Affaire C-246/08
Commission des Communautés européennes
contre
République de Finlande
«Manquement d’État — Sixième directive TVA — Articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2 — Notion d’‘activités économiques’ — Bureaux publics d’assistance juridique — Services d’assistance juridique fournis dans le cadre d’une procédure judiciaire en contrepartie d’une contribution partielle versée par le bénéficiaire — Notion de ‘lien direct’ entre le service fourni et la contre-valeur reçue»
Sommaire de l'arrêt
Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Activités économiques au sens de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive
(Directive du Conseil 77/388, art. 2, point 1, et 4, § 1, 2 et 5)
Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, point 1, ainsi que 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive 77/388, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, un État membre qui n'assujettit pas à la taxe sur la valeur ajoutée les services de conseil juridique fournis par des bureaux publics d'assistance juridique dans le cadre d'une procédure judiciaire, en contrepartie d'une contribution partielle du bénéficiaire, dès lors que le lien entre lesdits services d'assistance juridique et la contre-valeur à payer par les bénéficiaires ne revêt pas le caractère direct requis pour que celle-ci puisse être considérée comme constituant une rémunération de ces services et, partant, pour ce que ces derniers soient considérés comme des activités économiques assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée au sens des articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2 de la sixième directive.
En effet, le montant de la rétribution partielle payée aux bureaux publics par les bénéficiaires de services d'assistance juridique fournis dans le cadre d'une procédure judiciaire n'étant pas calculé uniquement sur la base des honoraires mais étant également fonction des revenus et du patrimoine des bénéficiaires, un tel lien direct fait défaut dès lors que cette rétribution ne dépend que partiellement de la valeur réelle des services fournis, le lien avec celle-ci étant d'autant plus ténu que les revenus et le patrimoine de ces bénéficiaires sont modestes. Cette constatation est corroborée par l'existence d'une différence importante entre le montant des rétributions partielles payées au cours d'une année par lesdits bénéficiaires et les frais de fonctionnement bruts, beaucoup plus élevés, exposés par les bureaux d'assistance juridique, une telle différence étant de nature à suggérer que la rétribution partielle à la charge des bénéficiaires doit être assimilée davantage à une redevance dont la perception n'est pas, en soi, de nature à conférer un caractère économique à une activité donnée, qu'à une rémunération proprement dite.
(cf. points 48-51)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
29 octobre 2009 (*)
«Manquement d’État – Sixième directive TVA – Articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2 – Notion d’‘activités économiques’ – Bureaux publics d’assistance juridique – Services d’assistance juridique fournis dans le cadre d’une procédure judiciaire en contrepartie d’une contribution partielle versée par le bénéficiaire – Notion de ‘lien direct’ entre le service fourni et la contre-valeur reçue»
Dans l’affaire C-246/08,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 3 juin 2008,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. Aalto et D. Triantafyllou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République de Finlande, représentée par Mme A. Guimaraes-Purokoski, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh (rapporteur), juges,
avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juillet 2009,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prélevant pas la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»), conformément à la réglementation finlandaise relative à l’assistance juridique, sur les services de conseil juridique fournis contre rémunération partielle par les bureaux publics d’assistance juridique, c’est-à-dire par les conseils juridiques publics employés par ces derniers, alors que les services équivalents sont assujettis à la TVA lorsqu’ils sont fournis par des conseils privés, la République de Finlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2, point 1, ainsi que 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 L’article 2 de la sixième directive est libellé comme suit:
«Sont soumises à la [TVA]:
1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;
2. les importations de biens.»
3 Aux termes de l’article 4 de ladite directive:
«1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
[…]
5. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.
Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.
[…]»
4 L’article 6, paragraphe 1, de la sixième directive dispose:
«Est considérée comme ‘prestation de services’ toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien au sens de l’article 5.
Cette opération peut consister entre autres:
– en une cession d’un bien incorporel représenté ou non par un titre,
– en une obligation de ne pas faire ou de tolérer un acte ou une situation,
– en l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi.»
La réglementation nationale
La réglementation relative à l’assistance juridique
5 En Finlande, le régime de l’assistance juridique est fondé sur quatre textes adoptés en 2002, à savoir la loi relative à l’assistance juridique [oikeusapulaki (257/2002)], du 5 avril 2002, la loi relative aux bureaux d’assistance juridique de l’État [laki valtion oikeusaputoimistoista (258/2002)], du 5 avril 2002, le décret ministériel relatif à l’assistance juridique [valtioneuvoston asetus oikeusavusta (388/2002)], du 23 mai 2002, et le décret ministériel relatif aux critères de rémunération de l’assistance juridique [valtioneuvoston asetus oikeusavun palkkioperusteista (389/2002)], du 23 mai 2002.
6 La loi relative à l’assistance juridique prévoit, à son article 1er, que celle-ci est accordée, sur les ressources publiques, à toute personne ayant besoin d’une assistance dans une affaire juridique, mais ne pouvant, en raison de sa situation économique, financer elle-même le traitement de son affaire. L’assistance juridique peut être accordée tant dans le cadre d’une procédure judiciaire que dans celui d’une affaire extrajudiciaire.
7 En vertu de l’article 8 de ladite loi, l’assistance juridique est en principe dispensée par les conseils juridiques employés par les bureaux publics d’assistance juridique (ci-après les «bureaux publics»). Ces bureaux, au nombre de 60 en 2008, emploient environ 220 de ces conseils, ceux-ci étant des fonctionnaires rémunérés par l’État. Les dépenses de fonctionnement de ces bureaux publics sont financées par des ressources publiques. Les honoraires acquittés par les bénéficiaires de l’assistance juridique sont cependant comptabilisés comme recettes dans le budget de chaque bureau, aucun financement public n’étant accordé au titre des dépenses de fonctionnement ainsi couvertes.
8 Le même article 8 de la loi relative à l’assistance juridique prévoit cependant que, dans le cadre d’une procédure judiciaire, un conseil privé, à savoir un avocat ou un autre juriste privé, ayant donné son consentement à cet effet, peut également être désigné. Lorsque le bénéficiaire de l’assistance juridique a lui-même proposé pour le représenter une personne justifiant des qualifications professionnelles requises, cette personne doit être désignée, sauf raisons particulières contraires.
9 L’article 17 de la loi relative à l’assistance juridique régit les honoraires du conseil privé. Selon cette disposition, le conseil privé se voit garantir des honoraires raisonnables ainsi qu’une indemnisation des frais, lesquels sont à la charge de l’État et versés après déduction de la contribution due par le bénéficiaire. Hormis cette contribution, le conseil privé ne peut percevoir aucune rémunération ou indemnisation de la part du bénéficiaire de l’assistance juridique.
10 Le décret ministériel relatif à l’assistance juridique régit plus en détail les conditions d’octroi de cette assistance juridique.
11 L’article 1er dudit décret prévoit que l’assistance juridique est accordée sur la base des ressources disponibles ainsi que du patrimoine du demandeur et qu’elle peut, à ce titre, être accordée à celui-ci soit à titre gracieux, soit, ce qui constitue l’une des modifications apportées en 2002 par rapport à la réglementation en vigueur antérieurement, en contrepartie d’une contribution qui demeure à sa charge. Ledit décret distingue à cet égard entre la contribution de base («perusomavastuu») et la contribution additionnelle («lisäomavastuu»).
12 Selon l’article 5 du décret ministériel relatif à l’assistance juridique, la contribution de base correspond à un pourcentage des honoraires et frais courants du conseil consulté, TVA comprise si celle-ci est incluse dans le calcul des dépens. Ce pourcentage est fixé en fonction des seuils de revenus disponibles mensuels suivants:
«En ce qui concerne une personne célibataire:
650 euros au maximum: 0 %
850 euros au maximum: 20 %
1 000 euros au maximum: 30 %
1 200 euros au maximum: 40 %
1 300 euros au maximum: 55 %
1 400 euros au maximum: 75 %
En ce qui concerne une personne en couple:
550 euros au maximum: 0 %
650 euros au maximum: 20 %
800 euros au maximum: 30 %
1 000 euros au maximum: 40 %
1 100 euros au maximum: 55 %
1 200 euros au maximum: 75 %».
13 L’article 6 du décret ministériel relatif à l’assistance juridique précise que, en tout état de cause, celle-ci n’est pas accordée lorsque les ressources disponibles dépassent 1 400 euros pour une personne célibataire et 1 200 euros par personne pour un couple.
14 Selon l’article 7 du même décret ministériel, une contribution supplémentaire est exigée lorsque le bénéficiaire dispose de dépôts ou d’autres éléments de patrimoine similaires aisément mobilisables d’une valeur supérieure à 5 000 euros. Cette contribution est égale à la moitié de ces dépôts et éléments de patrimoine d’une valeur supérieure à cette dernière somme.
15 Le décret ministériel relatif aux critères de rémunération de l’assistance juridique définit les critères applicables concernant le versement des honoraires. Les articles 2 à 7 de ce décret contiennent à cet égard des dispositions détaillées relatives au calcul des honoraires ordinaires, tandis que ses articles 8 et 9 régissent les situations dans lesquelles les honoraires sont fixés à un montant plus ou, au contraire, moins élevé que celui des honoraires ordinaires. Selon l’article 11 dudit décret, les mêmes critères s’appliquent lorsqu’un bureau public fournit des services d’assistance juridique dans le cadre d’une procédure judiciaire.
La réglementation relative à la TVA
16 En vertu de l’article 1er de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée [arvonlisäverolaki (1501/1993)], du 30 décembre 1993, l’assistance juridique fournie par un conseil privé dans le cadre d’une procédure judiciaire est assujettie à la TVA en tant que prestation de services juridiques. En revanche, l’assistance juridique fournie par les bureaux publics à titre gracieux ou en contrepartie d’une contribution partielle n’est pas une activité assujettie à cette taxe.
La procédure précontentieuse
17 Le 13 octobre 2004, la Commission a adressé aux autorités finlandaises une lettre concernant le traitement différent, au regard du régime de la TVA, réservé à des services d’assistance juridique de même nature, selon que ceux-ci sont fournis par des conseils privés ou par des bureaux publics. Selon les informations recueillies par la Commission, ce régime entraîne une distorsion de concurrence d’une certaine importance au détriment des conseils privés.
18 Par lettre du 17 décembre 2004, les autorités finlandaises ont décrit le régime de la TVA applicable aux services d’assistance juridique et ont expliqué qu’il ne faussait la concurrence que de manière négligeable, car des facteurs autres que la TVA, tels que l’expérience professionnelle ou la charge de travail des bureaux publics, exercent une influence déterminante quant au choix opéré par le bénéficiaire de l’assistance juridique entre les bureaux publics et les conseils privés.
19 Le 19 décembre 2005, considérant que ces explications étaient insuffisantes, la Commission a, en application de l’article 226 CE, adressé une lettre de mise en demeure à la République de Finlande, dans laquelle elle faisait valoir que, lorsque le bénéficiaire de l’assistance juridique acquitte lui-même une contrepartie partielle et que cette assistance peut être fournie également par un conseil privé, à savoir dans le cadre d’une procédure judiciaire, les services offerts par des bureaux publics doivent être assujettis à la TVA. En effet, selon la Commission, dans un tel cas, les bureaux publics n’agissent pas en tant qu’autorités publiques, au sens de l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, et l’absence d’assujettissement des services en cause entraîne une distorsion de concurrence d’une certaine importance, au sens du deuxième alinéa de cette disposition.
20 Dans sa réponse du 16 février 2006, la République de Finlande a réitéré ses arguments, tout en soulignant le caractère artificiel de la prémisse de la Commission, selon laquelle les bureaux publics agissent en qualité d’autorité publique lorsqu’ils interviennent en dehors de procédures judiciaires, mais non lorsque cette intervention a lieu dans le cadre de telles procédures, de même que lorsque l’assistance juridique est fournie à titre gracieux, mais non lorsque celle-ci est fournie en contrepartie d’une contribution partielle versée par le bénéficiaire.
21 N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a, le 15 décembre 2006, adressé un avis motivé à la République de Finlande, dans lequel, d’une part, elle concluait que celle-ci a enfreint les articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1, 2 et 5, de la sixième directive en ce qui concerne certains services fournis par les bureaux publics en contrepartie d’une rémunération partielle et, d’autre part, invitait ledit État membre à se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.
22 Par lettre du 15 février 2007, la République de Finlande a répondu audit avis motivé en maintenant la position défendue dans sa réponse à la lettre de mise en demeure.
23 Dans ces conditions, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
24 Par le présent recours, la Commission précise qu’elle fait uniquement grief à la République de Finlande de ne pas assujettir à la TVA les services d’assistance juridique lorsqu’ils sont fournis par les bureaux publics dans le cadre d’une procédure judiciaire en contrepartie d’une contribution partielle du bénéficiaire de cette assistance. Ce recours ne viserait donc pas à mettre en cause l’absence d’assujettissement des mêmes services lorsqu’ils sont fournis par les bureaux publics à titre gracieux, bien que les services fournis par un conseil privé soient, quant à eux, en tout état de cause, assujettis à la TVA, l’État payant les honoraires et la TVA facturés par le conseil. En effet, un tel non-assujettissement des bureaux publics résulterait, dans ce dernier cas, du fait que lesdits services sont fournis sans contrepartie à la charge du bénéficiaire de l’assistance juridique, les juristes employés par ces bureaux percevant pour seule rémunération leur salaire normal. Partant, de tels services ne pourraient pas être considérés comme fournis à titre onéreux, au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive.
25 En revanche, selon la Commission, lorsque les bureaux publics fournissent des services d’assistance juridique dans le cadre d’une procédure judiciaire en contrepartie d’une contribution partielle du bénéficiaire, ils exercent une activité économique au sens de la sixième directive. Cette activité économique donnerait lieu à une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, point 1, de cette directive, dès lors qu’il existe un lien direct entre le service offert par le bureau public et la contrepartie versée par le bénéficiaire.
26 Dans ces conditions, la Commission estime qu’il est nécessaire d’examiner l’applicabilité des dérogations prévues à l’article 4, paragraphe 5, de cette directive.
27 Elle fait valoir à cet égard que, pour les services en cause, les bureaux publics n’agissent pas en tant qu’autorités publiques au sens du premier alinéa de ladite disposition, car ces services ne sont pas accomplis sous un régime juridique qui leur est particulier (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 2000, Fazenda Pública, C-446/98, Rec. p. I-11435, point 17 et jurisprudence citée). En effet, les bureaux publics ne fourniraient pas de tels services en vertu de dispositions spécifiques qui ne s’appliquent pas aux conseils privés, mais ils agiraient dans le même cadre juridique que ces derniers. La situation serait à cet égard différente lorsque les bureaux publics fournissent des services d’assistance juridique en dehors d’une procédure judiciaire. En effet, une telle activité n’étant pas ouverte aux conseils privés, elle ne serait pas exercée par les bureaux publics dans les mêmes conditions juridiques que celles applicables à ces conseils.
28 En tout état de cause, la Commission estime que le non-assujettissement des bureaux publics pour les services d’assistance juridique fournis en contrepartie d’une contribution partielle conduit à des distorsions de concurrence d’une certaine importance au sens de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive. En effet, compte tenu de la modicité des plafonds de revenus et de patrimoine auxquels est subordonné l’octroi de cette assistance, une différence de 22 %, correspondant au taux de la TVA applicable en Finlande, de la contrepartie à acquitter fausserait sensiblement la concurrence, et ce d’autant plus que les consommateurs finals n’ont pas le droit de déduire cette taxe. Cette distorsion de concurrence devrait être considérée comme «plus que négligeable», au sens de la jurisprudence (voir arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C-288/07, Rec. p. I-7203, point 79), dès lors que plus de 4 000 personnes ont chaque année recours à des services d’assistance juridique en contrepartie d’une contribution partielle.
29 Le gouvernement finlandais soutient que les services d’assistance juridique fournis par les bureaux publics forment un tout indivisible qui ne saurait être considéré comme une activité économique au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive. En effet, ces services ne seraient pas pratiqués de manière à couvrir les coûts qu’ils génèrent, mais seraient principalement financés par des ressources publiques. L’exercice de ces activités ne serait donc pas assorti du risque économique caractérisant l’activité commerciale ordinaire. En outre, les contributions ne couvriraient pas, même partiellement, les frais liés à de tels services. Il serait impossible de différencier, en tant qu’activité économique spécifique, une partie isolée de l’activité desdits bureaux. Une telle différenciation ne saurait être justifiée ni par la contribution minimale que doivent acquitter, en fonction de leur situation financière, certains bénéficiaires de l’assistance ni par le contenu de ces services.
30 En ce qui concerne l’application de l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive, le gouvernement finlandais souligne que l’assistance juridique peut seulement être fournie sur la base du régime juridique particulier qui s’y rapporte. En effet, les bureaux publics s’acquitteraient de la tâche spécifique qui leur est confiée par la loi et ils auraient, en vertu de celle-ci, l’obligation de procurer cette assistance. Certes, la possibilité, pour un conseil privé, de fournir une telle assistance juridique serait également fondée sur la même loi. Toutefois, dans un tel cas, cette assistance interviendrait à la suite d’une décision d’un bureau public et le conseil privé devrait donner son accord. L’autorité publique habiliterait ainsi un tiers indépendant à s’acquitter de l’exercice d’une activité relevant des prérogatives de l’autorité publique.
31 En tout état de cause, le gouvernement finlandais considère que le non-assujettissement à la TVA des services en cause n’engendre pas de distorsion de la concurrence d’une certaine importance, au sens de l’article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive. En effet, outre le fait qu’il n’est pas certain qu’il puisse être question de distorsion de concurrence, puisque le bénéfice de l’assistance juridique requiert une décision en la matière et que les rémunérations sont régies par la législation, les données statistiques feraient ressortir que les clients qui versent une contribution partielle pour les services d’assistance juridique constituent une claire minorité parmi les clients de l’assistance juridique des conseils privés. En outre, s’agissant des affaires ayant donné lieu à une contrepartie partielle, la proportion entre celles qui ont été examinées par un conseil privé et celles qui ont été traitées par un conseil public dans le cadre d’affaires judiciaires serait restée stable au cours de la période allant de 2004 à 2006. Enfin, des éléments autres que la TVA influenceraient le choix du conseil, notamment la relation de clientèle antérieure et l’expertise de celui-ci.
Appréciation de la Cour
32 Il convient, à titre liminaire, de préciser que, par le présent recours, la Commission ne conteste pas le non-assujettissement à la TVA des services d’assistance juridique fournis par les bureaux publics lorsque ces prestations sont effectuées, d’une part, à titre gracieux dans le cadre de procédures judiciaires et, d’autre part, en dehors du cadre de telles procédures que ce soit à titre gracieux ou non.
33 Le présent recours de la Commission porte en effet exclusivement sur le non-assujettissement à la TVA des services d’assistance juridique fournis par les bureaux publics dans le cadre de procédures judiciaires en contrepartie d’une contribution partielle à la charge du bénéficiaire, dès lors que les revenus disponibles de ce dernier excèdent le seuil fixé pour bénéficier de l’assistance juridique gratuite, mais sont inférieurs au plafond excluant le bénéfice de toute assistance juridique. Il apparaît ainsi que le recours de la Commission trouve son origine dans l’extension, en contrepartie d’une rétribution partielle des bénéficiaires, du régime de l’assistance juridique en vigueur en Finlande à des personnes disposant de revenus qui, bien que modestes, sont cependant plus élevés que ceux de personnes bénéficiant de l’assistance juridique gratuite. Les développements qui suivent se rapportent, dès lors, uniquement à cette partie des activités d’assistance juridique des bureaux publics.
34 Il convient de rappeler que, si la sixième directive assigne un champ d’application très large à la TVA, seules les activités ayant un caractère économique sont visées par cette taxe (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1996, Régie dauphinoise, C-306/94, Rec. p. I-3695, point 15; du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, C-305/01, Rec. p. I-6729, point 39, ainsi que du 26 juin 2007, Hutchison 3G e.a., C-369/04, Rec. p. I-5247, point 28).
35 En effet, selon l’article 2 de la sixième directive, relatif aux opérations imposables, sont soumises à la TVA, à côté des importations de biens, les livraisons de biens et prestations de services effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays. En outre, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, est considéré comme assujetti quiconque accomplit, de façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts et les résultats de cette activité (voir, notamment, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, Rec. p. 1471, point 6; du 12 septembre 2000, Commission/Grèce, C-260/98, Rec. p. I-6537, point 24, ainsi que Isle of Wight Council e.a., précité, points 26 et 27).
36 La notion d’«activités économiques» est définie à l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence (voir, notamment, arrêts du 26 mai 2005, Kretztechnik, C-465/03, Rec. p. I-4357, point 18, ainsi que Hutchison 3G e.a., précité, point 27).
37 L’analyse de ces définitions met en évidence l’étendue du champ d’application couvert par la notion d’activités économiques ainsi que le caractère objectif de cette notion, en ce sens que l’activité est considérée en elle-même, indépendamment de ses buts ou de ses résultats (voir, notamment, arrêts Commission/Grèce, précité, point 26, ainsi que du 21 février 2006, University of Huddersfield, C-223/03, Rec. p. I-1751, point 47 et jurisprudence citée). Une activité est ainsi, en règle générale, qualifiée d’économique lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération (arrêts Commission/Pays-Bas, précité, points 9 et 15, ainsi que du 13 décembre 2007, Götz, C-408/06, Rec. p. I-11295, point 18).
38 En revanche, il découle de la jurisprudence que la perception d’une redevance n’est pas, en soi, de nature à conférer un caractère économique à une activité donnée (voir arrêts précités Hutchison 3G e.a., point 39 et jurisprudence citée, ainsi que Götz, point 21).
39 Afin d’apprécier le bien-fondé du recours introduit par la Commission, il convient dès lors d’examiner, en premier lieu, si les services d’assistance juridique fournis par les bureaux publics dans le cadre de procédures judiciaires contre une rétribution partielle constituent des activités économiques au sens des articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive.
40 Il y a lieu de relever d’emblée que, compte tenu du caractère objectif que revêt la notion d’activités économiques, le fait que l’activité des bureaux publics consiste dans l’exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d’intérêt général et en dehors de tout objectif d’entreprise ou commercial, est à cet égard sans pertinence. En effet, la sixième directive, à son article 6, prévoit expressément l’assujettissement au régime de la TVA de certaines activités accomplies aux termes de la loi (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Pays-Bas, point 10, et Commission/Grèce, point 28).
41 Par ailleurs, il est constant que les services d’assistance juridique en cause sont fournis de façon permanente par les bureaux publics.
42 Dans ces conditions, il convient de vérifier si lesdits services peuvent être considérés comme étant fournis par ces bureaux publics contre le paiement d’une rémunération.
43 À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre du système de la TVA, les opérations taxables supposent l’existence d’une transaction entre les parties comportant stipulation d’un prix ou d’une contre-valeur. Ainsi, lorsque l’activité d’un prestataire consiste à fournir exclusivement des prestations sans contrepartie directe, il n’existe pas de base d’imposition et ces prestations ne sont donc pas soumises à la TVA (voir arrêts du 1er avril 1982, Hong-Kong Trade Development Council, 89/81, Rec. p. 1277, points 9 et 10, ainsi que du 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93, Rec. p. I-743, point 12).
44 Il en résulte, selon la jurisprudence, qu’une prestation de services n’est effectuée «à titre onéreux», au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire (voir, notamment, arrêts Tolsma, précité, point 14; du 5 juin 1997, SDC, C-2/95, Rec. p. I-3017, point 45, et MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring, précité, point 47).
45 En conséquence, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’existence d’une prestation de services à titre onéreux, au sens dudit article 2, point 1, de la sixième directive, suppose un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue (voir, notamment, arrêts du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, 102/86, Rec. p. 1443, points 11 et 12; du 16 octobre 1997, Fillibeck, C-258/95, Rec. p. I-5577, point 12, ainsi que Commission/Grèce, précité, point 29).
46 En l’espèce, il y a lieu de constater que les services d’assistance juridique visés par le présent recours ne sont pas fournis par les bureaux publics à titre gracieux et, partant, en l’absence de toute contrepartie, puisque les bénéficiaires de ces services sont tenus de verser une rétribution aux bureaux publics.
47 Cependant, il est constant que cette rétribution n’est que partielle en ce sens qu’elle ne couvre pas la totalité du montant des honoraires fixés par la réglementation nationale, en fonction de la nature du litige, au titre de la rémunération des services d’assistance juridique fournis par les bureaux publics et les conseils privés. En effet, ainsi qu’il ressort des points 12 à 14 du présent arrêt, la rétribution constituée par la contribution de base représente un pourcentage, variant de 20 % à 75 %, dudit montant. Certes, cette rétribution peut, en fonction du patrimoine du bénéficiaire, être complétée par une contribution additionnelle. Toutefois, la Commission ne soutient pas et, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, il est improbable, compte tenu du plafond de revenus fixé par la réglementation nationale pour l’octroi de l’assistance juridique, que cette contribution additionnelle soit susceptible d’aboutir au paiement par le bénéficiaire d’une rétribution équivalant à l’intégralité des honoraires fixés par cette réglementation pour la prestation de services d’assistance juridique.
48 Or, si le montant de cette rétribution partielle représente une quotité de ces honoraires, ce montant n’est pas calculé uniquement sur la base de ceux-ci, mais il dépend également des revenus et du patrimoine du bénéficiaire. Ainsi, c’est le niveau de ces derniers, et non pas, par exemple, le nombre d’heures de travail fourni par les bureaux publics ou le degré de difficulté de l’affaire concernée, qui détermine la part des honoraires qui reste à la charge du bénéficiaire.
49 Il en résulte que la rétribution partielle payée aux bureaux publics par les bénéficiaires des services d’assistance juridique ne dépend que partiellement de la valeur réelle des services fournis, le lien avec celle-ci étant d’autant plus ténu que les revenus et le patrimoine de ces bénéficiaires sont modestes.
50 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 50 et 51 de ses conclusions, cette constatation est corroborée par le fait que, selon les données transmises par le gouvernement finlandais dans le cadre du présent recours, le montant des rétributions partielles payées en 2007 par les bénéficiaires de services d’assistance juridique fournis par des bureaux publics, lesquelles correspondent à un tiers seulement de la totalité des services rendus par les bureaux publics, s’est élevé à 1,9 million d’euros, alors que les frais de fonctionnement bruts exposés par ces bureaux ont été de 24,5 millions d’euros. Même si ces données incluent également les services d’assistance juridique accomplis en dehors du cadre de procédures judiciaires, une telle différence est de nature à suggérer que la rétribution partielle à la charge des bénéficiaires doit être assimilée davantage à une redevance, dont la perception n’est pas, en soi, de nature à conférer un caractère économique à une activité donnée, qu’à une rémunération proprement dite.
51 Dès lors, à la lumière de ces éléments, il n’apparaît pas que le lien entre les services d’assistance juridique fournis par les bureaux publics et la contre-valeur à payer par les bénéficiaires revêt le caractère direct requis pour que celle-ci puisse être considérée comme constituant une rémunération de ces services et, partant, pour que ces derniers soient considérés comme des activités économiques au sens des articles 2, point 1, et 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive.
52 Or, en l’espèce, la Commission n’a pas fourni d’autres éléments susceptibles de démontrer que les services en question constituent de telles activités économiques. En particulier, si la Commission soutient, dans son recours, qu’il existe un lien direct entre la rétribution partielle payée par les bénéficiaires des services d’assistance juridique et les prestations fournies par les bureaux publics, elle n’a développé, à l’appui de cette allégation, aucune argumentation spécifique et n’a apporté aucun élément probant de nature à justifier l’existence d’un tel lien direct, et ce alors surtout que, pour la détermination de cette contribution, il est tenu compte du montant des revenus et du patrimoine des bénéficiaires. Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement en vertu de l’article 226 CE, c’est toutefois à la Commission qu’il incombe d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur des présomptions quelconques (voir, notamment, arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C-494/01, Rec. p. I-3331, point 41 et jurisprudence citée).
53 Dans ces conditions, en l’absence d’une activité économique des bureaux publics, l’applicabilité de l’article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive supposant la constatation préalable du caractère économique de l’activité considérée (voir, en ce sens, arrêts précités Hutchison 3G e.a., point 42, ainsi que Götz, point 15), il n’est pas nécessaire d’examiner, en second lieu, l’argumentation de la Commission relative au point de savoir, d’une part, si ces bureaux exercent l’activité de prestation de services d’assistance juridique en cause en tant qu’autorités publiques au sens du premier alinéa de ladite disposition et, d’autre part, si le non-assujettissement de cette activité à la TVA conduirait, en tout état de cause, à des distorsions de concurrence d’une certaine importance au sens du deuxième alinéa de la même disposition.
54 Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le présent recours.
Sur les dépens
55 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République de Finlande ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.
Signatures
* Langue de procédure: le finnois.