ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
27 septembre 2012 ( *1 )
«Sécurité sociale des travailleurs migrants — Règlement (CEE) no 1408/71 — Articles 13 et 14 quater — Législation applicable — Travailleurs non salariés — Régime de sécurité sociale — Affiliation — Personne exerçant une activité salariée ou n’exerçant aucune activité dans un État membre — Activité non salariée exercée dans un autre État membre — Mandataire de société — Résidence dans un État membre autre que celui du siège de la société — Gestion de la société depuis l’État de la résidence — Règle nationale établissant une présomption irréfragable d’exercice de l’activité professionnelle en tant que travailleur indépendant dans l’État membre du siège de la société — Affiliation obligatoire au statut social des travailleurs indépendants de cet État»
Dans l’affaire C-137/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour du travail de Bruxelles (Belgique), par décision du 11 mars 2011, parvenue à la Cour le 21 mars 2011, dans la procédure
Partena ASBL
contre
Les Tartes de Chaumont-Gistoux SA,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann, L. Bay Larsen (rapporteur), Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: Mme R. Şereş, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 mars 2012,
considérant les observations présentées:
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pour Partena ASBL, par Me M. Lauwers, avocate, |
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pour Les Tartes de Chaumont-Gistoux SA, par Mes A. Moyaerts et É. Piret, avocats, |
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pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck et M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents, |
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pour la Commission européenne, par MM. V. Kreuschitz et G. Rozet, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juin 2012,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 13 et 14 quater du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), tel que modifié par le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 209, p. 1, ci-après le «règlement no 1408/71»), ainsi que de l’article 21 TFUE. |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Partena ASBL (ci-après «Partena»), caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants, à la société Les Tartes de Chaumont-Gistoux SA (ci-après la «société Les Tartes de Chaumont-Gistoux») au sujet de sommes réclamées à celle-ci par Partena au titre de cotisations sociales et de majorations pour la période allant du premier trimestre de 1999 au quatrième trimestre de 2007. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 |
Les huitième à onzième considérants du règlement no 1408/71 énoncent: «considérant qu’il convient de soumettre les travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités; considérant qu’il importe de limiter autant que possible le nombre et la portée des cas où, par dérogation à la règle générale, un travailleur est soumis simultanément à la législation de deux États membres; considérant que, en vue de garantir le mieux l’égalité de traitement de tous les travailleurs occupés sur le territoire d’un État membre, il est approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée; considérant qu’il convient de déroger à cette règle générale dans des situations spécifiques justifiant un autre critère de rattachement». |
4 |
L’article 13 du règlement no 1408/71, intitulé «Règles générales», dispose: «1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre. 2. Sous réserve des articles 14 à 17:
[...]» |
5 |
L’article 14 bis, point 2, du même règlement, intitulé «Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité non salariée», est rédigé dans les termes suivants: «La règle énoncée à l’article 13 paragraphe 2 point b) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes: [...] 2) la personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur le territoire de cet État membre. Si elle n’exerce pas d’activité sur le territoire de l’État membre où elle réside, elle est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle exerce son activité principale [...]» |
6 |
L’article 14 quater dudit règlement, intitulé «Règles particulières applicables aux personnes exerçant simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres», prévoit: «La personne qui exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres est soumise:
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7 |
L’annexe VII du règlement no 1408/71 énumère 18 hypothèses d’application cumulative des législations de deux États membres, à savoir des situations dans lesquelles une personne exerce, d’une part, une activité non salariée sur le territoire de l’un des 17 États membres nommément désignés dans cette annexe, et, d’autre part, une activité salariée dans un autre État membre. |
8 |
Elle énonce à son point 1: «Exercice d’une activité non salariée en Belgique et d’une activité salariée dans un autre État membre.» |
Le droit belge
9 |
En droit belge, l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants est régi, en particulier, par l’arrêté royal no 38, du 27 juillet 1967, organisant le statut social des travailleurs indépendants (Moniteur belge du 29 juillet 1967), modifié, notamment, par l’arrêté royal du 18 novembre 1996 portant des dispositions financières et diverses concernant le statut social des travailleurs indépendants, en application du titre VI de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions et de l’article 3 de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne (Moniteur belge du 12 décembre 1996, ci-après l’«arrêté royal no 38»). |
10 |
L’article 3, paragraphe 1, de l’arrêté royal no 38, compris dans le chapitre I intitulé «Le champ d’application», dispose: «Le présent arrêté entend par travailleur indépendant toute personne physique, qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de louage de travail ou d’un statut. Est présumée, jusqu’à preuve du contraire, se trouver dans les conditions d’assujettissement visées à l’alinéa précédent, toute personne qui exerce en Belgique une activité professionnelle susceptible de produire des revenus visés à [certaines dispositions du code des impôts sur les revenus 1992]. Pour l’application du présent paragraphe, une activité professionnelle est censée être exercée en vertu d’un contrat de louage de travail lorsque, pour l’application de l’un des régimes de sécurité sociale en faveur des travailleurs salariés, l’intéressé est présumé être engagé, de ce chef, dans les liens d’un contrat de louage de travail. [...] les personnes désignées comme mandataires dans une société ou association assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents sont présumées, de manière irréfragable, exercer, en Belgique, une activité professionnelle en tant que travailleur indépendant.» |
11 |
En application de l’article 15, paragraphe 1, troisième alinéa, du même arrêté royal, une société est tenue, solidairement avec ses mandataires, au paiement des cotisations dont ces derniers sont redevables. |
12 |
Par l’arrêt no 176/2004 du 3 novembre 2004, la Cour d’arbitrage, devenue par la suite Cour constitutionnelle, a déclaré inconstitutionnel l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 en ce qui concerne, notamment, les mandataires de sociétés assujetties à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents qui ne gèrent pas de l’étranger une société visée par la disposition en cause. Elle a jugé que, s’agissant de ces mandataires, la présomption avait, en ce qu’elle était irréfragable, un caractère général et absolu qui était disproportionné à l’égard de ces personnes, puisqu’il empêchait un mandataire qui aurait cessé son activité d’établir cette cessation autrement qu’en démissionnant et de mettre fin aux obligations découlant de son assujettissement au statut social des travailleurs indépendants. |
13 |
En revanche, elle n’a pas considéré l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 comme inconstitutionnel en ce qu’il concernait les mandataires gérant de l’étranger des sociétés ayant leur siège en Belgique. Elle a estimé que le caractère irréfragable de la présomption instituée avait pu être jugé nécessaire pour garantir l’assujettissement de tels mandataires au statut social des travailleurs indépendants, au motif que l’autorité nationale ne dispose pas, vis-à-vis de ces personnes, des renseignements et des pouvoirs dont elle dispose vis-à-vis de celles qui gèrent de telles sociétés en Belgique. |
14 |
Il résulte de cet arrêt de la Cour d’arbitrage que, actuellement, en droit belge, la présomption demeure irréfragable pour les personnes qui gèrent depuis l’étranger une société ayant son siège en Belgique, de sorte que, indépendamment de l’exercice effectif d’une telle activité, ces personnes sont assujetties en Belgique au statut social des travailleurs indépendants. |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
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La société Les Tartes de Chaumont-Gistoux a été constituée le 17 avril 1993. |
16 |
Ayant son siège en Belgique, cette société est soumise à l’impôt belge sur les sociétés. |
17 |
À la date de l’assemblée générale du 12 octobre 1995, MM. Rombouts et Van Acker détenaient chacun la moitié du capital de la société. Administrateurs, ils ont été reconduits dans leurs mandats par les assemblées générales des 7 juin 2000 et 7 juin 2006. |
18 |
M. Rombouts réside au Portugal depuis la fin de l’année 1999. |
19 |
Il y a exercé une activité salariée ou y a bénéficié d’allocations de chômage du mois de janvier 2001 au mois de juillet 2005. |
20 |
La juridiction de renvoi indique que M. Rombouts y a exercé une activité indépendante à partir du mois de novembre 2007, mais ajoute que la société Les Tartes de Chaumont-Gistoux soutient que cette activité a commencé au mois de novembre 2005. |
21 |
Le 28 mai 2008, Partena a fait signifier à M. Rombouts et à la société Les Tartes de Chaumont-Gistoux une contrainte avec commandement de payer un montant de 125696,50 euros, correspondant à des cotisations, majorations trimestrielles et annuelles qui auraient été dues par M. Rombouts pour la période allant du premier trimestre de 1999 au quatrième trimestre de 2007. |
22 |
Par citation du 5 août 2008, la société Les Tartes de Chaumont-Gistoux a fait opposition à cette contrainte devant le tribunal du travail de Nivelles. |
23 |
Statuant sur cette opposition, le tribunal du travail de Nivelles a déclaré l’opposition recevable par jugement du 14 septembre 2009, puis l’a déclarée fondée par jugement du 14 décembre 2009. |
24 |
Le 29 janvier 2010, Partena a interjeté appel de ces jugements. |
25 |
En cours de procédure, elle a précisé que, compte tenu du statut de salarié de M. Rombouts au Portugal à partir du 1er janvier 2001, il ne pouvait plus être assujetti au statut social belge des travailleurs indépendants qu’à titre complémentaire. Elle a, en conséquence, ramené le montant réclamé à la somme de 68137,61 euros en principal, à majorer d’intérêts, au lieu de la somme de 125696,50 euros. |
26 |
La société Les Tartes de Chaumont-Gistoux a contesté, quant à elle, tout assujettissement de M. Rombouts au statut social des travailleurs indépendants en Belgique. Elle a soutenu que l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38, en ce qu’il a pour effet l’application de la législation belge, est contraire au droit de l’Union et, notamment, à l’article 18 CE. |
27 |
Dans ces circonstances, la cour du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
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Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
Sur la compétence
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Le gouvernement belge estime que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la première question pour autant que celle-ci implique que la Cour serait amenée à interpréter l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 ou à examiner sa compatibilité avec l’article 14 quater du règlement no 1408/71. |
29 |
À cet égard, il suffit de constater que cette première question, par son libellé même, vise à l’interprétation de dispositions du droit de l’Union, en l’occurrence les articles 13 et suivants du règlement no 1408/71, et non pas à l’interprétation d’une disposition de droit national ou à une appréciation de la compatibilité de celle-ci avec le droit de l’Union. |
30 |
Conformément à une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 27 janvier 2011, Vandoorne, C-489/09, Rec. p. I-225, point 25 et jurisprudence citée), la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent lui permettre d’apprécier elle-même la compatibilité d’une disposition de droit national pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie. |
31 |
La Cour est donc compétente pour examiner la première question. |
Sur la recevabilité
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Le gouvernement belge soutient que la première question est irrecevable, au motif qu’il serait sans pertinence pour la solution du litige au principal de procéder à une interprétation de l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71. |
33 |
En effet, il n’y aurait pas lieu d’appliquer la présomption irréfragable prévue à l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 pour l’assujettissement de M. Rombouts au statut social belge des travailleurs indépendants. |
34 |
Cette présomption viserait à assujettir des mandataires gérant depuis l’étranger des sociétés ayant leur siège en Belgique, ne déclarant aucun revenu de dirigeant d’entreprise dans cet État membre et invoquant la gratuité de l’exercice de leur mandat afin d’exclure l’existence de la condition d’exercice d’une activité professionnelle, à laquelle est subordonné l’assujettissement. |
35 |
Or, selon le gouvernement belge, pour la période concernée dans le litige au principal, M. Rombouts a été assujetti à l’impôt belge des non-résidents en raison de son activité de mandataire de la société, en tant qu’administrateur de celle-ci, par application combinée des articles 2, point 1, sous a), 227, paragraphe 1, et 228, paragraphe 1, du code des impôts sur les revenus 1992 ainsi que de l’article 16 de la convention entre la Belgique et le Portugal en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu, signée à Bruxelles le 16 juillet 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 787, p. 4), modifiée par une convention additionnelle signée à Bruxelles le 6 mars 1995 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 2155, p. 76), entrée en vigueur le 5 avril 2001. |
36 |
Le gouvernement belge ajoute que M. Rombouts n’a jamais contesté cet assujettissement et que les cotisations sociales faisant l’objet du litige au principal ont été calculées sur la base des revenus de dirigeant d’entreprise retenus par l’administration fiscale. |
37 |
Par conséquent, ni M. Rombouts ni la société Les Tartes de Chaumont-Gistoux ne pourraient invoquer l’exercice gratuit du mandat pour contester l’existence de la condition d’exercice d’une activité professionnelle. |
38 |
À cet égard, il suffit de constater que, dans ses observations écrites, le gouvernement belge a expliqué que la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38 prévoit de manière irréfragable l’assujettissement des mandataires de sociétés au statut belge des travailleurs indépendants, «même» lorsqu’ils n’ont déclaré aucun revenu du chef de ce mandat. |
39 |
Cela implique que, selon le gouvernement belge lui-même, cette présomption s’applique également aux mandataires de sociétés tels que celui en cause au principal qui sont assujettis en Belgique à l’impôt des non-résidents en raison de leur activité de mandataire de la société. |
40 |
La première question n’est donc pas privée de pertinence en tant qu’elle vise l’article 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71. |
41 |
Elle est, par suite, recevable. |
Sur le fond
42 |
À titre liminaire, il convient de relever que la juridiction de renvoi a délimité le litige dont elle demeure saisie à la situation relative aux périodes au cours desquelles le mandataire social en cause résidait au Portugal et y exerçait une activité salariée ou bien n’y exerçait aucune autre activité. Elle considère que, pour de telles périodes, le règlement no 1408/71 et son annexe VII ne paraissent pas exclure un assujettissement au statut social belge des travailleurs indépendants. Il y a lieu pour la Cour de limiter son examen à cette seule situation. |
43 |
Dans ce contexte, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, en particulier les articles 13, paragraphe 2, sous b), et 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71 ainsi que l’annexe VII de celui-ci, s’oppose à une réglementation nationale qui, comme l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 38, permet à un État membre de réputer, de manière irréfragable, comme étant exercée sur son territoire une activité de gestion, à partir d’un autre État membre, d’une société soumise à l’impôt dans ce premier État. |
44 |
Par cette question, la juridiction de renvoi demande ainsi dans quelle mesure un État membre peut, aux fins de l’assujettissement à son régime de sécurité sociale de travailleurs non salariés, définir le lieu d’exercice de l’activité des travailleurs concernés. |
45 |
À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les dispositions du titre II du règlement no 1408/71 déterminant la législation applicable aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union européenne tendent notamment à ce que les intéressés soient, en principe, soumis au régime de sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe trouve son expression notamment à l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement (voir, notamment, arrêt du 12 juin 2012, Hudzinski et Wawrzyniak, C-611/10 et C-612/10, point 41). |
46 |
Il convient de rappeler également que les dispositions du règlement no 1408/71 doivent être interprétées à la lumière de l’objectif de l’article 48 TFUE, qui est de contribuer à l’établissement d’une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible (voir arrêt Hudzinski et Wawrzyniak, précité, point 53). |
47 |
Le huitième considérant du règlement no 1408/71 souligne qu’il convient de soumettre les travailleurs salariés et non salariés concernés au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre. Le neuvième considérant du même règlement ajoute qu’il importe de limiter autant que possible le nombre et la portée des cas où, par dérogation à la règle générale, un travailleur est soumis simultanément à la législation de deux États membres. |
48 |
Selon le dixième considérant dudit règlement, le critère approprié à l’effet de déterminer la législation applicable est, en règle générale, le lieu d’exercice de l’activité salariée ou non salariée. Le onzième considérant du règlement no 1408/71 n’envisage des dérogations à cette règle générale que dans des situations spécifiques justifiant un autre critère de rattachement. |
49 |
Il ressort ainsi de l’économie et du système du règlement no 1408/71 que le critère du «lieu d’exercice» de l’activité salariée ou non salariée du travailleur concerné est le critère principal aux fins de la désignation d’une seule législation applicable et qu’il ne doit être dérogé à ce critère que dans des situations spécifiques, au moyen de critères de rattachement subsidiaires tels que ceux de l’État de la résidence du travailleur, de l’État du siège de l’entreprise qui l’emploie ou bien du lieu d’une succursale ou représentation permanente de celle-ci, ou du lieu de l’activité principale du travailleur, prévus aux articles 14, points 2 et 3, 14 bis, points 2 et 3, ainsi que 14 quater, sous a), in fine, du règlement no 1408/71. |
50 |
S’agissant des notions d’«activité salariée» et d’«activité non salariée» au sens des articles 13 et suivants du règlement no 1408/71, elles visent les activités qui sont considérées comme telles pour l’application de la législation sociale de l’État membre sur le territoire duquel ces activités sont exercées (voir, notamment, arrêts du 30 janvier 1997, de Jaeck, C-340/94, Rec. p. I-461, point 34, ainsi que Hervein et Hervillier, C-221/95, Rec. p. I-609, point 22). |
51 |
Ces notions relèvent donc, quant à leur contenu, des législations des États membres sur le territoire desquels les activités salariées ou non salariées sont exercées. |
52 |
Dès lors, aux fins de l’application des articles 13 et suivants du règlement no 1408/71, la détermination du lieu d’exercice de l’activité professionnelle du travailleur qui, ainsi qu’il ressort du dixième considérant de ce règlement, conditionne en règle générale la désignation de la législation applicable précède la qualification de l’activité en tant qu’activité salariée ou non salariée. |
53 |
Cependant, à la différence des notions d’«activité salariée» et d’«activité non salariée», la notion de «lieu d’exercice» d’une activité doit être considérée comme relevant non pas des législations des États membres, mais du droit de l’Union et, par suite, de l’interprétation qu’en donne la Cour. |
54 |
En effet, si cette notion relevait également des législations des États membres, le critère qu’elle constitue pourrait faire l’objet de définitions ou d’interprétations contradictoires de la part des États membres en cause et aboutir, pour une personne déterminée, à l’application cumulative de plusieurs législations à une même activité. Or, un tel cumul risquerait de faire supporter à l’intéressé une double cotisation d’assurances sociales pour un même revenu et pénaliserait alors le travailleur qui a exercé son droit à la libre circulation tel que consacré par le droit de l’Union, ce qui serait, dès lors, manifestement contraire aux objectifs du règlement no 1408/71. |
55 |
Ainsi que la Cour l’a jugé en ce qui concerne l’article 14 quinquies, paragraphe 2, dudit règlement, celui-ci fait obligation aux États membres de traiter de manière non discriminatoire les travailleurs soumis aux dispositions de l’article 14 quater, sous b), de ce même règlement par rapport aux travailleurs exerçant l’ensemble de leurs activités dans un seul État membre (voir arrêt du 9 mars 2006, Piatkowski, C-493/04, Rec. p. I-2369, point 27). |
56 |
Aux fins de l’interprétation de la notion de «lieu d’exercice» en tant que notion du droit de l’Union, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, notamment, arrêt du 10 mars 2005, easyCar, C-336/03, Rec. p. I-1947, point 21 et jurisprudence citée). |
57 |
À cet égard, la notion de «lieu d’exercice» d’une activité doit être entendue, conformément au sens premier des termes utilisés, comme désignant le lieu où, concrètement, la personne concernée accomplit les actes liés à cette activité. |
58 |
Or, en présumant que les personnes désignées comme mandataires dans une société ou association assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents sont considérées, de manière irréfragable, comme exerçant, en Belgique, une activité professionnelle en tant que travailleur indépendant, les dispositions nationales en cause risquent d’aboutir ainsi à une définition du lieu de l’exercice de l’activité qui ne correspondrait pas à celle qui résulte du point précédent du présent arrêt et d’être ainsi contraires au droit de l’Union. |
59 |
S’il est vrai que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs régimes de sécurité sociale et qu’il appartient, en l’absence d’une harmonisation au niveau communautaire, à la législation de chaque État membre concerné de déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale, il importe cependant que, dans l’exercice de sa compétence, l’État membre concerné respecte le droit de l’Union (voir, notamment, arrêt Piatkowski, précité, points 32 et 33). |
60 |
Certes, ainsi que le fait valoir le gouvernement belge, la présomption en cause au principal est susceptible d’empêcher la fraude en matière de sécurité sociale consistant à se soustraire au caractère obligatoire du statut social des travailleurs indépendants au moyen d’une délocalisation artificielle de l’activité des mandataires sociaux de sociétés établies en Belgique. Toutefois, en conférant un caractère irréfragable à cette présomption, la réglementation nationale en cause va au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre cet objectif légitime de lutter contre la fraude puisqu’elle fait ainsi obstacle de manière générale à la possibilité pour les travailleurs concernés de justifier, devant le juge national, que le lieu de l’exercice de leur activité se trouve réellement sur le territoire d’un autre État membre où ils accomplissent, concrètement, les actes liés à cette activité. |
61 |
Il convient donc de répondre à la première question que le droit de l’Union, en particulier les articles 13, paragraphe 2, sous b), et 14 quater, sous b), du règlement no 1408/71 ainsi que l’annexe VII de celui-ci, s’oppose à une réglementation nationale telle que celle au principal dans la mesure où elle permet à un État membre de réputer, de manière irréfragable, comme étant exercée sur son territoire une activité de gestion, à partir d’un autre État membre, d’une société soumise à l’impôt dans ce premier État. |
Sur la seconde question
62 |
Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde question. |
Sur les dépens
63 |
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit: |
Le droit de l’Union, en particulier les articles 13, paragraphe 2, sous b), et 14 quater, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998, ainsi que l’annexe VII dudit règlement, s’oppose à une réglementation nationale telle que celle au principal dans la mesure où elle permet à un État membre de réputer, de manière irréfragable, comme étant exercée sur son territoire, une activité de gestion, à partir d’un autre État membre, d’une société soumise à l’impôt dans ce premier État. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: le français.