Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

References to this case

Share

Highlight in text

Go

Affaire C-425/06

Ministero dell’Economia e delle Finanze, anciennement Ministero delle Finanze

contre

Part Service Srl, société en liquidation, anciennement Italservice Srl

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione)

«Sixième directive TVA — Articles 11, A, paragraphe 1, sous a), et 13, B, sous a) et d) — Crédit-bail — Fractionnement artificiel de la prestation en plusieurs éléments — Effets — Réduction de la base d’imposition — Exonérations — Pratique abusive — Conditions»

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 21 février 2008 

Sommaire de l'arrêt

1.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Sixième directive — Opérations constitutives d'une pratique abusive

(Directive du Conseil 77/388)

2.     Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Sixième directive — Opérations constitutives d'une pratique abusive

(Directive du Conseil 77/388, art. 11, A, § 1, et 13, B, a) et d))

1.     La sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, doit être interprétée en ce sens qu'une pratique abusive peut être retenue lorsque la recherche d'un avantage fiscal constitue le but essentiel de l'opération ou des opérations en cause.

(cf. point 45, disp. 1)

2.     Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si, aux fins de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, des opérations de crédit-bail se caractérisant par les éléments suivants peuvent être considérées comme relevant d'une pratique abusive au regard de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires :

- les deux sociétés participant à l'opération de crédit-bail font partie d'un même groupe;

- la prestation même de la société de crédit-bail est l'objet d'un fractionnement, l'élément caractéristique de financement étant confié à une autre société pour être décomposé en prestations de crédit, d'assurance et d'intermédiation;

- la prestation de la société de crédit-bail est ainsi réduite à une prestation de location du véhicule;

- les loyers versés par le preneur s'élèvent au total à un montant à peine supérieur au coût d'acquisition du bien;

- cette prestation, considérée isolément, semble en conséquence dépourvue de rentabilité économique, de sorte que la viabilité de l'entreprise ne peut être assurée au moyen des seuls contrats conclus avec les preneurs;

- la société de crédit-bail ne perçoit la contrepartie de l'opération de crédit-bail que grâce au cumul des loyers versés par le preneur et des montants versés par l'autre société du même groupe.

Il appartient également à la juridiction nationale d'apprécier si les éléments qui lui sont soumis caractérisent l'existence d'une opération unique, au-delà de l'articulation contractuelle de celle-ci. Dans ce contexte, elle peut être amenée à étendre son analyse au moyen d'une recherche d'indices révélant l'existence d'une pratique abusive. À cette fin, elle doit vérifier, d'abord, si le résultat visé est un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à un ou plusieurs objectifs de la sixième directive et, ensuite, s'il a constitué le but essentiel de la solution contractuelle adoptée.

S'agissant du premier critère, ladite juridiction peut tenir compte de ce que le résultat escompté est l'obtention de l'avantage fiscal lié à l'exonération, en vertu de l'article 13, B, sous a) et d), de la sixième directive, des prestations confiées à la société cocontractante de la société de crédit-bail. Un tel résultat apparaît contraire à l'objectif de l'article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive, à savoir l'imposition de tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir de la part du preneur. En effet, puisque la location de véhicules en vertu de contrats de crédit-bail constitue une prestation de services au sens des articles 6 et 9 de la sixième directive, une telle opération est normalement soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, dont la base d'imposition doit être déterminée conformément audit article 11 A, paragraphe 1.

S'agissant du second critère, la juridiction nationale, dans l'appréciation qu'il lui appartient d'effectuer, peut prendre en considération le caractère purement artificiel des opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs en cause, de tels éléments étant de nature à montrer que l'obtention de l'avantage fiscal constitue le but essentiel poursuivi, nonobstant l'existence éventuelle, par ailleurs, d'objectifs économiques inspirés de considérations, par exemple, de marketing, d'organisation et de garantie.

(cf. points 54-55, 57-63, disp. 2)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 février 2008 (*)

«Sixième directive TVA – Articles 11, A, paragraphe 1, sous a), et 13, B, sous a) et d) – Crédit-bail – Fractionnement artificiel de la prestation en plusieurs éléments – Effets – Réduction de la base d’imposition – Exonérations – Pratique abusive – Conditions»

Dans l’affaire C-425/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décision du 10 mars 2006, parvenue à la Cour le 16 octobre 2006, dans la procédure

Ministero dell’Economia e delle Finanze, anciennement Ministero delle Finanze,

contre

Part Service Srl, société en liquidation, anciennement Italservice Srl,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen (rapporteur), K. Schiemann, J. Makarczyk et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 octobre 2007,

considérant les observations présentées:

–       pour Part Service Srl, par Me S. Taverna, avvocato,

–       pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de MM. G. Lancia et S. Fiorentino, avvocati dello Stato,

–       pour le gouvernement grec, par M. M. Apessos ainsi que par Mmes M. Papida et I. Pouli, en qualité d’agents,

–       pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d'agent, assisté de MM. D. McDonald SC et B. Conway BL ainsi que de Mme G. Clohessy BL,

–       pour le gouvernement portugais, par M. L. Fernandes et Mme C. Lança, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme T. Harris, en qualité d’agent, assistée de M. R. Hill, barrister,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par M. A. Aresu et Mme M. Afonso, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances) à Part Service Srl (ci-après «Part Service»), anciennement Italservice Srl (ci-après «Italservice»), au sujet d’un redressement de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») notifié, au titre de l’exercice 1987, en ce qui concerne des opérations de crédit-bail (leasing) ayant pour objet, pour la plupart d’entre elles, des véhicules automobiles.

 Le cadre juridique

 La législation communautaire

3       L’article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive, relatif à la base d’imposition de la TVA, dispose:

«La base d’imposition est constituée:

a)      pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées sous b), c) et d), par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acheteur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations;

[…]»

4       L’article 13, B, de la sixième directive prévoit l’exonération de différentes opérations dans les termes suivants:

«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:

a)      les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance;

[…]

d)      les opérations suivantes:

1.      l’octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés;

2.      la négociation et la prise en charge d’engagements, de cautionnements et d’autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits effectuée par celui qui a octroyé les crédits;

3.      les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances;

[…]»

 La législation nationale

5       L’article 3 du décret du président de la République n° 633, du 26 octobre 1972, qui institue et réglemente la taxe sur la valeur ajoutée (supplément ordinaire n° 1 à la GURI n° 292, du 11 novembre 1972, p. 2), tel que modifié à plusieurs reprises (ci-après le «DPR n° 633/72»), définit ainsi les prestations de services:

«Constituent des prestations de services les prestations effectuées moyennant contrepartie découlant de contrats de travail à façon, d’entreprise, de transport, de mandat, d’expédition, d’agence, de médiation, de dépôt et, en général, au titre d’obligations de faire ou de ne pas faire, et de permettre, quelle qu’en soit la source.

Constituent également des prestations de services, lorsqu’elles sont effectuées moyennant contrepartie:

1)      l’octroi de biens en location, affermage, leasing et prestations similaires;

[…]»

6       L’article 10 du DPR n° 633/72 exonère de la TVA différentes opérations dans les termes suivants:

«Sont exonérés d’impôt:

1)      les prestations de services concernant l’octroi et la négociation de crédits, la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés et les opérations de financement; la négociation et la prise en charge d’engagements, de cautionnements et d’autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits effectuée par celui qui a octroyé les crédits; les délais de paiement, les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances; la gestion de fonds communs de placement et de fonds de pension visée dans le décret législatif n° 124 du 21 avril 1993, les délais et les gestions similaires et les services financiers et postaux (banque – poste);

2)      les opérations d’assurance et de réassurance, les opérations à titre viager;

[…]

9)      les prestations de mandat, de médiation et d’intermédiation relatives aux opérations visées aux points 1 à 7, ainsi que celles relatives à l’or et aux valeurs étrangères, y compris les dépôts également sur un compte courant, effectuées en relation avec des opérations mises en œuvre par la Banque d’Italie et par le Bureau des changes italien, au sens de l’article 4, cinquième alinéa, du présent décret.»

7       L’article 13, premier alinéa, du DPR n° 633/72 définit en ces termes la base d’imposition de la TVA:

«La base d’imposition des livraisons de biens et des prestations de services est constituée par le montant total des contreparties obtenues ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire selon les conditions contractuelles, y compris les frais et les charges inhérents à l’exécution et les dettes ou autres obligations envers des tiers mis à la charge du cessionnaire ou du commettant, majoré des compléments directement liés aux contreparties dues par d’autres personnes.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8       Au cours de l’année 1987, Italservice et la société de crédit-bail IFIM Leasing Sas (ci-après «IFIM»), sociétés appartenant à un même groupe financier, ont participé ensemble à des opérations de crédit-bail ayant principalement pour objet des véhicules automobiles.

9       Ces opérations étaient réalisées dans les conditions suivantes.

10     IFIM concluait avec un utilisateur un contrat ayant pour objet la jouissance d’un véhicule automobile et une option d’achat de celui-ci, moyennant le versement de loyers, la constitution d’un dépôt de garantie correspondant au coût du bien non couvert par les loyers ainsi que la fourniture d’un cautionnement illimité.

11     Italservice concluait avec l’utilisateur un contrat en vertu duquel elle assurait le bien contre des risques autres que la responsabilité civile et garantissait, au moyen du financement du dépôt de garantie et de la fourniture du cautionnement illimité, le respect des engagements pris par ledit utilisateur à l’égard d’IFIM. En contrepartie, l’utilisateur versait par avance à Italservice un montant qui emportait une diminution du total des loyers convenus entre lui et IFIM, jusqu’à réduire ce total, dans la plupart des cas, à un montant à peine supérieur au coût du bien, outre une commission de 1 % versée à un consultant.

12     L’utilisateur chargeait Italservice de verser le montant financé à IFIM, pour son compte, au titre du dépôt de garantie prévu par le contrat de jouissance.

13     Italservice confiait à IFIM l’exécution du contrat avec l’utilisateur.

14     IFIM recevait d’Italservice un complément de rémunération en tant qu’intermédiaire et, en cas de défaillance de l’utilisateur, une somme équivalant à celle promise par Italservice à celui-ci, à titre de ristourne, en cas de respect de ses obligations de paiement des loyers.

15     En application de l’article 3 du DPR n° 633/72, IFIM soumettait à la TVA les loyers versés par l’utilisateur.

16     En revanche, sur le fondement de l’article 10 du DPR n° 633/72, les contreparties versées par l’utilisateur à Italservice et par celle-ci à IFIM étaient facturées en franchise de TVA.

17     À la suite de vérifications effectuées auprès d’Italservice, l’administration fiscale a considéré que les différents engagements souscrits par les parties intéressées, bien que contenus dans des contrats distincts, constituaient dans leur ensemble un contrat unique conclu entre trois parties. Selon elle, la contrepartie payée par l’utilisateur pour le crédit-bail avait été artificiellement fractionnée pour réduire la base imposable, le rôle de bailleur ayant été réparti entre Italservice et IFIM.

18     En conséquence, l’administration fiscale a notifié à Italservice, le 1er septembre 1992, au titre de l’année 1987, un avis de redressement de TVA d’un montant de 3 169 519 000 ITL, majoré d’intérêts et d’amendes d’un montant de 9 496 469 000 ITL.

19     Italservice a contesté ce redressement fiscal devant la Commissione tributaria di primo grado di Modena. Elle a fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’un contrat unique, mais d’une pluralité de contrats connexes, cette forme n’ayant pas été adoptée à des fins d’évasion fiscale, mais pour des raisons économiques valables tenant au marketing (lancement d’un nouveau produit financier avec des primes réduites), à l’organisation (séparation des fonctions de gestion du risque: assurance, cautionnements et financements confiés à Italservice; gestion du parc automobile confiée aux sociétés opérationnelles) et à la garantie (financement faisant fonction de dépôt de garantie pour le respect des obligations de l’utilisateur).

20     La Commissione tributaria di primo grado di Modena a fait droit à ce recours.

21     L’administration fiscale a attaqué cette décision devant la Commissione tributaria di secondo grado di Modena, laquelle a rejeté son recours.

22     Elle a alors saisi la Corte d’appello di Bologna, qui a rejeté l’appel par arrêt du 13 novembre 1998-12 janvier 1999.

23     L’administration fiscale a formé contre ledit arrêt un pourvoi en cassation devant la Corte suprema di cassazione.

24     Cette juridiction estime que la décision à intervenir suppose que soit résolue la question de savoir si les agissements des parties en cause, eu égard à leurs liens réciproques, peuvent être considérés comme un abus de droit ou de formes juridiques selon la définition donnée par la jurisprudence communautaire, en particulier par l’arrêt de la Cour du 21 février 2006, Halifax e.a. (C-255/02, Rec. p. I-1609).

25     Elle relève que le fractionnement des contrats a pour effet de réduire l’assiette de la TVA à un montant inférieur à celui résultant d’un contrat de crédit-bail ordinaire, dès lors que seule la concession du bien en jouissance, dont le coût correspond pratiquement au prix d’achat de ce bien, se trouve soumise à l’impôt.

26     Il y aurait donc lieu de déterminer si, aux fins de la perception de la TVA, il faut considérer les contrats comme constituant un ensemble unique, au regard de l’objectif économique poursuivi, ou bien si chaque contrat conserve son caractère autonome et, par suite, le régime fiscal qui lui est propre.

27     Afin de résoudre cette question, il faudrait se demander si la circonstance qu’une opération de financement, considérée dans la pratique économique et dans la jurisprudence nationale comme une composante essentielle d’un contrat de crédit-bail, soit régie par un contrat séparé de celui ayant pour objet la concession de la jouissance du bien peut constituer un abus.

28     La juridiction de renvoi estime que, sur ce point, des éclaircissements seraient nécessaires, en particulier, quant à la portée des conditions posées par l’arrêt Halifax e.a., précité, pour retenir l’existence d’un abus.

29     Elle relève que, au point 86 de cet arrêt, la Cour a exigé, outre la condition tenant à ce que l’opération en cause ait pour résultat un avantage fiscal contraire à l’objectif des dispositions pertinentes de la sixième directive, que ladite opération ait «pour but essentiel l’obtention d’un avantage fiscal».

30     Elle constate que, au point 60 et dans le dispositif du même arrêt, la Cour s’est par ailleurs référée à des opérations «effectuées dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique».

31     Elle se demande, en conséquence, si la limite de l’abus de droit opère lorsque les raisons économiques autres que la recherche d’un avantage fiscal sont absolument marginales ou sans importance, et non une explication alternative possible.

32     Dans ce contexte, la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La notion d’abus de droit, définie dans l’arrêt [Halifax e.a., précité,] comme une opération ayant pour but essentiel l’obtention d’un avantage fiscal, coïncide-t-elle ou bien est-elle plus large ou plus restrictive que celle définie comme une opération effectuée sans autre raison économique que l’obtention d’un avantage fiscal?

2)      Aux fins de l’application de la TVA, peut-on considérer comme un abus de droit (ou de formes juridiques) entraînant la non-perception de recettes communautaires propres issues de l’impôt sur la valeur ajoutée le fait de conclure séparément des contrats de crédit-bail (leasing), de financement, d’assurance et d’entremise ayant pour résultat l’assujettissement à la TVA de la seule contrepartie de la concession du bien en jouissance, alors que la conclusion d’un seul contrat de leasing, selon la pratique et l’interprétation de la jurisprudence nationale, comprendrait également le financement et entraînerait donc l’assujettissement à la TVA de la totalité de la contrepartie?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

33     Part Service soutient que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable. Les questions posées n’auraient aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Le problème posé serait de nature purement hypothétique et sans relation avec des dispositions et/ou des principes communautaires.

34     À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 19 février 2002, Arduino, C-35/99, Rec. p. I-1529, point 25, et du 11 juillet 2006, Chacón Navas, C-13/05, Rec. p. I-6467, point 33).

35     Cependant, aucune de ces conditions n’est remplie dans la présente affaire.

36     En effet, dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale, saisie d’un litige en matière de TVA, décrit de manière détaillée le cadre factuel et juridique du litige au principal.

37     Ensuite, elle interroge la Cour sur le droit communautaire applicable à la TVA, en particulier sur la notion communautaire de «pratique abusive», afin d’être en mesure d’apprécier si l’opération qui est l’objet du litige au principal doit être considérée comme relevant d’une telle pratique et, par suite, être soumise à la TVA.

38     L’interprétation sollicitée du droit communautaire présente ainsi un rapport avec la réalité et l’objet du litige au principal, sans être hypothétique.

39     En conséquence, les questions posées sont recevables.

 Sur la première question

40     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’une pratique abusive peut être retenue lorsque la recherche d’un avantage fiscal constitue le but essentiel de l’opération ou des opérations en cause, ou bien si elle ne peut être retenue que si la recherche d’un tel avantage fiscal constitue le seul but poursuivi, à l’exclusion d’autres objectifs économiques.

41     Il convient de relever que, dans le cadre du litige au principal, sont remises en cause des exonérations de TVA et que, en ce qui concerne précisément de telles exonérations, l’article 13 de la sixième directive prescrit aux États membres «de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels».

42     Aux points 74 et 75 de son arrêt Halifax e.a., précité, la Cour a d’abord jugé, dans le cadre de l’interprétation de la sixième directive, que l’existence d’une pratique abusive peut être retenue lorsque:

–       les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, ont pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions;

–       selon un ensemble d’éléments objectifs, le but essentiel des opérations en cause est l’obtention d’un avantage fiscal.

43     Lorsque, ensuite, elle a apporté à la juridiction de renvoi des précisions visant à guider l’interprétation de celle-ci dans l’affaire au principal, la Cour s’est de nouveau référée, au point 81 de son arrêt, à des opérations ayant pour but essentiel l’obtention d’un avantage fiscal.

44     Dès lors, quand elle a relevé, au point 82 du même arrêt, que, en tout état de cause, les opérations en cause au principal avaient pour seul objectif d’obtenir un avantage fiscal, elle n’a pas érigé une telle circonstance au rang de condition de l’existence d’une pratique abusive, mais a simplement souligné que, dans le litige soumis à la juridiction de renvoi, le seuil minimal permettant de qualifier une pratique d’abusive était même dépassé.

45     Il y a donc lieu de répondre à la première question posée que la sixième directive doit être interprétée en ce sens qu’une pratique abusive peut être retenue lorsque la recherche d’un avantage fiscal constitue le but essentiel de l’opération ou des opérations en cause.

 Sur la seconde question

46     Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, aux fins de l’application de la TVA, des opérations telles que celles en cause dans le litige au principal peuvent être considérées comme relevant d’une pratique abusive au regard de la sixième directive.

47     À titre liminaire, il convient de rappeler que le choix, pour un entrepreneur, entre des opérations exonérées et des opérations imposées peut se fonder sur un ensemble d’éléments et, notamment, des considérations de nature fiscale tenant au régime objectif de la TVA. Lorsque l’assujetti a le choix entre deux opérations, la sixième directive ne lui impose pas de choisir celle qui implique le paiement du montant de TVA le plus élevé. Au contraire, l’assujetti a le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale (arrêt Halifax e.a., précité, point 73).

48     Néanmoins, lorsqu’une opération comprend plusieurs prestations, se pose la question de savoir si elle doit être considérée comme une opération unique ou comme plusieurs prestations distinctes et indépendantes devant être appréciées séparément.

49     Cette question revêt une importance particulière, du point de vue de la TVA, notamment, pour l’application du taux de taxation ou des dispositions relatives à l’exonération prévues par la sixième directive (voir arrêts du 25 février 1999, CPP, C-349/96, Rec. p. I-973, point 27, et du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C-41/04, Rec. p. I-9433, point 18).

50     À cet égard, il découle de l’article 2 de celle-ci que chaque prestation doit normalement être considérée comme distincte et indépendante (voir arrêts précités CPP, point 29, et Levob Verzekeringen et OV Bank, point 20).

51     Toutefois, dans certaines circonstances, plusieurs prestations formellement distinctes, qui pourraient être fournies séparément et ainsi donner lieu, distributivement, à taxation ou à exonération, doivent être considérées comme une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes.

52     Tel est le cas, par exemple, lorsque, au terme d’une analyse même simplement objective, il est constaté qu’une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (voir, en ce sens, arrêts précités CPP, point 30, ainsi que Levob Verzekeringen et OV Bank, point 21). En particulier, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (arrêt CPP, précité, point 30, ainsi que les circonstances du litige au principal ayant donné lieu à cet arrêt).

53     Il peut également être considéré que l’on se trouve en présence d’une prestation unique lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel (voir, en ce sens, arrêt Levob Verzekeringen et OV Bank, précité, point 22).

54     C’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’apprécier si les éléments qui lui sont soumis caractérisent l’existence d’une opération unique, au-delà de l’articulation contractuelle de celle-ci.

55     Dans ce contexte, elle peut être amenée à étendre son analyse au moyen d’une recherche d’indices révélant l’existence d’une pratique abusive, notion sur laquelle porte la question préjudicielle.

56     Le cas échéant, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut apporter des précisions visant à la guider dans son interprétation (arrêt Halifax e.a., précité, point 77).

57     Dans la présente affaire, il y a lieu de relever que les opérations en cause au principal, telles que décrites par la juridiction de renvoi, se caractérisent par les éléments suivants:

–       les deux sociétés participant à l’opération de crédit-bail font partie d’un même groupe;

–       la prestation même de la société de crédit-bail (IFIM) est l’objet d’un fractionnement, l’élément caractéristique de financement étant confié à une autre société (Italservice) pour être décomposé en prestations de crédit, d’assurance et d’intermédiation;

–       la prestation de la société de crédit-bail est ainsi réduite à une prestation de location du véhicule;

–       les loyers versés par le preneur s’élèvent au total à un montant à peine supérieur au coût d’acquisition du bien;

–       cette prestation, considérée isolément, semble en conséquence dépourvue de rentabilité économique, de sorte que la viabilité de l’entreprise ne peut être assurée au moyen des seuls contrats conclus avec les preneurs;

–       la société de crédit-bail ne perçoit la contrepartie de l’opération de crédit-bail que grâce au cumul des loyers versés par le preneur et des montants versés par l’autre société du même groupe.

58     Afin d’apprécier si de telles opérations peuvent être considérées comme relevant d’une pratique abusive, la juridiction nationale doit vérifier, d’abord, si le résultat visé est un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à un ou plusieurs objectifs de la sixième directive et, ensuite, s’il a constitué le but essentiel de la solution contractuelle adoptée (voir point 42 du présent arrêt).

59     S’agissant du premier critère, ladite juridiction peut tenir compte de ce que le résultat escompté est l’obtention de l’avantage fiscal lié à l’exonération, en vertu de l’article 13, B, sous a) et d), de la sixième directive, des prestations confiées à la société cocontractante de la société de crédit-bail.

60     Un tel résultat apparaît contraire à l’objectif de l’article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive, à savoir l’imposition de tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir de la part du preneur.

61     En effet, puisque la location de véhicules en vertu de contrats de crédit-bail constitue une prestation de services au sens des articles 6 et 9 de la sixième directive (voir, notamment, arrêts du 21 mars 2002, Cura Anlagen, C-451/99, Rec. p. I-3193, point 19, et du 11 septembre 2003, Cookies World, C-155/01, Rec. p. I-8785, points 44 et 45), une telle opération est normalement soumise à la TVA, dont la base d’imposition doit être déterminée conformément à l’article 11, A, paragraphe 1, de la sixième directive.

62     S’agissant du second critère, la juridiction nationale, dans l’appréciation qu’il lui appartient d’effectuer, peut prendre en considération le caractère purement artificiel des opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs en cause (arrêt Halifax e.a., précité, point 81), de tels éléments étant de nature à montrer que l’obtention de l’avantage fiscal constitue le but essentiel poursuivi, nonobstant l’existence éventuelle, par ailleurs, d’objectifs économiques inspirés de considérations, par exemple, de marketing, d’organisation et de garantie.

63     Il y a donc lieu de répondre à la seconde question posée qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, à la lumière des éléments d’interprétation fournis par le présent arrêt, si, aux fins de l’application de la TVA, des opérations telles que celles en cause dans le litige au principal peuvent être considérées comme relevant d’une pratique abusive au regard de la sixième directive.

 Sur les dépens

64     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprétée en ce sens qu’une pratique abusive peut être retenue lorsque la recherche d’un avantage fiscal constitue le but essentiel de l’opération ou des opérations en cause.

2)      Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, à la lumière des éléments d’interprétation fournis par le présent arrêt, si, aux fins de l’application de la taxe sur la valeur ajoutée, des opérations telles que celles en cause dans le litige au principal peuvent être considérées comme relevant d’une pratique abusive au regard de la sixième directive 77/388.

Signatures


* Langue de procédure: l'italien.