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Affaire C-103/09

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

contre

Weald Leasing Ltd

(demande de décision préjudicielle, introduite par

la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division))

«Sixième directive TVA — Notion de pratique abusive — Opérations de crédit-bail mises en œuvre par un groupe d’entreprises en vue d’échelonner le paiement de la TVA non déductible»

Sommaire de l'arrêt

1.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Sixième directive — Opérations constitutives d'une pratique abusive — Notion

(Directive du Conseil 77/388)

2.        Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Taxes sur le chiffre d'affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Sixième directive — Opérations constitutives d'une pratique abusive

(Directive du Conseil 77/388)

1.        L’avantage fiscal résultant du recours, par une entreprise, à des opérations de crédit-bail portant sur des actifs, plutôt qu’à l’achat direct de ces actifs, ne constitue pas un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions pertinentes de la sixième directive 77/388, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 95/7, et de la législation nationale transposant cette directive, sous réserve que les conditions contractuelles relatives à ces opérations, notamment celles concernant la fixation du montant des loyers, correspondent à des conditions normales de marché et que l’implication d’une société tierce intermédiaire dans lesdites opérations ne soit pas de nature à faire obstacle à l’application desdites dispositions, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

La circonstance que cette entreprise ne se livre pas, dans le cadre de ses transactions commerciales normales, à des opérations de crédit-bail est sans incidence à cet égard. En effet, la constatation de l’existence d’une pratique abusive résulte non pas de la nature des transactions commerciales auxquelles l’auteur des opérations se livre normalement, mais de l’objet, de la finalité et des effets de ces opérations.

(cf. points 44-45, disp. 1)

2.        Si certaines conditions contractuelles relatives à des opérations de crédit-bail auxquelles a recours une entreprise et/ou l’intervention d’une société tierce intermédiaire dans ces opérations sont constitutives d’une pratique abusive, lesdites opérations doivent être redéfinies de manière à ce que soit rétablie la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des éléments de ces conditions contractuelles présentant un caractère abusif et/ou de l’intervention de cette société. Dans ce contexte, la redéfinition opérée ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l'exacte perception de la taxe sur la valeur ajoutée et éviter la fraude.

(cf. points 52-53, disp. 2)







ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 décembre 2010 (*)

«Sixième directive TVA – Notion de pratique abusive – Opérations de crédit-bail mises en œuvre par un groupe d’entreprises en vue d’échelonner le paiement de la TVA non déductible»

Dans l’affaire C-103/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 24 février 2009, parvenue à la Cour le 13 mars 2009, dans la procédure

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

contre

Weald Leasing Ltd,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. D. Šváby, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juin 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Weald Leasing Ltd, par M. M. Conlon, QC, et Mme N. Shaw, barrister, mandatés par M. S. Walsh, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Ossowski, en qualité d’agent, assisté de Mme M. Hall, barrister,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. Aston, SC,

–        pour le gouvernement grec, par M. G. Kanellopoulos ainsi que par Mmes S. Trekli et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Arena, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Lyal et Mme M. Afonso, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 octobre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la notion de «pratique abusive», au sens des arrêts du 21 février 2006, Halifax e.a. (C-255/02, Rec. p. I-1609), du 21 février 2008, Part Service (C-425/06, Rec. p. I-897), ainsi que du 22 mai 2008, Ampliscientifica et Amplifin (C-162/07, Rec. p. I-4019).

2        Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant les Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (ci-après les «Commissioners») à Weald Leasing Ltd (ci-après «Weald Leasing») au sujet de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») à laquelle cette société a été assujettie en raison de certaines opérations de crédit-bail qu’elle a effectuées.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        L’article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la «sixième directive»), dispose:

«Sont soumises à la [TVA]:

1.      les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l’intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel».

4        L’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies de celle-ci, prévoit:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a)      la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti».

5        L’article 27 de la sixième directive est libellé comme suit:

«1.      Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global de la taxe due au stade de la consommation finale.

2.      L’État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d’appréciation.

3.      La Commission en informe les autres États membres dans un délai d’un mois.

4.      La décision du Conseil sera réputée acquise si, dans un délai de deux mois à compter de l’information visée au paragraphe 3, ni la Commission, ni un État membre n’ont demandé l’évocation de l’affaire par le Conseil.

5.      Les États membres qui appliquent, au 1er janvier 1977, des mesures particulières du type de celles visées au paragraphe 1 peuvent les maintenir, à la condition de les notifier à la Commission avant le 1er janvier 1978 et sous réserve qu’elles soient conformes, pour autant qu’il s’agisse de mesures destinées à simplifier la perception de la taxe, au critère défini au paragraphe 1.»

 La réglementation nationale

6        L’annexe 6, paragraphe 1, de la loi de 1994 relative à la TVA (Value Added Tax Act 1994, ci-après la «VAT Act 1994») prévoit:

«1(1) Lorsque

a)      la valeur de la fourniture d’un bien ou d’un service par une personne assujettie en contrepartie d’une somme d’argent est (en dehors du présent paragraphe) inférieure à sa valeur normale, et

b)      la personne effectuant la fourniture et celle à laquelle celle-ci est faite sont liées, et

c)      dès lors que ladite fourniture constitue une opération imposable, la personne à laquelle elle est faite n’a pas droit en vertu des articles 25 et 26 à un crédit sur toute la TVA sur cette fourniture,

les Commissioners peuvent décider que la valeur de cette fourniture sera considérée être sa valeur normale.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7        Le Churchill Group of Companies (ci-après le «groupe Churchill») fournit principalement des services d’assurance exonérés de la TVA.

8        Churchill Management Ltd (ci-après «CML») et ses filiales Churchill Accident Repair Centre (ci-après «CARC») ainsi que Weald Leasing font partie du groupe Churchill.

9        CML et CARC ont un taux de récupération de la TVA payée en amont d’environ 1 %, de sorte que, lorsqu’elles acquièrent des équipements, elles ne peuvent déduire que 1 % de la TVA relative à l’achat de ces équipements.

10      L’activité commerciale de Weald Leasing consiste à acquérir les actifs en cause et à les donner ensuite en crédit-bail.

11      Suas Ltd (ci-après «Suas») est une société détenue par le consultant en TVA du groupe Churchill et son épouse, mais ne faisant pas partie de ce groupe. Sa seule activité commerciale significative consiste à louer des actifs à Weald Leasing et à les sous-louer ensuite à CML et à CARC.

12      Lorsque CML ou CARC avaient besoin d’un nouvel équipement, celui-ci était acquis par Weald Leasing, qui le donnait en crédit-bail à Suas, qui, à son tour, le sous-louait à CML ou à CARC.

13      Le recours à cette série d’opérations évitait à CML et à CARC de devoir acquérir directement les équipements dont elles avaient besoin et de payer en une seule fois la totalité du montant de la TVA non déductible relative à ces acquisitions.

14      L’objectif de ces opérations était de fractionner et d’échelonner le paiement de ce montant afin de différer la charge fiscale pesant sur le groupe Churchill.

15      En effet, CML et CARC supportaient immédiatement la charge de la TVA non déductible non pas sur le coût total des équipements achetés, mais sur le montant des loyers relatifs à ces équipements, réparti sur la durée des contrats de crédit-bail.

16      Les Commissioners ont établi des avis d’imposition par lesquels ils ont rejeté la demande de Weald Leasing visant à déduire la TVA payée, en amont, sur les actifs loués entre les mois d’octobre 2000 et d’octobre 2004, au motif que les opérations en cause ne constituaient pas des activités économiques et qu’elles présentaient un caractère abusif.

17      Weald Leasing a introduit une réclamation à l’encontre de ces avis d’imposition, en faisant valoir que ces opérations n’avaient pas été réalisées dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal et que le fait de fournir des équipements au moyen d’un contrat de crédit-bail n’était pas contraire aux objectifs poursuivis par la sixième directive.

18      À la suite du prononcé de l’arrêt Halifax e.a., précité, les Commissioners ont renoncé à l’argument selon lequel les opérations en cause n’avaient pas le caractère d’activités économiques et ont soutenu uniquement que ces opérations constituaient une pratique abusive.

19      Par un jugement du 7 février 2007, le VAT and Duties Tribunal a jugé que l’objectif essentiel desdites opérations était l’obtention d’un avantage fiscal, consistant à différer la charge de la TVA supportée par le groupe Churchill par la conclusion de contrats de crédit-bail, mais que cet avantage n’était pas contraire à l’objectif des dispositions pertinentes de la sixième directive.

20      Cette juridiction a jugé également qu’un abus pouvait éventuellement résulter non pas des contrats de crédit-bail eux-mêmes, mais du montant des loyers prévu par ces contrats ainsi que des accords permettant d’empêcher les Commissioners de prendre une décision au titre de l’annexe 6 de la VAT Act 1994.

21      Les Commissioners ont fait appel de ce jugement devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, en soutenant que l’avantage fiscal obtenu par le groupe Churchill était contraire aux objectifs poursuivis par la sixième directive.

22      Par un arrêt du 16 janvier 2008, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a rejeté l’appel formé par les Commissioners contre ce jugement, au motif que la circonstance que les opérations en cause n’aient pas été réalisées dans le cadre de transactions commerciales normales n’était pas suffisante pour conclure à l’existence d’une pratique abusive, dès lors que l’avantage fiscal obtenu par le groupe Churchill en recourant à ces opérations n’était pas contraire au principe de neutralité fiscale ou à toute autre disposition de la sixième directive.

23      Les Commissioners ont fait appel de cet arrêt devant la juridiction de renvoi au motif que la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, avait omis d’examiner la question de savoir si les contrats de crédit-bail en cause entraient dans le cadre des transactions commerciales normales des parties. Selon eux, il serait contraire aux objectifs poursuivis par la sixième directive de permettre à un contribuable de déduire la TVA générée en amont par des opérations sans objet commercial réel, qui ne sont pas effectuées dans des conditions normales de marché, qui ne comportent pas les charges et les risques normalement liés à de tels contrats et qui n’ont pas été conclues dans le cadre des transactions commerciales normales des cocontractants.

24      C’est dans ce contexte que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, dans lesquelles une entreprise largement non assujettie adopte une structure de crédit-bail portant sur des actifs impliquant une tierce partie intermédiaire, plutôt que d’acheter directement les actifs, cette structure de crédit-bail portant sur des actifs ou tout élément de celle-ci créent-ils un avantage fiscal contraire aux objectifs poursuivis par la sixième directive, au sens du point 74 de l’arrêt [Halifax e.a, précité]?

2)      Compte tenu de ce que la sixième directive envisage la prise en crédit-bail d’actifs par des entreprises non assujetties ou partiellement non assujetties, de la référence faite par la Cour à la notion de «transactions commerciales normales» aux points 69 et 80 de l’arrêt Halifax e.a., [précité], ainsi qu’au point 27 de l’arrêt [Ampliscientifica et Amplifin, précité], et de l’absence d’une telle référence dans l’arrêt [Part Service, précité], agir de la sorte constitue-t-il un abus de droit de la part d’une entreprise non assujettie ou partiellement non assujettie alors même que, dans le cadre de ses transactions commerciales normales, elle ne se livre pas à des opérations de crédit-bail?

3)      Si la réponse à la deuxième question est positive:

a)      quelle est la pertinence de la notion de ‘transactions commerciales normales’ dans le contexte des points 74 et 75 de l’arrêt Halifax e.a., [précité]; cette notion présente-t-elle une pertinence à l’égard du point 74 ou du point 75 ou des deux;

b)      la référence à la notion de ‘transactions commerciales normales’ est-elle une référence à:

–        des transactions auxquelles le contribuable se livre généralement;

–        des transactions auxquelles les deux parties ou plus se livrent dans des conditions normales de marché;

–        des transactions qui sont commercialement viables;

–        des transactions qui engendrent les charges et risques généralement liés aux bénéfices commerciaux qui y sont attachés;

–        des transactions qui n’ont pas un caractère artificiel en tant qu’elles ont une substance commerciale;

–        ou à tout autre type ou catégorie de transactions?

4)      Si la structure de crédit-bail portant sur des actifs, ou une partie de celle-ci, est jugée constituer une pratique abusive, quelle est la requalification appropriée? En particulier, la juridiction nationale ou l’administration fiscale doivent-elles:

a)      ignorer l’existence de la partie tierce intermédiaire et décider que la TVA est due sur la valeur normale des redevances;

b)      requalifier d’achat direct la structure de crédit-bail; ou

c)      requalifier la transaction de toute autre manière que la juridiction nationale ou l’administration fiscale considèrent comme la manière appropriée de rétablir la situation qui aurait prévalu en l’absence des transactions constituant une pratique abusive?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

25      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le fait, pour une entreprise, de recourir à des opérations de crédit-bail portant sur des actifs telles que celles en cause dans l’affaire au principal, impliquant une société tierce intermédiaire, plutôt que d’acheter directement ces actifs, a pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi est contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions de la sixième directive et si, dans la mesure où, dans le cadre de ses transactions commerciales normales, ladite entreprise ne se livre pas à des opérations de crédit-bail, le recours à de telles opérations constitue une pratique abusive.

26      Il convient de rappeler que l’application de la réglementation de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques, c’est-à-dire les opérations qui sont réalisées non pas dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement dans le but de bénéficier abusivement des avantages prévus par le droit de l’Union et que ce principe d’interdiction des pratiques abusives s’applique également au domaine de la TVA (voir arrêts précités Halifax e.a., points 69 et 70, ainsi que Ampliscientifica et Amplifin, point 27).

27      Par ailleurs, le choix, pour un entrepreneur, entre des opérations exonérées et des opérations imposées peut se fonder sur un ensemble d’éléments, et notamment des considérations de nature fiscale tenant au régime objectif de TVA. Lorsque l’assujetti a le choix entre deux opérations, la sixième directive ne lui impose pas de choisir celle qui implique le paiement du montant de la TVA le plus élevé. Au contraire, l’assujetti a le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale (voir arrêts précités Halifax e.a., point 73, ainsi que Part Service, point 47).

28      Dans ce contexte, la Cour a jugé que, dans le domaine de la TVA, la constatation de l’existence d’une pratique abusive exige la réunion de deux conditions.

29      D’une part, les opérations en cause, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, doivent avoir pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions (voir arrêts précités Halifax e.a., point 74, ainsi que Part Service, point 42).

30      D’autre part, il doit également résulter d’un ensemble d’éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause est l’obtention d’un avantage fiscal. En effet, l’interdiction des pratiques abusives n’est pas pertinente lorsque les opérations en cause sont susceptibles d’avoir une justification autre que la simple obtention d’avantages fiscaux (voir arrêts précités Halifax e.a., point 75, ainsi que Part Service, point 42).

31      S’agissant de l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi que le but essentiel des opérations de crédit-bail en cause au principal était l’obtention d’un avantage fiscal, à savoir l’échelonnement du paiement du montant de la TVA relative aux acquisitions en cause, de manière à différer la charge fiscale pesant sur le groupe Churchill.

32      Toutefois, pour conclure à l’existence d’une pratique abusive, il faut également que, malgré l’application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, cet avantage fiscal soit contraire à l’objectif poursuivi par ces dispositions.

33      À cet égard, il y a lieu de relever que les opérations de crédit-bail relèvent du champ d’application de la sixième directive et que l’avantage fiscal pouvant éventuellement résulter du recours à de telles opérations ne constitue pas, en soi, un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions pertinentes de cette directive et de la législation nationale transposant cette dernière.

34      En effet, il ne saurait être reproché à un assujetti de choisir une opération de crédit-bail lui procurant un avantage consistant, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, dans l’échelonnement du paiement de sa dette fiscale, plutôt qu’une opération d’achat, qui ne lui procure pas un tel avantage, dès lors que la TVA relative à cette opération de crédit-bail est dûment et intégralement payée.

35      Or, il n’est pas contesté que tel est le cas s’agissant de la TVA relative aux opérations de crédit-bail en cause dans le litige au principal et que, pour chacune de ces opérations, les sociétés concernées ont versé le montant correct de TVA en aval et ont déduit, lorsqu’elles le pouvaient, le montant correct de TVA en amont.

36      En effet, si Weald Leasing a pu déduire la TVA relative aux biens qu’elle a acquis, c’est en raison du fait que cette société exerce non pas des activités d’assurance, mais des activités de crédit-bail soumises à la TVA et non exonérées.

37      De même, CML et CARC n’ont pas déduit la TVA relative aux loyers payés à Suas, puisque celle-ci était irrécupérable à hauteur de 99 % de son montant.

38      En outre, le recours à une opération de crédit-bail portant sur un bien n’implique pas, en soi, que le montant de la TVA relative à cette opération soit inférieur à celui qui aurait été versé en cas d’achat de ce bien.

39      Cela étant, la juridiction de renvoi devra déterminer, d’une part, si les conditions contractuelles relatives aux opérations de crédit-bail en cause dans l’affaire au principal sont contraires aux dispositions de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive. Tel serait notamment le cas de la fixation du montant des loyers s’il s’avérait que celui-ci est anormalement bas et qu’il ne correspond à aucune réalité économique.

40      D’autre part, cette juridiction devra également déterminer si l’implication d’une société tierce intermédiaire, en l’occurrence Suas, dans ces opérations est de nature à faire obstacle à l’application de ces dispositions.

41      À cet égard, ladite juridiction devra notamment vérifier si, ainsi qu’il ressort de certaines pièces du dossier et qu’il a été exposé lors de l’audience, l’implication de Suas dans lesdites opérations a empêché les Commissioners de mettre en œuvre l’annexe 6, paragraphe 1, de la VAT Act 1994 en ce qui concerne celles-ci.

42      Dans ce contexte, l’argument de Weald Leasing, selon lequel le principe d’interdiction des pratiques abusives ne s’applique pas à la violation de cette disposition au motif que cette dernière relèverait uniquement du droit national, ne saurait être accueilli, dès lors que ladite disposition a été adoptée sur le fondement de l’article 27 de la sixième directive et qu’elle fait partie de la législation nationale mettant en œuvre cette directive.

43      Par ailleurs, la circonstance qu’une entreprise ayant recours à des opérations de crédit-bail telles que celles en cause dans l’affaire au principal ne se livre pas, dans le cadre de ses transactions commerciales normales, à des opérations de crédit-bail n’a pas d’incidence sur les considérations qui précèdent.

44      En effet, la constatation de l’existence d’une pratique abusive résulte non pas de la nature des transactions commerciales auxquelles l’auteur des opérations en cause se livre normalement, mais de l’objet, de la finalité et des effets de ces opérations.

45      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’avantage fiscal résultant du recours, par une entreprise, à des opérations de crédit-bail portant sur des actifs telles que celles en cause au principal, plutôt qu’à l’achat direct de ces actifs, ne constitue pas un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, à condition que les conditions contractuelles relatives à ces opérations, notamment celles concernant la fixation du montant des loyers, correspondent à des conditions normales de marché et que l’implication d’une société tierce intermédiaire dans lesdites opérations ne soit pas de nature à faire obstacle à l’application desdites dispositions, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. La circonstance que cette entreprise ne se livre pas, dans le cadre de ses transactions commerciales normales, à des opérations de crédit-bail est sans incidence à cet égard.

 Sur la troisième question

46      Compte tenu de la réponse donnée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur la quatrième question

47      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, de quelle manière il conviendrait de redéfinir les opérations en cause dans l’affaire au principal si ces opérations ou une partie de celles-ci étaient constitutives d’une pratique abusive.

48      À cet égard, il convient de rappeler que lorsque l’existence d’une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées dans celle-ci doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des opérations constitutives de cette pratique abusive (voir arrêt Halifax e.a., précité, points 94 et 98).

49      En premier lieu, il incombe donc à la juridiction de renvoi de déterminer, sur le fondement des indications fournies en réponse aux première et deuxième questions, si certains éléments des opérations de crédit-bail en cause dans l’affaire au principal sont constitutifs d’une pratique abusive.

50      Si tel était le cas, il appartiendrait, en second lieu, à cette juridiction de redéfinir ces opérations de manière à rétablir la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des éléments constitutifs de cette pratique abusive.

51      Ainsi, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait à la conclusion que certaines des conditions contractuelles relatives aux opérations de crédit-bail en cause dans l’affaire au principal et/ou que l’intervention de Suas dans ces opérations constituent une pratique abusive, cette juridiction devrait redéfinir lesdites opérations sans tenir compte de l’existence de Suas et/ou en modifiant ou en laissant inappliquées ces conditions contractuelles.

52      Dans ce contexte, la redéfinition opérée par ladite juridiction ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception de la TVA et éviter la fraude (voir, en ce sens, arrêt Halifax e.a., précité, point 92).

53      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la quatrième question que si certaines conditions contractuelles relatives aux opérations de crédit-bail en cause dans l’affaire au principal et/ou l’intervention d’une société tierce intermédiaire dans ces opérations sont constitutives d’une pratique abusive, lesdites opérations doivent être redéfinies de manière à ce que soit rétablie la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des éléments de ces conditions contractuelles présentant un caractère abusif et/ou de l’intervention de cette société.

 Sur les dépens

54      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’avantage fiscal résultant du recours, par une entreprise, à des opérations de crédit-bail portant sur des actifs telles que celles en cause au principal, plutôt qu’à l’achat direct de ces actifs, ne constitue pas un avantage fiscal dont l’octroi serait contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions pertinentes de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, et de la législation nationale transposant cette directive, à condition que les conditions contractuelles relatives à ces opérations, notamment celles concernant la fixation du montant des loyers, correspondent à des conditions normales de marché et que l’implication d’une société tierce intermédiaire dans lesdites opérations ne soit pas de nature à faire obstacle à l’application desdites dispositions, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. La circonstance que cette entreprise ne se livre pas, dans le cadre de ses transactions commerciales normales, à des opérations de crédit-bail est sans incidence à cet égard.

2)      Si certaines conditions contractuelles relatives aux opérations de crédit-bail en cause dans l’affaire au principal et/ou l’intervention d’une société tierce intermédiaire dans ces opérations sont constitutives d’une pratique abusive, lesdites opérations doivent être redéfinies de manière à ce que soit rétablie la situation telle qu’elle aurait existé en l’absence des éléments de ces conditions contractuelles présentant un caractère abusif et/ou de l’intervention de cette société.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.