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Affaire C-397/07

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d'Espagne

«Manquement d'État — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux — Sociétés de capitaux — Directive 69/335/CEE — Articles 2, paragraphes 1 et 3, 4, paragraphe 1, et 7 — Droit d'apport — Exonération — Conditions — Transfert du siège de direction effective ou du siège statutaire d'un État membre dans un autre État membre — Droit d'apport sur le capital affecté aux activités commerciales exercées dans un État membre par des succursales ou des établissements permanents de sociétés établies dans un autre État membre»

Sommaire de l'arrêt

1.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux — Droit d'apport perçu sur les sociétés de capitaux — Opérations exonérées

(Directive du Conseil 69/335, art. 7, § 1, b))

2.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux — Droit d'apport perçu sur les sociétés de capitaux

(Directive du Conseil 69/335, art. 4, § 1, g) et h))

3.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux — Droit d'apport perçu sur les sociétés de capitaux

(Directive du Conseil 69/335, art. 2, § 1)

1.        Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/335, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303, un État membre qui subordonne l’exonération du droit d’apport des opérations visées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 69/335 au respect de certaines conditions, telles que l'obligation, pour la société concernée, d'opter pour un régime spécial d’exonération et d'en informer les autorités fiscales.

En effet, l’exonération du droit d'apport pour les opérations relevant de ladite disposition est obligatoire et inconditionnelle, et constitue pour les sociétés intéressées un droit dont l’exercice doit être assuré au niveau national de manière simple et dépourvue d’ambiguïté.

(cf. point 27 et disp.)

2.        Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/335, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303, un État membre qui soumet au droit d’apport le transfert, d’un autre État membre sur son territoire, du siège de direction effective ou du siège statutaire des sociétés de capitaux qui n’ont pas été soumises à un droit analogue dans leur État membre d’origine.

En effet, le critère d’«imposition» ou d’«assujettissement» dans l’État membre d’origine ne correspond pas au critère de la «société de capitaux» établi à l’article 4, paragraphe 1, sous g) et h), de la directive 69/335 et permet ainsi une imposition au titre du droit d’apport dans des cas où cette directive ne le prévoit pas.

(cf. point 37 et disp.)

3.        Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/335, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303, un État membre qui soumet au droit d’apport le capital affecté aux activités commerciales exercées sur son territoire par les succursales ou les établissements permanents de sociétés établies dans un autre État membre n’appliquant pas un droit similaire.

En effet, l’imposition dans un État membre de telles opérations commerciales de sociétés de capitaux qui ont leur siège de direction effective dans d’autres États membres est contraire à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 69/335, qui dispose que les opérations soumises au droit d’apport sont uniquement taxables dans l’État membre sur le territoire duquel se trouve le siège de direction effective de la société de capitaux au moment où interviennent ces opérations.

(cf. point 45 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 juillet 2009 (*)

«Manquement d’État – Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux – Sociétés de capitaux – Directive 69/335/CEE – Articles 2, paragraphes 1 et 3, 4, paragraphe 1, et 7 – Droit d’apport – Exonération – Conditions – Transfert du siège de direction effective ou du siège statutaire d’un État membre dans un autre État membre – Droit d’apport sur le capital affecté aux activités commerciales exercées dans un État membre par des succursales ou des établissements permanents de sociétés établies dans un autre État membre»

Dans l’affaire C-397/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 27 août 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. E. Gippini Fournier et Mme M. Afonso, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par Mme B. Plaza Cruz et M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenu par:

République hellénique,

partie intervenante,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, MM. T. von Danwitz, E. Juhász (rapporteur), G. Arestis et J. Malenovský, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 janvier 2009,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mars 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

–        en soumettant à certaines conditions l’application des exonérations obligatoires du droit d’apport;

–        en frappant d’un droit d’apport le transfert en Espagne du siège de direction effective ou du siège statutaire des sociétés qui n’ont pas été soumises, dans leur État membre d’origine, à un droit analogue à celui appliqué en Espagne, et

–        en soumettant au droit d’apport le capital affecté aux activités commerciales exercées sur le territoire espagnol par les succursales ou les établissements permanents de sociétés établies dans un État membre qui n’applique pas un droit analogue à celui appliqué en Espagne,

le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée par les directives 73/79/CEE du Conseil, du 9 avril 1973 (JO L 103, p. 13), et 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23, ci-après la «directive 69/335»).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2        Conformément à son premier considérant, la directive 69/335 a pour objectif de promouvoir la libre circulation des capitaux en vue de la création d’une union économique ayant des caractéristiques analogues à celles d’un marché intérieur. Dans ce but, ainsi qu’il ressort de ses sixième à huitième considérants, cette directive vise à harmoniser le droit auquel sont soumis les apports à des sociétés dans la Communauté européenne, par l’instauration d’un droit unique sur les rassemblements de capitaux ne pouvant être appliqué qu’une seule fois au sein du marché commun et par la suppression de tous les autres impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que ce droit d’apport unique.

3        Ainsi, aux termes de l’article 1er de la directive 69/335, «[l]es États membres perçoivent un droit sur les apports à des sociétés de capitaux, harmonisé».

4        L’article 2 de la directive 69/335 procède à une répartition, dans ce domaine, des compétences fiscales entre les États membres. Il prévoit:

«1.      Les opérations soumises au droit d’apport sont uniquement taxables dans l’État membre sur le territoire duquel se trouve le siège de direction effective de la société de capitaux au moment où interviennent ces opérations.

[…]

3.      Lorsque le siège statutaire et le siège de direction effective d’une société de capitaux se trouvent dans un pays tiers, la mise à la disposition, d’une succursale située dans un État membre, de capitaux investis ou de capitaux d’exploitation, peut être imposée dans l’État membre sur le territoire duquel la succursale est située.»

5        À l’article 4, paragraphe 1, de la directive 69/335, sont énumérées les opérations qui doivent être soumises au droit d’apport, telles que, notamment, la constitution d’une société de capitaux et l’augmentation du capital social de celle-ci. Ladite disposition prévoit également comme opérations soumises au droit d’apport:

«g)      le transfert d’un État membre dans un autre État membre du siège de direction effective d’une société, association ou personne morale qui est considérée, pour la perception du droit d’apport, comme société de capitaux dans ce dernier État membre, alors qu’elle ne l’est pas dans l’autre État membre;

h)      le transfert d’un État membre dans un autre État membre du siège statutaire d’une société, association ou personne morale dont le siège de direction effective se trouve dans un pays tiers et qui est considérée, pour la perception du droit d’apport, comme société de capitaux dans ce dernier État membre, alors qu’elle ne l’est pas dans l’autre État membre.»

6        L’article 7 de la directive 69/335 se réfère au taux du droit d’apport. Dans sa version initiale, cet article disposait:

«1.      Jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions à arrêter par le Conseil conformément au paragraphe 2:

a)      le taux du droit d’apport ne peut dépasser 2 % ni être inférieur à 1 %;

b)      ce taux est réduit de 50 % ou plus lorsqu’une ou plusieurs sociétés de capitaux apportent la totalité de leur patrimoine, ou une ou plusieurs branches de leur activité, à une ou plusieurs sociétés de capitaux en voie de création ou préexistantes.

[…]»

7        Cette dernière réduction du taux du droit d’apport, qui est subordonnée à certaines conditions, est prévue pour des opérations communément appelées de «restructuration de sociétés de capitaux».

8        La directive 73/80/CEE du Conseil, du 9 avril 1973, concernant la fixation des taux communs du droit d’apport (JO L 103, p. 15), a réduit, avec effet au 1er janvier 1976, le taux du droit d’apport visé à cette version initiale de l’article 7, paragraphe 1, sous b), pour les opérations de restructuration de sociétés de capitaux, en le fixant de 0 % à 0,50 %.

9        Par la directive 73/79, à la disposition susvisée de l’article 7, paragraphe 1, a été ajouté un point b) bis, suivant lequel les États membres ont la faculté d’étendre l’application du taux réduit du droit d’apport à des opérations assimilables aux opérations de restructuration susmentionnées, à savoir «lorsqu’une société de capitaux en voie de création ou préexistante obtient des parts représentant au moins 75 % du capital social antérieurement émis d’une autre société de capitaux».

10      En effet, conformément au deuxième considérant de la directive 73/79, dans un tel cas, une société obtient une quotité de parts d’une autre société telle qu’elle dispose en général d’un pouvoir de décision complet dans cette dernière société.

11      La directive 85/303, en énonçant à son quatrième considérant «qu’il convient d’exonérer obligatoirement les opérations actuellement assujetties au taux réduit du droit d’apport», a modifié comme suit l’article 7 de la directive 69/335:

«1.      Les États membres exonèrent du droit d’apport les opérations […] qui étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % à la date du ler juillet 1984.

[…]

2.      Les États membres peuvent, soit exonérer du droit d’apport toutes les opérations autres que celles visées au paragraphe 1, soit les soumettre à un taux unique ne dépassant pas 1 %.

[…]»

 La réglementation nationale

 Le traitement des opérations de restructuration de sociétés de capitaux

12      L’article 1er, paragraphe 1, point 2, du texte codifié de la loi relative à l’impôt sur les transmissions patrimoniales et les actes juridiques instrumentaires (Ley del Impuesto sobre Transmisiones Patrimoniales y Actos Jurídicos Documentados), approuvé par le décret-loi royal n° 1/1993, du 24 septembre 1993 (BOE du 20 octobre 1993, ci-après la «loi fiscale»), grève d’un impôt indirect certaines opérations sur les sociétés commerciales. Conformément à l’article 19, paragraphe 1, point 1, de la loi fiscale, les opérations soumises à l’impôt sont la constitution, l’augmentation et la réduction de capital ainsi que la fusion, la scission et la dissolution de sociétés.

13      En ce qui concerne les opérations exonérées d’impôt, l’article 45, partie I, sous B), point 10, de la loi fiscale, en combinaison avec les dispositions de l’article 21 de celle-ci et avec la deuxième disposition additionnelle de la version consolidée de la loi relative à l’impôt sur les sociétés (Disposición Adicional Segunda del texto Refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades), approuvée par le décret-loi royal n° 4/2004, du 5 mars 2004 (BOE du 11 mars 2004, ci-après la «loi sur l’imposition des sociétés»), dispose que sont exonérées les opérations de fusion, de scission, d’apport d’actifs et d’échange de titres définies comme telles au chapitre VIII, titre VII, de la loi sur l’imposition des sociétés, qui établit à cet égard un régime spécial, sous réserve que ce régime soit applicable à l’opération en question.

14      L’article 96 de la loi sur l’imposition des sociétés, sous l’intitulé «Application du régime fiscal», fixe les conditions d’application dudit régime spécial. Il dispose:

«1.      L’application du régime instauré dans le présent chapitre est subordonnée à une option en sa faveur, cette option de régime fiscal se faisant conformément aux règles suivantes:

a)      En cas d’opérations de fusion ou de scission, cette option fiscale devra être incluse dans le projet et dans les traités de fusion ou de scission des parties à ces opérations ayant leur résidence fiscale en Espagne.

[…]

b)      S’agissant des apports en nature, l’option fiscale est exercée par la partie acquérante et apparaît sur la résolution sociale correspondante ou, à défaut, sur l’acte authentique constatant l’opération ou le contrat en cause.

[…]

c)      En cas d’opérations d’échange de titres, l’option est exercée par la partie acquérante et apparaît sur la résolution sociale correspondante ou, à défaut, sur l’acte authentique constatant l’opération ou le contrat en cause. En cas d’offre publique d’achat d’actions, l’option est exercée par l’organe social compétent pour réaliser l’opération et apparaît dans la note d’information.

[…]

Dans tous les cas, l’exercice de l’option fiscale doit être communiqué au ministère des Finances sous la forme et dans les délais prévus par la réglementation en vigueur.

2.      Le régime établi dans le présent chapitre ne s’applique pas lorsque l’opération réalisée a pour objectif principal une fraude ou une évasion fiscales. En particulier, ce régime ne s’applique pas lorsque l’opération est effectuée non pas pour des motifs économiques valables tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des entités participant à l’opération, mais à la seule fin d’obtenir un avantage fiscal.

[…]»

 Le transfert du siège de direction effective ou du siège statutaire d’une société de capitaux

15      Conformément aux dispositions de l’article 19, paragraphe 3, de la loi fiscale, constitue un fait générateur de l’impôt:

«le transfert en Espagne du siège de direction effective ou du siège statutaire d’une société, lorsque ni l’un ni l’autre n’étaient préalablement situés dans un État membre [...], ou lorsque, dans ceux-ci, l’entité n’était pas soumise à un impôt similaire à celui prévu au présent titre».

 L’imposition en cas de succursales ou d’établissements permanents d’une société de capitaux établie dans un autre État membre

16      Aux termes de l’article 20 de la loi fiscale:

«Les entités qui réalisent, par l’intermédiaire de succursales ou d’établissements permanents, des opérations commerciales sur le territoire espagnol et dont le siège statutaire ainsi que le siège de leur direction effective se trouvent dans des pays n’appartenant pas à la Communauté [...] ou qui, situées dans de tels pays, ne sont pas soumises à une imposition analogue à celle qui fait l’objet du présent titre, sont imposées de la même façon et dans les mêmes conditions que les entités espagnoles pour la part de capital qui est affectée auxdites opérations.»

 La procédure précontentieuse

17      Ayant des doutes sur la question de savoir si les dispositions susvisées de la réglementation espagnole étaient conformes aux exigences de la directive 69/335, la Commission a, le 19 décembre 2003, adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure et, le 18 octobre 2004, une lettre de mise en demeure complémentaire. Les autorités espagnoles ont répondu, respectivement, par lettres des 3 février et 24 novembre 2004. Ces réponses ayant confirmé les doutes initiaux de la Commission, celle-ci a adressé, le 13 juillet 2005, au Royaume d’Espagne un avis motivé. À la suite de la réponse des autorités espagnoles, du 18 juillet 2006, audit avis motivé, les griefs de la Commission se sont concrétisés et circonscrits dans le présent recours.

 Sur le recours

 Sur le premier grief

18      Ce premier grief porte sur les conditions prévues à l’article 96 de la loi sur l’imposition des sociétés, qui doivent être remplies afin que les sociétés intéressées puissent bénéficier du régime spécial d’exonération d’impôt établi au chapitre VIII, titre VII, de la même loi. La Commission soutient que ces conditions sont illicites concernant les opérations qui sont obligatoirement exonérées du droit d’apport en vertu de la directive 69/335.

19      Malgré la formulation générale de ce grief, il ressort de la motivation de la requête que celui-ci vise les opérations relevant de l’article 7, paragraphe 1, sous b), et celles relevant de l’article 7, paragraphe 1, sous b) bis, de la directive 69/335, dans sa version résultant des directives 73/79 et 73/80, avant la modification apportée par la directive 85/303. Le contenu des dispositions susvisées, eu égard à la référence opérée par l’article 7, paragraphe 1, tel que modifié par cette dernière directive, à la situation existante à la date du 1er juillet 1984, reste pertinent même après l’entrée en vigueur de cette directive.

20      Il convient de rappeler à titre liminaire à cet égard que, par l’arrêt du 21 juin 2007, Optimus – Telecomunicações (C-366/05, Rec. p. I-4985, points 25 à 33), la Cour a jugé que, en ce qui concerne un État, tel que, en l’occurrence, le Royaume d’Espagne, qui est devenu membre de la Communauté avec effet au 1er janvier 1986, la date du 1er juillet 1984, qui est prise comme date de référence aux fins de l’exonération obligatoire prévue à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 69/335, dans sa version résultant de la directive 85/303, vaut également pour cet État. Lors de l’audience devant la Cour, le représentant du Royaume d’Espagne s’est référé à un texte législatif concernant les opérations sur les sociétés de capitaux qui seraient taxées dans cet État membre à la date du 1er juillet 1984. Les parties ayant été invitées par le président de la formation de jugement à prendre position sur cette communication qui pourrait constituer un élément nouveau, celles-ci ont accepté que la Cour tranche cette affaire sur la base des mémoires écrits déposés devant elle.

21      Pour ce qui est des opérations relevant dudit article 7, paragraphe 1, sous b), le taux du droit d’apport avait été réduit de manière contraignante, avec effet au 1er janvier 1976, par la directive 73/80 et fixé de 0 % à 0,50 %. Dès lors, à la suite de la modification apportée à l’article 7, paragraphe 1, par la directive 85/303, les opérations en question étaient, à compter du 1er janvier 1986, obligatoirement exonérées du droit d’apport. Les griefs de la Commission portent donc sur ces opérations.

22      Pour ce qui est, en revanche, des opérations relevant dudit article 7, paragraphe 1, sous b) bis, pour lesquelles une réduction du taux du droit d’apport était, lors de l’introduction de cette disposition par la directive 73/79, simplement facultative, celles-ci ne devaient être obligatoirement exonérées du droit d’apport, en vertu de la directive 85/303, que si elles étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % au 1er juillet 1984, date de référence également applicable pour le Royaume d’Espagne, conformément à l’arrêt Optimus – Telecomunicações, précité. À cette date, les opérations en question n’étaient pas uniformément et obligatoirement soumises à un taux de droit d’apport entraînant leur exonération obligatoire en vertu de la directive 85/303.

23      Or, la Commission n’a apporté en l’occurrence aucun élément propre à établir que les opérations relevant de l’article 7, paragraphe 1, sous b) bis, de la directive 69/335 étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % au 1er juillet 1984 en Espagne, de sorte que ces opérations ne peuvent pas être considérées comme obligatoirement exonérées du droit d’apport en vertu de la directive 69/335. Il convient par conséquent de rejeter le premier grief en ce qu’il a trait audit article 7, paragraphe 1, sous b) bis, de ladite directive et de poursuivre l’examen de ce grief en ce qui concerne les opérations visées à son article 7, paragraphe 1, sous b).

24      La Commission reproche concrètement à cet égard que, conformément à la réglementation espagnole, la société intéressée, afin de pouvoir être exonérée, pour les opérations en question, de l’impôt prévu à l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la loi fiscale, doit formellement opter pour le régime spécial d’exonération instauré au chapitre VIII, titre VII, de la loi sur l’imposition des sociétés, alors que la directive 69/335, à la suite de la modification apportée par la directive 85/303, prévoit une exonération obligatoire desdites opérations, sans que celle-ci soit subordonnée au respect de conditions, telles que l’option pour un régime spécial d’exonération. En outre, la société intéressée doit informer de cette option le ministère des Finances, ce qui constituerait un obstacle supplémentaire à l’application de l’exonération.

25      Le Royaume d’Espagne, tout en ne contestant pas que ces opérations entrent dans la catégorie des opérations qui doivent être obligatoirement exonérées, fait valoir, en substance, que l’option en faveur du régime spécial d’exonération n’impose aucune charge matérielle à la société intéressée et constitue une condition minimale, de caractère purement formel. La seule condition matérielle à laquelle serait subordonnée l’application dudit régime serait que l’opération en cause n’ait pas principalement comme objectif une fraude ou une évasion fiscales. L’obligation de communication de l’opération aux autorités fiscales servirait justement à la vérification de l’existence de motifs économiques valables de nature à justifier l’opération en cause.

26      Cette dernière argumentation ne saurait être accueillie.

27      Il convient de souligner, en effet, que la directive 69/335, dans le but de promouvoir la libre circulation des capitaux par l’harmonisation et, dans la mesure du possible, par la suppression graduelle du droit d’apport, a prévu l’exonération de celui-ci pour les opérations relevant de son article 7, paragraphe 1, sous b). Cette exonération est obligatoire et inconditionnelle, et constitue pour les sociétés intéressées un droit dont l’exercice doit être assuré au niveau national de manière simple et dépourvue d’ambiguïté.

28      Or, encadrer ce droit dans un régime spécial national et subordonner son exercice à une option formelle en faveur de ce régime est susceptible de créer, auprès des sociétés intéressées, un doute ou une ambiguïté quant à l’origine dudit droit et quant aux conditions de son exercice et ne saurait, de ce seul fait, être considéré comme conforme au système établi par la directive 69/335. En outre, l’obligation d’opter en faveur dudit régime spécial ne constitue pas une simple formalité, dans la mesure où cette option doit être communiquée aux autorités fiscales sous la forme et dans les délais prescrits par la réglementation nationale. Cette double obligation d’option et d’information en tant que condition de l’exercice d’un droit inconditionnellement accordé par la directive 69/335 constitue un obstacle contraire à celle-ci.

29      Le régime spécial litigieux ne saurait être justifié par l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, pour autant que la directive 69/335 harmonise de manière exhaustive les cas dans lesquels les États membres peuvent imposer un droit d’apport et que cette directive ne contient aucune disposition explicite autorisant les États membres à prendre des mesures générales pour lutter contre l’évasion fiscale, les États membres ne peuvent s’opposer à l’application du droit communautaire que dans des circonstances particulières, constitutives d’une pratique abusive ou frauduleuse (arrêt du 7 juin 2007, Commission/Grèce, C-178/05, Rec. p. I-4185, point 32).

30      Par conséquent, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, de telles mesures ne peuvent être fondées sur une suspicion générale de fraude. Elles ne peuvent être adoptées qu’au cas par cas, pour faire échec à des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique et réalisés dans le but d’éluder l’impôt normalement dû (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2007, ING. AUER, C-251/06, Rec. p. I-9689, point 44). Il est entendu que, dans de tels cas, les autorités nationales compétentes portent la charge de la preuve du caractère frauduleux ou artificiel de l’opération en cause.

31      Le Royaume d’Espagne n’ayant pas apporté la preuve que sa réglementation vise uniquement des montages purement artificiels au sens susindiqué, il convient de constater que le premier grief invoqué par la Commission est fondé en ce qui concerne les opérations relevant de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 69/335.

 Sur le deuxième grief

32      Ce deuxième grief est tiré de l’article 19, paragraphe 3, de la loi fiscale, qui dispose que constitue un fait générateur du droit d’apport le transfert en Espagne du siège de direction effective ou du siège statutaire d’une société de capitaux, qui était situé préalablement dans un État membre ne percevant pas un droit d’apport analogue à celui prévu par la réglementation espagnole. La Commission soutient que l’article 4 de la directive 69/335, qui comporte une liste exhaustive des opérations soumises au droit d’apport, ne prévoit pas comme fait générateur de ce droit une opération telle que celle prévue à cette disposition de la loi fiscale et s’oppose, par conséquent, à celle-ci.

33      Le Royaume d’Espagne rétorque que ladite disposition vise à ne pas permettre que les dispositions de la directive 69/335 soient utilisées dans le but d’éluder l’application du régime fiscal espagnol et est donc justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Telle serait la situation dans le cas de sociétés de capitaux qui, ayant dès l’origine vocation à exercer leur activité en Espagne, se constituent pour autant dans un État membre où cette constitution n’est pas soumise à un droit d’apport analogue à celui applicable en Espagne.

34      L’argumentation de la défenderesse ne saurait être suivie.

35      Il convient en effet de relever, en premier lieu, à cet égard, que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous g) et h), de la directive 69/335, sont soumis au droit d’apport les transferts, d’un État membre dans un autre État membre, du siège, effectif ou statutaire, des sociétés qui sont considérées, pour la perception du droit d’apport, comme des sociétés de capitaux dans ce dernier État membre, alors qu’elles ne le sont pas dans le premier État membre. Par conséquent, le seul critère auquel cette disposition subordonne l’application du droit d’apport en cas d’un tel transfert est celui de savoir si l’entité en cause constitue une «société de capitaux» dans l’État membre d’origine. Un tel transfert ne saurait ainsi être soumis au droit d’apport lorsque l’entité en cause est considérée comme une «société de capitaux» dans l’État membre d’origine et dans celui d’accueil (voir, en ce sens, arrêt Commission/Grèce, précité, points 26, 27 et 29).

36      Il y a encore lieu de souligner dans ce contexte que, comme le fait observer Mme l’avocat général au point 62 de ses conclusions, la question de savoir quelles sont les entités qui doivent être considérées comme des «sociétés de capitaux» aux fins de l’application du droit d’apport est réglementée de manière uniforme et contraignante pour les États membres à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 69/335.

37      Or, l’article 19, paragraphe 3, de la loi fiscale subordonne l’application du droit d’apport en Espagne, en cas de transfert dans cet État membre du siège de direction effective ou du siège statutaire d’une société de capitaux, au critère de savoir si cette société n’était pas soumise à un droit analogue dans l’État membre d’origine. Ce critère d’«imposition» ou d’«assujettissement» dans l’État membre d’origine ne correspond pas au critère susvisé, établi à l’article 4, paragraphe 1, sous g) et h), de la directive 69/335, et permet ainsi une imposition au titre du droit d’apport dans des cas où cette directive ne le prévoit pas. Dès lors que ladite directive harmonise de manière exhaustive le domaine d’imposition par les États membres en cas de transfert du siège statutaire ou du siège de direction effective, cette disposition de la loi fiscale est incompatible avec les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, sous g) et h), de la directive 69/335.

38      Ladite disposition contrevient par ailleurs au système général établi par la directive 69/335. En effet, le fait que certains États membres, faisant usage de la faculté accordée par cette directive, ont renoncé à la perception du droit d’apport n’implique pas que, lors du transfert du siège de direction effective ou du siège statutaire d’une société de capitaux d’un État membre dans un autre État membre, ce dernier puisse automatiquement appliquer un tel droit (voir, en ce sens, arrêt ING. AUER, précité, points 34 et 35).

39      En second lieu, il convient de constater que l’article 19, paragraphe 3, de la loi fiscale est fondé sur une présomption générale de fraude du fait que cette disposition comporte des mesures appliquées automatiquement et indistinctement. Or, pour les raisons exposées aux points 29 et 30 du présent arrêt et conformément à la jurisprudence constante de la Cour citée à ces points, ladite disposition ne peut être justifiée par l’objectif de combattre la fraude et l’évasion fiscales. Il y a lieu de souligner plus particulièrement, à cet égard, que l’exercice d’un droit créé par le droit communautaire, tel que l’établissement d’une société dans un autre État membre ou le transfert du siège de celle-ci, ne saurait, à lui seul, justifier un soupçon d’abus (arrêt Commission/Grèce, précité, point 32).

40      Le deuxième grief doit, dès lors, être considéré comme fondé.

 Sur le troisième grief

41      Dans le cadre de ce grief, la Commission fait valoir que l’article 20 de la loi fiscale entraîne l’application du droit d’apport, pour la part du capital social qui est affectée aux activités commerciales exercées sur le territoire espagnol, à toute succursale et à tout établissement permanent d’une société de capitaux dont le siège statutaire et le siège de direction effective sont situés dans un autre État membre qui ne perçoit pas un droit analogue à celui exigé en Espagne. La Commission soutient qu’une telle imposition est contraire à la règle de répartition des compétences fiscales entre les États membres, établie à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 69/335.

42      Conformément à l’article 20 de la loi fiscale, les entités qui réalisent, par l’intermédiaire de succursales ou d’établissements permanents, des opérations commerciales sur le territoire espagnol et dont le siège statutaire ainsi que le siège de leur direction effective se trouvent dans des États membres qui ne les soumettent pas à une imposition analogue à celle appliquée en Espagne, sont imposées de la même façon et dans les mêmes conditions que les entités espagnoles pour la part de capital qui est affectée auxdites opérations.

43      Il ressort de la formulation de cette disposition, laquelle se réfère aux «entités» réalisant des opérations commerciales en Espagne par l’intermédiaire de succursales ou d’établissements permanents, que la réglementation espagnole prévoit l’imposition de sociétés de capitaux qui ont leur siège de direction effective dans d’autres États membres et auxquelles appartiennent des succursales ou des établissements permanents situés sur le territoire espagnol, pour la part de capital qui est affectée aux opérations exercées par les succursales ou les établissements permanents en question sur le territoire espagnol.

44      Le Royaume d’Espagne ne conteste pas que cette imposition est considérée dans cet État membre comme un droit d’apport sur les opérations en cause. En effet, la partie défenderesse fait uniquement valoir, pour sa défense, que la disposition en cause est justifiée par l’objectif d’éviter des actes d’évasion fiscale, consistant à constituer une société dans un État membre ne prévoyant pas un impôt similaire à l’impôt espagnol, puis à créer immédiatement après en Espagne un établissement permanent ou une succursale à partir desquels cette société effectue des opérations commerciales en Espagne.

45      Or, l’imposition de telles opérations de sociétés de capitaux qui ont leur siège de direction effective dans d’autres États membres est contraire à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 69/335, qui dispose que les opérations soumises au droit d’apport sont uniquement taxables dans l’État membre sur le territoire duquel se trouve le siège de direction effective de la société de capitaux au moment où interviennent ces opérations.

46      Cette imposition, constituant une mesure généralement et indistinctement applicable, ne saurait être justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour les raisons exposées aux points 29 et 30 du présent arrêt.

47      Dès lors, le troisième grief invoqué par la Commission est fondé.

48      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que le Royaume d’Espagne:

–        en subordonnant aux conditions prévues à l’article 96 de la loi sur l’imposition des sociétés l’exonération du droit d’apport des opérations visées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 69/335;

–        en soumettant au droit d’apport le transfert, d’un État membre en Espagne, du siège de direction effective ou du siège statutaire des sociétés de capitaux qui n’ont pas été soumises à un droit analogue dans leur État membre d’origine, et

–        en soumettant au droit d’apport le capital affecté aux activités commerciales exercées sur le territoire espagnol par les succursales ou les établissements permanents de sociétés établies dans un État membre qui n’applique pas un droit similaire,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/335.

49      Le recours est rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

50      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et ce dernier ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      Le Royaume d’Espagne:

–        en subordonnant aux conditions prévues à l’article 96 de la deuxième disposition additionnelle de la version consolidée de la loi relative à l’impôt sur les sociétés (Disposición Adicional Segunda del texto Refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades), approuvée par le décret-loi royal n° 4/2004, du 5 mars 2004, l’exonération du droit d’apport des opérations visées à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par les directives 73/79/CEE du Conseil, du 9 avril 1973, 73/80/CEE du Conseil, du 9 avril 1973, et 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985;

–        en soumettant au droit d’apport le transfert, d’un État membre en Espagne, du siège de direction effective ou du siège statutaire des sociétés de capitaux qui n’ont pas été soumises à un droit analogue dans leur État membre d’origine, et

–        en soumettant au droit d’apport le capital affecté aux activités commerciales exercées sur le territoire espagnol par les succursales ou les établissements permanents de sociétés établies dans un État membre qui n’applique pas un droit similaire,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 69/335, telle que modifiée par les directives 73/79, 73/80 et 85/303.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.