ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
4 octobre 2012 (*)
«Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Règlement (CEE) no 1408/71 – Article 14, paragraphe 2, sous b) – Personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres – Contrats de travail successifs – Employeur établi dans l’État membre de séjour habituel du travailleur – Activité salariée exercée exclusivement dans d’autres États membres»
Dans l’affaire C-115/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Apelacyjny – Sąd Pracy i Ubezpieczeń Społecznych w Warszawie (Pologne), par décision du 15 décembre 2010, parvenue à la Cour le 2 mars 2011, dans la procédure
Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe sp. z o.o.
contre
Zakład Ubezpieczeń Społecznych,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Rosas, A. Ó Caoimh (rapporteur), A. Arabadjiev et C. G. Fernlund, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: Mme R. Şereş, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 février 2012,
considérant les observations présentées:
– pour Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe sp. z o.o., par Me W. Barański, adwokat,
– pour le Zakład Ubezpieczeń Społecznych, par MM. J. Czarnowski et M. Drewnowski, radcowie prawni,
– pour M. W. Kita, par Me W. Barański, adwokat,
– pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar ainsi que par Mmes A. Siwek-Ślusarek et J. Fałdyga, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller ainsi que par Mme A. Wiedmann, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. V. Kreuschitz et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 mai 2012,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO L 392, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe sp. z o.o. (ci-après «Format»), en présence d’un de ses salariés, M. Kita, au Zakład Ubezpieczeń Społecznych (Institut des assurances sociales, ci-après le «ZUS»), au sujet de la détermination de la législation applicable à M. Kita au sens de ce règlement.
Le cadre juridique
3 Selon le sixième considérant du règlement no 1408/71, les règles de coordination doivent assurer aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté européenne, ainsi qu’à leurs ayants droit et à leurs survivants, le maintien des droits et des avantages acquis et en cours d’acquisition.
4 Cet objectif doit être atteint, selon le septième considérant de ce règlement, notamment par la totalisation de toutes les périodes prises en compte par les différentes législations nationales pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations.
5 Il ressort du huitième considérant dudit règlement que les dispositions de ce même règlement visent à ce que les intéressés soient, en principe, soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, et ce afin d’éviter les cumuls des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter.
6 L’article 1er, sous h), du règlement no 1408/71 prévoit que, aux fins de l’application de ce dernier, le terme «résidence» signifie le séjour habituel.
7 Sous le titre II de ce règlement, intitulé «Détermination de la législation applicable», l’article 13, intitulé «Règles générales», prévoit:
«1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.
2. Sous réserve des articles 14 à 17:
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre;
[...]
f) la personne à laquelle la législation d’un État membre cesse d’être applicable, sans que la législation d’un autre État membre lui devienne applicable en conformité avec l’une des règles énoncées aux alinéas précédents ou avec l’une des exceptions ou règles particulières visées aux articles 14 à 17, est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, conformément aux dispositions de cette seule législation.»
8 Sous ce même titre, l’article 14 du règlement no 1408/71, intitulé «Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée», prévoit:
«La règle énoncée à l’article 13 paragraphe 2 point a) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes:
1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre État membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement;
[...]
2) la personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit:
a) la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de ce dernier État. [...]
b) la personne autre que celle visée au point a) est soumise:
i) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire ou si elle relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents États membres;
ii) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres où elle exerce son activité».
9 La totalisation mentionnée au septième considérant du règlement no 1408/71 est prévue en particulier aux articles 10 bis, paragraphe 2, 18, 38, 45, 64 et 72 de celui-ci.
10 En vertu de l’article 12 bis, points 2 et 4, du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 311/2007 de la Commission, du 19 mars 2007 (JO L 82, p. 6), les autorités de l’État compétent, au sens du règlement no 1408/71, sont tenues de fournir à une personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres, au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), de ce dernier règlement, un certificat attestant que cette personne est soumise à la législation dudit État compétent.
11 Ce certificat, dont le modèle a été prévu dans la décision no 202 de la Commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 17 mars 2005, concernant les modèles de formulaires nécessaires à l’application des règlements (CEE) no 1408/71 et (CEE) no 574/72 du Conseil (E 001, E 101, E 102, E 103, E 104, E 106, E 107, E 108, E 109, E 112, E 115, E 116, E 117, E 118, E 120, E 121, E 123, E 124, E 125, E 126 et E 127) (JO 2006, L 77, p. 1), est communément connu sous le nom de «formulaire E 101» ou de «certificat E 101».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Il ressort de la décision de renvoi que Format, dont le siège est à Varsovie (Pologne), exerce des activités en qualité de sous-traitant dans le secteur de la construction dans certains États membres. En 2008, Format était active sur 15 à 18 chantiers simultanément, dans cinq ou six États membres. Format opérait en employant des travailleurs recrutés en Pologne afin de les détacher sur des chantiers en cours dans les différents États membres selon les besoins de l’entreprise et selon la nature du travail à effectuer.
13 Un travailleur qui devait être détaché auprès d’un autre site de construction recevait un ordre de mission. En cas de cessation du contrat de construction et d’absence de travail pour ce travailleur, celui-ci rentrait en Pologne et bénéficiait alors d’un congé sans solde, ou bien il était mis fin au contrat de travail. En principe, le travailleur devait exercer ses fonctions dans les pays de l’Union européenne.
14 Selon les constatations de la juridiction de renvoi, pendant les périodes en cause au principal, le lieu de «résidence» de M. Kita au sens de l’article 1er, sous h), du règlement no 1408/71 est resté en Pologne.
15 M. Kita a été employé à plein temps par Format à trois reprises sur la base de contrats de travail à durée déterminée.
16 Le premier contrat a été conclu pour la période du 17 juillet 2006 au 31 janvier 2007, prolongé par un avenant jusqu’au 22 décembre 2007. Ce contrat a cependant pris fin le 30 novembre 2006. Il définissait le lieu d’exécution du travail comme étant «les installations et constructions en Pologne et sur le territoire de l’Union européenne (Irlande, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Finlande), selon les instructions de l’employeur». Dans le cadre de ce contrat, M. Kita a travaillé uniquement en France. En application de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, le ZUS a délivré à M. Kita un certificat E 101 concernant la législation applicable pour la période du 17 juillet 2006 au 22 décembre 2007. À la suite de la cessation du contrat le 30 novembre 2006, ce certificat a été corrigé pour viser la période du 17 juillet au 30 novembre 2006.
17 Le deuxième contrat a été conclu pour la période du 4 janvier 2007 au 21 décembre 2008. Le lieu d’exécution du travail a été défini dans des termes identiques à ceux du premier contrat. Dans le cadre du deuxième contrat, M. Kita a exercé son activité en France. En application des mêmes dispositions que pour le premier contrat, le ZUS lui a délivré un certificat E 101 concernant la période du 4 janvier 2007 au 21 décembre 2008. Du 22 août 2007 au 31 décembre 2007, M. Kita s’est trouvé dans l’incapacité de travailler pour cause de maladie et ce contrat a pris fin le 5 avril 2008. Par conséquent, le ZUS a corrigé le certificat E 101 en vue de viser la période du 4 janvier au 22 août 2007.
18 Par décision du 23 juillet 2008, adressée à Format et à M. Kita (ci-après la «décision litigieuse»), le ZUS, se fondant sur la législation polonaise et sur l’article 14, paragraphes 1, sous a), et 2, sous b), du règlement no 1408/71, a refusé de délivrer l’attestation concernant la législation applicable au moyen du certificat E 101 confirmant que, durant les périodes du 1er janvier 2008 au 21 décembre 2008 et du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, M. Kita relevait du régime polonais d’assurances sociales. Selon cette décision, M. Kita était non pas une «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, mais un travailleur détaché en fonction de la situation de l’employeur.
19 Le 24 juillet 2008, soit après l’adoption de la décision litigieuse, un troisième contrat a été conclu pour la période du 30 juillet 2008 au 31 décembre 2012, portant la même indication quant au lieu d’exécution du travail que les deux contrats précédents. Or, dans un avenant au contrat du 24 juillet 2008, il était précisé que le lieu d’exécution du travail était la centrale nucléaire d’Olkiluoto en Finlande. Après avoir travaillé en Finlande, M. Kita a obtenu un congé sans solde du 1er novembre 2008 au 30 septembre 2009. Le contrat de travail a pris fin d’un commun accord le 16 mars 2009.
20 Par jugement du 12 février 2009, le Sąd Okręgowy – Sąd Ubezpieczeń Społecznych w Warszawie (tribunal régional – tribunal de la sécurité sociale de Varsovie) a rejeté le recours introduit par Format à l’encontre de la décision litigieuse, considérant que les conditions n’étaient pas remplies pour admettre que le travailleur était détaché au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71, dans la mesure où Format n’exerçait pas essentiellement ses activités dans l’État dans lequel se trouve son siège social. Cette juridiction a également jugé que M. Kita n’exerçait pas normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres, mais qu’il exerçait en permanence son activité pendant quelques mois ou plus de dix mois sur le territoire d’un seul État membre (en France puis en Finlande) et que, par conséquent, la règle générale de coordination s’appliquait à son égard, à savoir que la législation applicable était définie selon le principe du lieu d’exercice de l’activité.
21 Format et M. Kita ont interjeté appel du jugement du 12 février 2009 devant la juridiction de renvoi.
22 Format a fait valoir que le régime dans le cadre duquel ses travailleurs exercent leur activité est celui prévu à l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, qui ne vise pas nécessairement l’exercice simultané de l’activité dans deux ou plusieurs États membres, et qui ne fait aucune mention de quelconques périodes de référence ou de la fréquence à laquelle un travailleur change de lieu de travail ou traverse la frontière.
23 M. Kita partage l’opinion de Format et soutient dans son appel que sa situation est conforme à l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, dès lors qu’il a déjà «exercé normalement une activité salariée sur le territoire de plus de deux États membres» dans le cadre de sa relation de travail avec Format, à savoir dans le cadre de contrats qui ont été conclus pour des activités devant être exercées sur le territoire de six États membres, même s’ils n’ont été exécutés, jusqu’ici, que dans deux de ces États (en France et en Finlande). De plus, si M. Kita devait être déplacé sur un chantier en Pologne, l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), dudit règlement serait aussi applicable.
24 La juridiction de renvoi estime que les termes «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», figurant à l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, ne sont pas univoques.
25 Dans ces conditions, le Sąd Apelacyjny – Sąd Pracy i Ubezpieczeń Społecznych w Warszawie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le fait qu’une ‘personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres’ – dont il est précisé [au point] b) de cette disposition qu’il s’agit d’une personne autre que celle visée au point a) – relève du champ d’application de l’article 14, paragraphe 2, du règlement [no 1408/71], signifie-t-il qu’un travailleur salarié occupé aux termes d’un contrat de travail par un seul employeur:
a) est assimilé à une telle personne si, en raison de la nature de l’emploi, il exerce une activité dans plusieurs États membres en même temps (simultanément), y compris pour des périodes relativement courtes, et traverse donc fréquemment la frontière,
et signifie-t-il également que ce travailleur
b) est aussi assimilé à une telle personne s’il est tenu, dans le cadre d’un seul contrat de travail, d’effectuer en permanence (normalement) son travail dans plusieurs États membres, y compris dans l’État où il réside ou dans plusieurs États membres autres que son État de résidence
soit indépendamment de la durée des périodes successives d’exécution des obligations dans chacun des États membres et des interruptions entre elles, soit avec une limite dans le temps?
2) Si la Cour répond par l’affirmative à l’hypothèse présentée [au point] b) ci-dessus, est-il possible d’appliquer l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, lorsque l’obligation issue du contrat de travail entre le travailleur et un seul employeur pour un travail à exécuter en permanence dans plusieurs États membres comprend l’exécution des obligations dans l’État de résidence du travailleur, alors que cette situation – le travail dans l’État de résidence – semble exclue au moment de la signature du contrat de travail et, dans la négative, est-il possible de recourir à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
26 Selon le gouvernement belge, il s’agit, dans le litige au principal, d’un travailleur salarié qui, dans le cadre de contrats successifs, a effectué ses prestations dans un seul État membre, à savoir en France, puis en Finlande. Retenir la thèse à l’origine des questions préjudicielles aboutirait à ne plus distinguer un travailleur détaché au sens du règlement no 1408/71 d’un travailleur qui exerce normalement des activités sur le territoire de deux ou plusieurs États au sens de ce même règlement. Considérer, a posteriori, qu’un travailleur qui a fait l’objet de plusieurs détachements par son employeur a en réalité exercé des activités «alternantes» dans plusieurs États risquerait de faire naître une insécurité juridique tant pour les travailleurs et les employeurs concernés que pour les institutions compétentes appelées à se prononcer dans ces situations. Le gouvernement belge conclut à ce que les questions posées soient déclarées irrecevables.
27 Ces développements du gouvernement belge concernent, en réalité, non pas la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, mais le fond de celle-ci. Il n’y a dès lors pas lieu de considérer que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.
Sur le fond
28 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une personne qui, dans le cadre de contrats de travail successifs précisant comme lieu de travail le territoire de plusieurs États membres, ne travaille, dans les faits, pendant la durée de chacun de ces contrats, que sur le territoire d’un seul de ces États à la fois peut relever de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», au sens de cette disposition, et si, dans le cas d’une réponse affirmative, la situation d’une telle personne relève du paragraphe 2, sous b), i) ou ii), de cet article.
29 À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions du titre II du règlement no 1408/71, dont fait partie ledit article 14, paragraphe 2, constituent, selon une jurisprudence constante, un système complet et uniforme de règles de conflit de lois dont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités (voir en ce sens, notamment, arrêts du 23 septembre 1982, Kuijpers, 276/81, Rec. p. 3027, point 10; du 10 février 2000, FTS, C-202/97, Rec. p. I-883, point 20 et jurisprudence citée, ainsi que du 9 novembre 2000, Plum, C-404/98, Rec. p. I-9379, point 18).
30 À cette fin, l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71 pose le principe selon lequel un travailleur salarié est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation de l’État membre dans lequel il travaille (voir arrêt du 17 mai 1984, Brusse, 101/83, Rec. p. 2223, point 15).
31 Ce principe est cependant formulé «[s]ous réserve des articles 14 à 17» du règlement no 1408/71. En effet, dans certaines situations particulières, l’application pure et simple de la règle générale visée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement risquerait non pas d’éviter mais, au contraire, de créer, tant pour le travailleur que pour l’employeur et les organismes de sécurité sociale, des complications administratives dont l’effet pourrait être d’entraver l’exercice de la libre circulation des personnes couvertes par ledit règlement (voir, en ce sens, arrêt Brusse, précité, point 16). Des règles spécifiques à de telles situations sont prévues, notamment, à l’article 14 du règlement no 1408/71.
32 Il ressort du dossier que la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71 relatif au détachement temporaire de travailleurs n’est pas applicable à la situation de M. Kita, au motif que Format, la société qui l’emploie, n’exerce habituellement pas d’activités significatives en Pologne, l’État membre dans lequel elle est établie, comme l’exigerait une application correcte de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1970, Manpower, 35/70, Rec. p. 1251, point 16; FTS, précité, points 23 et 45, ainsi que Plum, précité, point 22). Cette prémisse n’a pas été contestée devant la Cour.
33 Par ailleurs, ainsi que ladite juridiction le relève, en substance, et ainsi qu’il découle de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71, une personne qui exerce normalement des activités salariées de manière plus ou moins simultanée ou concurrente sur le territoire de plus d’un État membre peut relever de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», au sens de cet article 14, paragraphe 2 (voir, par analogie, arrêt du 16 février 1995, Calle Grenzshop Andresen, C-425/93, Rec. p. I-269, point 15).
34 Or, il n’est pas contesté qu’une telle situation ne correspond pas, dans les faits, à celle en cause au principal, et ce nonobstant les termes des contrats mentionnés aux points 16, 17 et 19 du présent arrêt.
35 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande si la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, vise, outre les travailleurs qui exercent de manière concurrente des activités salariées sur le territoire de plus d’un État membre, ceux qui, à tout le moins selon les termes de leur contrat d’emploi, sont tenus d’exercer leur travail dans plusieurs États membres, sans que ce travail doive être exercé dans plusieurs États membres à la fois ou de manière quasi simultanée.
36 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi relève que, en ce qui concerne les éventuelles périodes successives d’activité exercées sur le territoire de plus d’un État membre, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 n’établit pas de limites temporelles.
37 Sur ce point, la Commission européenne estime possible, à la lumière de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, de reconnaître comme étant une limite supérieure une période de douze mois. En revanche, le ZUS ainsi que le gouvernement allemand font valoir, en substance, que les périodes successives d’activité ne sauraient relever de l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement que si la durée d’aucune d’entre elles n’excède un mois. Pour sa part, le gouvernement polonais considère que, en l’absence de fixation des critères permettant de distinguer les cas régis par l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71 de ceux dans lesquels il convient d’appliquer l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement, une interprétation large de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» est impossible du point de vue de l’application pratique dudit règlement. Selon Format, en tout état de cause, lorsqu’il est difficile de déterminer le lieu d’exercice de l’activité salariée en question, il convient de privilégier le critère du lieu de résidence du travailleur salarié et ce, notamment, en vue d’éviter divers tracas de nature administrative résultant des changements fréquents de régime d’assurance sociale.
38 Il n’y a toutefois pas lieu, pour fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, de se prononcer à cet égard.
39 En effet, en tout état de cause, ainsi que la Commission l’a souligné, pour relever de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, une personne doit exercer «normalement» une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres.
40 Il s’ensuit que, si l’exercice d’une activité salariée sur le territoire d’un seul État membre constitue le régime normal de la personne concernée, celle-ci ne peut relever du champ d’application dudit article 14, paragraphe 2.
41 Dans ces conditions, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de tenir compte de l’existence, dans l’affaire au principal, d’une divergence entre, d’une part, les contrats de travail en cause au principal et les lieux d’exécution du travail qu’ils prévoient – et sur la base desquels Format a demandé la délivrance du certificat E 101 – et, d’autre part, la manière dont les obligations ont été exécutées en pratique dans le cadre de ces contrats.
42 À cet égard, il convient de rappeler que l’institution émettrice d’un certificat E 101 est tenue de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et, partant, de garantir l’exactitude des mentions figurant dans ce certificat (voir, en ce sens, arrêt FTS, précité, point 51, ainsi que du 30 mars 2000, Banks e.a., C-178/97, Rec. p. I-2005, point 38).
43 Dès lors que le certificat E 101 a vocation à être délivré, en règle générale, avant ou au début de la période qu’il vise, l’appréciation des faits susmentionnés est le plus souvent effectuée, à ce moment, sur la base de la situation de travail anticipée du travailleur salarié concerné. C’est pourquoi la description de la nature du travail telle qu’elle ressort des documents contractuels revêt, dans la pratique, une importance particulière aux fins de cette appréciation.
44 Dans cette optique, il y a lieu d’avoir égard, en particulier, à la nature du travail salarié telle que définie dans les documents contractuels, en vue d’apprécier si les activités prévisibles relèvent d’activités salariées réparties, de façon non simplement ponctuelle, sur le territoire de plusieurs États membres, pour autant, cependant, que les termes de ces documents concordent avec les activités prévisibles concernées au moment de la demande de certificat E 101 ou, le cas échéant, la réalité des activités exercées antérieurement ou postérieurement à une telle demande.
45 Lors de l’appréciation des faits aux fins de la détermination de la législation de sécurité sociale applicable pour délivrer un certificat E 101, l’institution concernée peut, le cas échéant, tenir compte, en plus du libellé des documents contractuels, d’éléments tels que la manière dont les contrats de travail entre l’employeur et le travailleur concernés ont été exécutés en pratique dans le passé, les circonstances entourant la conclusion de ces contrats et, plus généralement, les caractéristiques et les modalités des activités exercées par l’entreprise concernée, dans la mesure où ces éléments peuvent éclairer la nature réelle du travail en question.
46 S’il ressort d’éléments pertinents autres que de documents contractuels que la situation d’un travailleur salarié diffère, en fait, de celle décrite dans de tels documents, l’obligation mentionnée au point 42 du présent arrêt d’appliquer le règlement no 1408/71 correctement signifie qu’il incombe à l’institution concernée, quel que soit le libellé des documents contractuels, de fonder ses constatations sur la situation réelle du travailleur salarié et, le cas échéant, de refuser de délivrer le certificat E 101.
47 En outre, il ressort de la jurisprudence qu’il incombe à l’institution qui a déjà délivré un certificat E 101 de reconsidérer le bien-fondé de cette délivrance et, le cas échéant, de retirer le certificat lorsque l’institution compétente d’un État membre dans lequel le travailleur salarié effectue un travail émet des doutes quant à l’exactitude des faits qui sont à la base de ce certificat et/ou au respect des exigences du titre II du règlement no 1408/71 (voir, par analogie, dans le contexte de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, arrêts précités FTS, point 56, ainsi que Banks e.a., point 43).
48 Dans les contrats en cause au principal, mentionnés aux points 16 et 17 du présent arrêt, le lieu du travail était décrit comme étant «les installations et constructions en Pologne et sur le territoire de l’Union européenne (Irlande, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Finlande), selon les instructions de l’employeur». Toutefois, ainsi qu’il ressort des informations non contestées fournies à la Cour par la juridiction de renvoi, par Format et par le ZUS, dans le cadre desdits contrats, M. Kita exerçait en permanence une activité pendant plusieurs mois ou plus de dix mois sur le territoire d’un seul État membre, à savoir, en France. Par ailleurs, dans le cadre du contrat de travail suivant, conclu de nouveau entre Format et M. Kita pour une durée déterminée, ce dernier travaillait sur le seul territoire finlandais. Il ressort du dossier que, dans le contexte de chacun de ces trois contrats, lorsque le travail était terminé, M. Kita obtenait un congé sans solde et qu’il était ensuite mis prématurément fin, d’un commun accord, au contrat concerné.
49 Dans de telles circonstances, compte tenu des développements figurant aux points 39 et 40 du présent arrêt, il ne saurait être valablement considéré qu’un travailleur salarié dans une situation telle que celle de M. Kita puisse relever de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71.
50 En revanche, dans pareilles circonstances, le principe énoncé à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71 est susceptible de trouver application, de même que, le cas échéant, pendant les périodes d’interruption entre des contrats de travail, celui découlant de cette même disposition, sous f).
51 Il appartient à la juridiction de renvoi de tirer les conséquences des points 49 et 50 du présent arrêt dans le cadre du litige au principal.
52 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une personne qui, dans le cadre de contrats de travail successifs précisant comme lieu de travail le territoire de plusieurs États membres, ne travaille, dans les faits, pendant la durée de chacun de ces contrats, que sur le territoire d’un seul de ces États à la fois ne peut relever de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» au sens de cette disposition.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une personne qui, dans le cadre de contrats de travail successifs précisant comme lieu de travail le territoire de plusieurs États membres, ne travaille, dans les faits, pendant la durée de chacun de ces contrats, que sur le territoire d’un seul de ces États à la fois ne peut relever de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» au sens de cette disposition.
Signatures
* Langue de procédure: le polonais.