations qui ne sont pas objectivement comparables.
44 En effet, le calcul des droits est, en application de la réglementation nationale en cause au principal, directement lié à la valeur des biens inclus dans la succession, de sorte qu’il n’existe objectivement aucune différence de situation de nature à justifier une inégalité de traitement fiscal en ce qui concerne le niveau des droits de succession dus au titre, respectivement, d’un bien situé en Allemagne et d’un bien situé dans un autre État membre. Partant, une situation telle que celle de M. Jäger est comparable à celle de tout autre héritier, dont la succession ne comprend qu’un bien agricole et forestier sis en Allemagne et laissé en héritage par une personne domiciliée dans ce même État.
45 Dès lors, il convient, enfin, de rechercher si la restriction aux mouvements de capitaux résultant d’une réglementation telle que celle en cause au principal peut être objectivement justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
46 Selon le gouvernement allemand, une raison impérieuse d’intérêt général justifie cette réglementation.
47 Tout d’abord, il relève que ladite réglementation vise à compenser les charges particulières que génère le maintien de la fonction sociale que remplissent les exploitations agricoles et forestières. Cette réglementation permettrait d’éviter, d’une part, que l’héritier d’une société agricole soit contraint de vendre celle-ci ou de l’abandonner afin de pouvoir payer les droits de succession et, d’autre part, que de telles exploitations, garantes de productivité et d’emplois et, en outre, tenues de respecter les obligations leur incombant en vertu de l’ordre juridique national, soient démembrées.
48 Selon le gouvernement allemand, cette raison impérieuse d’intérêt général pourrait être retenue de même que l’est, par ailleurs, la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal. En effet, il existerait un lien direct entre les obligations particulières résultant de la subordination de ces exploitations à l’intérêt général et le type particulier d’évaluation appliqué à celles-ci à l’occasion des successions.
49 Ensuite, le Finanzamt et le gouvernement allemand soutiennent que la réglementation en cause au principal est justifiée par le fait que les autorités allemandes ne sont pas obligées de tenir compte de l’existence d’un intérêt général comparable dans d’autres États membres. Il en serait ainsi dès lors que les obligations et les charges particulières grevant un bien agricole et forestier situé en Allemagne ne pèsent pas nécessairement de la même façon sur les biens de même nature situés dans d’autres États membres. À cet égard, le Finanzamt ajoute que, même si des obligations et des charges comparables étaient imposées dans d’autres États membres à ce type de biens, la République fédérale d’Allemagne ne serait pas tenue d’en assurer la compensation.
50 Certes, il ne peut être exclu que des objectifs tenant à la poursuite de l’activité des exploitations agricoles et forestières ainsi qu’au maintien de l’emploi dans celles-ci en cas de succession puissent présenter en eux-mêmes, dans certaines circonstances et sous certaines conditions, un caractère d’intérêt général et soient susceptibles de justifier des restrictions à la liberté des mouvements de capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Festersen, C-370/05, Rec. p. I-1129, point 28).
51 Cependant, s’agissant des considérations avancées par le Finanzamt et le gouvernement allemand, il convient de relever que ceux-ci n’ont pu démontrer la nécessité de refuser le bénéfice d’une évaluation favorable ainsi que d’autres avantages fiscaux à tout héritier qui, par la voie d’une succession, fait l’acquisition d’une exploitation agricole et forestière qui n’est pas située sur le territoire allemand (voir, en ce sens, concernant un avantage fiscal limité à des opérations de recherche réalisées dans l’État membre concerné, arrêt du 10 mars 2005, Laboratoires Fournier, C-39/04, Rec. p. I-2057, point 23, ainsi que, concernant une exonération des droits de succession réservée à certaines entreprises maintenant des emplois sur le territoire de l’État membre concerné, arrêt du 25 octobre 2007, C-464/05, Geurts et Vogten, non encore publié au Recueil, point 27).
52 En effet, il y a lieu de relever que, s’agissant de l’objectif consistant à éviter que la charge de l’impôt sur les successions mette en péril la continuation de l’activité des exploitations agricoles et forestières et, ainsi, le maintien de la fonction sociale de ces dernières, aucun élément, dans l’affaire au principal, ne permet de constater que les exploitations établies dans d’autres États membres ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des exploitations établies en Allemagne.
53 Enfin, pour justifier la réglementation nationale en cause au principal, le gouvernement allemand fait état d’obstacles pratiques qui s’opposeraient à la transposition des critères d’évaluation prévus par cette réglementation aux biens agricoles et forestiers situés dans d’autres États membres. Il explique que cette procédure d’évaluation est fondée sur des valeurs de rendement standardisées pour les différents types d’exploitations concernées et que ces valeurs ont été tirées de documents statistiques établis par l’administration allemande. De pareilles données ne seraient pas disponibles en ce qui concerne les biens agricoles et forestiers situés dans d’autres États membres.
54 À cet égard, il importe de relever’ que, s’il peut en effet s’avérer difficile pour les autorités nationales d’appliquer la procédure d’évaluation prévue aux articles 140 à 144 du BewG à un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre, cette difficulté ne saurait justifier un refus catégorique d’accorder l’avantage fiscal en cause, dès lors qu’il pourrait être demandé aux contribuables concernés de fournir eux-mêmes auxdites autorités les données qu’elles estiment nécessaires pour assurer une application de cette procédure d’une manière adaptée aux exploitations situées dans d’autres États membres.
55 Il y a lieu d’ajouter que d’éventuelles difficultés rencontrées lors de la détermination de la valeur d’un bien situé sur le territoire d’un autre État membre selon une procédure nationale particulière ne sauraient, en tout état de cause, suffire à justifier des obstacles à la libre circulation des capitaux tels que ceux qui découlent de la réglementation en cause au principal, laquelle, hormis ladite procédure d’évaluation, réserve également l’application de deux autres avantages fiscaux aux biens situés sur le territoire allemand (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2004, Commission/France, C-334/02, Rec. p. I-2229, point 29).
56 Partant, il convient de conclure que, dès lors qu’il n’a pas été établi que la réglementation nationale en cause au principal est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, l’article 73 B, paragraphe 1, du traité s’oppose à une telle réglementation.
57 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 73 B, paragraphe 1, du traité, lu en combinaison avec l’article 73 D de celui-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, aux fins du calcul de l’impôt sur une succession se composant de biens situés sur le territoire dudit État et d’un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre,
– prévoit que le bien situé dans cet autre État membre est pris en considération à hauteur de sa valeur vénale, alors qu’un bien identique situé sur le territoire national se voit appliquer une procédure particulière d’évaluation dont les résultats ne correspondent en moyenne qu’à 10 % de ladite valeur vénale, et
– réserve aux biens agricoles et forestiers situés sur le territoire national l’application d’un abattement octroyé en fonction de ces biens ainsi que la prise en compte de leur valeur résiduelle à concurrence de 60 % seulement de son montant.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 73 B, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 56, paragraphe 1, CE), lu en combinaison avec l’article 73 D du traité CE (devenu article 58 CE), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, aux fins du calcul de l’impôt sur une succession se composant de biens situés sur le territoire dudit État et d’un bien agricole et forestier situé dans un autre État membre,
– prévoit que le bien situé dans cet autre État membre est pris en considération à hauteur de sa valeur vénale, alors qu’un bien identique situé sur le territoire national se voit appliquer une procédure particulière d’évaluation dont les résultats ne correspondent en moyenne qu’à 10 % de ladite valeur vénale, et
– réserve aux biens agricoles et forestiers situés sur le territoire national l’application d’un abattement octroyé en fonction de ces biens ainsi que la prise en compte de leur valeur résiduelle à concurrence de 60 % seulement de son montant.
Signatures
* Langue de procédure: l’allemand.