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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 avril 2010 (*)

«Sixième directive TVA – Article 17, paragraphes 2 et 3 – Article 28 ter, A, paragraphe 2 – Droit à déduction – Régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres – Lieu des acquisitions intracommunautaires de biens»

Dans les affaires jointes C-536/08 et C-539/08,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décisions du 14 novembre 2008, parvenues à la Cour le 4 décembre 2008, dans la procédure

Staatssecretaris van Financiën

contre

X (C-536/08),

fiscale eenheid Facet BV-Facet Trading BV (C-539/08),

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis (rapporteur), J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 novembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour fiscale eenheid Facet BV-Facet Trading BV, par Mes H. W. M. van Kesteren et M. A. J. Raafs, advocaten,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. Noort, ainsi que par M. M. de Grave, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mme M. Jacobs et M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Triantafyllou et Mme C. ten Dam, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 17, paragraphes 2 et 3, ainsi que 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 384, p. 47, ci-après la «sixième directive»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant le Staatssecretaris van Financien (ci-après le «Staatssecretaris»), respectivement, à X et à fiscale eenheid Facet BV-Facet Trading BV (ci-après «Facet») au sujet d’avis de rectification de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 17, paragraphes 1 à 3, de la sixième directive dispose:

«1.                 Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2.                Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

[…]

d)       la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l’article 28 bis, paragraphe 1, point a).

3.                Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

a)       de ses opérations relevant des activités économiques visées à l’article 4, paragraphe 2, effectuées à l’étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l’intérieur du pays;

b)       de ses opérations exonérées conformément à l’article 14, paragraphe 1, point i), à l’article 15, à l’article 16, paragraphe 1, points B, C, D et E, et paragraphe 2, et à l’article 28 quater, points A et C;

c)       de ses opérations exonérées conformément à l’article 13, titre B, points a) et d) 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté.»

4        Aux termes de l’article 28 bis, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive:

«Sont également soumises à la TVA:

a)       les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel, ou par une personne morale non assujettie, lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel, qui ne bénéficie pas de la franchise de taxe prévue à l’article 24 et qui ne relève pas des dispositions prévues à l’article 8, paragraphe 1, point a), deuxième phrase, ou à l’article 28 ter, titre B, paragraphe 1.»

5        L’article 28 bis, paragraphe 3, de la sixième directive prévoit:

«Est considérée comme ‘acquisition intracommunautaire’ d’un bien, l’obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d’un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l’acquéreur, par le vendeur ou par l’acquéreur ou pour leur compte, vers un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport du bien.»

6        L’article 28 ter, A, de la sixième directive dispose:

«1.       Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

2.       Sans préjudice du paragraphe 1, le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens visée à l’article 28 bis, paragraphe 1, point a), est, toutefois, réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition, dans la mesure où l’acquéreur n’établit pas que cette acquisition a été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1.

Si, néanmoins l’acquisition est soumise à la taxe, en application du paragraphe 1, dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens après avoir été soumise à la taxe en application du premier alinéa, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition.

Aux fins du premier alinéa, l’acquisition intracommunautaire de biens est réputée avoir été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1, lorsque les conditions suivantes sont réunies:

–        l’acquéreur établit avoir effectué cette acquisition intracommunautaire pour les besoins d’une livraison subséquente, effectuée à l’intérieur de l’État membre visé au paragraphe 1, pour laquelle le destinataire a été désigné comme redevable de la taxe conformément à l’article 28 quater, titre E, paragraphe 3,

–        l’acquéreur a rempli les obligations de déclaration prévues à l’article 22, paragraphe 6, point b) dernier alinéa.»

7        L’article 28 quater, E, paragraphe 3, de la sixième directive prévoit:

«Chaque État membre prend des mesures particulières afin de ne pas soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées, au sens de l’article 28 ter, titre A, paragraphe 1, à l’intérieur de son territoire, lorsque les conditions suivantes sont réunies:

–        l’acquisition intracommunautaire de biens est effectuée par un assujetti non établi à l’intérieur du pays, mais identifié à la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre État membre,

–        l’acquisition intracommunautaire de biens est effectuée pour les besoins d’une livraison subséquente de ces biens effectuée à l’intérieur du pays par cet assujetti,

–        les biens ainsi acquis par cet assujetti sont directement expédiés ou transportés à partir d’un État membre autre que celui à l’intérieur duquel il est identifié à la taxe sur la valeur ajoutée et à destination de la personne pour laquelle il effectue la livraison subséquente,

–        le destinataire de la livraison subséquente est un autre assujetti, ou une personne morale non assujettie, identifié(e) à la taxe sur la valeur ajoutée à l’intérieur du pays,

–        ce destinataire a été désigné, conformément à l’article 21, point 1, a), troisième alinéa comme le redevable de la taxe due au titre de la livraison effectuée par l’assujetti non établi à l’intérieur du pays.»

8         L’article 28 quinquies, paragraphe 1, de la sixième directive dispose:

«Le fait générateur de la taxe intervient au moment où l’acquisition intracommunautaire de biens est effectuée. L’acquisition intracommunautaire de biens est considérée comme effectuée au moment où la livraison à l’intérieur du pays de biens similaires est considérée comme effectuée.»

9        L’article 28 nonies, de la sixième directive, tel que modifié par la directive 95/7/CE du Conseil du 10 avril 1995 modifiant la directive 77/388/CEE et portant nouvelles mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée – champ d'application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en œuvre (JO L 102, p. 18), dispose:

«[…]

b)       Tout assujetti identifié à la taxe sur la valeur ajoutée doit également déposer un état récapitulatif des acquéreurs identifiés à la taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a livré des biens dans les conditions prévues à l’article 28 quater, titre A, points a) et d), ainsi que des destinataires identifiés à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations visées au cinquième alinéa.

L’état récapitulatif est souscrit au titre de chaque trimestre civil dans un délai et selon des modalités à fixer par les États membres, qui prennent les mesures nécessaires pour que soient en tout état de cause respectées les dispositions concernant la coopération administrative dans le domaine des impôts indirects.

[...]»

 La réglementation nationale

10      L’article 15 de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting), du 28 juin 1968 (Staatsblad 1968, n° 329, ci-après la «loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaire»), prévoit:

«La taxe visée à l’article 2 que déduit l’opérateur est:

[…]

b.      la taxe due, dans la période de la déclaration, à l’occasion d’acquisitions intracommunautaires, au sens de l’article 17a, paragraphe 1, effectuées par l’opérateur, pour autant que cet opérateur soit en possession d’une facture établie conformément aux prescriptions;

c.      la taxe due dans la période de la déclaration:

[…]

à l’occasion des acquisitions intracommunautaires, au sens de l’article 17a, paragraphe 1, effectuées par l’opérateur, autres que celles visées au point b);

[…]

Si une demande de remboursement de la taxe peut être déposée au titre de l’article 30, paragraphes 1, 2 et 3, l’opérateur ne peut porter la taxe en déduction.

[…]»

11      Aux termes de l’article 17a de cette loi:

«Une acquisition intracommunautaire de biens est une acquisition de biens à la suite d’une livraison de ceux-ci par un opérateur dans le cadre de son activité, ces biens étant expédiés ou transportés d’un État membre vers un autre État membre.

[…]»

12      L’article 17b de ladite loi prévoit:

«Le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est le lieu d’arrivée de l’expédition ou du transport.

Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, l’acquisition intracommunautaire est effectuée dans l’État membre qui a octroyé le numéro d’identification à la TVA sous lequel l’acquisition a été effectuée, pour autant que l’acheteur ne démontre pas que l’impôt a été perçu en application du paragraphe 1.

[…]»

13      L’article 30, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires énonce:

«À la demande de l’assujetti, est accordé le remboursement de la taxe due à l’occasion de l’acquisition intracommunautaire de biens, dans les cas dans lesquels la taxe a été perçue en application de l’article 17b, paragraphe 2, et où l’intéressé montre qu’à l’occasion de la même acquisition, la taxe a été perçue dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport.

[…]»

 Les litiges au principal et la question préjudicielle

 L’affaire C-536/08

14      X, entreprise établie aux Pays-Bas, commercialise des ordinateurs et des pièces d’ordinateurs. Au cours de la période comprise entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 1999, elle a acheté des biens de ce type auprès d’entreprises situées dans des États membres autres que les Pays-Bas et l’Espagne (ci-après les «fournisseurs») et les a revendus à des acheteurs établis en Espagne.

15      Les fournisseurs n’ont pas porté en compte la TVA sur la facture adressée à X mais y ont mentionné son numéro d’identification à la TVA néerlandais. X a ensuite fait mention, sur les factures adressées à ses acheteurs, de l’application de l’article 28 quater, E, paragraphe 3, de la sixième directive.

16      Dans sa déclaration relative à la période comprise entre le 1er janvier 1998 et le 30 septembre 1998, X n’a pas repris de montant de TVA dû sur les acquisitions intracommunautaires. Elle n’a pas non plus déduit de TVA à l’occasion de ces acquisitions intracommunautaires. Elle n’a pas davantage déclaré de livraisons intracommunautaires, au sens des articles 37a de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires et 22, paragraphe 6, sous b), dernier alinéa, de la sixième directive.

17      En revanche, s’agissant de la période comprise entre le 1er octobre 1998 et le 30 juin 1999, X a, dans sa déclaration, mentionné la TVA due sur les acquisitions intracommunautaires et elle l’a portée en déduction. Elle a, en outre, déclaré des livraisons intracommunautaires, au sens des dispositions citées au point précédent. Aux termes de la décision de renvoi, il n’a pas été établi que les biens en cause avaient, dans le cadre des transactions visées au point 14 du présent arrêt, été directement expédiés ou transportés à destination des acheteurs établis en Espagne.

18      Estimant que X avait acquis les biens en cause, au sens de l’article 17a de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, l’Inspecteur van de Belastingdienst (ci-après l’«Inspecteur») a établi à la charge de l’intéressée, pour la période susmentionnée, un avis de rectification de la TVA. Il a considéré qu’elle avait acquis ces biens aux Pays-Bas conformément à l’article 17b de cette loi et de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive. À la suite d’une réclamation introduite par X contre cette décision, l’Inspecteur a maintenu l’imposition, estimant, par ailleurs, que lesdites acquisitions intracommunautaires n’ouvraient aucun droit à déduction pour X.

19      Cette dernière a introduit un recours contre ladite décision devant le Gerechtshof te’s-Gravenhage. Par arrêt du 22 avril 2005, celui-ci a déclaré le recours fondé, annulé la décision litigieuse et réduit le montant de l’avis de rectification. Le Staatssecretaris a formé un pourvoi en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden.

20      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 17, paragraphes 2 et 3, et 28 ter, [...] A, paragraphe 2, de la sixième directive doivent-ils être interprétés en ce sens que, si, conformément au premier alinéa de ce dernier article, le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la [TVA] sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition, l’acquéreur précité a le droit de déduire immédiatement la TVA ainsi due dans cet État?»

 L’affaire C-539/08

21      Facet, entité fiscale établie aux Pays-Bas, commercialise des pièces d’ordinateurs. Au cours de la période comprise entre le 1er décembre 2000 et le 30 septembre 2001, elle a acheté des biens de ce type auprès d’entreprises situées en Allemagne et en Italie (ci-après les «fournisseurs») et les a revendus à des acheteurs établis à Chypre (ci-après les «acheteurs»), qui ont un représentant fiscal établi en Grèce. Les biens ont été directement transférés de l’Allemagne et de l’Italie vers l’Espagne.

22      Les fournisseurs n’ont pas porté en compte la TVA sur les factures. En revanche, ils ont mentionné sur celles-ci le numéro d’identification à la TVA néerlandais de Facet. Cette dernière n’a pas non plus porté en compte la TVA sur les factures adressées aux acheteurs chypriotes. Toutefois, elle y a fait mention du numéro d’identification grec que les acheteurs lui avaient communiqué.

23      Dans sa déclaration au Royaume des Pays-Bas, Facet a mentionné la TVA due sur les acquisitions intracommunautaires et l’a déduite. Elle a également traité les livraisons aux acheteurs comme des livraisons intracommunautaires, au sens des articles 37a de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires et 22, paragraphe 6, sous b), dernier alinéa, de la sixième directive, en mentionnant le numéro d’identification à la TVA grec des acheteurs ou de leurs représentants fiscaux. Toutefois, ni les représentants fiscaux ni les acheteurs eux-mêmes n’ont, dans le cadre des achats en cause, rempli de déclaration d’acquisitions intracommunautaires. Ils n’ont pas davantage déclaré de livraisons intracommunautaires ou déposé d’«état récapitulatif» au sens de l’article 22, paragraphe 6, sous b), dernier alinéa, de la sixième directive. En outre, les acheteurs n’étaient pas enregistrés aux fins de la TVA en Espagne et n’ont pas rempli de déclaration d’acquisitions intracommunautaires dans ce pays.

24      L’Inspecteur a considéré que Facet avait effectué des acquisitions intracommunautaires et qu’elle n’avait pas le droit de déduire la TVA. Dans ces conditions, il a établi un avis de rectification.

25      Facet a introduit un recours contre la décision de l’Inspecteur devant le Gerechtshof te Amsterdam. Par arrêt du 27 février 2006, celui-ci a déclaré le recours fondé, annulé la décision litigieuse et réduit le montant de l’avis de rectification. Le Staatssecretaris a saisi la juridiction de renvoi d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

26      Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question identique à celle posée dans l’affaire C-536/08.

 Sur la question préjudicielle

27      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’acquéreur bénéficie, au titre de l’article 17, paragraphes 2 et 3, de la sixième directive, d’un droit à déduction immédiate de la TVA ayant grevé en amont une acquisition intracommunautaire, dans le cas visé à l’article 28 ter, A, paragraphe 2, premier alinéa, de ladite directive.

28      Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le droit à déduction de la TVA constitue, en tant que partie intégrante du mécanisme de TVA, un principe fondamental inhérent au système commun de TVA et ne peut en principe être limité (voir arrêts du 10 juillet 2008, Sosnowska, C-25/07, Rec. p. I-5129, point 15, et du 23 avril 2009, PARAT Automotive Cabrio C-74/08, non encore publié au Recueil, point 15).

29      Le droit à déduction s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont. Il en résulte que toute limitation du droit à déduction de la TVA a une incidence sur le niveau de la charge fiscale et doit s’appliquer de manière similaire dans tous les États membres (voir arrêt PARAT Automotive Cabrio, précité, point 16).

30      L’article 28 ter, A, de la sixième directive, qui s’insère dans le régime transitoire de taxation des échanges entre les États membres prévu au titre XVI bis de cette directive, régit, pour sa part, la localisation des acquisitions intracommunautaires, telles que celles en cause dans les affaires au principal. L’objectif poursuivi par ce régime transitoire est de transférer la recette fiscale à l’État membre où a lieu la consommation finale des biens livrés (voir arrêt du 6 avril 2006, EMAG Handel Eder, C-245/04, Rec. p. I-3227, point 40).

31      Son paragraphe 1 énonce la règle générale selon laquelle le lieu d’une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

32      Il y a lieu de relever, à cet égard, que la directive 92/111 a introduit à l’article 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive un dernier alinéa qui prévoit que, si l’acquéreur établit avoir réalisé l’acquisition intracommunautaire pour les besoins d’une livraison effectuée à l’intérieur de l’État membre visé au paragraphe 1 de cet article, pour laquelle le destinataire a été désigné comme redevable de la taxe conformément à l’article 28 quater, E, paragraphe 3, de cette directive, et que cet acquéreur a rempli les obligations de déclaration prévues à l’article 22, paragraphe 6, sous b), dernier alinéa, de ladite directive, dans ces conditions, l’acquisition intracommunautaire est réputée avoir été soumise à la TVA selon la règle générale énoncée audit article 28 ter, A, paragraphe 1.

33      Afin de garantir l’assujettissement de l’acquisition en cause à la TVA, l’article 28 ter, A, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive dispose que, dans la mesure où l’acquéreur n’établit pas que l’opération a été soumise à la taxe conformément au paragraphe 1 de cet article, le lieu de l’acquisition est réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué le numéro d’identification à la TVA sous lequel l’acquéreur a effectué cette acquisition (ci-après l’«État membre d’identification»).

34      Dans la situation où l’acquisition serait soumise à la TVA, en application de l’article 28 ter, A, paragraphe 1, de la sixième directive, dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport des biens après avoir été soumise à la TVA en application de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, premier alinéa, ce dernier article prévoit, à son paragraphe 2, deuxième alinéa, un mécanisme correcteur, consistant à réduire la base d’imposition à due concurrence dans l’État membre d’identification.

35      Il s’ensuit que l’article 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive vise, d’une part, à garantir l’assujettissement de l’acquisition intracommunautaire en cause et, d’autre part, à éviter la double imposition pour la même acquisition.

36      Toutefois, l’application du mécanisme correcteur prévu à l’article 28 ter, A, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la sixième directive est subordonnée à l’existence des conditions cumulatives énoncées au dernier alinéa de cet article, ainsi que rappelé au point 32 du présent arrêt.

37      À cet égard, il importe de souligner, en premier lieu, que le règlement (CE) n° 1798/2003 du Conseil, du 7 octobre 2003, concernant la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée et abrogeant le règlement (CEE) n° 218/92 (JO L 264, p. 1) n’a pas été adopté afin de mettre en place un système d’échange d’informations entre les administrations fiscales des États membres leur permettant d’établir si des acquisitions intracommunautaires ont été effectivement soumises à la TVA dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport dans le cas de figure où l’assujetti n’est pas en mesure de fournir lui-même les preuves nécessaires à cette fin (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007, Twoh International, C-184/05, Rec. p. I-7897, point 34).

38      En deuxième lieu, il y a lieu de relever que, lorsque les conditions de l’article 28 quater, E, paragraphe 3, de la sixième directive sont réunies, chaque État membre a l’obligation de prendre des mesures particulières afin de ne pas soumettre à la TVA les «acquisitions intracommunautaires» de biens effectuées, au sens de l’article 28 ter, A, paragraphe 1, de ladite directive à l’intérieur de son territoire.

39      Se pose dès lors la question de savoir si un droit à déduction immédiate doit être accordé à l’assujetti dans le cas, visé à l’article 28 ter, A, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive, où, à défaut d’avoir établi l’imposition à la TVA de l’acquisition intracommunautaire en cause dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport, ledit assujetti est soumis à cette taxe dans l’État membre d’identification.

40      À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, aux termes de l’article 17, paragraphe 2, sous d), de la sixième directive, la déduction de la TVA ayant grevé les biens et services intermédiaires acquis par l’assujetti, notamment dans le cadre d’acquisitions intracommunautaires, est subordonnée à la condition que les biens et les services ainsi acquis soient utilisés pour les besoins des opérations taxées de l’assujetti.

41      Or, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il est constant que les biens taxés au titre d’acquisitions intracommunautaires réputées effectuées dans l’État membre d’identification, en application de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive, n’ont pas été réellement introduits dans ledit État membre.

42      Dans ces conditions, lesdites opérations ne sauraient être regardées comme ouvrant «droit à déduction» au sens de l’article 17 de la sixième directive. Par suite, de telles acquisitions intracommunautaires ne sauraient bénéficier du régime général de déduction prévu audit article.

43      Il y a lieu de souligner que le régime général de déduction de la taxe, tel que prévu à l’article 17 de la sixième directive, n’a pas vocation à se substituer, dans une situation telle que celle en cause au principal, au régime spécifique visé à l’article 28 ter, A, paragraphe 2, deuxième alinéa, de cette directive fondé sur un mécanisme de réduction de base d’imposition permettant de corriger la double imposition.

44      En outre, le fait d’accorder un droit à déduction dans un tel cas de figure risquerait de porter atteinte à l’effet utile de l’article 28 ter, A, paragraphe 2, deuxième et troisième alinéas, de la sixième directive, étant donné que l’assujetti, ayant bénéficié du droit à déduction dans l’État membre d’identification, ne serait plus incité à établir la taxation de l’acquisition intracommunautaire en cause dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport. Une telle solution pourrait, en fin de compte, mettre en péril l’application de la règle de base selon laquelle, s’agissant d’une acquisition intracommunautaire, le lieu d’assujettissement est réputé se situer dans l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport, à savoir l’État membre de consommation finale, qui est l’objectif du régime transitoire.

45      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 17, paragraphes 2 et 3, ainsi que 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens que l’assujetti qui relève de la situation visée au premier alinéa de cette dernière disposition n’a pas le droit de déduire immédiatement la TVA ayant grevé en amont une acquisition intracommunautaire.

 Sur les dépens

46      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Les articles 17, paragraphes 2 et 3, ainsi que 28 ter, A, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, dans sa version résultant de la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, doivent être interprétés en ce sens que l’assujetti qui relève de la situation visée au premier alinéa de cette dernière disposition n’a pas le droit de déduire immédiatement la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé en amont une acquisition intracommunautaire.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.