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Affaire C-330/07

Jobra Vermögensverwaltungs-Gesellschaft mbH

contre

Finanzamt Amstetten Melk Scheibbs

(demande de décision préjudicielle, introduite par

l'Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Wien)

«Libre prestation des services — Liberté d’établissement — Législation fiscale — Prime à l’investissement — Réglementation nationale réservant le bénéfice d’un avantage fiscal aux biens utilisés dans un établissement stable situé sur le territoire national — Exclusion des biens mis à disposition à titre onéreux et employés principalement dans d’autres États membres — Leasing de véhicules — Prévention des pratiques abusives»

Sommaire de l'arrêt

1.        Libre prestation des services — Restrictions — Législation fiscale — Justification — Lutte contre des pratiques abusives — Conditions

(Art. 49 CE)

2.        Libre prestation des services — Restrictions — Législation fiscale

(Art. 49 CE)

1.        Une mesure nationale restreignant la libre prestation des services peut être justifiée lorsqu’elle vise spécifiquement les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont la seule fin est l’obtention d’un avantage fiscal. Toutefois, la circonstance qu’une entreprise pouvant prétendre à la prime à l’investissement mette, à titre onéreux, des biens à la disposition d’une entreprise qui les emploie principalement dans d’autres États membres ne constitue pas, en tant que telle, un abus. Une telle mise à disposition ne saurait non plus fonder une présomption générale de l’existence d’une pratique abusive et justifier une mesure portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité.

(cf. points 35-37)

2.        L’article 49 CE s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le bénéfice d’une prime à l’investissement est refusé aux entreprises qui se procurent des biens corporels, au seul motif que les biens au titre desquels cette prime est revendiquée et qui sont mis à disposition à titre onéreux sont employés principalement dans d’autres États membres.

En effet, une telle réglementation qui soumet les investissements portant sur des biens, lesquels, mis à disposition à titre onéreux, sont utilisés dans d’autres États membres, à un régime fiscal moins favorable que celui réservé aux investissements portant sur de tels biens utilisés sur le territoire national constitue, en principe, une restriction à la libre prestation des services en ce qu'elle est susceptible de décourager les entreprises pouvant prétendre à cet avantage fiscal de fournir des services de location aux opérateurs économiques exerçant des activités dans d’autres États membres; dans une situation où une entreprise met, à titre onéreux, des biens à la disposition d’une autre entreprise, ces deux entreprises étant étroitement liées sur le plan économique, ladite réglementation est également susceptible de décourager l’entreprise preneur en location d’exercer des activités transfrontalières.

Une telle réglementation ne saurait être justifiée par l'exigence d'une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, dès lors que les revenus de location tirés de la mise à disposition des biens corporels au titre desquels la prime à l'investissement est revendiquée sont imposables dans l'État membre d'octroi de ladite prime et que, partant, à défaut de la réglementation en cause, le droit de cet État membre d'exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire ne serait pas compromis.

Une telle réglementation ne saurait en outre être justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal national, car il n'existe pas de lien direct, du point de vue du régime fiscal, entre, d’une part, la prime à l’investissement, octroyée au donneur en location au titre des biens corporels qu’il s’est procurés, et, d’autre part, l’imposition ultérieure, dans le chef du preneur en location, des revenus réalisés grâce à l’utilisation de ces biens mis à sa disposition à titre onéreux.

Par ailleurs, dès lors qu'elle ne permet pas de limiter le refus du bénéfice de la prime à l'investissement aux seuls montages purement artificiels, mais affecte tout donneur en location pouvant prétendre à la prime à l’investissement, qui met, à titre onéreux, des biens à la disposition des entreprises exerçant des activités transfrontalières, et ceci nonobstant l’absence d’éléments objectifs susceptibles de démontrer l’existence d’un tel montage, cette réglementation ne saurait être justifiée par la nécessité de prévenir les pratiques abusives.

(cf. points 24-26, 32-35, 38-41 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

4 décembre 2008 (*)

«Libre prestation des services – Liberté d’établissement − Législation fiscale − Prime à l’investissement − Réglementation nationale réservant le bénéfice d’un avantage fiscal aux biens utilisés dans un établissement stable situé sur le territoire national − Exclusion des biens mis à disposition à titre onéreux et employés principalement dans d’autres États membres − Leasing de véhicules − Prévention des pratiques abusives»

Dans l’affaire C-330/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Wien (Autriche), par décision du 3 juillet 2007, parvenue à la Cour le 16 juillet 2007, dans la procédure

Jobra Vermögensverwaltungs-Gesellschaft mbH

contre

Finanzamt Amstetten Melk Scheibbs,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. N. Cunha Rodrigues, U. Lõhmus et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 septembre 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement allemand, par MM. Lumma et C. Blaschke, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer et M. J. Bauer, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Mölls et R. Lyal, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Jobra Vermögensverwaltungs-Gesellschaft mbH (ci-après «Jobra»), société de droit autrichien, au Finanzamt Amstetten Melk Scheibbs, au sujet du refus de ce dernier d’accorder à cette société une prime à la croissance de l’investissement (ci-après la «prime à l’investissement») au titre des poids lourds qu’elle avait achetés et donnés en leasing à Braunshofer GmbH (ci-après «Braunshofer»), autre société de droit autrichien, au motif que cette dernière les employait principalement dans d’autres États membres.

 Le cadre juridique

3        L’article 108 e, paragraphes 1 et 2, de la loi de 1988 relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, BGBl. 400/1988), dans sa version publiée au BGBl. I 155/2002 (ci-après l’«EStG de 1988»), dispose:

«1.       Les investissements dans des biens économiques éligibles aux primes peuvent donner lieu à une prime à l’investissement de 10 %, à la condition que les sommes utilisées pour l’acquisition ou pour la fabrication soient déductibles fiscalement par voie d’amortissement de biens sujets à dépréciation (articles 7 et 8).

2.      Les biens éligibles aux primes sont les biens économiques corporels non encore utilisés faisant partie des capitaux fixes amortissables. Ne relèvent pas des biens économiques éligibles aux primes:

[...]

–      les biens économiques qui ne sont pas utilisés dans un établissement stable sur le territoire national servant à la réalisation de revenus au sens de l’article 2, paragraphe 3, points 1 à 3. Ne sont pas considérés comme utilisés dans un établissement stable situé sur le territoire national les biens économiques qui, à la suite d’une cession à titre onéreux, sont employés principalement à l’étranger.»

4        L’article 24, paragraphe 6, de la loi de 1988 relative à l’impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuergesetz, BGBl. 401/1988), dans sa version publiée au BGBl. I 155/2002, prévoit:

«Les dispositions des articles […] 108 e et 108 f de l’EStG de 1988 s’appliquent par analogie aux personnes morales au sens de l’article 1er dans la mesure où elles ne sont pas exonérées de l’impôt sur les personnes morales.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

5        Jobra est une société de gestion de patrimoine ayant son siège en Autriche et dont le capital social est détenu à 100 % par M. Josef Braunshofer. Braunshofer est une société de transports internationaux ayant, elle aussi, son siège en Autriche. Jobra détient 100 % du capital social de cette dernière société. Au mois d’août 2003, Braunshofer a créé une succursale en Allemagne.

6        Jobra est propriétaire d’un parc de véhicules. Elle met ses poids lourds à la disposition de Braunshofer, moyennant un contrat de leasing, aux fins d’un usage professionnel par cette dernière. Celle-ci les emploie principalement dans d’autres États membres, dans le cadre de l’exercice de son activité de transport.

7        Dans sa déclaration de revenus pour l’année 2003, Jobra a revendiqué, en vertu de l’article 108 e de l’EStG de 1988, une prime à l’investissement d’un montant de 46 770 euros au titre des poids lourds qu’elle avait achetés pendant la période couvrant les mois d’avril à septembre 2002. Au mois de juin 2004, son compte auprès des autorités fiscales a été crédité de ce montant.

8        Cependant, dans le cadre d’un contrôle effectué auprès de Jobra, l’administration fiscale a constaté que les conditions d’octroi de la prime en cause au principal n’étaient pas réunies, parce que les poids lourds donnés en leasing à Braunshofer étaient employés par celle-ci principalement à l’étranger et, dès lors, ne pouvaient pas être considérés comme des biens économiques utilisés dans un établissement stable situé sur le territoire national, au sens de la réglementation en cause au principal. Par conséquent, Jobra s’est vu refuser ledit avantage fiscal.

9        Le recours fiscal formé par Jobra a été rejeté par l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Wien, par décision du 2 novembre 2005. Par arrêt du 20 avril 2006, le Verwaltungsgerichtshof a annulé cette décision, principalement pour violation de règles procédurales. En outre, il a émis des doutes sur la compatibilité, avec la notion de libre prestation des services au sens de l’article 49 CE, de la circonstance que «les biens économiques qui, sur la base d’une cession à titre onéreux, sont employés principalement dans d’autres États membres […] ne relèvent pas des biens économiques éligibles aux primes».

10      La juridiction de renvoi considère que la réglementation en cause au principal prévoit un traitement inégal fondé sur le lieu d’exécution des services et s’interroge sur la conformité de cette réglementation avec les articles 43 CE et 49 CE.

11      Dans ces conditions, l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Wien, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions relatives à la liberté d’établissement (articles 43 CE et suivants) et/ou les dispositions relatives à la libre prestation de services (articles 49 CE et suivants) s’opposent-elles à des règles de droit national existant le 31 décembre 2003 qui confèrent un avantage fiscal (une prime à la croissance de l’investissement) aux entreprises lorsque celles-ci se procurent des biens économiques corporels non encore utilisés, entre autres à la condition que ces biens économiques seront utilisés exclusivement dans un établissement stable situé sur le territoire national et qui, dès lors, refusent l’octroi de cet avantage fiscal (la prime à […] l’investissement) aux entreprises qui se procurent des biens économiques non encore utilisés qui seront employés dans un établissement stable situé autre part dans l’Union européenne?»

 Sur la question préjudicielle

 Observations liminaires

12      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 CE et suivants ainsi que 49 CE et suivants doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui soumet le bénéfice d’une prime à l’investissement, destinée aux entreprises qui se procurent des biens corporels, à la condition que les biens au titre desquels cette prime est revendiquée soient utilisés exclusivement dans un établissement stable situé dans cet État, tout en précisant que les biens qui, mis à disposition à titre onéreux, sont employés principalement dans d’autres États membres ne sont pas considérés comme étant utilisés dans un tel établissement.

13      S’agissant du cadre juridique national dans lequel s’inscrit la demande de décision préjudicielle, le gouvernement autrichien soutient que l’utilisation, sur le territoire d’autres États membres, des biens au titre desquels la prime à l’investissement est revendiquée ne porte pas préjudice à l’octroi de celle-ci. La réglementation en cause au principal soumettrait le bénéfice de cet avantage fiscal à la condition que les biens concernés soient affectés à un établissement stable situé sur le territoire autrichien. Selon la jurisprudence nationale, il importerait d’établir si ces biens ont été utilisés à partir d’un tel établissement pour une durée au moins égale à la moitié de leur période d’utilisation.

14      S’agissant du contexte factuel, le gouvernement autrichien souligne que Braunshofer a créé, au mois d’août 2003, une succursale en Allemagne. Dans les circonstances du litige au principal, se poserait donc la question de savoir si un contribuable qui utilise un bien économique principalement à partir d’un établissement stable résident et un contribuable qui utilise un tel bien à partir d’un établissement stable non-résident se trouvent dans une situation comparable au regard de l’octroi de la prime à l’investissement.

15      La juridiction de renvoi rappelle qu’elle est amenée à appliquer, dans la procédure au principal, les dispositions de l’EStG de 1988 portant sur l’éligibilité à la prime à l’investissement des biens économiques, lesquels, mis à disposition à titre onéreux, sont employés principalement dans d’autres États membres. Elle émet des doutes sur la compatibilité de ces dispositions avec les articles 43 CE et 49 CE, dans la mesure où il existerait une inégalité de traitement fondée sur le lieu d’exécution des services.

16      S’il ressort de la décision de renvoi que Braunshofer a créé une succursale en Allemagne, la description du cadre factuel figurant dans cette décision ne fait pas apparaître que la prime en cause au principal aurait été refusée à Jobra sur le fondement de considérations portant sur l’existence d’un tel établissement dans un autre État membre.

17      Dans ce contexte, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, il n’appartient à la Cour de se prononcer ni sur l’interprétation des dispositions nationales ni sur la définition du cadre factuel. En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. p. I-8089, point 10; du 2 juin 2005, Dörr et Ünal,
C-136/03, Rec. p. I-4759, point 46, et du 14 février 2008, Dynamic Medien,
C-244/06, non encore publié au Recueil, point 19).

18      Par ailleurs, quand bien même l’interprétation de la réglementation en cause au principal défendue par le gouvernement autrichien serait exacte, il apparaît que la question posée par la juridiction de renvoi conserve toute sa pertinence. En effet, à supposer même que le bénéfice de la prime à l’investissement soit refusé dans l’hypothèse où les biens mis à disposition à titre onéreux, au titre desquels cet avantage est revendiqué, sont utilisés à partir d’un établissement stable non-résident pour une durée excédant la moitié de leur période d’utilisation, cette seule circonstance ne serait pas de nature à dissiper les doutes exprimés par cette juridiction sur la compatibilité de ladite réglementation avec les libertés fondamentales.

 Sur l’existence d’une restriction aux libertés fondamentales

19      La Cour a itérativement jugé que des restrictions à la liberté d’établissement ainsi qu’à la libre prestation des services visées respectivement aux articles 43 CE et 49 CE sont constituées par des mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de ces libertés (voir, en ce sens, arrêts du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439/99, Rec. p. I-305, point 22; du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C-451/03, Rec. p. I-2941, point 31, et du 13 mars 2008, Commission/Espagne, C-248/06, non encore publié au Recueil, point 21).

20      Les gouvernements allemand et autrichien estiment que la réglementation en cause au principal doit être appréciée au regard des dispositions des articles 43 CE et suivants régissant la liberté d’établissement. Selon ces gouvernements, cette réglementation constitue une mise en œuvre du principe de la territorialité. Un contribuable qui utilise un bien économique à partir d’un établissement stable résident ne se trouverait pas, du point de vue fiscal, dans une situation comparable à celle d’un contribuable utilisant un tel bien à partir d’un établissement stable non-résident. Les situations n’étant pas comparables, ladite réglementation ne serait pas constitutive d’une restriction aux libertés fondamentales.

21      La Commission considère que les dispositions régissant la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE trouvent à s’appliquer. La prime à l’investissement aurait été refusée à Jobra sur le fondement des dispositions nationales portant sur la mise à disposition, à titre onéreux, des biens économiques. En outre, le champ d’application de la réglementation en cause au principal ne serait pas limité à des situations intragroupes. Selon la Commission, refuser le bénéfice de la prime à l’investissement aux donneurs en location dans l’hypothèse où leurs preneurs en location utilisent les biens mis à leur disposition à titre onéreux, dans d’autres États membres, est de nature à entraver l’exercice de cette liberté.

22      En l’occurrence, Jobra donne en leasing à Braunshofer des poids lourds. La location de véhicules constitue une prestation de services au sens de l’article 50 CE (voir, notamment, arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen, C-451/99, Rec. p.
I-3193, point 18). Braunshofer utilise ces véhicules dans le cadre de l’exercice de son activité de transport.

23      Selon la décision de renvoi, la prime à l’investissement a été refusée à Jobra, en application de la réglementation en cause au principal, parce que les poids lourds qu’elle avait donnés en leasing à Braunshofer étaient utilisés par cette dernière principalement dans d’autres États membres.

24      Force est de constater qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui soumet les investissements portant sur des biens, lesquels, mis à disposition à titre onéreux, sont utilisés dans d’autres États membres, à un régime fiscal moins favorable que celui réservé aux investissements portant sur de tels biens utilisés sur le territoire national est susceptible de décourager les entreprises pouvant prétendre à cet avantage fiscal de fournir des services de location aux opérateurs économiques exerçant des activités dans d’autres États membres.

25      Par ailleurs, dans une situation où une entreprise met, à titre onéreux, des biens à la disposition d’une autre entreprise, ces deux entreprises étant étroitement liées sur le plan économique, la réglementation nationale en cause est susceptible de décourager l’entreprise preneur en location d’exercer des activités transfrontalières.

26      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue, en principe, une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE. Dès lors, il convient d’examiner si pareille restriction peut être objectivement justifiée.

 Sur la justification éventuelle de la réglementation en cause au principal

27      Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une restriction à la libre prestation des services ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité CE et se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant, en pareil cas, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, notamment, arrêts du 5 juin 1997, SETTG, C-398/95, Rec. p. I-3091, point 21, et du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C-341/05, Rec. p. I-11767, point 101).

28      Les gouvernements autrichien et allemand font valoir que la réglementation en cause au principal correspond à la répartition des pouvoirs d’imposition entre les États membres. Soumettre l’octroi de la prime à l’investissement à la condition que les biens au titre desquels celle-ci est revendiquée soient affectés à un établissement stable résident vise à assurer un lien entre, d’une part, le versement de cet avantage fiscal et, d’autre part, l’imposition des bénéfices réalisés grâce à l’utilisation de tels biens.

29      Le gouvernement autrichien invoque également la nécessité de combattre les pratiques abusives. La réglementation en cause au principal viserait à prévenir les montages purement artificiels en cas de transferts à titre onéreux. En l’absence de cette disposition, un bien affecté au donneur en location pourrait donner droit à la prime à l’investissement indépendamment de la question de savoir où le preneur en location place ce bien. Or, il serait à craindre que le donneur en location transmette cette prime, en tout ou en partie, au preneur en location qui, pour sa part, utiliserait le bien en cause pour réaliser des bénéfices dans d’autres États membres. Ainsi, il serait possible de contourner la limitation, au territoire national, de cet avantage.

30      Ce gouvernement précise que, en l’absence de la réglementation en cause au principal, il serait possible de revendiquer, grâce à l’établissement d’une société de leasing de groupe en Autriche, le bénéfice de la prime à l’investissement pour l’ensemble des acquisitions de ce groupe, quel que soit le lieu d’utilisation de ces biens.

31      Selon la Commission, la réglementation en cause au principal ne saurait être justifiée ni par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal national ou de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux ni par des objectifs de nature purement économique.

32      En ce qui concerne le premier élément de justification invoqué par les gouvernements autrichien et allemand, il est vrai que la Cour a reconnu, dans sa jurisprudence que, en liaison avec d’autres éléments de justification, la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres pouvait être considérée comme constituant une exigence légitime (voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446/03, Rec. p. I-10837, points 45, 46 et 51; du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347/04, Rec. p. I-2647, point 41; du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231/05, Rec. p. I-6373, point 51, et du 15 mai 2008, Lidl Belgium, C-414/06, non encore publié au Recueil, point 42). Cependant, cette jurisprudence ne trouve pas à s’appliquer dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal.

33      À cet égard, il suffit de relever, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une analyse de l’ensemble des conditions d’application de la jurisprudence susvisée, que, en l’occurrence, les revenus de location tirés de la mise à disposition des biens corporels au titre desquels la prime à l’investissement est revendiquée par Jobra sont imposables en Autriche. Dès lors, il ne saurait être allégué que, à défaut de la réglementation en cause au principal, le droit de la République d’Autriche d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire serait compromis (voir, également, arrêts précités Marks & Spencer, point 46, et Rewe Zentralfinanz, point 42).

34      Dans la mesure où l’argumentation des intéressés ayant soumis des observations devant la Cour vise, de manière plus large, la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal national, il convient de relever qu’il n’existe pas de lien direct, du point de vue du régime fiscal, entre, d’une part, la prime à l’investissement, octroyée au donneur en location au titre des biens corporels qu’il s’est procurés, et, d’autre part, l’imposition ultérieure, dans le chef du preneur en location, des revenus réalisés grâce à l’utilisation de ces biens mis à sa disposition à titre onéreux (voir, par analogie, arrêt du 10 mars 2005, Laboratoires Fournier,
C-39/04, Rec. p. I-2057, points 20 et 21).

35      S’agissant de la justification, tirée de la nécessité de prévenir les pratiques abusives, il convient de constater qu’une mesure nationale restreignant la libre prestation des services peut être justifiée lorsqu’elle vise spécifiquement les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont la seule fin est l’obtention d’un avantage fiscal (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, Rec. p. I-7995, points 51 et 55, et du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, C-524/04, Rec. p. I-2107, point 74).

36      En l’occurrence, il ne saurait être soutenu que la circonstance qu’une entreprise pouvant prétendre à la prime à l’investissement mette, à titre onéreux, des biens à la disposition d’une entreprise qui les emploie principalement dans d’autres États membres constitue, en tant que telle, un abus.

37      Une telle mise à disposition ne saurait non plus fonder une présomption générale de l’existence d’une pratique abusive et justifier une mesure portant atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêts Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, précité, point 73, ainsi que du 17 janvier 2008, Lammers & Van Cleef, C-105/07, non encore publié au Recueil, point 27).

38      Dans ce contexte, il convient de souligner que la réglementation en cause au principal affecte tout donneur en location pouvant prétendre à la prime à l’investissement, qui met, à titre onéreux, des biens à la disposition des entreprises exerçant des activités transfrontalières, et ceci nonobstant l’absence d’éléments objectifs susceptibles de démontrer l’existence d’un tel montage. En outre, il n’apparaît pas que cette réglementation permette aux donneurs en location de rapporter la preuve de l’absence de toute pratique abusive.

39      Dès lors, force est de constater que la réglementation en cause au principal ne permet pas de limiter le refus du bénéfice de la prime à l’investissement aux seuls montages purement artificiels. Par ailleurs, il n’a pas été soutenu devant la Cour qu’il existerait, dans les circonstances de l’affaire au principal, un tel montage.

40      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que cette réglementation ne saurait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

41      En conséquence, il convient de répondre à la question posée que l’article 49 CE s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le bénéfice d’une prime à l’investissement est refusé aux entreprises qui se procurent des biens corporels, au seul motif que les biens au titre desquels cette prime est revendiquée et qui sont mis à disposition à titre onéreux sont employés principalement dans d’autres États membres.

42      Les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services s’opposant ainsi à une réglementation telle que celle en cause au principal, il n’est pas nécessaire d’examiner l’hypothèse selon laquelle les dispositions du traité concernant la liberté d’établissement pourraient également s’y opposer.

 Sur les dépens

43      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 49 CE s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le bénéfice d’une prime à l’investissement est refusé aux entreprises qui se procurent des biens corporels, au seul motif que les biens au titre desquels cette prime est revendiquée et qui sont mis à disposition à titre onéreux sont employés principalement dans d’autres États membres.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.