Affaire C-521/07
Commission des Communautés européennes
contre
Royaume des Pays-Bas
«Manquement d'État — Accord sur l'Espace économique européen — Article 40 — Libre circulation des capitaux — Discrimination de traitement des dividendes payés par des sociétés néerlandaises — Retenue à la source — Exonération — Sociétés bénéficiaires établies dans les États membres de la Communauté — Sociétés bénéficiaires établies en Islande ou en Norvège»
Sommaire de l'arrêt
Accords internationaux — Accord créant l’Espace Économique Européen — Libre circulation des capitaux — Restrictions — Législation fiscale — Impôt sur les sociétés — Imposition des dividendes
(Accord EEE, art. 40)
Manque aux obligations lui incombant en vertu de l'article 40 de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), un État membre qui n'exonère pas les dividendes payés par des sociétés résidentes aux sociétés établies dans les États de l'EEE de la retenue à la source de l'impôt sur les dividendes dans les mêmes conditions que les dividendes payés aux sociétés résidentes ou à celles établies dans d'autres États membres de la Communauté européenne, en exigeant que, pour pouvoir bénéficier de l'exonération, les sociétés établies dans les deux États de l'EEE en cause détiennent au moins, respectivement, 10 % ou 25 % des parts de la société distributrice résidente et les sociétés ayant leur siège dans l'État membre concerné ou dans un autre État membre, au moins 5% du capital nominal libéré de la société distributrice résidente.
En effet, une telle différence de traitement en ce qui concerne le mode d'imposition des dividendes versés aux sociétés bénéficiaires établies dans les deux États de l'EEE en cause par rapport à ceux versés aux sociétés bénéficiaires établies dans les États membres de la Communauté est susceptible de dissuader les sociétés établies dans les deux premiers États de procéder à des investissements dans l'État membre concerné. Elle rend, en outre, plus difficile, pour une société résidente, d'attirer des capitaux des deux États de l'EEE en cause que de l'État membre concerné ou d'un autre État membre de la Communauté. Elle constitue, par conséquent, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l'article 40 de l'accord EEE.
L'argument tiré de la différence entre les situations dans lesquelles se trouvent, d'une part, les sociétés ayant leur siège dans les États membres de la Communauté et, d'autre part, les sociétés établies dans les deux États de l'EEE en cause, ne saurait justifier l'exigence d'un niveau de participation dans le capital des sociétés résidentes distributrices de dividendes plus élevé pour les secondes afin qu'elles puissent bénéficier, comme les premières, d'une exonération de la retenue à la source de l'impôt sur les dividendes qu'elles perçoivent de ces sociétés résidentes. À cet égard, si une différence dans le régime juridique des obligations des États de l'EEE en cause dans le domaine fiscal par rapport à celles des États membres serait de nature à justifier qu'un État subordonne le bénéfice de l'exonération de retenue à la source de l'impôt sur les dividendes pour les sociétés établies dans les deux États de l'EEE en cause à la preuve qu'elles remplissent bien les conditions prévues par sa législation nationale, elle ne permet pas de justifier que cette législation subordonne le bénéfice de cette exonération à la détention d'une participation plus importante dans le capital de la société distributrice. En effet, une telle exigence est sans rapport avec les conditions imposées par ailleurs à l'ensemble des sociétés pour avoir droit à ladite exonération, à savoir qu'elles revêtent une certaine forme sociale, qu'elles soient soumises à l'impôt sur les bénéfices et qu'elles soient le bénéficiaire final des dividendes versés, conditions dont l'administration fiscale nationale doit, en effet, pouvoir vérifier la réalisation.
(cf. points 37, 39, 47-48, 50, 52 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
11 juin 2009 (*)
«Manquement d’État – Accord sur l’Espace économique européen – Article 40 – Libre circulation des capitaux – Discrimination de traitement des dividendes payés par des sociétés néerlandaises – Retenue à la source – Exonération – Sociétés bénéficiaires établies dans les États membres de la Communauté – Sociétés bénéficiaires établies en Islande ou en Norvège»
Dans l’affaire C-521/07,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 23 novembre 2007,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. van Nuffel et R. Lyal, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme C. M. Wissels et M. D. J. M. de Grave, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.-C. Bonichot (rapporteur), K. Schiemann, L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’exonérant pas les dividendes payés aux sociétés établies en Islande ou en Norvège de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes dans les mêmes conditions que les dividendes payés aux sociétés néerlandaises, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»).
Le cadre juridique
L’accord EEE et le droit communautaire
2 Aux termes de l’article 40 de l’accord EEE:
«Dans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de la [Communauté européenne] ou dans les États de l’[Association européenne de libre-échange (AELE)], ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont […] interdites. Les dispositions nécessaires à l’application du présent article figurent à l’annexe XII.»
3 Ladite annexe XII, intitulée «Libre circulation des capitaux», fait référence à la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité (JO L 178, p. 5).
4 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive dispose:
«Les États membres suppriment les restrictions aux mouvements de capitaux intervenant entre les personnes résidant dans les États membres, sans préjudice des dispositions figurant ci-après. [...]»
5 Aux termes de l’article 4 de la même directive:
«Les dispositions de la présente directive ne préjugent pas le droit des États membres de prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale [...]
L’application de ces mesures et procédures ne peut avoir pour effet d’empêcher les mouvements de capitaux effectués en conformité avec les dispositions du droit communautaire.»
La réglementation nationale
6 L’article 1er, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur les dividendes (Wet op de dividendbelasting), du 23 décembre 1965 (ci-après la «Wet DB»), dispose:
«Sous la dénomination d’‘impôt sur les dividendes’ est perçu un impôt direct dans le chef de ceux qui – directement ou au moyen de certificats – bénéficient de revenus d’actions dans, de bons de jouissance de et de prêts, tels que visés à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la loi relative à l’impôt des sociétés de 1969 [Wet op de vennootschapsbelasting 1969, ci-après la «Wet Vpb»], à des sociétés anonymes, des sociétés privées à responsabilité limitée, des sociétés en commandite et d’autres sociétés établies aux Pays-Bas dont le capital est divisé totalement ou partiellement en actions.»
7 Aux termes de l’article 4 de la Wet DB:
«1. L’impôt sur les revenus d’actions, de bons de jouissance et de prêts, tels que visés à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la [Wet Vpb], peut ne pas être retenu si:
a. l’exonération de participation prévue à l’article 13 de la [Wet Vpb] ou la compensation de participation prévue à l’article 13aa de ladite loi s’applique aux avantages que le bénéficiaire des revenus tire de ces actions, bons de jouissance et prêts, et que la participation fait partie du patrimoine de son entreprise exploitée aux Pays-Bas;
[...]
2. L’impôt n’est pas retenu sur les revenus d’actions, de bons de jouissance et de prêts, tels que visés à l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la [Wet Vpb], si le bénéficiaire des revenus est une entité établie dans un autre État membre de l’Union européenne et qu’il est satisfait aux conditions suivantes:
1° le bénéficiaire des revenus et l’assujetti revêtent une des formes juridiques énumérées dans l’annexe de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO L 225, p. 6), ou une forme juridique indiquée par arrêté ministériel;
2° à la date à laquelle les revenus sont mis à disposition, le bénéficiaire est actionnaire à hauteur d’au moins 5 pour cent du capital nominal libéré de l’assujetti ou détient, à cette date, une participation dans l’assujetti à laquelle l’article 13, paragraphes 5 ou 14, de la [Wet Vpb] serait applicable s’il était établi aux Pays-Bas;
3° le bénéficiaire des revenus et l’assujetti sont soumis, dans l’État membre d’établissement, sans possibilité d’option et sans en être exonérés, à l’impôt qui y est prélevé sur les bénéfices, tel que visé à l’article 2, sous c), de cette directive;
4° dans l’État membre d’établissement, le bénéficiaire des revenus et l’assujetti ne sont pas réputés établis en dehors des États membres de l’Union européenne en vertu d’une convention préventive de la double imposition conclue avec un État tiers;
[...]»
8 Aux termes de l’article 13 de la Wet Vpb:
«1. Ne sont pas pris en compte aux fins de la détermination des bénéfices les avantages au titre d’une participation ainsi que les frais liés à l’acquisition ou à la réalisation de cette participation (exonération de participation).
2. Il y a participation si la société assujettie:
a. est, à raison d’au moins 5 pour cent du capital nominal libéré, actionnaire d’une société dont le capital est totalement ou partiellement divisé en actions;
[...]»
9 En ce qui concerne les sociétés établies en Islande ou en Norvège, il n’existe pas, dans la législation néerlandaise, de disposition spécifique qui tienne compte du fait qu’elles peuvent se prévaloir de l’article 40 de l’accord EEE. C’est sur la base d’accords bilatéraux en vue d’éviter la double imposition conclus avec ces États parties à l’accord EEE que l’impôt sur les dividendes n’est pas perçu en cas de participation dans le capital d’une société néerlandaise d’au moins 10 % (article 10 de l’accord relatif aux impôts sur les revenus et sur les capitaux entre le Royaume des Pays-Bas et la République d’Islande, signé le 25 septembre 1997) ou d’au moins 25 % (article 10 de l’accord relatif aux impôts sur les revenus et sur les capitaux entre le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Norvège, signé le 12 janvier 1990).
La procédure précontentieuse
10 La Commission, estimant que aux Pays-Bas les dividendes payés à des sociétés établies dans cet État membre recevaient un traitement plus favorable que les dividendes payés à des sociétés établies dans d’autres États membres et dans des États de l’Espace économique européen (EEE), et que, par conséquent, le Royaume des Pays-Bas ne respectait pas les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE et de l’article 40 de l’accord EEE, a, par une lettre de mise en demeure en date du 18 octobre 2005, invité cet État membre à fournir des explications.
11 Le Royaume des Pays-Bas s’étant borné à formuler des réponses d’attente, sans se prononcer sur le fond, la Commission a émis, le 6 juillet 2006, un avis motivé reprenant les mêmes griefs, invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.
12 Ledit État membre a répondu à celui-ci par une lettre du 7 septembre 2006, précisant que la Wet DB serait adaptée, à partir du 1er janvier 2007, en ce qui concerne les dividendes payés à des sociétés établies dans un des autres États membres de la Communauté. Cette modification, qui a eu lieu avant l’introduction de la présente requête, a conduit à l’adoption de l’article 4, paragraphe 2, de la Wet DB tel que reproduit au point 7 du présent arrêt.
13 En revanche, le Royaume des Pays-Bas soutenait, pour ce qui concerne l’infraction alléguée à l’article 40 de l’accord EEE, que la législation néerlandaise concernée ne comporte pas d’entrave à la libre circulation des capitaux et que, même si c'était le cas, il s’agirait d’une entrave justifiée.
14 Tout en admettant que la modification de l’article 4 de la Wet DB a assuré la compatibilité de la législation néerlandaise avec le traité CE, en ce qui concerne les sociétés implantées dans les autres États membres de la Communauté, la Commission a décidé de poursuivre la procédure en manquement et d’introduire le présent recours en ce qui concerne le grief relatif à un manquement à l’article 40 de l’accord EEE.
Sur le recours
Argumentation des parties
15 La Commission fait valoir que la Cour a jugé, dans l’arrêt du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg (C-452/01, Rec. p. I-9743, points 28, 29 et 32), que l’article 40 de l’accord EEE ainsi que l’annexe XII de cet accord revêtent la même portée juridique que les dispositions identiques, en substance, de l’article 56 CE. Elle indique, en outre, que la Cour AELE en a jugé de même dans les arrêts du 23 novembre 2004, Fokus Bank/Norway (E-1/04, EFTA Court Report, p. 22, point 23), et du 1er juillet 2005, Paolo Piazza (E-10/04, EFTA Court Report, p. 100, point 33).
16 Elle estime que la législation néerlandaise crée une discrimination entre le traitement fiscal des dividendes payés à une société établie aux Pays-Bas ou, désormais, dans un autre État membre de la Communauté et celui des dividendes payés à une société établie en Islande ou en Norvège.
17 Elle relève, en effet, que les dividendes d’une société néerlandaise payés à une autre société néerlandaise ou à une société établie dans un autre État membre de la Communauté sont exonérés de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes dans le chef de la première société si la seconde détient au moins 5 % du capital de la première, alors que les dividendes d’une société néerlandaise payés à une société établie en Islande ou en Norvège n’en sont exonérés que si celle-ci détient au moins 10 % (pour les sociétés islandaises) ou 25 % (pour les sociétés norvégiennes) du capital de la société néerlandaise concernée.
18 Cette discrimination porterait atteinte au principe de libre circulation des capitaux, puisqu’elle aurait pour effet de rendre moins avantageux d’investir dans des sociétés néerlandaises pour des sociétés établies en Islande ou en Norvège que pour des sociétés établies aux Pays-Bas ou dans d’autres États membres de la Communauté. Elle rendrait, en outre, plus difficile, pour une société néerlandaise, d’attirer des capitaux d’Islande et de Norvège que des Pays-Bas ou d’un autre État membre de la Communauté.
19 La Commission souligne que la Cour a déjà jugé qu’une telle discrimination était contraire à l’article 56 CE dans l’arrêt du 8 novembre 2007, Amurta (C-379/05, Rec. p. I-9569, point 28), s’agissant de dividendes versés à des sociétés établies dans d’autres États membres qui, à l’époque pertinente dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt, n’étaient pas exonérés de la même manière que ceux versés à des sociétés néerlandaises.
20 De même que dans cette affaire, la réglementation fiscale ici en cause ne pourrait être considérée comme compatible avec le droit communautaire et, par suite, avec l’accord EEE que si la différence de traitement qu’elle comporte concernait des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou était justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
21 La Commission soutient, ce que le Royaume des Pays-Bas conteste, que la situation des sociétés islandaises et norvégiennes est objectivement comparable à celle des sociétés néerlandaises au regard des risques de double imposition des bénéfices de sociétés néerlandaises dont elles détiennent une partie du capital.
22 Il résulterait de la jurisprudence de la Cour que les mesures visant, dans un tel cas de figure, à prévenir une double imposition doivent être étendues à toutes les sociétés étrangères qui peuvent bénéficier des dispositions en matière de libre circulation des capitaux. La Commission se réfère à cet égard à l’arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C-170/05, Rec. p. I-11949, point 37).
23 La Commission admet que le législateur national peut adopter des mesures pour combattre des abus des libertés du marché intérieur, notamment pour ce qui concerne la libre circulation des capitaux, en vertu de l’article 58 CE et, en l’espèce, en vertu de l’article 4 de la directive 88/361, mentionnée à l’annexe XII de l’accord EEE, article aux termes duquel les États membres ont le droit «de prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale».
24 Toutefois, de telles mesures devraient être proportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. Or, le Royaume des Pays-Bas n’indiquerait pas quels abus devraient être combattus par le refus d’exonérer le paiement de dividendes à des sociétés établies en Islande ou en Norvège de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes.
25 Le Royaume des Pays-Bas soutient que les obligations qui découlent de la libre circulation des capitaux entre États membres de la Communauté ne peuvent être purement et simplement transposées aux relations entre ceux-ci et les États de l’AELE que sont la République d’Islande et le Royaume de Norvège. Cela découlerait du fait que, dans ces deux derniers États, la directive 77/799/CE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance (JO L 336, p. 15), telle que modifiée par la directive 2004/106/CE du Conseil, du 16 novembre 2004 (JO L 359, p. 30, ci-après la «directive 77/799»), n’est pas applicable.
26 Le Royaume des Pays-Bas estime que la lutte contre les risques de fraude fiscale et d’abus ne constitue pas la seule justification de la différence de traitement des dividendes versés à des sociétés établies dans des États membres de la Communauté et de ceux versés à des sociétés installées en Islande ou en Norvège prévue par sa législation.
27 En effet, selon cette législation, en plus de la condition exigeant que la participation atteigne au moins 5 % du capital, le bénéficiaire des dividendes lui-même devrait aussi satisfaire à deux conditions pour avoir droit à l’exonération en cause, conditions qui s’appliquent également à des situations de caractère purement national et qui ne sont pas discriminatoires, étant que le bénéficiaire doit, d’une part, être soumis à un impôt sur les bénéfices et, d’autre part, être le bénéficiaire final des dividendes.
28 Or, le respect de ces conditions pourrait être facilement contrôlé entre États membres grâce au caractère contraignant de la directive 77/799, alors que les conventions bilatérales conclues avec la République d’Islande et le Royaume de Norvège, n’étant pas des instruments juridiques communautaires, ne permettraient pas à un État membre ou à la Commission d’exiger l’exécution des obligations qui en découlent devant la Cour.
29 Le Royaume des Pays-Bas estime donc que l’absence d’un instrument juridique communautaire dans ses relations avec la République d’Islande et le Royaume de Norvège justifie les différences dans les conditions d’octroi de l’exonération de retenue à la source de l’impôt sur les dividendes pour les participations détenues par des sociétés établies dans ces deux États.
30 Sur ce point, la Commission insiste au contraire sur le fait que les conventions bilatérales concernées sont juridiquement contraignantes pour lesdits États. Et même s'il était plus difficile d’obtenir le respect des obligations de droit international que de faire respecter, dans le cadre de la Communauté, les obligations qui découlent du droit communautaire, cela ne signifierait pas que ces conventions soient dénuées de pertinence dans le cadre de la réponse à la question de savoir si la discrimination opérée à l’égard des sociétés islandaises et norvégiennes est proportionnée à l’objectif poursuivi, à savoir le recouvrement de l’impôt sur les dividendes.
31 En outre, le Royaume des Pays-Bas ne démontrerait ni même n’alléguerait que la République d’Islande ou le Royaume de Norvège n’auraient pas respecté les obligations qui résultent desdites conventions, voire que des difficultés ou des retards injustifiés auraient été rencontrés dans l’application de celles-ci.
Appréciation de la Cour
32 L’un des principaux objectifs de l’accord EEE est de réaliser de la manière la plus complète possible la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux dans l’ensemble de l’EEE, de sorte que le marché intérieur réalisé sur le territoire de la Communauté soit étendu aux États de l’AELE. Dans cette perspective, plusieurs stipulations dudit accord visent à garantir une interprétation aussi uniforme que possible de celui-ci sur l’ensemble de l’EEE (voir avis 1/92, du 10 avril 1992, Rec. p. I-2821). Il appartient à la Cour, dans ce cadre, de veiller à ce que les règles de l’accord EEE identiques en substance à celles du traité soient interprétées de manière uniforme à l’intérieur des États membres (arrêt Ospelt et Schlössle Weissenberg, précité, point 29).
33 Il en résulte que, si des restrictions à la libre circulation des capitaux entre ressortissants d’États parties à l’accord EEE doivent être appréciées au regard de l’article 40 et de l’annexe XII dudit accord, ces stipulations revêtent la même portée juridique que celle des dispositions, identiques en substance, de l’article 56 CE (voir, en ce sens, arrêt Ospelt et Schlössle Weissenberg, précité, point 32).
34 Par ailleurs, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation communautaire, les États membres demeurent compétents, dans le respect du droit communautaire, pour définir, par voie conventionnelle ou unilatéralement, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation, en vue, notamment, d’éliminer les doubles impositions (voir, en ce sens, arrêt Amurta, précité, points 16 et 17).
35 Cette compétence ne leur permet pas d’appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation garanties par le traité ou par des dispositions similaires de l’accord EEE (voir, en ce sens, arrêt Amurta, précité, point 24).
36 En l’espèce, les articles 4 et 4a de la Wet DB, combinés avec l’article 13 de la Wet Vpb, prévoient une exonération de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes pour les sociétés bénéficiaires ayant leur siège dans un État membre. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, 2°, de la Wet DB, cette exonération est applicable aux dividendes distribués à des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre qui détiennent des parts représentant au moins 5 % du capital nominal libéré de la société distributrice résidente.
37 Or, sur le fondement des accords en vue d’éviter la double imposition que le Royaume des Pays-Bas a conclus avec la République d’Islande et le Royaume de Norvège, États de l’EEE, l’exonération de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes ne peut être appliquée aux dividendes distribués aux sociétés islandaises ou norvégiennes que si celles-ci détiennent au moins, respectivement, 10 % ou 25 % des parts de la société distributrice néerlandaise. Il faut, à cet égard, constater que ces sociétés, contrairement aux sociétés ayant leur siège dans un État membre, ne sont donc pas protégées contre le risque de double imposition quand elles détiennent plus de 5 %, mais, respectivement, moins de 10 % ou moins de 25 % des parts de la société distributrice néerlandaise.
38 Cette différence entre les règles fiscales applicables, d’une part, aux sociétés établies dans des États membres de la Communauté et, d’autre part, à celles établies dans les deux États de l’EEE en cause, lesquelles bénéficient de l’article 40 de l’accord EEE de la même façon que les premières bénéficient de l’article 56 CE, désavantage, en ce qui concerne l’imposition des dividendes, les sociétés islandaises qui détiennent entre 5 et 10 % du capital d’une société néerlandaise et les sociétés norvégiennes qui en détiennent entre 5 et 25 %.
39 Une telle différence de traitement en ce qui concerne le mode d’imposition des dividendes versés aux sociétés bénéficiaires établies en Islande et en Norvège par rapport à ceux versés aux sociétés bénéficiaires établies dans les États membres de la Communauté est susceptible de dissuader les sociétés établies dans les deux premiers États de procéder à des investissements aux Pays-Bas. Elle rend, en outre, plus difficile, pour une société néerlandaise, d’attirer des capitaux de l’Islande et de la Norvège que des Pays-Bas ou d’un autre État membre de la Communauté. Elle constitue, par conséquent, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 40 de l’accord EEE.
40 Il convient, toutefois, d’examiner si cette restriction à la libre circulation des capitaux est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité qui sont reprises en substance dans l’accord EEE.
41 Le Royaume des Pays-Bas estime que les sociétés bénéficiaires établies en Islande et en Norvège se trouvent dans une des situations différentes visées à l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE, aux termes duquel l’article 56 CE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence.
42 Il résulte d’une jurisprudence constante que, pour qu’une réglementation fiscale nationale puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement qui en résulte concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir arrêt Amurta, précité, point 32 et jurisprudence citée).
43 Il y a lieu, dès lors, de vérifier si, au regard de l’exonération de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes, les sociétés bénéficiaires établies dans un État membre et les sociétés bénéficiaires établies en Islande et en Norvège se trouvent dans des situations comparables.
44 Le Royaume des Pays-Bas soutient que la différence de situation sur laquelle il se fonde réside dans la circonstance qu’il ne serait pas possible, en vertu des conventions bilatérales passées avec les deux États de l’EEE en cause, d’être assuré que les sociétés bénéficiaires concernées remplissent effectivement les conditions imposées aux sociétés des États membres par l’article 4, paragraphe 2, de la Wet DB, à savoir, d’une part, revêtir une des formes juridiques énumérées dans l’annexe de la directive 90/435 ou une forme juridique indiquée par arrêté ministériel et, d’autre part, être soumises, dans leur État d’établissement, sans possibilité d’option et sans en être exonérées, à l’impôt sur les bénéfices.
45 Il fonde son raisonnement sur les dispositions de la directive 77/799. En vertu de ce texte, destiné à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, les autorités compétentes des États membres doivent échanger toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct, notamment, des impôts sur le revenu.
46 Dès lors que cette directive ne s’applique pas à la République d’Islande et au Royaume de Norvège, le Royaume des Pays-Bas soutient qu’aucune règle contraignante ne lui permettrait d’obtenir les renseignements destinés à vérifier si les conditions posées à l’article 4, paragraphe 2, de la Wet DB sont remplies.
47 Il y a lieu, toutefois, de relever que, si une telle différence dans le régime juridique des obligations des États en cause dans le domaine fiscal par rapport à celles des États membres serait de nature à justifier que le Royaume des Pays-Bas subordonne le bénéfice de l’exonération de retenue à la source de l’impôt sur les dividendes pour les sociétés islandaises et norvégiennes à la preuve qu’elles remplissent bien les conditions prévues par la législation néerlandaise, elle ne permet pas de justifier que cette législation subordonne le bénéfice de cette exonération à la détention d’une participation plus importante dans le capital de la société distributrice.
48 En effet, cette dernière exigence est sans rapport avec les conditions imposées par ailleurs à l’ensemble des sociétés pour avoir droit à ladite exonération, à savoir qu’elles revêtent une certaine forme sociale, qu’elles soient soumises à l’impôt sur les bénéfices et qu’elles soient le bénéficiaire final des dividendes versés, conditions dont l’administration fiscale néerlandaise doit, en effet, pouvoir vérifier la réalisation.
49 De ce dernier point de vue, il ne ressort d’aucun élément du dossier, et le Royaume des Pays-Bas ne démontre pas, que la détention d’une participation dans le capital d’une société inférieure à 10 % ou à 25 % ait une quelconque incidence sur le risque que soient données à l’administration compétente des informations erronées, notamment quant au régime fiscal des sociétés établies dans les deux États de l’EEE en cause, et que, dès lors, l’exigence de participations de cette importance soit justifiée, alors qu’elle n’existe pas en ce qui concerne les sociétés établies dans les États membres de la Communauté.
50 Par conséquent, ne saurait être accueilli l’argument invoqué par le Royaume des Pays-Bas, tiré de la différence entre les situations dans lesquelles se trouvent, d’une part, les sociétés ayant leur siège dans les États membres de la Communauté et, d’autre part, les sociétés islandaises et norvégiennes, pour justifier l’exigence d’un niveau de participation dans le capital des sociétés néerlandaises distributrices de dividendes plus élevé pour les secondes afin qu’elles puissent bénéficier, comme les premières, d’une exonération de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes qu’elles perçoivent de ces sociétés néerlandaises.
51 Cette conclusion est implicitement confirmée par le fait que les conventions bilatérales conclues par le Royaume des Pays-Bas avec la République d’Islande et le Royaume de Norvège subordonnent l’exonération de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes versés aux sociétés islandaises et norvégiennes à la seule condition de l’existence d’une participation d’un certain niveau dans le capital de la société néerlandaise distributrice, sans imposer qu’elles satisfassent en outre aux autres conditions fixées par l’article 4, paragraphe 2, de la Wet DB.
52 Il résulte de ce qui précède que, en n’exonérant pas les dividendes payés par des sociétés néerlandaises aux sociétés établies en Islande ou en Norvège de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes dans les mêmes conditions que les dividendes payés aux sociétés néerlandaises ou à celles établies dans d’autres États membres de la Communauté, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 40 de l’accord EEE.
Sur les dépens
53 En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) En n’exonérant pas les dividendes payés par des sociétés néerlandaises aux sociétés établies en Islande ou en Norvège de la retenue à la source de l’impôt sur les dividendes dans les mêmes conditions que les dividendes payés aux sociétés néerlandaises ou à celles établies dans d’autres États membres de la Communauté européenne, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.
2) Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure: le néerlandais.