Affaire C-48/07
État belge – Service public fédéral Finances
contre
Les Vergers du Vieux Tauves SA
(demande de décision préjudicielle, introduite par la cour d'appel de Liège)
«Impôts sur les sociétés — Directive 90/435/CEE — Qualité de société mère — Participation dans le capital — Détention de parts en usufruit»
Sommaire de l'arrêt
1. Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites — Interprétation sollicitée en raison de l’applicabilité, aux situations purement internes, des dispositions d’une directive transposées en droit national
(Art. 234 CE)
2. Rapprochement des législations — Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents — Directive 90/435 — Champ d’application — Société mère — Notion
(Traité CE; directive du Conseil 90/435, art. 3)
1. La compétence de la Cour s'étend, en principe, à une question portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d'application du droit communautaire, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit ont été rendues applicables par le droit national.
À cet égard, même si, dans le cadre de la procédure préjudicielle, la juridiction de renvoi ne s’exprime pas de façon explicite quant au point de savoir si, et dans quelle mesure, l’arrêt de la Cour la lierait pour la solution du litige au principal, la circonstance que cette juridiction s’est adressée à la Cour pour lui poser une question préjudicielle et qu’elle établit, dans cette question, un rapport entre la réglementation nationale en cause et la réglementation communautaire conduit à considérer que ledit arrêt liera la juridiction. Dès lors que les explications fournies à la Cour à cet égard ne contiennent pas d’indications objectives démontrant, de manière manifeste, que tel ne serait pas le cas, l’argument selon lequel l’interprétation du droit communautaire sollicitée ne constitue qu’un des éléments à prendre en considération en vue de l’interprétation du droit national et selon lequel, partant, l’arrêt de la Cour ne lierait pas la juridiction de renvoi ne saurait remettre en cause la compétence de la Cour.
Par ailleurs, la seule circonstance que l’interprétation à donner, par le juge de renvoi, à une disposition de droit national transposant une directive ne découle pas exclusivement de l’arrêt que la Cour sera amenée à rendre ne s’oppose pas à la compétence de celle-ci pour statuer sur la question posée. En effet, dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour prévue à l’article 234 CE, celle-ci ne peut pas, dans sa réponse au juge national, tenir compte de l’économie générale des dispositions du droit interne qui, en même temps qu’elles se réfèrent au droit communautaire, déterminent l’étendue de cette référence. Ainsi, la prise en considération des limites que le législateur national a pu apporter à l’application du droit communautaire à des situations purement internes relève du droit interne et, par conséquent, de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre concerné. En revanche, quant au droit communautaire, la juridiction de renvoi ne peut s’écarter, dans les limites du renvoi du droit national au droit communautaire, de l’interprétation de la Cour.
(cf. points 21, 23, 25-27)
2. La notion de participation dans le capital d’une société d’un autre État membre au sens de l’article 3 de la directive 90/435, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, ne comprend pas la détention de parts en usufruit. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/435 impose, pour que la qualité de société mère soit reconnue à une société, qu’elle détienne une participation dans le capital d’une autre société. Selon l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, on entend par «société filiale» la société dans le capital de laquelle cette participation est détenue. Il en découle que la notion de «participation dans le capital» au sens dudit article 3 renvoie au rapport de droit existant entre la société mère et la société filiale. Il résulte donc du libellé de cette dernière disposition que celle-ci n’envisage pas la situation dans laquelle la société mère transfère à une tierce personne, en l’occurrence à un usufruitier, un rapport de droit avec la société filiale, en vertu duquel cette tierce personne pourrait être également considérée comme une société mère.
Toutefois, conformément aux libertés de circulation garanties par le traité, applicables aux situations transfrontalières, lorsqu’un État membre, afin d’éviter la double imposition de dividendes perçus, exonère de l’impôt tant les dividendes qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en pleine propriété que ceux qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en usufruit, il doit appliquer, aux fins de l’exonération des dividendes perçus, le même traitement aux dividendes perçus d’une société établie dans un autre État membre par une société résidente détenant des parts en pleine propriété et à de tels dividendes perçus par une société résidente qui détient des parts en usufruit.
(cf. points 38, 49 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
22 décembre 2008 (*)
«Impôts sur les sociétés – Directive 90/435/CEE – Qualité de société mère – Participation dans le capital – Détention de parts en usufruit»
Dans l’affaire C-48/07,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la cour d’appel de Liège (Belgique), par décision du 31 janvier 2007, parvenue à la Cour le 5 février 2007, dans la procédure
État belge – Service public fédéral Finances
contre
Les Vergers du Vieux Tauves SA,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur), E. Juhász, G. Arestis et J. Malenovský, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 février 2008,
considérant les observations présentées:
– pour Les Vergers du Vieux Tauves SA, par Mes L. Herve et O. Robijns, avocats,
– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent, assistée de Me G. Vandersanden, avocat,
– pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et C. Blaschke, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis, Mmes I. Pouli, Z. Chatzipavlou et S. Alexandridou, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.-Ch. Gracia, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster et M. D. J. M. de Grave, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme V. Jackson, en qualité d’agent, assistée de M. K. Bacon, barrister,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et J.-P. Keppenne, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 juillet 2008,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO L 225, p. 6).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Les Vergers du Vieux Tauves SA (ci-après «VVT») à l’État belge - Service public fédéral Finances au sujet du traitement fiscal réservé par les autorités du Royaume de Belgique aux dividendes perçus par VVT de NARDA SA (ci-après «NARDA»).
Le cadre juridique
La directive 90/435
3 Le troisième considérant de la directive 90/435 énonce:
«considérant que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents varient sensiblement d’un État membre à l’autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre; que la coopération entre sociétés d’États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre; qu’il convient d’éliminer cette pénalisation par l’instauration d’un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l’échelle communautaire».
4 Les articles 3 et 4 de cette directive disposent:
«Article 3
1. Aux fins de l’application de la présente directive:
a) la qualité de société mère est reconnue au moins à toute société d’un État membre qui remplit les conditions énoncées à l’article 2 et qui détient, dans le capital d’une société d’un autre État membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 25 %;
b) on entend par ‘société filiale’ la société dans le capital de laquelle la participation visée au point a) est détenue.
2. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres ont la faculté:
– par voie d’accord bilatéral, de remplacer le critère de participation dans le capital par celui de détention des droits de vote,
– de ne pas appliquer la présente directive à celles de leurs sociétés qui ne conservent pas, pendant une période ininterrompue d’au moins deux ans, une participation donnant droit à la qualité de société mère, ni aux sociétés dans lesquelles une société d’un autre État membre ne conserve pas, pendant une période ininterrompue d’au moins deux ans, une telle participation.
Article 4
1. Lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de celle-ci, l’État de la société mère:
– soit s’abstient d’imposer ces bénéfices,
[…]
2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.
[…]»
Le cadre juridique belge
5 L’article 578 du code civil dispose:
«L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance.»
6 Le 23 octobre 1991 a été promulguée la loi transposant en droit belge la directive du Conseil des Communautés européennes du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales (Moniteur belge du 15 novembre 1991, p. 25619).
7 Cette loi a abrogé la condition, figurant dans la version alors en vigueur du code des impôts sur les revenus du 26 février 1964 (Moniteurbelge du 10 avril 1964, p. 3810), selon laquelle, pour qu’une société bénéficiaire de dividendes puisse obtenir la déduction de ceux-ci de ses bénéfices imposables, la participation dans la société attribuant ces dividendes devait être détenue en pleine propriété.
8 L’article 202 du code des impôts sur les revenus 1992 coordonné par l’arrêté royal du 10 avril 1992 (Moniteur belge du 30 juillet 1992, p. 17120), dans sa version applicable aux faits de l’affaire au principal (ci-après le «CIR 1992»), est libellé comme suit:
«§ 1 Des bénéfices de la période imposable sont également déduits, dans la mesure où ils s’y retrouvent:
1° Les dividendes, à l’exception des revenus qui sont obtenus à l’occasion de la cession à une société de ses propres actions ou parts ou lors du partage total ou partiel de l’avoir social d’une société;
[…]
§ 2 Les revenus visés au § 1er, 1° et […], ne sont déductibles que pour autant qu’à la date d’attribution ou de mise en paiement de ceux-ci, la société qui en bénéficie détienne dans le capital de la société qui les distribue une participation de 5 p. c. au moins ou dont la valeur d’investissement atteint au moins 50 millions de francs.
[...]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 VVT, société établie en Belgique, a acquis au cours de l’année 1999, pour une durée de dix ans, l’usufruit des titres de NARDA. Cette dernière a également son siège en Belgique, comme il ressort des observations écrites de VVT et du gouvernement belge déposées lors de la procédure devant la Cour. La nue-propriété des mêmes titres a été acquise par BEPA SA (ci-après «BEPA»).
10 Le gouvernement belge indique, par référence à l’article 578 du code civil belge, que l’usufruit confère à son titulaire le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété. Il précise que l’usufruitier n’a droit qu’aux bénéfices distribués, les bénéfices mis en réserve revenant au nu-propriétaire.
11 Pour les exercices d’imposition 2000 à 2002, VVT, qui, dans sa déclaration à l’impôt des sociétés, avait déduit les dividendes reçus de NARDA au titre de revenus définitivement taxés (ci-après les «RDT»), s’est vu refuser cette déduction par l’administration des contributions directes qui a réclamé le paiement de l’impôt correspondant à ces dividendes.
12 VVT a introduit une réclamation contre ces cotisations complémentaires au motif que les dividendes litigieux devaient être considérés comme des RDT, même si elle n’avait qu’un usufruit sur les actions concernées au moment de la mise en paiement de ces dividendes.
13 Cette réclamation a été rejetée, l’administration des contributions directes faisant valoir que le fait de détenir l’usufruit des parts concernées ne permet pas de prétendre à la déduction prévue à l’article 202 du CIR 1992, celle-ci ne pouvant être accordée qu’au détenteur des parts en pleine propriété. VVT a contesté cette décision devant le tribunal de première instance de Namur, lequel, par jugement prononcé le 23 novembre 2005, a fait droit à ses prétentions.
14 La cour d’appel de Liège, saisie par l’État belge - Service public fédéral Finances d’un recours contre ce jugement, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«La loi du 28 décembre 1992 modifiant les termes de l’article 202 du [CIR] 1992 en se référant à la directive n° [90/435], imposant pour le bénéficiaire du dividende la détention d’une participation en capital de la société qui l’a distribué, en ce qu’elle ne reprend pas expressis verbis la nécessité d’une détention en pleine propriété et autoriserait implicitement, dans l’interprétation donnée par l’intimée, la seule détention d’un droit d’usufruit des titres représentatifs du capital pour bénéficier d’un régime d’exonération d’impôt sur les dividendes, est-elle compatible avec les dispositions de la directive précitée relative à la participation en capital, et plus particulièrement avec ses articles 3, 4 et 5?»
Sur la compétence de la Cour et sur la recevabilité de la question préjudicielle
15 Tandis que VVT, le gouvernement hellénique et la Commission des Communautés européennes soutiennent que le renvoi préjudiciel est recevable, le gouvernement italien l’estime irrecevable et les gouvernements allemand, français, néerlandais et du Royaume-Uni émettent des doutes quant à sa recevabilité. Le gouvernement belge, n’ayant formulé aucune objection formelle quant à la compétence de la Cour dans ses observations écrites, l’a contestée lors de l’audience.
16 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (voir en ce sens, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59; du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C-28/95, Rec. p. I-4161, point 24; du 7 janvier 2003, BIAO, C-306/99, Rec. p. I-1, point 88, et du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C-217/05, Rec. p. I-11987, point 16).
17 Dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition de droit communautaire, la Cour est donc, en principe, tenue de statuer, à moins qu’il ne soit manifeste que la demande de décision préjudicielle tend, en réalité, à l’amener à statuer par le biais d’un litige construit ou à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, que l’interprétation du droit communautaire demandée n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, ou encore que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêts précités BIAO, point 89, et Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, point 17).
18 Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce.
19 D’emblée, il convient de constater que la faible quantité d’informations fournie dans la décision de renvoi n’est pas de nature à rendre le présent renvoi préjudiciel irrecevable. En effet, cette décision, malgré le peu d’indications qu’elle contient quant au cadre factuel et au cadre juridique national, permet de déterminer la portée de la question posée, ainsi qu’en atteste le contenu des observations présentées par les intéressés autres que les parties au principal ayant soumis de telles observations à la Cour. Par ailleurs, les observations écrites présentées par VVT et le gouvernement belge ont fourni à la Cour des informations suffisantes pour lui permettre d’interpréter les règles du droit communautaire au regard de la situation faisant l’objet du litige au principal et d’apporter une réponse utile à la question posée.
20 De même, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement italien au motif que la juridiction de renvoi n’aurait pas démontré, à ce stade de la procédure, la nécessité d’une réponse de la Cour à la question posée pour trancher le litige au principal doit être écartée. En effet, conformément à l’article 234, deuxième alinéa, CE, il appartient à la juridiction nationale de décider à quel stade de la procédure il y a lieu, pour cette juridiction, de déférer une question préjudicielle à la Cour (voir arrêts du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a., 36/80 et 71/80, Rec. p. 735, point 5; du 30 mars 2000, JämO, C-236/98, Rec. p. I-2189, point 30, ainsi que du 17 juillet 2008, Coleman, C-303/06, non encore publié au Recueil, point 29).
21 Enfin, s’agissant des objections formulées par le gouvernement belge, il convient à titre liminaire de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la compétence de la Cour s’étend, en principe, à une question portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d’application du droit communautaire, mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit ont été rendues applicables par le droit national (voir, notamment, arrêts Leur-Bloem, précité, point 27; du 17 juillet 1997, Giloy, C-130/95, Rec. p. I-4291, point 23; du 3 décembre 1998, Schoonbroodt, C-247/97, Rec. p. I-8095, point 14, ainsi que du 17 mars 2005, Feron, C-170/03, Rec. p. I-2299, point 11).
22 En premier lieu, le gouvernement belge a émis, lors de l’audience, des doutes quant au fait que l’article 202, paragraphe 2, du CIR 1992 vise à transposer la disposition pertinente de la directive 90/435 et que cette première disposition renvoie, pour des situations internes, aux solutions retenues par cette directive. À cet égard, il y a lieu de rappeler que ce même gouvernement a soutenu dans ses observations écrites que le législateur belge a décidé d’étendre la transposition de cette directive aux relations entre sociétés mères et sociétés filiales belges afin d’éviter une discrimination entre sociétés belges quant au traitement fiscal des bénéfices versés à une société mère par une société filiale en fonction de la nationalité de cette dernière. De plus, la loi du 23 octobre 1991 transposant en droit belge la directive du Conseil des Communautés européennes du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales vise expressément, comme en témoigne son intitulé, la transposition de ladite directive.
23 En deuxième lieu, la thèse du gouvernement belge selon laquelle, l’interprétation du droit communautaire sollicitée ne constituant qu’un des éléments à prendre en considération en vue de l’interprétation du droit national, l’arrêt de la Cour ne lierait pas la juridiction de renvoi ne saurait remettre en cause la compétence de la Cour.
24 Il convient de relever à cet égard que les circonstances de la présente affaire au principal se distinguent de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C-346/93, Rec. p. I-615), dans lequel la Cour s’est déclarée incompétente pour statuer sur une question préjudicielle étant donné que son arrêt ne lierait pas la juridiction de renvoi. En effet, la réglementation nationale en cause dans le cadre de cette dernière affaire se bornait à prendre la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32) pour modèle et n’en reproduisait que partiellement les termes.
25 Certes, dans le cadre de la présente procédure, la juridiction de renvoi ne s’exprime pas de façon explicite quant au point de savoir si, et dans quelle mesure, l’arrêt de la Cour la lierait pour la solution du litige au principal. Toutefois, la circonstance que cette juridiction s’est adressée à la Cour pour lui poser une question préjudicielle et qu’elle établit, dans cette question, un rapport entre la réglementation nationale et la directive 90/435 conduit à considérer que ledit arrêt liera ladite juridiction. Les explications fournies à cet égard par le gouvernement belge lors de l’audience ne contiennent pas d’indications objectives démontrant, de manière manifeste, que tel ne serait pas le cas.
26 En troisième lieu, ainsi qu’il ressort des points 21 et 33 de l’arrêt Leur-Bloem, précité, la seule circonstance que l’interprétation à donner à l’article 202, paragraphe 2, du CIR 1992 ne découle pas exclusivement de l’arrêt que la Cour sera amenée à rendre ne s’oppose pas à la compétence de celle-ci pour statuer sur la question posée.
27 En effet, dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour prévue à l’article 234 CE, celle-ci ne peut pas, dans sa réponse au juge national, tenir compte de l’économie générale des dispositions du droit interne qui, en même temps qu’elles se réfèrent au droit communautaire, déterminent l’étendue de cette référence (voir arrêt du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, point 42). Ainsi, la prise en considération des limites que le législateur national a pu apporter à l’application du droit communautaire à des situations purement internes relève du droit interne et, par conséquent, de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre concerné (arrêts Dzodzi, précité, point 42; du 12 novembre 1992, Fournier, C-73/89, Rec. p. I-5621, point 23, et Leur-Bloem, précité, point 33). En revanche, quant au droit communautaire, la juridiction de renvoi ne peut s’écarter, dans les limites du renvoi du droit national au droit communautaire, de l’interprétation de la Cour.
28 Dès lors, l’argumentation développée par le gouvernement belge pour remettre en cause la compétence de la Cour doit être écartée.
29 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la question préjudicielle.
Sur la question préjudicielle
30 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de participation dans le capital d’une société d’un autre État membre, au sens de l’article 3 de la directive 90/435, comprend la détention de parts en usufruit.
31 Pour répondre à cette question, il convient, tout d’abord, de comparer la situation juridique du propriétaire des parts d’une société avec celle d’un usufruitier de telles parts.
32 Il résulte des observations du gouvernement belge que, conformément à l’article 578 du code civil belge, l’usufruit confère à son titulaire le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété. Il s’ensuit que l’usufruit constitue un rapport de droit entre l’usufruitier et le propriétaire dont la propriété est diminuée de l’usufruit.
33 Ainsi, dans l’affaire au principal, VVT n’étant pas propriétaire des parts de NARDA, le rapport juridique qu’elle a avec cette dernière découle non d’un statut d’associé, mais de l’usufruit dont elle est titulaire. Cet usufruit permet à VVT d’exercer certains droits appartenant normalement à BEPA comme étant le propriétaire desdites parts.
34 En revanche, le rapport de droit de BEPA avec NARDA est celui d’associé, résultant du seul fait qu’elle détient, en tant que nu-propriétaire, des parts dans le capital de cette dernière. Cette participation détenue par BEPA remplit, de façon évidente, le critère d’une «participation dans le capital» au sens de l’article 3 de la directive 90/435 et cette société, pourvu qu’elle remplisse également les autres critères fixés par cette directive, doit être considérée comme une «société mère» au sens dudit article 3.
35 Dès lors, il convient d’examiner si l’usufruitier des parts d’une société, tout en étant une société autre que la société détentrice de ces parts, peut également être considéré comme ayant la qualité de société mère, c’est-à-dire comme ayant une participation dans le capital d’une société au sens de l’article 3 de la directive 90/435.
36 Ainsi qu’il ressort notamment de son troisième considérant, la directive 90/435 vise à éliminer, par l’instauration d’un régime commun, toute pénalisation de la coopération entre sociétés de différents États membres par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre et à faciliter ainsi le regroupement de sociétés à l’échelle communautaire (arrêts du 4 octobre 2001, Athinaïki Zythopoiïa, C-294/99, Rec. p. I-6797, point 25; du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446/04, Rec. p. I-11753, point 103; du 3 avril 2008, Banque Fédérative du Crédit Mutuel, C-27/07, non encore publié au Recueil, point 23, et, en ce sens, arrêt du 26 juin 2008, Burda, C-284/06, non encore publié au Recueil, point 51).
37 Si la directive 90/435 vise à éliminer les situations de double imposition de bénéfices distribués par les filiales à leurs sociétés mères, elle envisage, de manière générale, à éliminer les désavantages pour la coopération transfrontalière entre sociétés, résultant, comme il ressort également de son troisième considérant, du fait que les dispositions fiscales régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre.
38 L’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/435 impose, pour que la qualité de société mère soit reconnue à une société, qu’elle détienne une participation dans le capital d’une autre société. Selon l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, on entend par «société filiale» la société dans le capital de laquelle cette participation est détenue. Il en découle que la notion de «participation dans le capital» au sens dudit article 3 renvoie au rapport de droit existant entre la société mère et la société filiale. Il résulte donc du libellé de cette dernière disposition que celle-ci n’envisage pas la situation dans laquelle la société mère transfère à une tierce personne, en l’occurrence à un usufruitier, un rapport de droit avec la société filiale, en vertu duquel cette tierce personne pourrait être également considérée comme une société mère.
39 Par conséquent, il résulte du libellé de l’article 3 de la directive 90/435 que la notion de participation dans le capital d’une société, au sens de cette disposition, ne comprend pas l’usufruit que détient une société sur les parts du capital d’une autre société.
40 Cette analyse est confortée par l’économie des dispositions de la directive 90/435.
41 En effet, en premier lieu, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive vise l’hypothèse dans laquelle «une société mère reçoit, à titre d’associé de sa société filiale, des bénéfices distribués». Or, l’usufruitier des parts d’une société reçoit les dividendes distribués par celle-ci en vertu de son usufruit. Sa situation juridique vis-à-vis de la société filiale n’est pas de nature à lui conférer la qualité d’associé, dès lors que cette situation découle uniquement de l’usufruit que lui a transféré le propriétaire des parts dans le capital de la société filiale, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 57 de ses conclusions.
42 En second lieu, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 90/435, les États membres gardent la faculté de prévoir que des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Cette disposition permet aux États membres d’adopter des mesures pour empêcher que la société mère jouisse d’un double avantage fiscal. En effet, cette société pourrait, d’une part, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de cette directive, percevoir des bénéfices sans être taxée et, d’autre part, obtenir une réduction de l’impôt par le jeu de la déduction à titre de charges des moins-values de la participation résultant de la distribution desdits bénéfices.
43 Or, comme il ressort des observations écrites du gouvernement belge, l’usufruitier a seulement droit aux bénéfices distribués tandis que les bénéfices mis en réserve reviennent au nu-propriétaire. Ainsi, en cas de distribution des bénéfices, ni l’usufruitier ni le nu-propriétaire ne peuvent jouir d’un double avantage fiscal, le nu-propriétaire ne recevant pas de bénéfices et l’usufruitier n’ayant droit qu’aux bénéfices distribués. Lorsque la distribution de bénéfices engendre une moins-value de la participation, la faculté ouverte à tout État membre de prévoir que cette moins-value n’est pas déductible du bénéfice imposable de la société mère ne peut être mise en œuvre que dans l’hypothèse où une même société reçoit les bénéfices distribués et subit la moins-value de sa participation résultant de cette distribution. Cela confirme que le législateur communautaire a considéré que la «société mère» au sens de la directive 90/435 est une seule et même société.
44 Partant, eu égard au libellé clair et non ambigu des dispositions de la directive 90/435, tel qu’il est conforté par leur économie, on ne saurait interpréter la notion de participation dans le capital de la société d’un autre État membre figurant à l’article 3 de ladite directive en ce sens qu’elle s’étend à la détention de parts en usufruit dans le capital d’une société d’un autre État membre et élargir par là même les obligations des États membres y afférentes (voir, par analogie, arrêts du 8 décembre 2005, BCE/Allemagne, C-220/03, Rec. p. I-10595, point 31, et du 28 février 2008, Carboni e derivati, C-263/06, Rec. p. I-1077, point 48).
45 Même si l’affaire au principal concerne une situation purement interne, il convient de relever que le droit communautaire exige, s’agissant des situations transfrontalières, qu’un État membre qui exonère de l’impôt, afin d’éviter la double imposition des dividendes, tant les dividendes distribués à une société qui détient des parts de la société distributrice en pleine propriété que ceux distribués à une société qui détient de telles parts en usufruit applique le même traitement fiscal aux dividendes perçus par une société résidente d’une société également résidente qu’à ceux perçus par une société résidente d’une société établie dans un autre État membre.
46 En effet, si, pour des participations ne relevant pas de la directive 90/435, il appartient effectivement aux États membres de déterminer si, et dans quelle mesure, la double imposition des bénéfices distribués doit être évitée et d’introduire, à cet effet, de façon unilatérale ou au moyen de conventions conclues avec d’autres États membres, des mécanismes visant à prévenir ou à atténuer cette double imposition, ce seul fait ne leur permet pas d’appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation garanties par le traité CE (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C-374/04, Rec. p. I-11673, point 54, et du 8 novembre 2007, Amurta, C-379/05, Rec. p. I-9569, point 24).
47 Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que, quel que soit le mécanisme adopté pour prévenir ou atténuer l’imposition en chaîne ou la double imposition économique, les libertés de circulation garanties par le traité s’opposent à ce qu’un État membre traite de manière moins avantageuse les dividendes d’origine étrangère que les dividendes d’origine nationale, à moins que cette différence de traitement ne concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général (arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 46 et jurisprudence citée).
48 Par ailleurs, l’interprétation selon laquelle un État membre qui, aux fins de l’exonération des dividendes perçus, traite de la même manière une société bénéficiaire détentrice de parts en usufruit et celle détentrice de parts en pleine propriété doit étendre ce même traitement fiscal aux dividendes perçus d’une société établie dans un autre État membre est conforme aux objectifs de la directive 90/435 consistant à éliminer la pénalisation des regroupements de sociétés à l’échelle communautaire et à éviter les doubles impositions des dividendes distribués au sein d’un groupe transfrontalier.
49 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la notion de participation dans le capital d’une société d’un autre État membre au sens de l’article 3 de la directive 90/435 ne comprend pas la détention de parts en usufruit. Toutefois, conformément aux libertés de circulation garanties par le traité CE, applicables aux situations transfrontalières, lorsqu’un État membre, afin d’éviter la double imposition de dividendes perçus, exonère d’impôt tant les dividendes qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en pleine propriété que ceux qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en usufruit, il doit appliquer, aux fins de l’exonération des dividendes perçus, le même traitement aux dividendes perçus d’une société établie dans un autre État membre par une société résidente détenant des parts en pleine propriété et à de tels dividendes perçus par une société résidente qui détient des parts en usufruit.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
La notion de participation dans le capital d’une société d’un autre État membre au sens de l’article 3 de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, ne comprend pas la détention de parts en usufruit.
Toutefois, conformément aux libertés de circulation garanties par le traité CE, applicables aux situations transfrontalières, lorsqu’un État membre, afin d’éviter la double imposition de dividendes perçus, exonère d’impôt tant les dividendes qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en pleine propriété que ceux qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en usufruit, il doit appliquer, aux fins de l’exonération des dividendes perçus, le même traitement aux dividendes perçus d’une société établie dans un autre État membre par une société résidente détenant des parts en pleine propriété et à de tels dividendes perçus par une société résidente qui détient des parts en usufruit.
Signatures
* Langue de procédure: le français.