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Affaire C-155/09

Commission européenne

contre

République hellénique

«Manquement d’État — Articles 12 CE, 18 CE, 39 CE et 43 CE — Articles 4, 28 et 31 de l’accord instituant l’Espace économique européen — Législation fiscale — Conditions d’exonération de la taxe sur les mutations lors du premier achat d’un bien immobilier — Exonération réservée aux seuls résidents sur le territoire national ainsi qu’aux ressortissants d’origine grecque ne résidant pas sur celui-ci à la date de l’achat»

Sommaire de l'arrêt

1.        Citoyenneté de l'Union européenne — Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres — Taxe sur les mutations de biens immobiliers

(Art. 18 CE, 39 CE et 43 CE; accord EEE, art. 28 et 31)

2.        Citoyenneté de l'Union européenne — Égalité de traitement — Discrimination en raison de la nationalité — Interdiction — Taxe nationale sur les mutations de biens immobiliers

(Art. 12 CE, 18 CE, 39 CE et 43 CE; accord EEE, art. 4, 28 et 31)

1.        Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 18 CE, 39 CE et 43 CE ainsi que des articles 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen un État membre qui exonère de la taxe sur les mutations de biens immobiliers les seuls résidents permanents sur le territoire national, alors que les non-résidents qui ont l’intention de s’installer à l’avenir sur ce territoire ne sont pas exonérés de cette taxe.

En effet, les règles d'égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination, qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat. Or, tel est le cas d'une mesure qui prévoit une distinction fondée sur le critère du domicile ou de la résidence, en ce que celui-ci risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres, dans la mesure où les personnes non domiciliées sur le territorial national, de même que les non-résidents, sont le plus souvent des non-nationaux. Une telle condition de résidence permanente n’est pas de nature à justifier les objectifs, invoqués par l'État membre en cause, consistant à faciliter l’acquisition d’un premier logement, à prévenir toute spéculation immobilière et à soutenir les familles dont les revenus sont d’un niveau faible ou moyen, et n’est pas nécessaire pour restreindre la fraude fiscale et éviter les abus consistant à contourner l’objectif de l’exonération.

(cf. points 45-46, 59, 63, disp. 1)

2.        Manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE, 39 CE et 43 CE ainsi que des articles 4, 28 et 31 de l'accord EEE, un État membre qui, lors de l'acquisition d'une première résidence sur le territoire de cet État, exonère, sous certaines conditions, de la taxe sur les mutations de biens immobiliers ses seuls ressortissants nationaux ou des personnes de cette origine nationale.

Ce traitement différent entre les ressortissants nationaux et ceux des autres États membres ayant l'intention de s'installer dans l'État membre en cause, explicitement et uniquement fondé sur la nationalité, constitue une discrimination directe prohibée par lesdites dispositions. Des objectifs visant, d'une part, à faciliter l'acquisition d'un logement pour les émigrants ressortissants dudit État membre et les personnes ayant la même origine nationale ainsi qu'à encourager leur retour, étant donné que cet État membre aurait subi une forte diminution de sa population en raison d’une émigration massive vers l’étranger, et, d'autre part, la préservation des liens entre lesdits émigrés et leur État d’origine ne sont pas de nature à établir l’existence de circonstances objectives, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, susceptibles de justifier une discrimination telle que celle résultant de ladite exonération, dans la mesure où elles ont pour fondement la nationalité même des personnes concernées.

(cf. points 69-71, 75, disp. 1)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

20 janvier 2011 (*)

«Manquement d’État – Articles 12 CE, 18 CE, 39 CE et 43 CE – Articles 4, 28 et 31 de l’accord instituant l’Espace économique européen – Législation fiscale – Conditions d’exonération de la taxe sur les mutations lors du premier achat d’un bien immobilier – Exonération réservée aux seuls résidents sur le territoire national ainsi qu’aux ressortissants d’origine grecque ne résidant pas sur celui-ci à la date de l’achat»

Dans l’affaire C-155/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 4 mai 2009,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et D. Triantafyllou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République hellénique, représentée par M. P. Mylonopoulos et Mme V. Karra, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.-J. Kasel, E. Levits, M. Safjan et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mai 2010,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

–      en exonérant de la taxe sur les mutations de biens immobiliers (ci-après la «taxe») les seuls résidents permanents en Grèce, mais en n’exonérant pas les non-résidents qui ont l’intention de s’installer à l’avenir dans le pays, et

–      en exonérant, sous certaines conditions, de la même taxe les seuls ressortissants grecs lors de l’acquisition d’une première résidence en Grèce, établissant ainsi une discrimination explicite au détriment des résidents à l’étranger qui ne sont pas des ressortissants grecs,

la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 18 CE, 39 CE et 43 CE, lus à la lumière de l’article 12 CE, ainsi que des articles 4, 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), en ce que cet État membre entrave l’exercice des libertés fondamentales qui découlent de ces dispositions.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 12, premier alinéa, CE dispose:

«Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

3        L’article 18, paragraphe 1, CE prévoit:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

4        L’article 39, paragraphes 1 à 3, CE est libellé comme suit:

«1.      La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté.

2.      Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3.      Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique:

a)      de répondre à des emplois effectivement offerts,

b)      de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,

c)      de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux,

d)      de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements d’application établis par la Commission, sur le territoire d’un État membre, après y avoir occupé un emploi.»

5        Aux termes de l’article 43 CE:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»

6        Les dispositions mentionnées aux points 2 à 5 du présent arrêt, à l’exception de l’article 18 CE, sont analogues à celles énoncées aux articles 4, 28 et 31 de l’accord EEE.

 La réglementation nationale

7        L’article 1er, paragraphe 1, de la loi 1078/1980 prévoit:

«Les contrats portant sur l’achat d’un bien immobilier, en totalité et en pleine propriété, par une personne mariée sont exonérés de la taxe sur les mutations de biens immobiliers lorsque l’acheteur ou le conjoint ou ses enfants mineurs n’ont pas de droit de pleine propriété ou d’usufruit ou d’habitation sur une autre maison ou un autre appartement suffisant aux besoins de logement de sa famille ou de droit de pleine propriété sur un terrain constructible ou sur une quote-part de terrain correspondant à la surface d’un bâtiment suffisant à leurs besoins de logement et se trouvant dans une municipalité ou commune d’une population de plus de trois mille (3 000) habitants.»

8        L’article 1er, paragraphe 3, de la même loi est libellé comme suit:

«Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux contrats de mutation de biens immobiliers à titre onéreux, lorsque l’acheteur ne réside pas en permanence en Grèce.

À titre exceptionnel, une exonération est accordée lors de l’achat d’une maison, d’un appartement ou d’un terrain par des Grecs ou des personnes d’origine grecque qui ont travaillé à l’étranger pendant au moins six (6) ans et qui sont inscrits au registre municipal national du pays, même s’ils n’ont pas leur résidence permanente en Grèce au moment de l’achat.»

9        L’article 1er, paragraphe 7, de ladite loi prévoit que l’exonération est accordée à condition que l’immeuble demeure la propriété de l’acheteur pendant cinq ans au moins.

10      En vertu de l’habilitation qui a été conférée par l’article 1er, paragraphe 12, de la loi 1078/1980, une décision ministérielle du 7 avril 2005 a fixé à un an la période continue minimale de résidence requise de tout intéressé en Grèce.

 La procédure précontentieuse

11      Le 6 décembre 2007, la Commission a adressé à la République hellénique une lettre de mise en demeure dans laquelle elle soutenait que, en exonérant de la taxe, d’une part, les seuls résidents permanents en Grèce, mais non pas les non-résidents qui ont l’intention de s’installer à l’avenir dans cet État membre, et, d’autre part, sous certaines conditions, les seuls ressortissants grecs lors de l’acquisition d’une première résidence en Grèce, établissant ainsi une discrimination explicite au détriment des résidents à l’étranger qui ne sont pas des ressortissants grecs, ledit État membre méconnaissait les obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE, 18 CE, 39 CE et 43 CE ainsi que des articles 4, 28 et 31 de l’accord EEE.

12      Le 13 février 2008, la République hellénique a répondu à ladite lettre en rejetant intégralement les griefs de la Commission.

13      N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a, le 23 septembre 2008, adressé un avis motivé à la République hellénique, en invitant cette dernière à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois à compter le la réception de cet avis. Cet État membre a répondu à celui-ci le 21 novembre 2008 en réitérant les termes de sa réponse à la lettre de mise en demeure.

14      N’étant pas convaincue par les explications fournies par la République hellénique, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur le premier grief, tiré de la restriction à certaines libertés fondamentales

 Argumentation des parties

15      La Commission, en se référant notamment à l’arrêt du 13 juillet 1993, Commerzbank (C-330/91, Rec. p. I-4017), fait valoir, en premier lieu, que, bien que le critère de résidence permanente prévu à l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 n’implique pas nécessairement un traitement discriminatoire à l’égard des ressortissants de l’Union, puisqu’il s’applique indépendamment de la nationalité des intéressés, il n’en demeure pas moins que les résidents permanents en Grèce sont, en grande majorité, des ressortissants grecs, ce qui peut permettre d’établir le caractère discriminatoire de la disposition en cause.

16      La Commission soutient à cet égard que ladite disposition exclut du bénéfice de l’exonération fiscale les non-résidents qui achètent en Grèce une première résidence en vue de leur installation future dans cet État. Cette différence de traitement entraînerait ainsi un traitement discriminatoire entre les résidents actuels et futurs.

17      En second lieu, en se référant notamment aux arrêts du 15 septembre 2005, Commission/Danemark (C-464/02, Rec. p. I-7929), ainsi que du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling (C-209/01, Rec. p. I-13389), la Commission rappelle que la formulation générale de l’article 18 CE, établissant le droit de tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, est concrétisée aux articles 39 CE et 43 CE. Selon elle, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser les personnes qui souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre. Les dispositions qui empêchent ou dissuadent le ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constitueraient des entraves à cette liberté, même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés. En se fondant sur cette jurisprudence, la Commission soutient qu’il est manifeste que la législation grecque en cause est contraire aux articles 18 CE, 39 CE et 43 CE, puisqu’elle rend la situation des personnes qui ne résident pas encore à titre permanent dans cet État membre et qui souhaitent s’y installer de manière permanente moins attrayante que celle des résidents permanents auxquels l’avantage fiscal est accordé.

18      À cet égard, la Commission précise qu’il y a violation des articles 39 CE et 43 CE lorsqu’il s’agit de personnes actives. L’article 18 CE s’appliquerait, en revanche, directement aux personnes qui n’ont pas d’activité économique ou de liens avec la Grèce, ce qui, en l’espèce, concernerait notamment les retraités.

19      Selon le même raisonnement, la Commission considère que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 est contraire aux articles 28 et 31 de l’accord EEE.

20      S’agissant de la justification de la restriction instituée par lesdites dispositions, la Commission fait valoir qu’elle ne peut être justifiée par aucun des objectifs d’intérêt général invoqués par la République hellénique et que, en tout état de cause, elle contrevient au principe de proportionnalité.

21      À l’égard de l’objectif visant à faciliter l’acquisition d’un logement par les résidents et de prévenir toute spéculation immobilière dans ce contexte, la Commission soutient, en premier lieu, que cet objectif pourrait également être poursuivi pour les personnes qui achètent une première résidence en vue de s’installer en Grèce ultérieurement. En second lieu, la Commission fait valoir que la loi 1078/1980 ne prévoit pas l’obligation pour l’acquéreur d’utiliser le bien immobilier acheté en tant que résidence permanente ni ne lui interdit de le louer ou de le revendre. Or, en l’absence d’une telle obligation, cet objectif ne saurait être atteint et ne pourrait donc pas être invoqué utilement par la République hellénique.

22      Par ailleurs, la Commission fait valoir qu’il existe des mécanismes de contrôle moins contraignants pour atteindre lesdits objectifs, comme, par exemple, l’enregistrement auprès de l’autorité grecque compétente des personnes qui s’installent en Grèce, l’inscription de ces dernières au registre fiscal, la vérification de leurs déclarations fiscales et l’octroi, sous réserve de satisfaire à certaines conditions, d’un traitement fiscal avantageux. Un tel système de contrôle pourrait en outre être complété par des «déclarations sur l’honneur». Par conséquent, le refus d’accorder cette exonération fiscale aux personnes qui ne résident pas encore en Grèce à titre permanent, mais qui achètent un bien immobilier dans cet État membre avec l’intention de s’y installer, irait bien au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à prévenir toute spéculation sur les biens immobiliers en Grèce.

23      La Commission conteste que, en l’absence de toute information fiscale concernant l’acheteur, il soit impossible de rechercher l’existence, le cas échéant, d’autres biens immobiliers en Grèce appartenant à ce dernier, de sorte que la disposition nationale contestée ne saurait être regardée comme visant à prévenir le contournement de la loi. Elle fait valoir à cet égard que, s’agissant des personnes qui viennent s’installer en Grèce, le fait de savoir si elles possèdent déjà un bien immobilier en Grèce ou non n’est pas plus difficile à établir pour ces dernières que pour celles qui résident déjà sur le territoire national. La déclaration fiscale ne pouvant pas être considérée comme un moyen très fiable, rien ne s’opposerait à ce que les autorités grecques demandent aux acheteurs s’ils sont déjà propriétaires d’un bien immobilier en Grèce. La Commission renvoie à cet égard à la possibilité d’inscription sur des registres appropriés, comme le cadastre récemment établi, et à la faculté d’instaurer des contrôles permettant de prévenir les abus.

24      Enfin, la Commission conteste également l’argument invoqué par la République hellénique, selon lequel le droit de l’Union ne supprime pas le droit du législateur national de subordonner à certains critères l’octroi de facilités et d’avantages fiscaux. Elle fait valoir, à cet égard, que le traité n’interdit pas seulement le traitement discriminatoire direct, mais aussi, et plus généralement, les restrictions aux libertés fondamentales dans le domaine de la fiscalité directe. L’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 constituerait incontestablement une restriction à la libre circulation des personnes, car cette disposition dissuaderait les personnes vivant dans d’autres États membres et qui sont, en majorité, des ressortissants de ces États, et non pas des ressortissants grecs, de s’installer en Grèce.

25      La République hellénique conteste l’intégralité du manquement allégué en faisant valoir, tout d’abord, que, s’il est vrai que tant l’article 12 CE que l’article 39 CE interdisent expressément toute discrimination fondée sur la nationalité, il ressort de l’ensemble des dispositions adoptées lors des diverses interventions du législateur national, ainsi que de l’exclusion de toute exigence de nationalité grecque dans les conditions d’octroi de l’exonération fiscale en cause, que la volonté constante de ce dernier a toujours été d’octroyer cette exonération non seulement aux ressortissants grecs, mais plus généralement à toutes les personnes physiques ayant leur résidence permanente en Grèce, indépendamment de leur nationalité.

26      À cet égard, la République hellénique souligne qu’une circulaire émise en 1992, à la suite d’un avis du Conseil d’État, pour aider l’administration à appliquer correctement la loi 1078/1980 précise bien que les dispositions contestées de cette dernière s’appliquent également aux ressortissants des autres États membres, exactement dans les mêmes conditions que pour les ressortissants nationaux. En outre, en vertu d’une décision ministérielle du 21 juin 2004, il serait prévu que, pour bénéficier de ladite exonération, la résidence permanente et l’activité professionnelle des ressortissants de l’Union pourraient être prouvées par la production de déclarations fiscales, d’attestations d’organismes d’assurance sociale, de contrats de travail, de documents relatifs au lancement d’une activité, de contrats de location de logements, etc.

27      Ensuite, s’agissant du principe général de l’égalité de traitement entre les ressortissants de l’Union faisant usage de leur droit de libre circulation et les ressortissants nationaux placés dans une situation comparable, tel qu’il résulte des articles 12 CE et 18 CE, la République hellénique éprouve des doutes quant au point de savoir si les restrictions imposées, en matière d’exonération fiscale, aux ressortissants de l’Union doivent être comparables à celles concernant les ressortissants nationaux. En effet, selon cet État membre, le droit de l’Union n’exige nullement que, pour satisfaire à l’obligation d’une intégration totale des ressortissants de l’Union dans l’État membre d’accueil, ceux-ci soient exonérés de la taxe dans des conditions équivalentes à celles appliquées aux ressortissants nationaux. La République hellénique précise que, pour bénéficier de l’exonération de la taxe pour l’achat d’une première résidence, les ressortissants nationaux doivent démontrer que plusieurs conditions sont réunies et déposer des déclarations fiscales. Or, le raisonnement de la Commission aboutirait, s’il était mis en application, à faire bénéficier les ressortissants des États membres autres que la République hellénique du même avantage que celui octroyé aux ressortissants de cette dernière sur simple déclaration, ce qui ne saurait être correct.

28      Enfin, en ce qui concerne la justification de l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980, la République hellénique précise qu’elle s’applique uniquement à l’achat d’une première résidence et donc à une catégorie très restreinte de mutations qui satisfont à un besoin d’intérêt général.

29      Par ailleurs, selon cet État membre, ladite disposition est justifiée par le fait qu’elle vise à faciliter l’acquisition d’un logement par les particuliers et, partant, à soutenir les familles. Elle s’inscrirait dans le cadre plus général de la politique sociale de l’État, lequel manifesterait ainsi sa sollicitude à l’égard des classes moyennes et inférieures auxquelles il accorde une aide au logement, laquelle constituerait un avantage fiscal à dimension sociale.

30      En outre, la décision ministérielle du 7 avril 2005 aurait fixé à un an la période continue minimale de résidence requise de tout intéressé. Cette condition serait proportionnée, adaptée et nécessaire étant donné qu’il s’agit d’une durée raisonnable, permettant à un ressortissant de l’Union de faire connaissance avec le pays, de s’adapter à celui-ci ainsi qu’à son mode de vie et de faire une étude de marché pour l’achat d’un bien immobilier. Cette condition constituerait une garantie que l’acheteur acquiert un premier logement en vue de l’utiliser et qu’il ne cherche pas à acheter des immeubles dans un but lucratif ou autre. À défaut de critères plus sûrs, ladite période minimale de résidence aurait été jugée opportune pour restreindre la fraude fiscale et pour prévenir les abus. Par ailleurs, elle ne serait pas assez longue pour mettre en difficulté les personnes aspirant à résider en Grèce ou pour les dissuader de poursuivre leurs projets d’établissement futur sur le territoire grec.

31      À cet égard, la République hellénique rejette les conséquences que la Commission tire du fait qu’il n’est imposé à l’acquéreur aucune obligation d’utiliser le bien immobilier acheté en tant que résidence permanente ni, partant, aucune interdiction de louer ou de revendre celui-ci. Pour ce qui est de la revente, cet État membre soutient que cette allégation de la Commission est fausse dans la mesure où l’article 1er, paragraphe 7, de la loi 1078/1980 prévoit que l’exonération est accordée à condition que l’immeuble demeure la propriété de l’acheteur pendant cinq ans au moins. Le législateur national, suivant une approche réaliste, n’aurait pas fixé de critères stricts concernant l’utilisation du premier logement, compte tenu du fait que tant le centre de l’activité économique que la situation familiale de l’acquéreur peut évoluer.

32      La République hellénique considère également que les propositions de la Commission concernant des mécanismes moins contraignants permettant d’atteindre les objectifs visés par la loi 1078/1980, à savoir une obligation d’inscription sur les registres municipaux ou fiscaux ou une obligation de déclaration fiscale, sont inefficaces. Elle rappelle à cet égard que les ressortissants de l’Union qui s’installent en Grèce ne sont pas tenus de s’inscrire en mairie ni d’obtenir un numéro de matricule fiscal ou de faire des déclarations fiscales tant qu’ils n’ont pas acquis un bien immobilier. En outre, les ventes immobilières n’auraient pas encore été intégrées dans le système informatique du cadastre, la mise en place de celui-ci étant encore à un stade embryonnaire.

33      La République hellénique conclut que la suppression du critère de résidence permanente rendrait ainsi beaucoup plus difficile le contrôle des conditions requises pour bénéficier de l’exonération de la taxe et aurait éventuellement pour conséquence que les dispositions pertinentes seraient contournées, dans la mesure où, en l’absence de toute donnée fiscale relative à l’acheteur, il serait impossible de vérifier si ce dernier possède ou non d’autres immeubles en Grèce.

34      De même, la République hellénique écarte comme inappropriée la proposition de la Commission consistant à exiger une simple déclaration de l’acheteur aux fins de constater s’il n’est pas déjà propriétaire d’un bien immobilier en Grèce, une telle déclaration n’offrant aucune garantie à l’administration fiscale.

35      Enfin, la République hellénique fait valoir que, même si les dispositions du droit de l’Union imposent, dans le cadre de la suppression des discriminations en raison de la nationalité, des restrictions à l’exercice de la compétence des États membres en matière fiscale, ces dispositions ne suppriment cependant pas le pouvoir du législateur national de prescrire des critères concrets pour l’octroi d’avantages fiscaux, notamment lorsque les exonérations fiscales sont créées en vertu de critères sociaux. En se référant aux arrêts Commission/Danemark, précité, et du 27 janvier 2000, Graf (C-190/98, Rec. p. I-493), cet État membre soutient que des dispositions même indistinctement applicables empêchant ou dissuadant un ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit de libre circulation ne constituent des entraves à cette liberté que si elles subordonnent l’accès des travailleurs au marché du travail à des conditions.

36      Dans son mémoire en réplique, la Commission maintient intégralement l’argumentation qu’elle avait présentée dans sa requête.

37      En revanche, la République hellénique estime, dans son mémoire en duplique, que la Commission n’a pas tenu compte de ses arguments relatifs à la portée sociale des dispositions contestées de la loi 1078/1980. Elle considère que l’octroi des avantages sociaux, sans réflexion ni contrôle, à tous les citoyens de l’Union qui exercent leur droit de libre circulation, d’une part, conduirait à un contournement des réglementations nationales existantes en matière sociale et, d’autre part, ferait disparaître la nature sociale des objectifs que celles-ci poursuivent, dès lors que l’octroi de tels avantages serait fondé sur le seul fait que les personnes ayant exercé leur droit de libre circulation possèdent la citoyenneté de l’Union.

38      Ainsi, la République hellénique, en se référant aux arrêts du 24 février 1994, Roks e.a., (C-343/92, Rec. p. I-571), ainsi que du 1er février 1996, Posthuma-van Damme et Oztürk, (C-280/94, Rec. p. I-179), fait valoir que les pratiques nationales relatives à la mise en œuvre d’objectifs sociaux relèvent du pouvoir discrétionnaire que conservent les États membres pour définir leur politique sociale, pour ce qui est de la nature et de l’étendue de la protection sociale qu’ils mettent en œuvre, sous réserve que leurs actions soient proportionnées à l’objectif poursuivi. Dès lors, la République hellénique soutient que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 n’est pas contraire au droit de l’Union et souligne que les objectifs poursuivis par cette disposition ne peuvent pas être atteints par des moyens moins restrictifs.

 Appréciation de la Cour

39      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois l’exercer dans le respect du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 4 mars 2004, Commission/France, C-334/02, Rec. p. I-2229, point 21; du 18 janvier 2007, Commission/Suède, C-104/06, Rec. p. I-671, point 12, et du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C-152/05, Rec. p. I-39, point 16).

40      Il convient, dès lors, d’examiner si, comme le fait valoir la Commission, l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 constitue une restriction aux libertés de circulation des personnes consacrées aux articles 18 CE, 39 CE, 43 CE ainsi qu’aux articles 4, 28 et 31 de l’accord EEE.

41      L’article 18 CE, qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression spécifique dans les articles 39 CE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs et 43 CE en ce qui concerne la liberté d’établissement (voir arrêts du 26 octobre 2006, Commission/Portugal, C-345/05, Rec. p. I-10633, point 13; Commission/Suède, précité, point 15, et Commission/Allemagne, précité, point 18).

42      Il convient, par conséquent, d’examiner, en premier lieu, si les articles 39 CE et 43 CE s’opposent à une réglementation nationale telle que celle constituée par l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980.

43      L’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de cette dernière et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (voir arrêts précités Commission/Danemark, point 34 et jurisprudence citée; Commission/Portugal, point 15; Commission/Suède, point 17, ainsi que Commission/Allemagne, point 21).

44      En l’espèce, la République hellénique fait valoir que les dispositions litigieuses excluent, en ce qui concerne les conditions d’octroi de l’exonération de la taxe, toute exigence de nationalité grecque, la seule condition requise étant celle de la résidence permanente en Grèce.

45      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les règles d’égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination, qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152/73, Rec. p. 153, point 11; Commerzbank, précité, point 14, et du 1er octobre 2009, Gottwald, C-103/08, Rec. p. I-9117, point 27).

46      Tel est le cas, notamment, d’une mesure qui prévoit une distinction fondée sur le critère du domicile ou de la résidence, en ce que celui-ci risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres, dans la mesure où les personnes non domiciliées sur le territorial national, de même que les non-résidents, sont le plus souvent des non-nationaux (voir, notamment, arrêts du 29 avril 1999, Ciola, C-224/97, Rec. p. I-2517, point 14; du 16 janvier 2003, Commission/Italie, C-388/01, Rec. p. I-721, point 14, et Gottwald, précité, point 28).

47      Or, en l’occurrence, l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 se fonde précisément sur ce type de critère, étant donné que cette disposition réserve le bénéfice de l’exonération de la taxe aux seuls résidents permanents en Grèce. Il convient d’observer à ce sujet que, bien qu’il s’applique indépendamment de la nationalité de l’acquéreur du bien immobilier, le critère de la résidence sur le territoire national pour bénéficier de l’exonération de la taxe risque de s’appliquer plus particulièrement au détriment des personnes qui ne sont pas des ressortissants grecs. En effet, ce seront le plus souvent celles-ci qui auront établi leur résidence en dehors du territoire grec.

48      Dès lors, ladite disposition désavantage les personnes ne résidant pas en Grèce qui achètent une première résidence en vue de leur installation future dans cet État membre en ce qu’elle ne permet pas à ces personnes de bénéficier de cette exonération de la taxe due lors de l’achat d’une première résidence, alors que les personnes résidant déjà en Grèce qui y achètent un premier logement peuvent bénéficier de cette exonération.

49      Dans ces conditions, la disposition susmentionnée a un effet dissuasif à l’égard des personnes ne résidant pas en Grèce et qui, en vertu du droit de libre circulation découlant des articles 39 CE et 43 CE, souhaitent acquérir un premier logement dans cet État membre.

50      Il s’ensuit que, en réservant le bénéfice de l’exonération de la taxe perçue lors de l’achat d’un premier logement aux personnes qui résident en Grèce à titre permanent, l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 est susceptible d’entraver la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement, telles que garanties respectivement par les articles 39 CE et 43 CE.

51      Il découle toutefois d’une jurisprudence bien établie que les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité peuvent néanmoins être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir, notamment, arrêts précités Commission/Portugal, point 24; Commission/Suède, point 25, et Commission/Allemagne, point 26).

52      À cet égard, la République hellénique fait valoir que la condition de résidence permanente est notamment justifiée par les objectifs consistant, d’une part, à faciliter l’acquisition d’un premier logement par des particuliers ainsi qu’à prévenir toute spéculation immobilière et, d’autre part, à restreindre la fraude fiscale et à prévenir les abus. En outre, une telle condition s’inscrirait dans le cadre plus général de la politique sociale de l’État membre concerné, au regard de laquelle les pratiques nationales relatives à la mise en œuvre d’objectifs sociaux relèveraient du pouvoir discrétionnaire que conservent les États membres pour définir leur politique sociale, pour ce qui est de la nature et de l’étendue de la protection sociale qu’ils mettent en œuvre, sous réserve que leurs actions soient proportionnées à l’objectif poursuivi.

53      À supposer que de tels arguments puissent être invoqués pour justifier l’entrave à la liberté de circulation des personnes, il y a lieu de constater que la condition de résidence sur le territoire grec imposée par l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 ne permet pas, en tout état de cause, d’atteindre les objectifs prétendument poursuivis par celle-ci et va, de surcroît, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

54      En ce qui concerne, premièrement, le caractère approprié de la réglementation nationale en cause, en effet, si ladite disposition vise à éviter que l’acheteur d’un bien immobilier n’en retire un profit et, partant, à favoriser la prévention de toute spéculation, force est de constater que la condition imposée par cette disposition ne permet pas d’atteindre l’objectif poursuivi dans la mesure où la loi 1078/1980 ne prévoit pas l’obligation, pour l’acheteur d’un bien immobilier, d’utiliser celui-ci en tant que résidence permanente et ne lui interdit pas de louer ce bien. En l’absence d’une telle obligation, l’argument de la République hellénique relatif à la lutte contre la spéculation ne saurait prospérer.

55      Cette constatation est également valable en ce qui concerne l’argument tiré de la politique sociale, expressément invoqué par la République hellénique, tiré de la nécessité de soutenir les familles dont les revenus sont d’un niveau faible ou moyen. Étant donné qu’il n’existe pas une obligation telle que celle mentionnée au point précédent, il n’apparaît pas que la loi 1078/1980 soit propre à garantir la réalisation dudit objectif dans la mesure où l’avantage fiscal accordé lors de l’achat d’un premier logement est octroyé à toutes les personnes remplissant la condition de résidence indépendamment de leur appartenance aux classes moyennes et inférieures. Dans ces conditions, il ne saurait être présumé que l’octroi non sélectif de cet avantage fiscal satisfait à l’objectif prétendument sociopolitique de la loi 1078/1980. Par ailleurs, la République hellénique n’a pas démontré que l’exonération de la taxe lors de l’achat d’un premier logement constitue un avantage fiscal à dimension sociale ne visant que les personnes relevant des classes sociales les plus défavorisées.

56      S’agissant, deuxièmement, de l’appréciation qu’il convient de porter sur le caractère nécessaire de la réglementation en cause, il convient de constater que les arguments invoqués par la République hellénique, tirés de l’objectif visant à restreindre la fraude fiscale et d’éviter les abus consistant à contourner l’objectif de l’exonération, par exemple en sollicitant le bénéfice de celle-ci pour l’achat de plusieurs biens immobiliers, ne sont pas de nature à démontrer que les dispositions litigieuses sont nécessaires pour atteindre cet objectif. En revanche, celui-ci peut tout autant être atteint si les acheteurs n’ont pas de résidence permanente sur le territoire national.

57      En effet, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, il existe des mécanismes moins contraignants permettant aux autorités grecques de s’assurer que l’acheteur d’un bien immobilier respecte toutes les conditions requises pour bénéficier de l’exonération de la taxe, en vérifiant notamment qu’il n’est pas propriétaire d’un autre bien immobilier en Grèce, telles que l’inscription au registre fiscal ou au cadastre, l’exigence de déclarations fiscales ou de logement ou la mise en œuvre de contrôles effectués par les autorités fiscales, complétées par des déclarations sous serment des acquéreurs, ces derniers étant pénalement responsables du contenu et de l’exactitude de leurs déclarations.

58      Il s’ensuit qu’une réglementation nationale telle que celle prévue à l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980 excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

59      Eu égard à ces considérations, il y a lieu de constater que la condition de résidence permanente prévue à l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980, d’une part, n’est pas de nature à justifier les objectifs consistant à faciliter l’acquisition d’un premier logement, à prévenir toute spéculation immobilière et à soutenir les familles dont les revenus sont d’un niveau faible ou moyen, et, d’autre part, n’est pas nécessaire pour restreindre la fraude fiscale et d’éviter les abus consistant à contourner l’objectif de l’exonération, de sorte qu’il convient de conclure qu’une telle condition est contraire aux articles 39 CE et 43 CE.

60      En second lieu, s’agissant des personnes ne résidant pas en Grèce et qui n’y exercent pas d’activité économique, cette même conclusion s’impose par identité de motifs en ce qui concerne le grief fondé sur l’article 18 CE (voir arrêts du 5 juillet 2007, Commission/Belgique, C-522/04, Rec. p. I-5701, point 72, et Commission/Allemagne, précité, point 30).

61      La Commission fait également valoir que, en raison de l’existence desdites dispositions, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 et 31 de l’accord EEE, relatifs respectivement à la liberté de circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement.

62      À cet égard, il convient de relever que les règles interdisant les restrictions à la liberté de circulation et à la liberté d’établissement énoncées aux articles 28 et 31 de l’accord EEE sont analogues à celles établies aux articles 39 CE et 43 CE.

63      Par conséquent, il convient de constater que, en exonérant de la taxe, en application de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980, les seuls résidents permanents sur le territoire national, alors que les non-résidents qui ont l’intention de s’installer à l’avenir sur ce territoire ne sont pas exonérés de cette taxe, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 18 CE, 39 CE et 43 CE ainsi que des articles 28 et 31de l’accord EEE.

 Sur le second grief, tiré de la discrimination fondée sur la nationalité

 Argumentation des parties

64      La Commission fait valoir que l’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de la loi 1078/1980 établit une discrimination explicite fondée sur la nationalité, puisque seuls les ressortissants grecs et les personnes d’origine grecque peuvent bénéficier de l’exonération de la taxe, et ce même s’ils ne remplissent pas la condition générale relative à la résidence permanente en Grèce. Une telle exonération ne serait en aucun cas reconnue aux ressortissants des États membres autres que la République hellénique.

65      Conformément au principe général énoncé à l’article 12, premier alinéa, CE, toute distinction fondée sur la nationalité constituant un traitement discriminatoire en faveur des ressortissants grecs et au détriment des ressortissants des autres États membres serait expressément interdite. Les ressortissants des autres États membres qui souhaitent acquérir une première résidence en Grèce devraient ainsi acquitter une taxe qui n’est pas appliquée aux acquisitions effectuées par les ressortissants grecs, ce qui rendrait l’acquisition d’une première résidence en Grèce moins attrayante pour les étrangers et entraverait par conséquent le libre établissement de ces derniers dans cet État membre.

66      La République hellénique fait valoir que le statut de citoyen grec ou de grec d’origine comme motif d’exemption de la condition de résidence permanente en Grèce confirme que la condition essentielle pour bénéficier de l’exonération de la taxe est le lieu de résidence permanente, qui constitue le critère le plus objectif et approprié possible. La disposition litigieuse a été insérée dans la loi 1078/1980 à la suite de la suppression de l’exonération fiscale applicable à l’importation de devises et a pour objet de faciliter l’acquisition d’un logement par les personnes d’origine grecque et par les Grecs ayant émigré ainsi que d’encourager leur retour en Grèce. Étant donné que la République hellénique fait partie des États ayant subi une importante baisse de la population en raison d’une émigration massive vers l’étranger, il a été jugé opportun d’accorder des facilités, au moyen d’exonérations fiscales, afin d’inciter les ressortissants grecs établis à l’étranger à revenir en Grèce. Cette exception spécifique et ponctuelle sert des objectifs évidents de politique sociale, afin de préserver les liens existant entre les Grecs établis en dehors du territoire national et leur État d’origine. Compte tenu notamment de la dimension sociale de disposition litigieuse et de l’objectif poursuivi par celle-ci, la restriction critiquée par la Commission n’excède pas les limites de ce qui est proportionnel et acceptable.

 Appréciation de la Cour

67      S’agissant du second grief de la Commission, tiré du fait que l’exonération de la taxe n’est accordée qu’aux seuls ressortissants grecs ou aux personnes d’origine grecque, force est de constater que l’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de la loi 1078/1980 opère une distinction fondée sur le critère de la nationalité.

68      Il suffit de rappeler à cet égard que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le principe de non-discrimination, qu’il trouve son fondement dans l’article 12 CE ou dans les articles 39 CE ou 43 CE, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale. Un tel traitement ne pourrait être justifié que s’il se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2008, Wood, C-164/07, Rec. p. I-4143, point 13, et du 16 décembre 2008, Huber, C-524/06, Rec. p. I-9705, point 75).

69      En l’espèce, il convient de constater que les ressortissants grecs et ceux d’États membres autres que la République hellénique ayant l’intention de s’installer en Grèce se trouvent, en ce qui concerne l’acquisition d’une première résidence dans cet État membre, dans une situation comparable. Or, en vertu de l’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de la loi 1078/1980, le seul élément susceptible d’opérer une distinction entre la situation des ressortissants grecs ou d’origine grecque et celle des ressortissants non grecs, s’agissant de leur droit à être exonéré de la taxe, est leur nationalité. En effet, seuls les ressortissants grecs ou les personnes d’origine grecque bénéficient de ladite exonération. Ainsi, ce traitement différent, explicitement et uniquement fondé sur la nationalité, constitue une discrimination directe.

70      La République hellénique fait valoir que ladite distinction est justifiée en l’espèce notamment par les objectifs visant, d’une part, à faciliter l’acquisition d’un logement pour les émigrants grecs et les personnes d’origine grecque ainsi qu’à encourager leur retour, étant donné que cet État membre a subi une forte diminution de sa population en raison d’une émigration massive vers l’étranger. D’autre part, l’exonération prévue à ladite disposition serait également justifiée par des motifs de politique sociale, en ce sens qu’elle viserait à préserver les liens entre les grecs émigrés et leur État d’origine.

71      Toutefois, de telles considérations ne sont pas de nature à établir l’existence de circonstances objectives, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, susceptibles de justifier une discrimination telle que celle résultant de l’exonération prévue à l’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de la loi 1078/1980, dans la mesure où elles ont pour fondement la nationalité même des personnes concernées.

72      Il s’ensuit que la différence de traitement opérée entre les ressortissants grecs ou les personnes d’origine grecque et les citoyens de l’Union qui ne sont pas des ressortissants de la République hellénique, en tant que l’article 1er, paragraphe 3, second alinéa, de la loi 1078/1980 exclut ces derniers du bénéfice de l’exonération prévue à cette disposition, constitue une discrimination prohibée par les articles 12, premier alinéa, CE, 39 CE et 43 CE.

73      La Commission fait également valoir que, en raison de l’existence de ladite disposition, la République hellénique a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, 28 et 31 de l’accord EEE, relatifs respectivement à l’interdiction de la discrimination en raison de la nationalité, à la liberté de circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement.

74      À cet égard, il convient de relever que l’interdiction de la discrimination en raison de la nationalité, prévue à l’article 4 de l’accord EEE, ainsi que les règles interdisant les restrictions à la liberté de circulation et à la liberté d’établissement énoncées aux articles 28 et 31 dudit accord sont identiques à celles établies respectivement aux articles 12 CE, 39 CE et 43 CE.

75      Par conséquent, il convient de constater que, en exonérant, sous certaines conditions, de la taxe les seuls ressortissants grecs ou des personnes d’origine grecque lors de l’acquisition d’une première résidence sur le territoire national, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE, 39 CE et 43 CE ainsi que des articles 4, 28 et 31 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

76      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique, et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      La République hellénique:

–        en exonérant de la taxe sur les mutations de biens immobiliers, en application de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, premier alinéa, de la loi 1078/1980, les seuls résidents permanents sur le territoire national, alors que les non-résidents qui ont l’intention de s’installer à l’avenir sur ce territoire ne sont pas exonérés de cette taxe, et

–        en exonérant, sous certaines conditions, de la même taxe les seuls ressortissants grecs ou les personnes d’origine grecque lors de l’acquisition d’une première résidence sur le territoire national,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 12 CE, 18 CE, 39 CE et 43 CE ainsi que des articles 4, 28 et 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.

2)      La République hellénique est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.