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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Paolo Mengozzi

présentées le 22 décembre 2010 (1)

Affaire C-310/09

Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique

contre

Accor

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Libre circulation des capitaux – Liberté d’établissement – Réglementation nationale imposant de façon différenciée les dividendes provenant des filiales établies dans l’État de résidence de la société mère et de celles établies dans d’autres États membres – Refus de restituer le précompte acquitté par la société mère – Enrichissement sans cause – Restitution des sommes acquittées par la société mère subordonnée à la production de preuves relatives à l’impôt acquitté par ses filiales dans un État membre autre que celui du siège social de la société mère – Charge de la preuve – Principes d’équivalence et d’effectivité»





I –    Introduction

1.        Par le présent renvoi préjudiciel, le Conseil d’État (France) interroge la Cour sur l’interprétation des articles 43 CE et 56 CE dans le cadre d’un litige qui oppose le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique à Accor au sujet de la demande de cette dernière de se voir restituer le précompte mobilier qu’elle a dû acquitter lors de la redistribution de dividendes à ses actionnaires au titre des années 1999 à 2001 (2).

2.        Il ressort en effet de la décision de renvoi qu’Accor a perçu au cours des années 1998, 1999 et 2000 des dividendes versés par ses filiales établies dans d’autres États membres et que, lors de la redistribution de ces dividendes à ses propres actionnaires, cette société a acquitté, en application des dispositions combinées de l’article 146, paragraphe 2, et des articles 158 bis et 223 sexies du code général des impôts, dans sa version applicable au moment des faits du litige au principal (ci-après le «CGI»), un précompte mobilier s’élevant au titre des années 1999, 2000 et 2001 respectivement à 323 279 053 FRF (49 283 574 euros), 359 183 404 FRF (54 757 157 euros) et 341 261 380 FRF (52 024 962 euros).

3.        Le paiement de ces sommes au titre du précompte doit être replacé dans le contexte législatif de l’«avoir fiscal», applicable au moment des faits du litige au principal, qui a été abrogé à partir du 1er janvier 2005 par l’article 93 de la loi nº 2003-1311 (3).

4.        Afin de prévenir la double imposition économique des bénéfices, imposés tout d’abord au moment de leur réalisation dans le chef de la société distributrice puis lors de leur distribution dans le chef des bénéficiaires, l’article 158 bis du CGI accordait aux bénéficiaires des dividendes distribués par des sociétés françaises un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le compte du Trésor public. Cet avoir fiscal, ou crédit d’impôt, était égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société distributrice à la société mère.

5.        Toutefois, afin d’éviter des pertes fiscales, le mécanisme de l’avoir fiscal était associé à celui dit du «précompte mobilier» dès lors que les bénéfices sous-jacents à la distribution n’avaient pas supporté la charge de l’impôt sur les sociétés au taux normal.

6.        Dans de telles circonstances, l’article 223 sexies du CGI prévoyait que la société procédant à la distribution, était tenue d’acquitter un précompte égal au crédit d’impôt calculé dans les conditions prévues à l’article 158 bis du même code. Ce précompte était dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d’impôt quels qu’en étaient les bénéficiaires.

7.        Dans la mesure où, en vertu de l’article 216 du CGI, les dividendes distribués par une filiale à sa société mère ayant son siège en France étaient exonérés d’impôt sur les sociétés dans le chef de cette dernière (4), quelle qu’ait été la provenance desdits dividendes, leur redistribution de la part de la société mère à ses propres actionnaires entraînait donc, en principe, l’exigibilité du précompte mobilier, conformément à l’article 223 sexies du CGI.

8.        Toutefois, alors que l’article 146, paragraphe 2, du CGI prévoyait que, dans une telle hypothèse, le précompte mobilier était diminué, le cas échéant, du montant des crédits d’impôt qui étaient attachés aux produits des participations visées à l’article 145 du CGI, encaissés au cour des exercices clos depuis cinq ans au plus, comme déjà indiqué au point 4 des présentes conclusions, le bénéfice de l’avoir fiscal n’était ouvert qu’aux sociétés mères percevant des dividendes distribués par des sociétés françaises.

9.        En d’autres termes, ainsi que le résume la juridiction de renvoi, l’article 146, paragraphe 2, du CGI permettait à une société mère établie en France, lorsque les redistributions auxquelles elle procédait de dividendes reçus de filiales françaises donnaient lieu à l’application du précompte mobilier, de diminuer le montant de ce précompte du montant de l’avoir fiscal que lui ouvrait la distribution des dividendes reçus de ces filiales. En revanche, en l’absence d’un avoir fiscal ouvert au titre d’un dividende versé par une filiale établie dans un autre État membre et de nature à diminuer le montant exigible du précompte, le versement de ce précompte au titre de la redistribution de ce dividende à ses actionnaires par la société mère, en s’imputant sur la masse des sommes distribuables, réduisait d’autant le montant de la redistribution de ce dividende.

10.      Estimant qu’une telle différence de traitement était incompatible avec le droit communautaire, Accor a saisi le tribunal administratif de Versailles qui, par jugement du 21 décembre 2006, a fait droit à sa demande. Le pourvoi du ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique à l’encontre de ce jugement a été rejeté par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 20 mai 2008.

11.      Étant appelé à statuer sur cet arrêt à la suite d’un pourvoi en cassation du ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, le Conseil d’État a accueilli le moyen dudit ministre, tiré du défaut de motivation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles, et a, partant, annulé ledit arrêt.

12.      Estimant, dans ces conditions, qu’il lui revenait de régler l’affaire au fond eu égard aux circonstances de l’espèce, le Conseil d’État, après avoir écarté l’argument d’Accor relatif à l’incompatibilité des dispositions législatives en cause avec la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (5), a considéré qu’il existait certains doutes quant à l’interprétation d’autres dispositions et principes du droit de l’Union. Le Conseil d’État a dès lors décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes:

«1) a) Les articles 56 [CE] et 43 [CE] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime fiscal, ayant pour objet d’éliminer la double imposition économique des dividendes, qui:

–        permet à une société mère d’imputer sur le précompte, dont elle est redevable lors de la redistribution à ses actionnaires des dividendes versés par ses filiales, l’avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes s’ils proviennent d’une filiale établie en France,

–        mais n’offre pas cette faculté si ces dividendes ont pour origine une filiale établie dans un autre État membre […], dès lors que ce régime n’ouvre pas droit, dans ce cas, à l’octroi d’un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale, au motif qu’un tel régime porterait atteinte, en lui-même, pour cette société mère, aux principes de la libre circulation des capitaux ou de la liberté d’établissement?

b)      En cas de réponse négative au [point a)], ces articles doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent néanmoins à un tel régime dès lors qu’il conviendrait de prendre en compte aussi la situation des actionnaires au motif que, compte tenu du paiement du précompte, le montant des dividendes perçus de ses filiales et redistribués par cette société mère à ses actionnaires est différent en fonction de la localisation de ces filiales, en France ou dans un autre État membre […], de sorte que ce régime présenterait un effet dissuasif pour les actionnaires d’investir dans cette société mère et, par suite, aurait pour effet d’affecter la collecte de capitaux par cette société et serait de nature à dissuader cette société d’allouer des capitaux à des filiales établies dans des États membres autres que la France ou de créer dans ces États de telles filiales?

2)      En cas de réponse affirmative [aux points a) et b) de la première question] et dès lors que les articles 56 [CE] et 43 [CE] seraient interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au régime fiscal du précompte décrit ci-dessus et que, par suite, l’administration est, en principe, tenue de restituer les sommes perçues sur son fondement dans la mesure où elles l’ont été en méconnaissance du droit communautaire, ce droit fait-il, dans un tel régime qui, en lui-même, ne se traduit pas par la répercussion d’une taxe sur un tiers par le redevable, obstacle:

a)      à ce que l’administration puisse s’opposer au remboursement des sommes payées par la société mère au motif que cette restitution entraînerait pour celle-ci un enrichissement sans cause;

b)      et, en cas de réponse négative, à ce que la circonstance que la somme acquittée par la société mère ne constitue pas pour celle-ci une charge comptable ou fiscale mais s’impute seulement sur la masse des sommes susceptibles d’être redistribuées à ses actionnaires puisse être opposée pour ne pas ordonner la restitution à la société de cette somme?

3)      Compte tenu de la réponse apportée aux [première et deuxième] questions, les principes communautaires d’équivalence et d’effectivité font-ils obstacle à ce que la restitution des sommes de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes donnant lieu à redistribution par la société mère, que ces dividendes aient pour origine des sommes distribuées par ses filiales établies en France ou dans un autre État membre […], soit subordonnée à la condition, sous réserve, le cas échéant, des stipulations de la convention bilatérale applicable entre la [République française] et l’État membre où la filiale est établie, relative à l’échange d’informations, que le redevable apporte les éléments qu’il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d’imposition effectivement appliqué et au montant de l’impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par ses filiales installées dans les États membres […] autres que la France, alors même que, pour les filiales installées en France, les justificatifs, connus de l’administration, ne sont pas exigés?»

II – Analyse

13.      Tandis que la première question posée par la juridiction de renvoi a trait à la compatibilité avec la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux d’un mécanisme fiscal tel que celui qui vient d’être décrit, les deuxième et troisième questions portent, en substance, sur l’application éventuelle de principes, à savoir celui de l’interdiction de l’enrichissement sans cause (deuxième question) et ceux d’équivalence et d’effectivité (troisième question) qui seraient susceptibles, le cas échéant, de faire obstacle, en tout ou en partie, au remboursement du précompte mobilier acquitté par Accor.

14.      Préalablement à l’examen de ces questions, il me paraît utile de formuler deux observations.

15.      Tout d’abord, d’un point de vue général, il convient de ne pas négliger l’importance des enjeux financiers du litige au principal et des litiges analogues pendants devant les juridictions administratives françaises, estimés à environ 3 milliards d’euros. Ces enjeux ne paraissent pas étrangers à la décision du Conseil d’État d’adresser à la Cour le présent renvoi préjudiciel et avaient aussi partiellement motivé la demande de cette juridiction qui visait à soumettre la présente affaire à la procédure accélérée, prévue à l’article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, demande qui fut rejetée par ordonnance du président de la Cour du 19 octobre 2009.

16.      Quant à cet aspect pécuniaire, on notera également que ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement français n’ont demandé la limitation dans le temps des effets de l’arrêt de la Cour à intervenir, peut-être tant parce que, selon la jurisprudence, les conséquences financières, sans risque de troubles économiques graves, qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, une telle limitation des effets de cet arrêt dans le temps (6) qu’en raison du fait que l’objet même de l’ensemble des litiges pendants devant les juridictions administratives françaises concerne la résolution de situations révolues, le régime litigieux, comme je l’ai déjà mis en exergue, ayant été aboli depuis le 1er janvier 2005 (7).

17.      Ensuite, il importe de signaler que les questions du Conseil d’État ne portent pas sur l’interprétation de la directive 90/435, et particulièrement de son article 4, en vertu duquel l’État membre d’établissement de la société mère, qui détient une participation minimale de 25 % dans le capital social d’une filiale établie dans un autre État membre, doit atténuer la double imposition économique des bénéfices distribués par cette filiale au profit de ladite société mère. Pour ce faire, l’État membre d’établissement de la société mère soit s’abstient d’imposer ces bénéfices, soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l’État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l’article 5 de ladite directive, dans la limite du montant de l’impôt national correspondant. Ainsi que la Cour l’a, en substance, rappelé dans l’arrêt Cobelfret (8), l’obligation pesant sur l’État membre d’établissement de la société mère se rapporte donc à la distribution de bénéfices au profit de cette dernière par sa filiale.

18.      Devant le Conseil d’État, mais également de nouveau dans ses observations écrites devant la Cour, Accor a défendu la thèse de la contrariété du précompte mobilier avec l’article 4 de la directive 90/435. Cette thèse reposait en substance sur le syllogisme suivant, à savoir la République française, en vertu des articles 145 et 216 du CGI, a opté pour l’exonération de l’impôt sur les sociétés des dividendes versés à une société mère par une filiale quelle qu’en soit leur provenance (9). Or, au moment de la redistribution à ses actionnaires de dividendes en provenance de bénéfices versés par une filiale établie dans un autre État membre que la France, la société mère française était tenue d’acquitter le précompte mobilier, lequel avait pour objet de se substituer à l’impôt sur les sociétés dans la mesure où il ne portait que sur les bénéfices distribués qui n’avaient pas été soumis au préalable à l’impôt sur les sociétés au taux plein. Par conséquent, selon Accor, le précompte mobilier constituait une imposition des dividendes reçus des filiales non-résidentes en France contraire à l’article 4 de la directive 90/435.

19.      Le Conseil d’État a rejeté cette argumentation au motif que le fait générateur du précompte mobilier litigieux était non pas le versement de dividendes au profit de la société mère française par les filiales établies dans les autres États membres, mais la redistribution par cette dernière à ses propres actionnaires des dividendes ainsi perçus. En d’autres termes, le précompte mobilier n’avait donc ni pour objet ni pour effet d’imposer les bénéfices distribués, et ne se substituait dès lors pas à l’impôt sur les sociétés, mais était uniquement exigible lors de la redistribution des dividendes aux actionnaires de la société mère.

20.      Malgré la tentative d’Accor dans ses observations écrites déposées devant la Cour d’élargir la portée des questions posées par le Conseil d’État à l’interprétation de la directive 90/435, je souscris au rejet par cette juridiction de l’argument présenté dans l’affaire au principal par cette société.

21.      En effet, comme déjà indiqué, la directive 90/435 ne se rapporte qu’aux distributions des bénéfices entre une filiale et sa société mère établies dans deux États membres différents. Elle ne préjuge donc pas du régime fiscal de la redistribution de produits de participation par la société mère à ses propres actionnaires. La motivation de la juridiction de renvoi rejoint, en définitive, l’esprit du raisonnement développé par la Cour dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, à propos de l’«advance corporate tax» (ACT) qu’était tenue d’acquitter une société mère établie au Royaume-Uni lors de la redistribution de dividendes à ses actionnaires perçus de filiales établies dans d’autres États membres (10) et qui a été considérée comme échappant au champ d’application de la directive 90/435.

A –    Sur la première question

22.      Par sa première question, qui se divise en deux branches, la juridiction de renvoi souhaite savoir, d’une part, si les articles 43 CE et 56 CE s’opposent au mécanisme selon lequel seule une société mère qui redistribue à ses propres actionnaires des dividendes perçus de filiales établies en France, à l’exclusion de filiales établies dans d’autres États membres, peut imputer l’avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes sur le précompte mobilier et, d’autre part, en cas de réponse négative, si ces mêmes articles s’opposent néanmoins à un tel mécanisme en raison de son éventuel effet dissuasif dans le chef des actionnaires de la société mère bénéficiaires de dividendes versés par des filiales établies dans des États membres, autres que la France.

23.      Avant d’examiner le caractère restrictif d’un tel mécanisme, il importe de dire quelques mots de la liberté de circulation applicable.

1.      Sur la liberté de circulation applicable

24.      Selon la jurisprudence, lorsqu’un ressortissant d’un État membre détient dans le capital d’une société établie dans un autre État membre une participation de nature à lui permettre d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités, ce sont les dispositions du traité ayant trait à la liberté d’établissement qui trouvent à s’appliquer et non celles se rapportant à la libre circulation des capitaux (11).

25.      En l’occurrence, la juridiction de renvoi n’a pas renseigné la Cour sur l’ampleur des participations détenues par Accor dans le capital des filiales établies dans les États membres, autres que la France, ce qui ne saurait donc exclure des participations ne lui permettant pas d’exercer une influence certaine sur les décisions de ces sociétés.

26.      En effet, il importe tout d’abord de remarquer que le régime litigieux était applicable, conformément à l’article 145 du CGI, aux sociétés dont les participations étaient supérieures au seuil minimum de 10 % du capital social de la société distributrice, pour ce qui concerne la période jusqu’au 31 décembre 2000, seuil qui fut ramené à 5 % du capital social de la société distributrice pour la période à compter du 1er janvier 2001 (12). Ce régime s’appliquait donc déjà à la détention par des sociétés mères de participations dans le capital d’autres sociétés d’un ordre de grandeur qui, a priori, excluait la possibilité d’exercer une influence certaine sur les décisions desdites sociétés.

27.      S’agissant des situations de fait à l’origine de l’affaire au principal, cette déduction paraît être confirmée par les indications fournies dans les observations écrites du gouvernement français et selon lesquelles un certain nombre de dividendes perçus par Accor aurait été versé par des sociétés dans lesquelles celle-ci ne détenait que des participations minoritaires ne lui permettant apparemment pas d’exercer une influence certaine sur les décisions de ces sociétés.

28.      En revanche, tant Accor que le gouvernement français font également état de situations dans lesquelles cette société détenait une participation majoritaire dans le capital de filiales établies dans différents États membres permettant de supposer qu’Accor exerçait une influence sur les décisions de ces filiales.

29.      S’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier la réalité de l’ensemble de ces données aux fins de la résolution du litige au principal (13), il semble que tant les dispositions législatives concernées que les situations factuelles à l’origine de l’affaire au principal pourraient relever aussi bien de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux (14).

30.      J’estime cependant que, au vu des éléments dont la Cour dispose, l’examen de la présente affaire peut être plus opportunément mené au regard des dispositions du traité régissant la libre circulation des capitaux, étant entendu que l’analyse de la question préjudicielle à l’aune de l’article 43 CE ne devrait de toute manière pas aboutir à une solution différente.

2.      Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

31.      Selon la jurisprudence, constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE notamment les investissements directs sous forme de participation à une entreprise par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à sa gestion et à son contrôle (investissements dits «directs») ainsi que l’acquisition de titres sur le marché des capitaux effectuée dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (investissements dits «de portefeuille») (15).

32.      La Cour a aussi jugé que les restrictions à circulation des capitaux entre les États membres interdites par l’article 56, paragraphe 1, CE comprennent les mesures nationales, y compris fiscales, susceptibles de dissuader des personnes résidentes d’un État membre d’investir leurs capitaux dans des sociétés établies dans d’autres États membres (16).

33.      Dans l’affaire au principal, il est constant, comme l’admet le gouvernement français lui-même, que, tandis que l’avoir fiscal attaché aux dividendes versés par des filiales françaises à leur société mère établie en France pouvait être imputé sur le montant du précompte mobilier dû lors de la redistribution par cette dernière des dividendes en question à ses propres actionnaires, les dividendes versés par des filiales non-résidentes en France n’ouvraient pas droit, dans le chef de leur société mère française, à un avoir fiscal similaire. Cette dernière société était donc tenue d’acquitter le précompte mobilier sans toutefois obtenir le bénéfice de l’avoir fiscal, contrairement à la situation d’une société mère percevant des dividendes de filiales françaises et redistribuant ces dividendes à ses propres actionnaires.

34.      Ce mécanisme entraînait donc, de l’aveu même du gouvernement français, une différence de traitement entre les dividendes versés à des sociétés mères françaises selon qu’ils provenaient de filiales établies en France ou dans d’autres États membres.

35.      Ne mettant ainsi pas en discussion le caractère comparable de la situation d’une société mère française percevant des dividendes de filiales françaises et celle d’une même société mère recevant des dividendes de filiales établies dans d’autres États membres (17), le gouvernement français fait néanmoins valoir, de manière quelque peu contradictoire, dans un premier temps, qu’une telle différence de traitement n’engendrait pas d’effet restrictif aux mouvements des capitaux, au sens de l’article 56 CE (18), tout en concédant, dans un second temps, qu’une dissuasion directe n’existait que lorsque la société mère française conduisait une politique de redistribution des dividendes perçus des filiales établies dans les autres États membres (19).

36.      Indépendamment de la contradiction interne qui vient d’être mise en évidence au sein de l’argumentation exposée par le gouvernement français, je rappelle que ce dernier fonde sa thèse principale, à savoir l’absence d’effet restrictif des dispositions fiscales litigieuses, sur les deux arguments suivants.

37.      D’une part, il soutient que l’activation de l’avoir fiscal, ou le paiement du précompte mobilier, découlerait d’une décision autonome des organes compétents de la société mère percevant des dividendes versés par ses filiales françaises et non de la loi. En référence notamment à l’arrêt Graf (20), le gouvernement français ajoute que l’effet éventuellement négatif des dispositions litigieuses de la législation nationale dépendrait ainsi d’une décision des organes compétents de la société mère tellement hypothétique que ces dispositions ne pourraient être considérées comme constituant une entrave à la libre circulation des capitaux.

38.      D’autre part, ce gouvernement prétend que, dans la mesure où le précompte mobilier était imputé sur les résultats distribuables de la société mère, il constituait non pas une charge grevant les bénéfices, mais une imputation des résultats distribuables dont le coût était entièrement supporté par les actionnaires qui bénéficiaient d’un dividende dégradé. La société mère n’était donc pas affectée par le mécanisme. De surcroît, le gouvernement français indique que, dans la mesure où les actionnaires non-résidents pouvaient obtenir le remboursement du précompte s’ils ne bénéficiaient pas de l’avoir fiscal, conformément aux conventions fiscales conclues par la République française et/ou à la doctrine administrative française, seuls les actionnaires français de la société mère française auraient été affectés par la différence de traitement, situation qui, en raison de son caractère purement interne, ne relèverait pas du champ d’application de l’article 56 CE.

39.      Il n’y a pas lieu, à mon sens, de s’attarder outre mesure sur la première objection, au demeurant quelque peu confuse, du gouvernement français. Pour autant que je la comprenne, cette objection consiste à dire que les sociétés mères (ou leurs organes) jouiraient de la liberté de décider de procéder à une redistribution des dividendes à leurs actionnaires de sorte à activer ou non le mécanisme de l’application du précompte mobilier et de l’avoir fiscal. Le gouvernement français paraît ainsi considérer que si les organes compétents d’une société mère française qui perçoit des dividendes de filiales établies dans d’autres États membres décident de procéder à une redistribution aux actionnaires de ladite société correspondant intégralement à la somme des dividendes versés par la filiale à sa société mère, sans donc bénéficier de l’avoir fiscal, ces organes ne doivent donc s’en prendre qu’à eux-mêmes. Cet argument s’inspire apparemment des conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État, annexées aux observations écrites du gouvernement français et d’Accor (21).

40.      Toutefois, outre que la différence de traitement mise en exergue plus haut réside bel et bien dans les dispositions de la législation française elles-mêmes, la question n’est pas celle de savoir, comme le suggère le gouvernement français, si une société mère ou ses organes compétents étaient à même d’éviter d’acquitter le précompte mobilier en ne procédant pas à la redistribution des dividendes versés à la société mère par ses filiales établies dans les États membres autres que la France, ou de diminuer le montant des dividendes faisant l’objet de la redistribution aux actionnaires de cette société mère dans le but, en définitive, de contourner ou de s’adapter à l’obstacle constitué par le régime fiscal litigieux.

41.      Au contraire, il s’agit de savoir si une société mère dans la situation de celle d’Accor peut tirer bénéfice de la libre circulation des capitaux en revendiquant un traitement équivalent à celui réservé par la législation nationale à une société mère française qui, ayant perçu des dividendes de filiales françaises, procède à la redistribution intégrale de ces dividendes à ses actionnaires.

42.      Par ailleurs, je peine à concevoir comment, au sein d’une société de capitaux, une décision de (re)distribution de dividendes au profit des actionnaires de cette société puisse revêtir, comme le prétend le gouvernement français, une nature hypothétique ou aléatoire, au sens de l’arrêt Graf, précité. Comme l’a indiqué Accor lors de l’audience, il est difficilement imaginable que des actionnaires investissent dans une société qui projette de ne redistribuer de dividendes que très épisodiquement, qui plus est lorsque cette société est cotée sur les marchés financiers et développe une politique de distribution participant de sa communication financière.

43.      Quant au second argument exposé par le gouvernement français, je tiens à faire observer qu’il paraît être à l’origine du dédoublement de la première question préjudicielle adressée par la juridiction de renvoi, selon que la société mère (première branche de cette question) ou les actionnaires de cette société (seconde branche alternative de la question) seraient concernés.

44.      Ce dédoublement semble essentiellement motivé par des considérations procédurales de droit interne, dans la mesure où le litige au principal oppose les autorités françaises à Accor et non aux actionnaires de cette société.

45.      Il ne paraît toutefois pas pertinent aux fins de l’interprétation de l’article 56 CE, dont le champ d’application s’étend aux mesures nationales qui dissuadent les investissements transfrontaliers, sans qu’il y ait à s’interroger si cette dissuasion affecte davantage la société en tant que telle, les organes compétents de celle-ci ou, plus généralement, ses actionnaires. En effet, avaliser la distinction à laquelle invitent la juridiction de renvoi et le gouvernement français reviendrait, selon moi, à subordonner l’application de l’article 56 CE au droit interne des États membres et aux modalités d’organisation des sociétés établies sur leurs territoires respectifs.

46.      Du reste, la jurisprudence de la Cour illustre qu’une même mesure nationale peut à la fois dissuader des résidents (y compris sous la forme sociale) d’un État membre d’investir leurs capitaux dans d’autres États membres et emporter des effets restrictifs pour les résidents de ces autres États membres en ce qu’elle constitue un obstacle à la collecte de capitaux dans le premier État membre (22). Je ne vois donc pas d’obstacle, aux fins de la qualification d’une mesure nationale au titre de l’article 56, paragraphe 1, CE, à ce que cette mesure puisse aussi emporter un effet dissuasif dans le chef d’une société et/ou de ses actionnaires. Au demeurant, l’existence d’une telle dissuasion aux mouvements transfrontaliers des capitaux n’est pas subordonnée, par définition, y compris dans le domaine fiscal, à une démonstration arithmétique des conséquences patrimoniales supportées par les intéressés.

47.      En tout état de cause, je crois que la Cour pourra se dispenser de répondre à la seconde branche de la question préjudicielle, eu égard au caractère dissuasif du mécanisme litigieux dans le chef de la société mère Accor, ce que, comme je l’ai déjà indiqué, le gouvernement français a d’ailleurs admis au point 82 de ses observations écrites.

48.      En effet, en ne pouvant tirer bénéfice de la neutralisation du précompte mobilier par le versement de l’avoir fiscal contrairement à la situation d’une société mère ayant redistribué à ses propres actionnaires l’intégralité des dividendes versés par ses filiales françaises, une société mère dans la situation d’Accor devait, pour pouvoir procéder à une redistribution intégrale des dividendes à ses actionnaires, puiser dans ses réserves de trésorerie pour un montant équivalent à la somme devant être acquittée au titre du précompte mobilier. Les sociétés mères françaises ayant investi leurs capitaux dans des filiales françaises jouissaient donc d’un avantage de trésorerie par rapport aux sociétés mères ayant investi leurs capitaux dans des filiales ayant leur siège dans d’autres États membres (23).

49.      De surcroît, – et je souscris sur ce point totalement aux conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État – le précompte mobilier, qui portait sur la redistribution des dividendes aux actionnaires de la société mère et dont était redevable cette dernière, avait pour effet de diminuer la masse des dividendes distribuables, cette masse n’étant pas identique selon que la filiale de la société mère soit établie en France ou dans un autre État membre. Or, cette situation était susceptible d’affecter, en toute vraisemblance, la valeur des titres de la société mère dès lors que les dividendes distribués étaient moindres. La politique de distribution de cette société pouvait dès lors être moins attrayante pour les actionnaires actuels ou potentiels, de sorte que l’accès de cette société au marché des capitaux était susceptible d’en être affecté.

50.      Le régime fiscal litigieux était donc parfaitement en mesure de dissuader des sociétés établies en France de procéder à des investissements en portefeuille dans des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres.

51.      Dans ces conditions, je considère que le mécanisme fiscal litigieux constitue une restriction au sens de l’article 56, paragraphe 1, CE.

52.      Ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement français n’ayant fait référence aux motifs exposés à l’article 58 CE ou aux raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une telle restriction, je suggère donc de répondre à la première question préjudicielle de la manière suivante, à savoir l’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime fiscal en vertu duquel une société mère établie dans un État membre qui perçoit des dividendes versés par une filiale établie dans un autre État membre ne peut pas imputer sur le précompte mobilier, dont elle est redevable lors de la redistribution à ses propres actionnaires desdits dividendes, l’avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes, contrairement à la situation comparable d’une société mère établie dans le premier État membre percevant des dividendes versés par une filiale également établie dans cet État membre.

B –    Sur la deuxième question

53.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si, dans l’hypothèse où l’administration fiscale serait en principe tenue de rembourser les sommes acquittées par la société mère en méconnaissance du droit de l’Union, cette administration pourrait toutefois s’y opposer soit au motif que cette restitution entraînerait un enrichissement sans cause de cette société, quand bien même le régime litigieux ne se traduit pas par la répercussion d’une taxe sur un tiers par le redevable, soit, dans la négative, au motif que les sommes acquittées ne constitueraient pas une charge comptable ou fiscale pour la société mère, mais s’imputeraient sur la masse des dividendes distribuables à ses actionnaires.

54.      Eu égard à la proposition de réponse à la première question, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les particuliers ont, en principe, le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues dans un État membre en violation des dispositions du droit de l’Union. Ce droit est en effet la conséquence et le complément des droits conférés aux particuliers par lesdites dispositions, telles qu’elles sont interprétées par la Cour. Il s’ensuit que l’État membre en cause est tenu, en principe, de rembourser les impositions perçues en violation du droit de l’Union (24).

55.      Cette obligation de remboursement ne connaît, selon cette jurisprudence, qu’une seule exception, à savoir lorsqu’il est établi par les autorités nationales que, en tout ou en partie, la charge de la taxe a été supportée par une personne autre que l’assujetti et que le remboursement, total ou partiel, de la taxe entraînerait, pour ce dernier, un enrichissement sans cause (25). Une telle situation peut notamment se produire en matière de fiscalité indirecte lorsqu’un assujetti a répercuté, en tout ou en partie, la taxe sur la valeur ajoutée indûment acquittée sur le consommateur final.

56.      La Cour a également jugé que, même lorsqu’il est établi que la charge de la taxe indûment perçue par les autorités nationales a été partiellement ou totalement répercutée sur les tiers, le remboursement de celle-ci à l’opérateur ne lui procure pas nécessairement un enrichissement sans cause (26). En effet, même dans cette hypothèse, un préjudice pourrait toujours avoir été supporté par l’assujetti par l’acquittement de la taxe en violation du droit de l’Union, par exemple en raison de la diminution du volume de ses ventes ou de l’absence de répercussion complète dans ses prix de vente du montant total de la taxe (27).

57.      S’agissant de la démonstration d’un éventuel enrichissement sans cause du redevable qui serait provoqué par la répercussion de la taxe acquittée sur un tiers, la Cour a jugé que les éléments de preuve doivent être librement appréciés par le juge national (28) eu égard à toutes les circonstances pertinentes (29), étant entendu que les modalités procédurales applicables, à défaut de réglementation de l’Union, relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État membre dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (30).

58.      Ce dernier principe, a également précisé la Cour, s’oppose à toutes modalités de preuve dont l’effet est de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement de taxes perçues en violation de ce droit. Tel est le cas notamment de présomptions ou de règles de preuve qui visent à faire supporter au contribuable la charge d’établir que les taxes indûment payées n’ont pas été répercutées sur d’autres personnes, ou de limitations particulières en ce qui concerne la forme des preuves à rapporter (31). Ainsi, même dans la situation où est en cause la répétition de taxes indirectes devant légalement être répercutées sur un tiers, la Cour a rejeté la thèse selon laquelle il existerait une présomption que la répercussion a eu lieu et qu’il incomberait à l’assujetti de prouver négativement le contraire (32).

59.      Dans ces conditions, ainsi que les parties ayant déposé des observations écrites dans la présente affaire en conviennent, il incombe aux autorités fiscales qui prétendent s’opposer à la restitution de prélèvements versés indûment par un contribuable en méconnaissance du droit de l’Union de rapporter la preuve qu’une telle restitution enrichirait sans cause cet assujetti (33), le juge national devant apprécier le caractère fondé de ces prétentions, à savoir l’existence et la mesure de l’enrichissement sans cause, en procédant à une analyse économique qui tienne compte de l’ensemble des éléments pertinents qui lui sont soumis (34).

60.      Ce rappel jurisprudentiel permet déjà, à mon sens, de répondre en partie à la seconde branche de la question ici examinée. En effet, en choisissant de formuler cette branche de manière alternative et subsidiaire à la première branche qui se rapporte à l’exception de l’enrichissement sans cause, la juridiction de renvoi paraît vouloir repousser les limites du droit à la restitution de taxes versées en violation du droit de l’Union. Or, comme il vient d’être dit, le droit de l’Union ne tolère qu’une exception à la restitution de taxes versées en violation de ce droit, à savoir celle de l’enrichissement sans cause.

61.      La seconde branche de la question pourrait néanmoins être utilement interprétée dans le contexte de la problématique liée à l’enrichissement sans cause. En effet, en relevant que les sommes acquittées ne constitueraient pas une charge comptable ou fiscale pour la société mère, mais s’imputeraient sur la masse des dividendes distribuables à ses actionnaires, la juridiction de renvoi met, en définitive, en exergue le fait que ce n’est pas la société mère qui a supporté la charge réelle de l’acquittement du précompte mobilier et que, partant, la restitution à son profit des sommes correspondant au paiement de ce prélèvement pourrait conduire à l’enrichir indûment.

62.      Il est donc, à mon sens, possible d’examiner conjointement les deux branches de la question.

63.      Dans l’affaire au principal, il importe de rappeler que la juridiction de renvoi part également de la prémisse que le régime litigieux ne se traduit pas par la répercussion d’une taxe sur un tiers par le redevable et donc n’entre pas dans le cas de figure «classique» de l’enrichissement sans cause tel que celui-ci découle de la jurisprudence de la Cour rappelée précédemment. Cette prémisse peut paraître surprenante et pourrait à première vue justifier de rejeter l’existence même d’un enrichissement sans cause, au regard de ladite jurisprudence.

64.      Il convient néanmoins de se garder de cette lecture quelque peu simpliste de la question posée. La prémisse sur laquelle repose la question paraît s’expliquer par la qualification juridique du précompte mobilier retenue en droit administratif français. En effet, le Conseil d’État a jugé que le précompte mobilier ne constitue pas une charge déductible du bénéfice net de la société, car ce prélèvement aurait été institué pour éviter que des sociétés qui distribuent, dans des conditions ouvrant droit à l’avoir fiscal, des bénéfices n’ayant pas fait l’objet d’une imposition à l’impôt sur les sociétés au taux normal, bénéficient, de ce fait, d’un avantage fiscal indu (35). Dès lors, en s’imputant uniquement sur la masse des revenus distribuables, le précompte mobilier n’affecterait pas la société mère distributrice, mais serait prélevé sur le patrimoine des actionnaires. Selon cette optique, au demeurant défendue par le gouvernement français, la question de savoir si le précompte mobilier aurait été répercuté sur un tiers, en application du critère retenu par la jurisprudence de la Cour, serait donc sans aucune pertinence, puisque l’acquittement du précompte mobilier affecterait directement le patrimoine des actionnaires de la société mère.

65.      Ainsi replacée dans son contexte, la question soulevée par la juridiction de renvoi appelle les observations suivantes.

66.      Sur un plan général, je ne vois pas d’obstacle à ce que, en principe, un État membre puisse s’opposer au remboursement de sommes acquittées en méconnaissance du droit de l’Union qui, si elles étaient restituées, entraîneraient l’enrichissement sans cause d’un opérateur économique ou d’un assujetti, même en dehors des cas de figure (en substance, restitution de droits à l’importation ou de taxes indirectes) auxquels la Cour a été confrontée. Tel serait le cas, selon moi, si la personne concernée n’aurait pas elle-même supporté l’entièreté de la charge économique des sommes qu’elle a dû verser. Conformément à la jurisprudence, il incomberait aux juridictions nationales de vérifier si une telle hypothèse se matérialise eu égard aux circonstances de chaque espèce.

67.      Ainsi et s’agissant du litige au principal, je ne crois pas que l’on puisse rejeter d’emblée, comme tentent de le faire Accor et la Commission européenne, l’existence même d’un éventuel enrichissement sans cause de la société mère qu’entraînerait la restitution des sommes acquittées en méconnaissance de l’article 56 CE au seul motif que, juridiquement, c’est elle qui est redevable du précompte mobilier. En effet, comme je l’ai mis en exergue, la jurisprudence de la Cour privilégie une approche économique plutôt que strictement juridique de l’éventuel enrichissement sans cause qui serait entraîné par le remboursement de sommes indûment acquittées par un opérateur économique.

68.      Toutefois, l’argument, de nature générale, du gouvernement français selon lequel la restitution à la société mère d’une somme équivalente à l’acquittement du précompte mobilier enrichirait cette société au détriment de ses actionnaires ne me persuade pas.

69.      En effet, la restitution de cette somme maintenue dans la société constituerait en réalité un profit différé pour les actionnaires susceptible d’accroître la valeur patrimoniale de leur participation dans le capital de cette société et en aucun cas un appauvrissement desdits actionnaires.

70.      Il est d’ailleurs parfaitement plausible, ainsi que l’a fait valoir le rapporteur public devant le Conseil d’État et comme l’a soutenu Accor devant la Cour, que l’acquittement du précompte mobilier par la société mère n’ait, en définitive, pas affecté la distribution des dividendes au profit des actionnaires, cette société ayant entièrement pris à sa charge le poids de ce prélèvement en puisant dans ses réserves, afin de ne pas perturber sa politique de distribution et de ne pas altérer le cours de ses actions sur le marché boursier.

71.      Or, ainsi que l’a confirmé le gouvernement français lors de l’audience devant la Cour, dans une situation purement interne, une société mère qui avait incorrectement acquitté, pour différents motifs, un montant de précompte mobilier excessif bénéficiait elle-même de la restitution du trop perçu par les autorités fiscales français, lorsque cela n’affectait pas la redistribution des dividendes à ses actionnaires. L’application du principe d’équivalence commanderait alors, à mon sens, qu’une société mère ayant acquitté un montant de précompte mobilier indu, sans que ce montant ait affecté la masse des dividendes distribuables à ses propres actionnaires en raison notamment de la volonté desdits actionnaires de maintenir une politique de distribution attrayante de cette société, se voie accorder la restitution dudit montant.

72.      Néanmoins, dans la situation qui vient d’être décrite, le remboursement du précompte mobilier, dans le cadre d’une action en restitution telle qu’intentée par Accor devant les juridictions administratives françaises, paraît se heurter à la jurisprudence de la Cour.

73.      En effet, il importe de relever que, dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, la Cour, sans se fonder explicitement sur la théorie de l’enrichissement sans cause, a exclu que les pertes financières subies par des sociétés ayant été contraintes d’augmenter le montant de leurs dividendes afin de compenser la perte d’un crédit d’impôt dans le chef de leurs actionnaires puissent, sur la base du droit de l’Union, être restituées par la voie d’une action en remboursement.

74.      Ainsi, la Cour a rejeté la prétention des sociétés requérantes dans le litige au principal qui les opposaient aux autorités fiscales britanniques, selon laquelle elles auraient été en droit de réclamer, au moyen d’une action en restitution, le préjudice que ces sociétés résidentes auraient subi du fait qu’elles se voyaient obligées d’augmenter le montant de leurs dividendes afin de compenser la perte du crédit d’impôt dans le chef de leurs actionnaires.

75.      Selon la Cour, ce préjudice ne pouvait pas être compensé, en se basant sur le droit de l’Union, au moyen d’une action visant au remboursement de l’impôt indûment perçu ou des montants payés à l’État membre concerné ou retenus par celui-ci en rapport direct avec cet impôt. En effet, «de telles […] augmentations du montant des dividendes reposeraient sur des décisions prises par ces sociétés et ne constitueraient pas, dans leur chef, une conséquence inévitable du refus du Royaume-Uni d’accorder auxdits actionnaires un traitement équivalent à celui dont bénéficient les actionnaires bénéficiaires d’une distribution basée sur des dividendes d’origine nationale» (36).

76.      Dans la perspective d’assurer l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et au regard des questions posées à la Cour, celle-ci a néanmoins invité la juridiction nationale à déterminer si les augmentations du montant des dividendes en cause constituaient, dans le chef des sociétés concernées, une perte financière subie en raison d’une violation du droit de l’Union imputable à l’État membre concerné (37), c’est-à-dire, un préjudice pouvant éventuellement être constaté et indemnisé dans le cadre d’une action en responsabilité contre ce dernier.

77.      Si cette solution devait être transposée à la présente affaire, et en fonction de la politique de redistribution d’Accor mentionnée au point 70 des présentes conclusions, cette société ne pourrait alors pas réclamer, dans le cadre de son action en restitution du précompte mobilier devant la juridiction de renvoi, les éventuelles pertes qu’elle aurait subies, en raison de la décision de l’assemblée de ses actionnaires de redistribuer l’intégralité des dividendes provenant des filiales d’Accor non-résidentes en France et donc de ne pas imputer le précompte mobilier sur les dividendes distribués aux actionnaires. En effet, ces pertes ne seraient pas la conséquence inévitable du refus de la République française de verser l’avoir fiscal dans des conditions analogues à la situation d’une société mère française percevant des dividendes de filiales françaises. Il resterait, dans ces circonstances, à lui reconnaître le droit d’intenter une action en responsabilité de l’État pour violation au droit de l’Union, dans le respect des conditions d’engagement d’une telle responsabilité ainsi que des principes d’équivalence et d’effectivité.

78.      En revanche, l’application du régime fiscal litigieux avait, à mon sens, pour conséquence directe d’imposer à une société mère française, telle qu’Accor, l’imputation du précompte mobilier sur les dividendes redistribués à ses propres actionnaires, ce qui conduisait inéluctablement à la diminution du montant de ces dividendes.

79.      Dans cette hypothèse, c’était principalement les actionnaires qui subissaient une perte financière, consistant dans le versement d’un dividende dégradé. La société mère pouvait toutefois également souffrir d’un préjudice financier qui se matérialisait par la baisse de la valeur du cours de ses actions due à une politique de distribution susceptible d’être jugée moins attractive par le marché.

80.      Dans de telles circonstances, la mesure de la restitution à la société mère du précompte mobilier devrait-elle être limitée à ses propres pertes ou également inclure les pertes qui ont affecté les actionnaires en raison de la redistribution d’un dividende dégradé?

81.      Je serais enclin à opter pour la seconde alternative.

82.      En effet, d’une part, comme je l’ai déjà mentionné, le principe de la restitution d’un tel montant à la société mère ne me paraît aucunement appauvrir les actionnaires de cette société, la valeur accumulée dans la société mère profitant auxdits actionnaires.

83.      D’autre part, limiter la portée de la restitution aux propres pertes de la société mère impliquerait, du point de vue procédural, que les actionnaires lésés soient en mesure d’introduire une action en restitution du précompte mobilier devant les juridictions françaises compétentes. Or, ainsi que l’a mis en exergue le rapporteur public devant le Conseil d’État, sans que cette constatation ait été démentie par le gouvernement français, en vertu du droit interne français, un actionnaire se trouvant dans cette situation ne dispose d’aucune action fiscale personnelle lui permettant d’obtenir le remboursement à son profit dudit précompte, mais pourrait tout au plus introduire une action en responsabilité contre l’État.

84.      Certes, en substance, le gouvernement français a mentionné dans ses observations devant la Cour que ce principe serait tempéré par la possibilité qu’offrent les conventions préventives de double imposition conclues par la République française à un actionnaire non-résident d’une société mère française de bénéficier du remboursement du précompte mobilier lorsque aucun avoir fiscal n’a été accordé au moment de la distribution des dividendes au profit de cette société (38).

85.      Si, ainsi que l’admet également la Commission, l’exercice d’une telle faculté par les éventuels actionnaires non-résidents d’une société mère comme Accor devrait être pris en compte dans le cadre de l’évaluation par la juridiction de renvoi du montant effectif du précompte mobilier devant être restitué à la société mère, il ne peut cependant pas justifier le refus catégorique de rembourser ce qui a été indûment perçu par l’État et qui n’est susceptible, en pratique, d’être restitué qu’à la société mère ayant acquitté le prélèvement imposé en violation du droit de l’Union.

86.      En juger autrement aboutirait à deux conséquences que ne saurait, à mon sens, tolérer le droit de l’Union. D’une part, cela rendrait en pratique impossible l’exercice d’une action en restitution d’un prélèvement imposé en méconnaissance du droit de l’Union. D’autre part, la thèse défendue en substance par le gouvernement français reviendrait à admettre l’enrichissement sans cause de l’État, celui-ci ayant perçu la somme équivalente à l’acquittement indu du précompte mobilier, sans qu’il ait à la restituer au redevable.

87.      En synthèse, j’estime qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question en ce sens qu’un État membre peut s’opposer à la restitution d’un prélèvement perçu en violation du droit de l’Union pour toute la charge économique que le redevable n’a pas supportée lui-même, ce qui, dans cette mesure, aboutirait à enrichir indûment ledit redevable. Un tel enrichissement serait susceptible de se produire si l’État membre devait restituer les dépenses supportées par le redevable qui ne seraient pas la conséquence inévitable du refus d’un État membre d’assurer le respect des dispositions du traité CE. Dans l’affaire au principal, il incombe à la juridiction de renvoi, au regard de l’ensemble des éléments dont elle dispose, de vérifier, en fonction de la politique de distribution des dividendes mise en place par une société mère, telle que la défenderesse au principal, au profit de ses actionnaires, si l’acquittement du précompte mobilier litigieux a été imputé, en tout ou en partie, sur les dividendes redistribués auxdits actionnaires de sorte que la société mère ait pu, le cas échéant, avoir subi des pertes qui seraient la conséquence inévitable du refus de l’État membre de lui accorder l’égalité de traitement requise. Dans ce cas, la mesure de la restitution du prélèvement litigieux à la société mère devra être établie en fonction de la charge économique qu’elle a supportée sur la base de tous les éléments pertinents dont dispose la juridiction de renvoi.

C –    Sur la troisième question

88.      J’arrive à présent à la troisième question posée par la juridiction de renvoi qui a occasionné les débats les plus vifs entre les parties intéressées et dont la réponse ne sera utile que si le juge de renvoi, au regard des indications que lui aura fourni la Cour, exclut, ne serait-ce que partiellement, l’enrichissement sans cause de la société mère.

89.      Par cette question, le Conseil d’État souhaite savoir si, eu égard aux réponses données aux deux premières questions, les principes d’équivalence et d’effectivité font obstacle à ce que la restitution des sommes indûment acquittées par la société mère soit subordonnée, sous réserve, le cas échéant, des stipulations conventionnelles en matière d’échange d’informations, à la condition que cette société apporte les éléments démontrant, pour chaque dividende versé par ses filiales non établies en France, le taux d’imposition effectivement appliqué et le montant de l’impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par ces filiales, alors même que pour les filiales établies en France, les justificatifs, connus de l’administration, ne sont pas exigés.

90.      Ainsi que l’a fait valoir à juste titre la Commission dans ses observations écrites, cette question paraît se poser uniquement si la juridiction de renvoi, pour rétablir l’égalité de traitement, opte non pas pour le remboursement du précompte mobilier – ce qui reviendrait, en quelque sorte, à libérer la société mère de ce précompte sans qu’elle ait auparavant bénéficié de l’avoir fiscal –, mais pour la reconnaissance du bénéfice de l’avoir fiscal (après que la société mère a acquitté le précompte mobilier), tel qu’il aurait été accordé dans une situation purement interne. En effet, ainsi que l’indique la Commission dans ses observations écrites en référence aux points 50 à 52 de l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, dans cette seconde hypothèse, la société mère devrait obtenir un avoir fiscal reflétant le taux de l’impôt sur les sociétés acquitté par la filiale dans son État membre d’établissement (39).

91.      S’il appartient à la juridiction de renvoi de choisir les modalités permettant le rétablissement de l’égalité de traitement entre la situation purement interne et celle dans laquelle a été placée une société mère telle qu’Accor, ce choix doit s’exercer et être mis en œuvre dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

92.      À cet égard, Accor est d’avis, d’une part, que les autorités fiscales françaises ne sauraient subordonner la restitution du précompte mobilier à ce que la société mère apporte la preuve du taux et du montant de l’impôt effectivement acquittés par les filiales étrangères sur les bénéfices sous-jacents au versement de chaque dividende distribué alors que cette condition n’était pas imposée dans les situations purement internes. D’autre part, Accor soutient qu’il serait contraire au principe d’effectivité d’exiger d’elle qu’elle rapporte une telle preuve à l’égard non seulement de ses filiales mais aussi de toutes ses sous-filiales établies dans les autres États membres, qui plus est lorsque une telle exigence est formulée plus de dix ans après les faits et, partant, au-delà des obligations légales de conservation des documents administratifs en France. Par ailleurs, Accor évoque l’importance de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (40).

93.      Les gouvernements français et du Royaume-Uni sont d’opinion contraire. Ils rappellent que la finalité du régime fiscal litigieux est d’atténuer la double imposition économique et que, dès lors, les autorités fiscales françaises sont en droit de demander les justificatifs pour vérifier si les filiales étrangères ont effectivement acquitté, dans leur État membre d’établissement, l’impôt sur les bénéfices sous-jacents à la distribution des dividendes à la société mère. À cet égard, le gouvernement français insiste sur le fait que le droit interne respecte les principes d’équivalence et d’effectivité. Ce gouvernement rappelle notamment que le taux d’imposition dans une situation purement interne était également le taux effectivement acquitté par les filiales sur les bénéfices sous-jacents à la distribution des dividendes au profit de leur société mère et que le droit interne ne prend en compte que les distributions effectuées par les filiales directes des sociétés mères françaises. Les informations demandées n’étant connues que du contribuable lui-même, il ne serait aucunement excessif, selon les gouvernements français et du Royaume-Uni, d’exiger que la société mère apporte les premiers éléments précis quant à l’imposition et à la nature des distributions et des filiales concernées, l’administration fiscale pouvant, par la suite, le cas échéant, faire appel à l’assistance administrative des autorités de l’État membre d’établissement des filiales dans le cadre des dispositions de la directive 77/799 ou de celles des conventions fiscales bilatérales. En tout état de cause, le gouvernement français estime que si la Cour devait juger que l’attribution de la charge de la preuve à la société mère emportait une violation des principes d’équivalence et/ou d’effectivité, cette violation serait justifiée par la nécessité de lutter contre l’évasion fiscale.

94.      La Commission, quant à elle, articule une argumentation médiane. En substance, elle estime que le droit de l’Union ne s’oppose pas en principe à ce que, dans le cadre du remboursement d’un précompte tel que celui de l’affaire au principal, un État membre exige de tenir compte de l’imposition acquittée par la filiale dans son État membre d’établissement. Toutefois, en l’espèce, elle est d’avis que l’avoir fiscal étant garanti aux sociétés mères en fonction du taux légal (normal) d’imposition, sans tenir compte du taux effectivement appliqué aux bénéfices sous-jacents à la distribution réalisés par les filiales françaises ni de la preuve du montant d’impôt effectivement versé par ces sociétés, le principe d’équivalence commanderait d’appliquer le même traitement dans une situation transfrontalière.

95.      Ces positions opposées s’expliquent, partiellement, par des interprétations différentes du droit interne.

96.      En effet, les parties intéressées débattent, en premier lieu, des exigences du droit interne relatives au taux de l’impôt sur les sociétés applicable aux bénéfices sous-jacents de filiales françaises dont la démonstration du paiement était demandée aux sociétés mères percevant des dividendes desdites filiales, Accor et la Commission considérant que seule la preuve de l’assujettissement au taux normal était demandée, alors que le gouvernement français a longuement expliqué qu’il s’agissait du taux effectif appliqué.

97.      En second lieu, afin de répliquer aux critiques d’Accor à propos d’exigences de preuve excessives concernant l’imposition des sous-filiales de sociétés du groupe Accor qui seraient demandées par les autorités fiscales françaises, le gouvernement français a souligné lors de l’audience que le droit interne ne prenait en compte, dans le cadre du calcul de l’avoir fiscal, que les dividendes distribués au niveau de la filiale directe de la société mère et non au niveau des sous-filiales de celle-ci. En application du principe d’équivalence, ce gouvernement estime qu’il ne pourrait en être autrement dans une situation transfrontalière, sous peine d’introduire des discriminations à rebours.

98.      Il n’appartient à la Cour ni de trancher la question de savoir si le droit national exigeait, dans une situation purement interne, la preuve du taux normal ou du taux effectif acquitté par les filiales sur les bénéfices sous-jacents à la distribution des dividendes au profit de leur société mère ni celle de déterminer si ce droit ne considérait, à cette fin, que les relations entre cette société et sa filiale directe et non toutes les sous-filiales du groupe. Ces aspects relèvent en effet des vérifications auxquelles devra procéder la juridiction de renvoi.

99.      Il convient dès lors de raisonner sur la base d’hypothèses.

100. La première hypothèse à envisager est celle défendue par le gouvernement français, à savoir celle selon laquelle le droit interne subordonnait le versement de l’avoir fiscal, dans une situation purement interne, au paiement du taux effectif de l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices sous-jacents réalisés par la filiale directe de la société mère.

101. Dans ce cas de figure, l’extension aux situations transfrontalières du traitement appliqué aux situations internes ne méconnaît aucunement le principe d’équivalence.

102. Le droit de l’Union ne s’oppose pas non plus à ce que la charge de fournir les justificatifs pertinents incombe avant tout à la société mère concernée. Les autorités fiscales sont en effet en droit de demander au contribuable les preuves qu’elles jugent nécessaires pour apprécier si les conditions d’obtention d’un avantage fiscal prévues par la législation nationale sont réunies (41).

103. Contrairement à ce que semble soutenir Accor, si le recours au mécanisme d’assistance mutuelle prévue par la directive 77/799 permet certes aux autorités fiscales de s’adresser aux autorités d’un autre État membre afin d’obtenir tout renseignement qui s’avère nécessaire à l’établissement correct de l’impôt d’un contribuable (42), il ne saurait cependant ni constituer une démarche préalable à l’obligation incombant au contribuable de rapporter les éléments de preuve nécessaires à l’obtention d’un avantage fiscal ni, du reste, une obligation dans le chef de ces autorités (43).

104. En outre, le gouvernement français a réitéré lors de l’audience devant la Cour que les justificatifs exigés ne devraient aucunement revêtir une forme particulière. Que ces justificatifs ne soient pas exigés dans une situation purement interne me paraît être inhérent au fait que l’administration fiscale connaît, à l’évidence, le droit interne applicable et dispose déjà des renseignements suffisants fournis lors du dépôt des déclarations fiscales relatives à la liquidation du précompte mobilier sur les distributions auxquelles était attaché l’avoir fiscal et à la liquidation du précompte mobilier dû par une société mère d’un groupe, dont une copie a été annexée aux observations écrites du gouvernement français. Dans ces circonstances, il ne me semble pas qu’exiger le dépôt de ce type de justificatifs à l’égard d’une société mère française percevant des dividendes de filiales établies dans d’autres États membres puisse constituer une charge administrative additionnelle par rapport aux informations requises dans une situation purement interne, puisque, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, dans une situation de ce dernier type, les sociétés mères étaient également assujetties à des formalités administratives, notamment afin de permettre aux autorités fiscales de vérifier si les conditions d’application du régime fiscal litigieux étaient satisfaites.

105. Deux points méritent cependant d’être pris en considération sous l’angle du respect du principe d’effectivité.

106. Tout d’abord, il ne saurait être exclu que, suivant la législation des États membres d’établissement des filiales concernées, en particulier si ces États membres ne prévenaient pas eux-mêmes la double imposition économique des dividendes sur leur territoire au moment des faits du litige au principal, il soit en pratique impossible ou irréalisable de démontrer l’impôt sur les sociétés effectivement acquitté par les filiales sur les bénéfices sous-jacents à la distribution des dividendes au profit de la société mère française. En effet, il n’est pas impossible que certains États membres exonéraient les sociétés établies sur leur territoire de la nécessité d’établir une ventilation de leurs capitaux propres, selon le taux applicable aux différentes sources de revenus, et d’enregistrer l’impôt sur les sociétés payé sur les bénéfices sous-jacents à la distribution de dividendes. Dans ces conditions, il serait contraire au principe d’effectivité de requérir la preuve du montant de l’impôt sur les sociétés reflétant le taux effectif acquitté par ces sociétés, filiales d’une société mère française. Il incombe, bien entendu, à la juridiction de renvoi, au regard de l’ensemble des éléments du dossier, de vérifier si la société mère Accor se trouverait devant une telle situation.

107. Doit également réclamer une certaine attention l’objection d’Accor, selon laquelle il ne saurait lui être demandé de soumettre des documents dont la durée de conservation légale en France a expiré. En effet, dans la mesure où les années litigieuses concernent les années 1999, 2000 et 2001 et où, conformément au CGI, le précompte mobilier était exigible dans les cinq ans du versement des dividendes, il ne saurait être exclu, comme l’a, au demeurant, défendu Accor lors de l’audience, que la production des justificatifs réclamés puisse concerner des années (jusqu’en 1994 au plus) pour lesquelles les personnes concernées n’étaient plus astreintes à les conserver.

108. Deux cas de figure doivent, à mon sens, être distingués. Tout d’abord, celui dans lequel les autorités fiscales françaises auraient sollicité la production de ces justificatifs durant leur période de conservation légale en France, il serait alors revenu à la société mère de collecter ces documents à toutes fins utiles afin, en particulier, de se prémunir contre la confirmation du caractère légal d’une telle demande dans le cadre d’une action en justice. Ensuite, dans le cas de figure opposé où les autorités fiscales n’auraient pas sollicité ces documents durant la période de conservation légale, ceux-ci ne seraient, par voie de conséquence, pas à la disposition de la société mère. Dans ce second cas de figure, il me semble toutefois que, contrairement à ce qu’Accor a exposé, c’est moins le délai de conservation légale en France que celui applicable dans les États membres d’établissement des différentes filiales concernées qui est pertinent. Si, au moment où la juridiction doit statuer dans l’affaire au principal, ce délai a expiré, il serait par conséquent impossible pour Accor d’apporter les preuves exigées. Le bénéfice de l’avoir fiscal pour les dividendes concernés ne pourrait, dans ces circonstances, lui être refusé, sous peine d’enfreindre le principe d’effectivité.

109. La deuxième hypothèse, diamétralement opposée et défendue, en substance, par Accor, est celle selon laquelle seul le taux normal appliqué aux bénéfices sous-jacents à la distribution de dividendes des filiales et des sous-filiales de la société mère française aurait été pris en compte dans une situation purement interne.

110. Dans un tel contexte, il s’agit de savoir si le fait pour un État membre d’exiger de la société mère établie sur son territoire la démonstration du taux et du montant de l’impôt des sociétés effectivement acquittés sur les bénéfices sous-jacents à la distribution de dividendes par les filiales et les sous-filiales étrangères de cette société se heurterait aux principes d’équivalence et d’effectivité.

111. Une réponse de nature positive à cette interrogation ne me paraîtrait pas d’une complexité particulière si la jurisprudence de la Cour n’exigeait pas, du moins à première vue, que, pour le calcul de l’imputation d’un crédit d’impôt attaché au versement de dividendes dits «entrants», soit pris en compte l’impôt sur les sociétés effectivement acquitté par la société distributrice dans son État membre d’établissement.

112. Ainsi au point 54 de l’arrêt Manninen, précité, repris au point 15 de l’arrêt Meilicke e.a., précité, la Cour a indiqué que le calcul d’un avoir fiscal octroyé à un actionnaire assujetti à l’impôt à titre principal en Finlande qui a reçu des dividendes d’une société établie en Suède doit tenir compte de l’impôt effectivement payé par la société établie dans cet autre État membre, tel que découlant des règles générales applicables au calcul de la base d’imposition ainsi que du taux de l’impôt sur les sociétés dans ce dernier État membre.

113. De même, dans le dispositif de l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, la Cour a jugé que «[l]es articles 43 CE et 56 CE ne s’opposent pas à une législation d’un État membre qui exonère de l’impôt sur les sociétés les dividendes qu’une société résidente perçoit d’une autre société résidente, alors qu’elle soumet à cet impôt les dividendes qu’une société résidente perçoit d’une société non-résidente et dans laquelle la société résidente détient au moins 10 % des droits de vote, tout en accordant, dans ce dernier cas, un crédit d’impôt au titre de l’impôt effectivement acquitté par la société distributrice dans son État membre de résidence, pour autant que le taux d’imposition sur les dividendes d’origine étrangère ne soit pas supérieur au taux d’imposition appliqué aux dividendes d’origine nationale et que le crédit d’impôt soit au moins égal au montant acquitté dans l’État membre de la société distributrice jusqu’à hauteur du montant d’imposition appliqué dans l’État membre de la société bénéficiaire» (44).

114. Toutefois, il me semble que l’obstacle que constitue cette jurisprudence n’est qu’apparent.

115. S’agissant de l’arrêt Manninen, précité, il ressort en effet très clairement de ses points 40 et 53 que l’avoir fiscal accordé aux résidents finlandais dans les situations purement internes correspondait à l’impôt sur les sociétés effectivement acquitté par la société distributrice (45). Que, au point 54 du même arrêt, la Cour ait étendu le bénéfice de ce régime aux résidents finlandais ayant perçu des dividendes versés par des sociétés établies dans d’autres États membres est tout simplement la conséquence de l’application du principe de non-discrimination.

116. Quant à l’arrêt Test Claimants in the FII Group, précité, s’il est vrai que la Cour a admis qu’un État membre pouvait, dans le cadre de la prévention de la double imposition économique, appliquer un système d’exonération des dividendes versés dans des situations purement internes et un système d’imputation dans le cadre de la distribution de dividendes entrants en provenance de sociétés non-résidentes, la Cour n’a abordé qu’accessoirement le lien entre l’exonération applicable aux dividendes d’origine nationale et l’imposition au niveau de la société mère. Les parties requérantes dans l’affaire au principal en cause avaient soutenu que l’exonération de dividendes d’origine nationale s’appliquait indépendamment de l’impôt (effectivement) acquitté par la société distributrice. Or, la Cour a renvoyé à la juridiction nationale le soin de vérifier si le taux d’imposition était bien identique et si les niveaux d’imposition différents n’existaient que dans certains cas en raison d’une modification de l’assiette imposable à la suite de certains dégrèvements exceptionnels (46).

117. Il ne peut donc être déduit de ces arrêts que la Cour serait prête à accepter que, en règle générale, un État membre prévenant la double imposition économique des dividendes sur son territoire accorde un crédit d’impôt à une société mère de cet État membre attaché à la distribution des dividendes d’une filiale établie dans ce même État membre sur la base du taux normal de l’impôt sur les sociétés auquel cette dernière est en principe assujettie, tandis que le bénéfice de ce même crédit d’impôt à une société mère de cet État membre attaché à la distribution des dividendes de filiales établies dans d’autres États membres serait subordonné à la démonstration du taux et du montant effectifs de l’impôt sur les sociétés que ces dernières ont acquittés dans ces autres États membres.

118. Au contraire, une telle différence de traitement méconnaîtrait, à mon sens, les principes de non-discrimination et d’équivalence.

119. Une telle violation ne pourrait être justifiée par la volonté, exprimée dans des termes généraux, de prévenir l’évasion fiscale, contrairement à ce que prétend le gouvernement français. En effet, d’une part, il y a lieu de rappeler que les États membres ne sauraient se fonder sur une présomption générale d’évasion fiscale pour justifier une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs du traité (47). D’autre part, une telle différence de traitement ne me paraît aucunement se présenter comme la mesure la moins attentatoire aux principes susmentionnés pour atteindre l’objectif de lutte contre l’évasion fiscale. En effet, dans une situation telle que celle qui est examinée dans la présente hypothèse, un État membre pourrait parfaitement exiger du contribuable que celui-ci rapporte la preuve du taux normal de l’impôt sur les sociétés applicable aux filiales distributrices auquel ces sociétés sont assujetties dans leur État membre d’établissement ainsi que du versement du montant de l’impôt correspondant à ce taux, afin d’éviter – ce qui semble être la préoccupation essentielle du gouvernement français – qu’un avoir fiscal ne soit attaché à la distribution de dividendes provenant de telles filiales au profit d’une société mère française, alors même que ces filiales ont été, en raison de divers dégrèvements généraux applicables dans leur État membre d’établissement, totalement exonérées du paiement de l’impôt sur les sociétés sur les bénéfices sous-jacents à la distribution de dividendes.

120. Quant à l’obligation de rapporter une telle preuve au niveau de toute la chaîne des filiales et des sous-filiales de la société mère française, une telle obligation ne se heurte pas aux principes de non-discrimination et d’équivalence, à condition qu’elle soit également requise dans les situations purement internes lors des déclarations auxquelles sont soumises les sociétés mères et leurs filiales françaises. Il n’en demeure pas moins que répondre à une telle exigence peut en pratique s’avérer impossible dans des situations transfrontalières, qui plus est lorsque les distributions concernées se rapportent à des bénéfices qui ont été réalisés à une période pour laquelle l’obligation de conservation légale de documents a expiré. Il reviendra à la juridiction de renvoi, dans le cas où une telle hypothèse s’avérait pertinente, de mener les vérifications qui s’imposent.

121. Pour ces raisons, je propose de répondre à la troisième question de la façon suivante, à savoir les principes d’équivalence et d’effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution des sommes de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes donnant lieu à redistribution par la société mère établie dans un État membre, que ces dividendes aient pour origine des sommes distribuées par ses filiales établies dans le même État membre ou dans un autre État membre, soit en principe subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu’il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d’imposition effectivement appliqué et au montant de l’impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par ses filiales établies dans les États membres autres que le premier État membre, alors même que, pour les filiales établies dans cet État membre, les justificatifs, connus de l’administration, ne sont pas exigés, sous réserve que le taux et le montant de l’impôt effectivement acquittés s’appliquent également à la distribution de dividendes au profit de la société mère reçus de filiales établies dans le même État membre et qu’il ne s’avère pas en pratique impossible ou excessivement difficile de rapporter la preuve du paiement de l’impôt par les filiales établies dans les autres États membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation desdits États membres se rapportant à la prévention de la double imposition et à l’enregistrement de l’impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu’à la conservation des documents administratifs. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions sont satisfaites dans l’affaire au principal.

III – Conclusion

122. Au vu des considérations qui précèdent, je propose de répondre comme suit aux questions posées par le Conseil d’État:

«1)      L’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime fiscal en vertu duquel une société mère établie dans un État membre qui perçoit des dividendes versés par une filiale établie dans un autre État membre ne peut pas imputer sur le précompte mobilier, dont elle est redevable lors de la redistribution à ses propres actionnaires desdits dividendes, l’avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes, contrairement à la situation comparable d’une société mère établie dans le premier État membre percevant des dividendes versés par une filiale également établie dans cet État membre.

2)      Un État membre peut s’opposer à la restitution d’un prélèvement perçu en violation du droit de l’Union pour toute la charge économique que le redevable n’a pas supportée lui-même, ce qui, dans cette mesure, aboutirait à enrichir indûment ledit redevable. Un tel enrichissement serait susceptible de se produire si l’État membre devait restituer les dépenses supportées par le redevable qui ne seraient pas la conséquence inévitable du refus d’un État membre d’assurer le respect des dispositions du traité CE. Dans l’affaire au principal, il incombe à la juridiction de renvoi, au regard de l’ensemble des éléments dont elle dispose, de vérifier, en fonction de la politique de distribution des dividendes mise en place par une société mère, telle que la défenderesse au principal, au profit de ses actionnaires, si l’acquittement du précompte mobilier litigieux a été imputé, en tout ou en partie, sur les dividendes redistribués auxdits actionnaires de sorte que la société mère ait pu, le cas échéant, avoir subi des pertes qui seraient la conséquence inévitable du refus de l’État membre de lui accorder l’égalité de traitement requise. Dans ce cas, la mesure de la restitution du prélèvement litigieux à la société mère devra être établie en fonction de la charge économique qu’elle a supportée sur la base de tous les éléments pertinents dont dispose la juridiction de renvoi.

3)      Les principes d’équivalence et d’effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution des sommes de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes donnant lieu à redistribution par la société mère établie dans un État membre, que ces dividendes aient pour origine des sommes distribuées par ses filiales établies dans le même État membre ou dans un autre État membre, soit en principe subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu’il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d’imposition effectivement appliqué et au montant de l’impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par ses filiales établies dans les États membres autres que le premier État membre, alors même que, pour les filiales établies dans cet État membre, les justificatifs, connus de l’administration, ne sont pas exigés, sous réserve que le taux et le montant de l’impôt effectivement acquittés s’appliquent également à la distribution de dividendes au profit de la société mère reçus de filiales établies dans le même État membre et qu’il ne s’avère pas en pratique impossible ou excessivement difficile de rapporter la preuve du paiement de l’impôt par les filiales établies dans les autres États membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation desdits États membres se rapportant à la prévention de la double imposition et à l’enregistrement de l’impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu’à la conservation des documents administratifs. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions sont satisfaites dans l’affaire au principal.»


1 – Langue originale: le français.


2 – La demande de décision préjudicielle étant antérieure à l’entrée en vigueur du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il sera fait référence aux dispositions du traité CE.


3 – JORF du 31 décembre 2003, p. 22530.


4 – Hormis le versement d’une quote-part de frais et de charges, déterminé conformément à l’article 216 du CGI, non pertinent dans l’affaire au principal, et qui, pendant la période en cause du litige au principal, était fixé à 2,5 % du produit total des participations, y inclus les crédits d’impôt, jusqu’en 2000 et à 5 % à compter de l’année 2001. La compatibilité de l’acquittement d’une telle quote-part de frais et de charges a été examinée par la Cour dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 avril 2008, Banque Fédérative du Crédit Mutuel (C-27/07, Rec. p. I-2067).


5 – JO L 225, p. 6. Cette directive a été modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 (JO 2004, L 7, p. 41). Les modifications introduites par ce dernier acte sont toutefois postérieures aux faits du litige au principal et ne sont donc pas pertinentes.


6 – Voir arrêt du 18 janvier 2007, Brzeziński (C-313/05, Rec. p. I-513, points 58 à 60 et jurisprudence citée).


7 – Un autre motif pourrait résider dans le fait que la Cour a déjà précisé dans plusieurs de ses arrêts (voir, notamment, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen, C-319/02, Rec. p. I-7477; du 12 décembre 2006 Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446/04, Rec. p. I-11753, ainsi que du 6 mars 2007, Meilicke e.a., C-292/04, Rec. p. I-1835) les exigences découlant tant de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux en ce qui concerne la situation de personnes, physiques ou morales, résidentes d’un État membre, percevant des dividendes de sociétés non-résidentes et que la Cour n’a pas limité dans le temps l’effet desdits arrêts, voir sur ce point, arrêt Meilicke e.a., précité (points 36 à 40 et jurisprudence citée). Toutefois, le gouvernement français fait valoir que le courant jurisprudentiel susmentionné n’est pas nécessairement pertinent pour répondre à la première question préjudicielle.


8 – Arrêt du 12 février 2009 (C-138/07, Rec. p. I-731, points 29 à 31).


9 – Sous réserve de la quote-part de frais et de charges mentionnée à la note en bas de page 4.


10 – Point 110.


11 – Voir, notamment, arrêts du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787, point 22); du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, Rec. p. I-10829, point 37); du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196/04, Rec. p. I-7995, point 31), ainsi que du 6 décembre 2007, Columbus Container Services (C-298/05, Rec. p. I-10451, point 30).


12 – Conformément à la modification de l’article 145 CGI introduite par l’ordonnance nº 2000-912, du 18 septembre 2000 (JORF du 21 septembre 2000, p. 14783).


13 – Je rappelle que, ainsi que je l’ai mis en exergue au point 11 des présentes conclusions, le Conseil d’État est appelé à statuer sur le fond de l’affaire au principal.


14 – À l’instar, par exemple, de la constatation effectuée par la Cour dans l’arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (point 80).


15 – Voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 1999, Trummer et Mayer (C-222/97, Rec. p. I-1661, point 21); du 4 juin 2002, Commission/France (C-483/99, Rec. p. I-4781, points 36 et 37); du 13 mai 2003, Commission/Royaume-Uni (C-98/01, Rec. p. I-4641, points 39 et 40); du 28 septembre 2006, Commission/Pays-Bas (C-282/04 et C-283/04, Rec. p. I-9141, point 19), ainsi que du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome (C-182/08, Rec. p. I-8591, point 40).


16 – Voir, notamment, arrêts précités Manninen (point 22) ainsi que Meilicke e.a. (point 23).


17 – Ce qui découle en effet d’une jurisprudence désormais bien établie, voir, notamment, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (point 62).


18 – Voir notamment point 74 des observations écrites du gouvernement français.


19 – Voir point 82 des mêmes observations.


20 – Arrêt du 27 janvier 2000 (C-190/98, Rec. p. I-493, points 24 et 25).


21 – Selon le rapporteur public (p. 14 de ses conclusions) «la société […] ne peut donc s’en prendre qu’à elle-même si elle n’a pas diminué le montant des sommes distribuées. En d’autres termes, ce n’est pas la loi qui crée la charge dont la restitution est demandée par la société mère, mais sa politique de distribution des dividendes». Cette appréciation a cependant été développée non pas dans le contexte de l’existence d’une restriction aux mouvements des capitaux mais à propos de la restitution du montant du précompte mobilier acquitté par Accor.


22 – Voir, notamment, arrêts précités Manninen (point 22) ainsi que Test Claimants in the FII Group Litigation (points 64 et 166).


23 – Voir, par analogie, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (point 84 et jurisprudence citée).


24 – Voir, notamment, arrêts du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a. (C-147/01, Rec. p. I-11365, point 93 et jurisprudence citée), ainsi que Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (point 202).


25 – Voir, en ce sens, arrêt Weber’s Wine World e.a., précité (point 94). Le recours à la notion d’enrichissement sans cause paraît dans ce contexte davantage se rapprocher de celle de répétition de l’indu, qui peut, dans certains États membres, être considérée comme un cas spécifique de l’enrichissement sans cause.


26 – Arrêt Weber’s Wine World e.a., précité (point 98 et jurisprudence citée).


27 – Voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C-192/95 à C-218/95, Rec. p. I-165, points 29, 31 et 32), ainsi que Weber’s Wine World e.a. , précité (point 99).


28 – Voir arrêt Weber’s Wine World e.a., précité (point 96).


29 – Voir arrêts du 10 avril 2008, Marks & Spencer (C-309/06, Rec. p. I-2283, point 41), et du 18 juin 2009, Stadeco (C-566/07, Rec. p. I-5295, point 49).


30 – Arrêt Weber’s Wine World e.a., précité (point 103).


31 – Voir arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 14), ainsi que du 21 septembre 2000, Michaïlidis (C-441/98 et C-442/98, Rec. p. I-7145, point 36).


32 – Arrêt Comateb e.a., précité (point 25).


33 – Le gouvernement français précise d’ailleurs que cette dévolution de la charge de la preuve aux autorités fiscales découle également de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation français dans des situations uniquement régies par le droit interne. Une telle règle devrait donc également valoir, conformément aux principes d’égalité de traitement et d’équivalence, dans les litiges dans lesquels l’administration fiscale française s’oppose à la restitution de prélèvements versés en violation du droit de l’Union.


34 – Voir arrêts précités Weber’s Wine World e.a. (point 100) ainsi que Marks & Spencer (point 43).


35 – Arrêt du Conseil d’État du 30 juin 2004, Sté Freudenberg.


36 – Arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (point 207) (italiques ajoutés par mes soins).


37 – Idem (point 208).


38 – Cette question était à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres (C-513/04, Rec. p. I-10967). La suppression de l’avoir fiscal, à compter du 1er janvier 2005, et par suite de son remboursement aux actionnaires non-résidents, a été, quant à elle, à la base de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 juillet 2009, Damseaux (C-128/08, Rec. p. I-6823). Cependant la question posée touchait uniquement aux obligations qui incombent à l’État membre de résidence des actionnaires (en l’occurrence le Royaume de Belgique).


39 – Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Test Claimants in the FII Group, précité, se posait la question de savoir si le droit de l’Union s’opposait à ce qu’un État membre exonère les dividendes versés par une société résidente à une autre société mère résidente, tout en évitant, au moyen d’un système d’imputation, l’imposition en chaîne desdits dividendes lorsqu’ils étaient versés par une société non-résidente à une société mère résidente. La Cour a confirmé la compatibilité de l’application d’un système d’imputation dans ces circonstances lorsque, premièrement, les dividendes d’origine étrangère ne sont pas soumis, dans l’État membre en question, à un taux d’imposition supérieur au taux appliqué aux dividendes d’origine nationale, deuxièmement, l’imposition en chaîne des dividendes d’origine étrangère est imputée sur le montant de l’impôt acquitté par la société distributrice non-résidente sur le montant de taxation applicable à la société bénéficiaire résidente dans la limite de ce dernier montant. Partant, indique la Cour aux points 51 et 52 de cet arrêt, lorsque les bénéfices sous-jacents aux dividendes d’origine étrangère sont soumis dans l’État membre de la société distributrice à un impôt inférieur à l’impôt prélevé par l’État membre de la société bénéficiaire, ce dernier doit accorder un crédit d’impôt total correspondant à l’impôt acquitté par la société distributrice dans son État membre de résidence. En revanche, lorsque ces bénéfices sont soumis à un impôt supérieur à celui prélevé dans l’État membre de la société bénéficiaire, ce dernier n’accorde de crédit d’impôt que dans la limite du montant de l’impôt sur les sociétés dû par la société bénéficiaire. Cet État n’est donc pas obligé de rembourser la part qui excède la différence entre les deux montants.


40 – JO L 336, p. 15.


41 – Voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2009, Persche (C-318/07, Rec. p. I-359, points 54 et 60 ainsi que jurisprudence citée).


42 – Idem (point 61).


43 – Idem (points 62, 64 et 65).


44 – Point 1, deuxième alinéa, du dispositif dudit arrêt (italiques ajoutés par mes soins).


45 – Au point 53 dudit arrêt, la Cour indique qu’«il convient de constater que l’avoir fiscal correspond toujours en droit finlandais au montant de l’impôt effectivement versé au titre de l’impôt sur les sociétés par la société qui distribue les dividendes».


46 – Arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité (points 53 à 56).


47 – Voir, notamment, arrêt du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud (C-72/09, non encore publié au Recueil, point 34 et jurisprudence citée).