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Affaire C-10/10

Commission européenne

contre

République d'Autriche

«Manquement d’État — Libre circulation des capitaux — Déductibilité de dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement — Limitation de la déductibilité aux dons faits aux institutions établies sur le territoire national»

Sommaire de l'arrêt

Libre circulation des capitaux — Restrictions — Législation fiscale — Impôt sur le revenu — Déductibilité de dons effectués à des institutions chargées d'activités de recherche et d'enseignement limitée à ceux consentis à des institutions nationales

(Art. 56 CE et 58 CE; Accord EEE, art. 40)

Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, un État membre qui autorise la déduction fiscale des dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement exclusivement lorsque lesdites institutions sont établies sur le territoire de cet État.

En effet, pour qu'une réglementation fiscale nationale qui opère une distinction entre des dons octroyés aux institutions nationales et ceux octroyés aux institutions établies dans un autre État membre puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En outre, pour être justifiée, la différence de traitement ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint.

Or, d'une part, un critère de distinction entre les contribuables tenant exclusivement au lieu d'établissement du bénéficiaire du don ne saurait, par définition, constituer un critère valable pour apprécier la comparabilité objective des situations et, partant, pour établir une différence objective entre celles-ci. D'autre part, s'il est vrai que la promotion de la recherche et du développement peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général, une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’un crédit d’impôt aux seules opérations de recherche réalisées dans l’État membre concerné est directement contraire à l’objectif de la politique de l’Union dans le domaine de la recherche et du développement technologique. En effet, cette politique vise, conformément à l’article 163, paragraphe 2, CE, notamment à l’élimination des obstacles fiscaux à la coopération dans le domaine de la recherche, et ne saurait, par conséquent, être mise en œuvre par la promotion de la recherche et du développement à l’échelle nationale.

(cf. points 29, 35, 37, 44 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

16 juin 2011 (*)

«Manquement d’État – Libre circulation des capitaux – Déductibilité de dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement – Limitation de la déductibilité aux dons faits aux institutions établies sur le territoire national»

Dans l’affaire C-10/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 8 janvier 2010,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et W. Mölls, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, M. K. Schiemann, Mmes C. Toader, A. Prechal (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République d’Autriche a enfreint les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), en autorisant la déduction fiscale des dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement exclusivement lorsque lesdites institutions sont établies en Autriche.

 Le cadre juridique

 L’accord EEE

2        L’article 40 de l’accord EEE dispose:

«Dans le cadre du présent accord, les restrictions entre les parties contractantes aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres de [l’Union européenne] ou dans les États de l’[Association européenne de libre-échange (AELE)], ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement, sont interdites. Les dispositions nécessaires à l’application du présent article figurent à l’annexe XII.»

3        L’annexe XII de l’accord EEE, intitulée «Libre circulation des capitaux», fait référence à la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [article abrogé par le traité d’Amsterdam] (JO L 178, p. 5). En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, les mouvements de capitaux sont classés selon la nomenclature établie à l’annexe I de ladite directive.

 Le droit national

4        L’article 4 de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) du 7 juillet 1988 (BGBl. 400/1988, ci-après l’«EStG») considère la détermination du bénéfice comme la base du calcul de l’impôt sur le revenu. Cet article dispose que les dépenses d’exploitation sont portées en déduction du bénéfice. Le paragraphe 4 dudit article spécifie notamment que certains postes de dépenses spécifiquement cités «sont en tout état de cause» des dépenses d’exploitation.

5        L’article 4a, point 1, de ladite loi, dans sa version résultant de la loi de 2009 portant réforme fiscale (BGBl. I, 26/2009, ci-après l’«EStG modifié»), qui concerne les donations effectuées à partir du capital d’exploitation, énumère une série de dons qui sont réputés également être des dépenses d’exploitation. Dans ce cadre, l’article 4a, de l’EStG modifié reprend l’énumération de dépenses d’exploitation qui figurait jusqu’au 31 mars 2009 à l’article 4, paragraphe 4, point 5, de l’EStG.

6        L’article 4a de l’EStG modifié est libellé comme suit:

«Sont également réputées être des dépenses d’exploitation:

1.      les donations effectuées à partir du capital d’exploitation en vue de permettre la réalisation

–        d’activités de recherche ou

–        d’activités d’enseignement dans le domaine de l’éducation des adultes, lorsqu’elles concernent l’enseignement scientifique ou artistique et sont conformes à la loi sur l’université de 2002,

et l’élaboration de publications et de documentations scientifiques y afférentes, aux institutions suivantes:

a)       universités, écoles d’enseignement supérieur artistique et Académie des beaux-arts, leurs facultés, instituts ou établissements spéciaux;

b)       fonds créés par une loi fédérale ou régionale et chargés de missions relevant de la promotion de la recherche;

c)       Académie autrichienne des sciences;

d)       institutions de collectivités territoriales non autonomes sur le plan juridique, principalement chargées d’activités de recherche et d’enseignement du type précité pour la science ou l’économie autrichiennes et de l’élaboration de publications et de documentations scientifiques y afférentes;

e)       personnes morales qui sont essentiellement chargées de missions de recherche ou d’enseignement du type cité dans l’intérêt de la science ou de l’économie autrichienne et des publications ou documentations qui y sont liées. L’autre condition est qu’une collectivité territoriale participe au moins majoritairement dans ces personnes morales ou que la personne morale en tant que collectivité au sens des articles 34 et suivants du code fédéral des impôts poursuive exclusivement des objectifs scientifiques.

Les conditions des points d) et e) doivent être prouvées par l’institution concernée grâce à une attestation du Finanzamt Wien 1/23, qui est assortie d’une réserve permettant sa révocation à tout moment. La liste de toutes les institutions pour lesquelles une telle attestation a été émise doit être publiée au moins une fois par an, sous une forme électronique appropriée, sur la page d’accueil du ministère fédéral des Finances. La valeur vénale des donations est déductible dans la mesure où, ajoutée à la valeur vénale des donations au sens du point 2, elle ne dépasse pas 10 % du bénéfice de l’exercice immédiatement précédent.

[...]»

 Les faits à l’origine du litige et la procédure précontentieuse

7        Par lettre du 12 mai 2005, la Commission a demandé au ministère fédéral des Finances de la République d’Autriche de préciser si les bénéficiaires des dons conformément à l’article 4, paragraphe 4, point 5, de l’EStG (devenu article 4a, point 1, de l’EStG modifié) ne pouvaient être que des institutions établies en Autriche ou s’il pouvait aussi s’agir d’institutions équivalentes situées dans d’autres États membres de l’Union ou de l’Espace économique européen (EEE).

8        Le ministère fédéral des Finances a répondu à cette lettre par un courrier du 5 septembre 2005, où il confirmait que les bénéficiaires des dons définis à l’article 4, paragraphe 4, point 5, sous a) à d), de l’EStG ne pouvaient être que des institutions autrichiennes. En revanche, l’application de l’article 4, paragraphe 4, point 5, sous e), de l’EStG ne serait pas limitée, de par son libellé, à des institutions nationales.

9        Le 4 avril 2007, la Commission a envoyé une première lettre de mise en demeure à la République d’Autriche dans laquelle elle concluait que l’article 4, paragraphe 4, point 5, sous a) à e), de l’EStG enfreignait l’article 49 CE ainsi que l’article 36 de l’accord EEE et invitait cet État membre à présenter ses observations sur le sujet dans les deux mois suivant la notification de cette lettre.

10      Dans sa réponse du 5 juin 2007, la République d’Autriche s’est élevée contre l’application des dispositions relatives à la libre prestation des services, en arguant que les dons réglementés par la disposition litigieuse ne constituaient pas la contrepartie d’une prestation. Elle a également nié toute infraction à la libre circulation des capitaux.

11      Dans une lettre de mise en demeure complémentaire du 6 mai 2008, transmise à la République d’Autriche le 8 mai 2008, la Commission a complété l’appréciation juridique exposée dans la première lettre de mise en demeure en indiquant que, outre la libre prestation des services, elle fondait son appréciation sur les dispositions relatives à la libre circulation des capitaux, à savoir l’article 56 CE et l’article 40 de l’accord EEE, dans la mesure où le régime fiscal en question rendait moins attrayants les dons octroyés à des institutions établies dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE.

12      Par lettre du 9 juillet 2008, la République d’Autriche a répondu en renvoyant, pour l’essentiel, à sa réponse du 5 juin 2007 selon laquelle ni la libre prestation des services ni la libre circulation des capitaux n’était violée.

13      N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a adopté, le 19 mars 2009, un avis motivé dans lequel elle parvenait à la conclusion que la République d’Autriche enfreignait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE et de l’article 40 de l’accord EEE en autorisant la déduction fiscale des dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement uniquement lorsque lesdites institutions sont établies en Autriche. Dans son analyse juridique de l’article 4, paragraphe 4, point 5, de l’EStG, la Commission a distingué entre les dispositions de ce point 5, sous a) à d), d’une part, et celle dudit point 5, sous e), d’autre part. Selon la Commission, les premières opéraient une distinction en fonction du siège de l’institution concernée. Seuls les dons effectués au profit des institutions mentionnées à ces dispositions et établies en Autriche pourraient être reconnus comme des dépenses d’exploitation déductibles. En revanche, même si l’article 4, paragraphe 4, point 5, sous e), de l’EStG n’établirait aucune distinction fondée sur le siège du bénéficiaire de dons, la qualification des dons en tant que dépenses d’exploitation ne serait reconnue que si la personne morale concernée exerçait ses activités essentiellement pour la science ou l’économie autrichienne.

14      Par lettre du 25 mai 2009, la République d’Autriche a répété et complété les arguments qu’elle avait déjà invoqués dans ses réponses à la lettre de mise en demeure et à la lettre de mise en demeure complémentaire. Dans ces conditions, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

15      Selon la Commission, l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié, en autorisant uniquement la déduction fiscale des dons faits à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement ayant leur siège en Autriche, à l’exclusion des dons octroyés à des institutions comparables établies dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE, est contraire à la libre circulation des capitaux telle qu’elle est garantie par l’article 56 CE et par l’article 40 de l’accord EEE.

16      Une telle disposition de la législation autrichienne serait prohibée en principe par l’article 56 CE sans être susceptibles d’être justifiée. Il résulterait clairement du libellé de cette disposition, ainsi que de l’argumentation avancée par la République d’Autriche au cours de la procédure précontentieuse, que ladite disposition opère une distinction en vertu de critères purement géographiques, à savoir si le bénéficiaire des dons a son siège en Autriche. Toutes ces considérations relatives à l’article 56 CE vaudraient mutatis mutandis pour l’article 40 de l’accord EEE.

17      La République d’Autriche admet que l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié distingue, dans une certaine mesure, entre les institutions établies en Autriche et celles établies dans d’autres États membres, mais elle considère que cette disposition ne constitue pas une restriction à la libre circulation des capitaux. En premier lieu, elle estime que les institutions de recherche et d’enseignement, énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié, ne sont pas objectivement comparables aux institutions similaires établies dans d’autres États membres en raison du fait que seules les premières sont soumises à une influence de la puissance publique de la part de la République d’Autriche.

18      En second lieu, pour autant qu’une restriction à la libre circulation des capitaux est démontrée, la République d’Autriche considère que celle-ci est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. Plus particulièrement, la limitation du bénéfice de la déductibilité fiscale des dons aux institutions énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié correspondrait à l’objectif, dans l’intérêt général de la collectivité nationale, de maintenir et de soutenir la position de l’Autriche en tant que pôle culturel et scientifique. Les établissements ne relevant pas de l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié peuvent néanmoins, tout comme les établissements comparables établis dans des États membres autres que la République d’Autriche, bénéficier de la déductibilité fiscale des dons au titre de l’article 4a, point 1, sous e), de l’EStG modifié, s’ils poursuivent dans le domaine des sciences et de l’économie des objectifs d’intérêt général.

19      La renonciation à des recettes fiscales en raison de la déductibilité fiscale des dons faits aux institutions de recherche et d’enseignement énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié trouverait sa justification dans le fait que ces institutions fournissent leur contribution à l’intérêt général par des prestations matérielles et que ces dons peuvent se substituer au paiement des impôts. La déductibilité fiscale des dons sur la base de cette disposition permettrait donc de mettre des moyens financiers supplémentaires à disposition en vue de la réalisation des missions publiques.

20      La limitation de la déductibilité fiscale des dons aux institutions de recherche et d’enseignement citées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié serait appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif visé. L’extension de cette déductibilité aux institutions établies dans des États membres autres que la République d’Autriche ne pourrait pas garantir les mêmes objectifs, car elle aurait pour conséquence qu’une partie des dons en cause, déductibles à hauteur de 10 % du montant des bénéfices de l’établissement donateur, profiterait à des institutions qui poursuivent des objectifs qui ne sont pas dans l’intérêt général de la République d’Autriche, ce qui diminuerait d’autant les moyens des institutions établies dans cet État membre.

 Appréciation de la Cour

21      Dans la présente procédure, il convient d’observer d’emblée que la Commission, ainsi qu’il ressort de sa requête, ne vise que l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié et non pas ledit point 1, sous e).

22      En substance, la Commission soutient que l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié, en autorisant la déduction fiscale des dons octroyés à des institutions énumérées à cette disposition, opère une distinction en vertu du seul critère du siège du bénéficiaire du don, ce qui serait incompatible avec les exigences tant de l’article 56 CE que de l’article 40 de l’accord EEE.

23      Il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 28 octobre 2010, Établissements Rimbaud, C-72/09, non encore publié au Recueil, point 23 et jurisprudence citée).

24      L’article 56, paragraphe 1, CE interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers. Si le traité CE ne définit pas la notion de mouvements de capitaux, il est au demeurant constant que la directive 88/361, ensemble avec la nomenclature qui lui est annexée, a une valeur indicative pour définir cette notion (voir arrêt du 28 septembre 2006, Commission/Pays-Bas, C-282/04 et C-283/04, Rec. p. I-9141, point 19). Or, les dons et les dotations apparaissent sous la rubrique XI, intitulée «Mouvements de capitaux à caractère personnel», de l’annexe I de la directive 88/361.

25      En l’espèce, l’EStG modifié prévoit la déduction fiscale des dons faits à partir du capital d’exploitation au profit des institutions de recherche et d’enseignement énumérées à son article 4a, point 1, sous a) à e). Ainsi que l’a reconnu la République d’Autriche lors de la procédure précontentieuse, les bénéficiaires des dons définis à cet article 4a, point 1, sous a) à d), ne peuvent être que des institutions qui ont leur siège dans cet État.

26      Par conséquent, il y a lieu de relever que le régime des déductions fiscales en cause entraîne, pour les contribuables effectuant des dons aux institutions de recherche et d’enseignement établies dans un État membre autre que la République d’Autriche, une charge fiscale plus importante que pour ceux effectuant des dons aux institutions énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié. Dès lors que la possibilité d’obtenir une déduction fiscale est susceptible d’influer de façon significative sur l’attitude du donateur, la non-déductibilité des dons octroyés à des institutions de recherche et d’enseignement établies dans un État membre autre que la République d’Autriche est de nature à dissuader les contribuables d’effectuer des dons à leur profit (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2009, Persche, C-318/07, Rec. p. I-359, point 38).

27      L’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié constitue donc une restriction aux mouvements des capitaux prohibée, en principe, par l’article 56, paragraphe 1, CE.

28      Toutefois, aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE, l’article 56 CE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres «d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne […] le lieu où leurs capitaux sont investis». Cette dérogation est elle-même limitée par l’article 58, paragraphe 3, CE, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article «ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56». Les différences de traitement autorisées par l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE doivent être ainsi distinguées des discriminations interdites par le paragraphe 3 de ce même article.

29      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause, qui opère une distinction entre des dons octroyés aux institutions nationales et ceux octroyés aux institutions établies dans un autre État membre, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En outre, pour être justifiée, la différence de traitement ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer, C-386/04, Rec. p. I-8203, point 32, et Persche, précité, point 41).

30      La République d’Autriche fait valoir, en premier lieu, que les institutions énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié ne sont pas objectivement comparables aux institutions de recherche et d’enseignement correspondantes, établies dans d’autres États membres. En effet, pour autant que le régime fiscal associé aux dons en cause aboutit à une différence de traitement des contribuables selon le lieu où leurs capitaux sont investis, la République d’Autriche considère que la différence de traitement entre, d’une part, les contribuables autrichiens effectuant des dons aux institutions énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié et, d’autre part, ceux effectuant des dons aux institutions correspondantes établies dans d’autres États membres est autorisée, eu égard aux différences entre les bénéficiaires desdits dons.

31      Selon la République d’Autriche, cette différence est justifiée par l’influence exercée par la puissance publique en Autriche sur les institutions énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié, influence qui serait absente dans le cas des institutions établies dans d’autres États membres. Cette influence permettrait aux pouvoirs publics de définir les objectifs d’intérêt général assignés aux institutions énumérées à cette disposition, de les diriger activement dans la poursuite de ces objectifs et d’intervenir si lesdits objectifs ne sont pas atteints.

32      À cet égard, il y a lieu de relever que, si les États membres sont libres de définir les objectifs d’intérêt général qu’ils veulent promouvoir, en octroyant des avantages fiscaux en faveur des organismes privés ou publics qui s’en occupent de manière désintéressée et respectent les exigences relatives à la mise en œuvre desdits objectifs, ils doivent exercer ce pouvoir d’appréciation conformément au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Persche, précité, point 48). S’il est vrai que les autorités nationales disposent de moyens additionnels leur permettant de contrôler et d’influer sur la conduite des institutions établies sur le territoire autrichien, par rapport à celles établies dans un autre État membre, il n’en demeure pas moins que la République d’Autriche n’a pas démontré qu’une telle intervention dans la direction des institutions en cause est nécessaire afin de garantir l’atteinte des objectifs d’intérêt général que cet État membre cherche à promouvoir.

33      Par ailleurs, s’il est légitime pour un État membre de réserver l’octroi d’avantages fiscaux aux organismes poursuivant certains objectifs d’intérêt général, il ne saurait toutefois réserver le bénéfice de tels avantages aux seuls organismes établis sur son territoire (voir, en ce sens, arrêt Persche, précité, point 44).

34      En l’espèce, la République d’Autriche indique que l’objectif d’intérêt général poursuivi par l’article 4a, point 1, de l’EStG modifié est la promotion de la position de l’Autriche en tant que pôle scientifique et de formation. Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 56 de ses conclusions, cet objectif est défini de telle manière que presque toutes les institutions de recherche et d’enseignement ayant leur siège en Autriche le remplissent, tandis que toute institution correspondante, établie dans un autre État membre, est automatiquement exclue du bénéfice de l’avantage fiscal en cause.

35      Il s’ensuit que le seul critère susceptible d’opérer une distinction entre les contribuables effectuant des dons aux institutions ayant leur siège en Autriche et ceux qui effectuent des dons aux institutions correspondantes, établies dans un autre État membre, est en réalité le lieu d’établissement du bénéficiaire du don. Un tel critère ne saurait, par définition, constituer un critère valable pour apprécier la comparabilité objective des situations et, partant, pour établir une différence objective entre celles-ci (voir, par analogie, pour ce qui concerne la libre prestation des services, arrêt du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz, C-76/05, Rec. p. I-6849, points 72 et 73).

36      Dès lors, il convient de rejeter l’argumentation de la République d’Autriche, selon laquelle les institutions énumérées à l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié, d’une part, et les institutions correspondantes de recherche et d’enseignement, établies dans d’autres États membres, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable, et, par conséquent, selon laquelle la différence de traitement des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu en Autriche selon le lieu où leurs capitaux sont investis est justifiée.

37      En ce qui concerne, en second lieu, l’argument tiré de l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général, si la Cour a certes jugé, au point 23 de l’arrêt du 10 mars 2005, Laboratoires Fournier (C-39/04, Rec. p. I-2057), que la promotion de la recherche et du développement peut constituer une telle raison, elle a toutefois considéré qu’une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’un crédit d’impôt aux seules opérations de recherche réalisées dans l’État membre concerné était directement contraire à l’objectif de la politique de l’Union dans le domaine de la recherche et du développement technologique. Conformément à l’article 163, paragraphe 2, CE, cette politique vise, notamment, à l’élimination des obstacles fiscaux à la coopération dans le domaine de la recherche et ne saurait, par conséquent, être mise en œuvre par la promotion de la recherche et du développement à l’échelle nationale. Il en va de même pour le régime fiscal associé aux dons en cause en l’espèce pour autant que la République d’Autriche invoque le même objectif pour limiter la déductibilité des dons octroyés aux centres de recherche et aux universités autrichiennes.

38      Pour autant que la République d’Autriche invoque l’objectif de promouvoir la formation nationale, même à supposer qu’un tel objectif puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une restriction à la libre circulation des capitaux, il n’en demeure pas moins que, pour qu’une mesure restrictive soit justifiée, elle doit respecter le principe de proportionnalité. Force est de constater, à cet égard, que la République d’Autriche n’a fourni aucun argument permettant de démontrer que l’objectif qu’elle poursuit dans ce domaine ne pourrait être réalisé sans l’existence de la disposition litigieuse et qu’il ne pourrait pas l’être en utilisant des moyens moins contraignants en ce qui concerne la possibilité des contribuables autrichiens de choisir les bénéficiaires des dons qu’ils souhaitent effectuer.

39      En effet, la République d’Autriche se borne à soutenir, en termes généraux de surcroît, que l’extension du bénéfice de la déductibilité fiscale des dons aux institutions établies dans d’autres États membres aurait pour effet un déplacement partiel des dons actuellement destinés aux institutions autrichiennes et, par conséquent, une diminution des moyens qui sont mis à la disposition de ces dernières grâce aux recettes provenant des dons. Selon cet État membre, les moyens provenant de dons privés complètent le budget de ces institutions, de sorte que la déductibilité fiscale des dons en cause permet de mettre des moyens financiers supplémentaires à la disposition de ces missions publiques sans augmenter les dépenses budgétaires.

40      En ce qui concerne cet argument, il ressort d’une jurisprudence constante que la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne figure ni parmi les objectifs énoncés à l’article 58 CE ni parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté instituée par le traité (voir, en ce sens, arrêt Persche, précité, point 46 et jurisprudence citée).

41      Il s’ensuit que la restriction à la libre circulation des capitaux résultant du régime litigieux ne saurait être justifiée par les motifs invoqués par la République d’Autriche.

42      Dans la mesure où les stipulations de l’article 40 de l’accord EEE revêtent la même portée juridique que les dispositions, identiques en substance, de l’article 56 CE (voir arrêts du 11 juin 2009, Commission/Pays-Bas, C-521/07, Rec. p. I-4873, point 33, et Établissements Rimbaud, précité, point 22), l’ensemble des considérations qui précèdent est, dans des circonstances telles que celles du présent recours, transposable mutatis mutandis audit article 40.

43      Il résulte de tout ce qui précède que l’article 4a, point 1, sous a) à d), de l’EStG modifié, en ce qu’il limite la déductibilité des dons au titre de l’impôt sur le revenu à ceux versés aux institutions ayant leur siège en Autriche, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux consacrée aux articles 56 CE et 40 de l’accord EEE.

44      Dès lors, il convient de constater que, en autorisant la déduction fiscale des dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement exclusivement lorsque lesdites institutions sont établies en Autriche, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE et de l’article 40 de l’accord EEE.

 Sur les dépens

45      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      En autorisant la déduction fiscale des dons octroyés à des institutions chargées d’activités de recherche et d’enseignement exclusivement lorsque lesdites institutions sont établies en Autriche, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.

2)      La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.