ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
6 décembre 2012 (*)
«TVA – Directive 2006/112/CE – Droit à déduction – Refus»
Dans l’affaire C-285/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad – Varna (Bulgarie), par décision du 16 mai 2011, parvenue à la Cour le 8 juin 2011, dans la procédure
Bonik EOOD
contre
Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. K. Lenaerts, E. Juhász, T. von Danwitz et D. Šváby, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2012,
considérant les observations présentées:
– pour Bonik EOOD, par Me O. Minchev, advokat, et M. M. Patchett-Joyce, barrister,
– pour le gouvernement bulgare, par Mme E. Petranova, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. De Stefano, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. L. Seeboruth et L. Christie, en qualité d’agents, assistés de M. P. Moser, barrister,
– pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. D. Roussanov, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, 9, 14, 62, 63, 167, 168 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Bonik EOOD (ci-après «Bonik») au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et gestion de l’exécution», pour la ville de Varna, de l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques), au sujet du droit à déduction, sous forme de crédit d’impôt, de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») relative à des achats de blé effectués par cette société.
Le cadre juridique
3 L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112 prévoit que les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA.
4 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose:
«Est considéré comme ‘assujetti’ quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
Est considérée comme ‘activité économique’ toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.»
5 L’article 62 de ladite directive est libellé comme suit:
«Aux fins de la présente directive sont considérés comme:
1) ‘fait générateur de la taxe’ le fait par lequel sont réalisées les conditions légales nécessaires pour l’exigibilité de la taxe;
2) ‘exigibilité de la taxe’ le droit que le Trésor peut faire valoir aux termes de la loi, à partir d’un moment donné, auprès du redevable pour le paiement de la taxe, même si le paiement peut en être reporté.»
6 Aux termes de l’article 63 de la même directive:
«Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée.»
7 L’article 167 de la directive 2006/112 énonce:
«Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.»
8 L’article 168 de cette directive dispose:
«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;
[...]»
9 L’article 178 de ladite directive prévoit:
«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:
a) pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;
[...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Bonik est une société qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur les mois de février et de mars 2009.
11 À la suite de ce contrôle, les autorités fiscales bulgares ont constaté qu’il n’existait pas de preuves de l’exécution des livraisons intracommunautaires de blé et de tournesol déclarées par Bonik comme ayant été effectuées au profit de la société de droit roumain Agrisco SRL et que, compte tenu du fait que les quantités de blé et de tournesol figurant sur les factures émises par Bonik étaient, selon la comptabilité de cette société, sorties du stock de celle-ci et n’étaient pas présentes au moment de la réalisation dudit contrôle, ces quantités avaient fait l’objet de livraisons taxables sur le territoire bulgare.
12 Par ailleurs, lesdites autorités fiscales ont procédé à des vérifications concernant des achats de blé, déclarés par Bonik comme ayant été effectués auprès de Favorit stroy Varna EOOD (ci-après «Favorit stroy») et d’Agro treyd BG Varna EOOD (ci-après «Agro treyd»), pour lesquels la TVA a été déduite.
13 Bonik était en possession des factures émises par Favorit stroy ainsi que par Agro treyd et correspondant à ces achats.
14 Toutefois, afin de s’assurer de la réalité desdits achats, les autorités fiscales bulgares ont effectué des vérifications supplémentaires auprès des fournisseurs de Bonik, à savoir Favorit stroy et Agro treyd, ainsi qu’auprès des fournisseurs de ces dernières, à savoir Lyusi treyd EOOD, Eksim plyus EOOD et Riva agro stil EOOD.
15 Ces vérifications n’ayant pas permis d’établir que Lyusi treyd EOOD, Eksim plyus EOOD et Riva agro stil EOOD avaient réellement livré des marchandises à Favorit stroy et à Agro treyd, les autorités fiscales bulgares en ont déduit que ces dernières sociétés ne disposaient pas des quantités de marchandises nécessaires pour effectuer les livraisons destinées à Bonik et ont conclu à l’absence de livraisons réelles entre lesdites sociétés et Bonik.
16 Dès lors, lesdites autorités fiscales ont, par un avis d’imposition rectificatif du 10 mars 2010, refusé à Bonik le droit de déduire, sous forme de crédit d’impôt, la TVA relative aux livraisons de blé effectuées par ses fournisseurs, Favorit stroy et Agro treyd.
17 Bonik a formé un recours administratif contre cet avis d’imposition devant le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto» – Varna pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, qui, par une décision du 21 juin 2010, a confirmé ledit avis.
18 Bonik a introduit un recours à l’encontre du même avis d’imposition devant la juridiction de renvoi.
19 Dans la décision de renvoi, cette juridiction indique que les autorités fiscales bulgares ne contestent pas le fait que Bonik a effectué des livraisons subséquentes de marchandises du même type et pour une même quantité ni n’affirment que cette société a acquis ces marchandises auprès de fournisseurs autres que Favorit stroy et Agro treyd.
20 Par ailleurs, elle ajoute qu’il existe des preuves établissant la réalisation de livraisons directes et que l’absence de preuves des livraisons précédentes ne saurait conduire à la conclusion selon laquelle ces livraisons directes n’ont pas été effectuées.
21 À cet égard, la juridiction de renvoi précise que la réglementation nationale ne subordonne pas le bénéfice du droit à déduction de la TVA, sous forme de crédit d’impôt, à la preuve de l’origine de la marchandise.
22 Selon cette juridiction, l’administration fiscale, par sa pratique, et certaines juridictions bulgares exigent une preuve de la réalité des livraisons précédentes pour reconnaître à l’assujetti un droit à déduction de la TVA.
23 C’est dans ce contexte que l’Administrativen sad – Varna a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Peut-on, par le biais de l’interprétation, déduire la notion d’‘absence de réalité d’une livraison’ des dispositions des articles 178, sous a) et b), 14, 62, 63, 167 et 168 de la directive 2006/112 et, dans l’affirmative, la notion d’‘absence de réalité d’une livraison’ correspond-elle à la définition de la notion de ‘fraude fiscale’ ou est-elle incluse dans cette notion? Quel est le contenu de la notion de ‘fraude fiscale’ au sens de [cette] directive?
2) À la lumière de la définition de la fraude fiscale et des dispositions combinées des considérants 26 et 59 et de l’article 178, sous b), de la directive [2006/112, cette dernière] exige-t-elle que les formalités soient expressément mises en place, sur le plan normatif, par un acte de l’organe législatif suprême de l’État membre ou autorise-t-elle que de telles formalités ne soient pas mises en place sur le plan normatif, mais qu’elles se présentent sous la forme de pratiques administratives (et de contrôle fiscal) et judiciaires? Des formalités peuvent-elles être introduites par le biais d’actes normatifs des organes administratifs ou d’instructions de l’administration?
3) La notion d’‘absence de réalité d’une livraison’, si elle est différente de la notion de ‘fraude fiscale’ et qu’elle ne relève pas de la définition de la fraude fiscale, constitue-t-elle une formalité au sens de l’article 178, sous b), [de la directive 2006/112] ou une mesure au sens du considérant 59 de [cette] directive, dont l’introduction a pour conséquence le refus du droit au crédit d’impôt et qui remet en question la neutralité de la TVA, qui est un principe fondamental du système commun de TVA, mis en place par la législation communautaire dans ce domaine?
4) Peut-on imposer aux assujettis des formalités relatives à la preuve, par ceux-ci, de la réalisation effective de livraisons ayant précédé la livraison entre eux (le dernier acquéreur [...] et le fournisseur de celui-ci), alors que les services fiscaux ne contestent pas l’exécution, par les assujettis (derniers fournisseurs), de livraisons subséquentes aux acquéreurs suivants portant sur les mêmes marchandises et sur les mêmes quantités?
5) Dans le cadre du système commun de TVA et conformément aux dispositions des articles 168 et 178 de la directive 2006/112, faut-il apprécier le droit d’un commerçant à la reconnaissance de paiements effectués au titre de la TVA lors d’une transaction déterminée, en tenant compte:
a) uniquement de la transaction concrète, à laquelle le commerçant est partie, en incluant l’intention du commerçant de participer à la transaction, et /ou
b) de la totalité des opérations, incluant les transactions précédentes et suivantes, qui forment une chaîne de livraisons, dont la transaction en cause fait partie, les intentions des autres participants à la chaîne inclusivement, dont le commerçant n’a pas connaissance et/ou dont il n’a pas les moyens de prendre connaissance, ou des actes et/ou omissions de l’émetteur de la facture et des autres participants à la chaîne, c’est-à-dire des fournisseurs qui l’ont précédé, par rapport auxquels l’acquéreur de la livraison n’a pas la possibilité d’exercer un contrôle et d’exiger le respect d’un comportement déterminé, et/ou
c) d’actes et d’intentions frauduleux – indépendamment de la question de savoir s’ils sont antérieurs ou postérieurs à une transaction donnée – d’autres participants à la chaîne, dont la participation n’était pas connue par le commerçant, lesdits actes et intentions n’étant pas de nature à permettre d’établir que le commerçant en question pouvait en prendre connaissance?
6) En fonction de la réponse à la cinquième question, faut-il considérer que des transactions telles que celles en cause dans la procédure au principal constituent des livraisons effectuées à titre onéreux au sens de l’article 2 de la directive 2006/112 ou une partie de l’activité économique de l’assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112?
7) Des transactions telles que celles en cause dans la procédure au principal, documentées et déclarées dans les règles par le fournisseur pour les besoins de la TVA, à l’occasion desquelles l’acquéreur a effectivement acquis le droit de propriété sur la marchandise facturée et pour lesquelles il n’y a pas de données établissant qu’il a en réalité acquis la marchandise auprès d’une personne différente de l’émetteur de la facture, peuvent-elles être traitées comme ne constituant pas des livraisons à titre onéreux au sens de l’article 2 de la directive 2006/112 pour la seule raison que le fournisseur n’était pas présent à l’adresse déclarée, qu’il n’a pas produit les documents réclamés lors du contrôle fiscal ou qu’il n’a pas apporté la preuve aux services fiscaux de toutes les circonstances dans lesquelles les livraisons ont été effectuées, dont l’indication de l’origine de la marchandise faisant l’objet des ventes?
8) Faut-il considérer que le fait de rendre le droit de déduire la TVA facturée dépendant du comportement d’un fournisseur et/ou des fournisseurs qui l’ont précédé constitue une mesure autorisée en vue d’assurer la perception d’une taxe et la prévention des fraudes fiscales?
9) En fonction des réponses aux deuxième, troisième et quatrième questions, des mesures prises par les services fiscaux, telles que celles en cause dans la procédure au principal, qui entraînent l’exclusion du régime de la TVA s’agissant des transactions conclues par un commerçant de bonne foi, violent-elles les principes communautaires de proportionnalité, d’égalité de traitement et de sécurité juridique?
10) En fonction des réponses aux questions précédentes, l’acquéreur des livraisons a-t-il, dans des circonstances telles que celles en cause dans la procédure au principal, le droit de déduire la taxe qui lui a été facturée par les fournisseurs?»
Sur les questions préjudicielles
24 Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions de la directive 2006/112 ainsi que les principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti se voie refuser le droit de déduire la TVA relative à une livraison de biens au motif que, compte tenu d’éléments relatifs à des opérations effectuées en amont de cette livraison, cette dernière est considérée comme n’ayant pas été réellement effectuée.
25 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (voir arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C-80/11 et C-142/11, point 37 et jurisprudence citée).
26 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut en principe être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir arrêts du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 43; du 15 décembre 2005, Centralan Property, C-63/04, Rec. p. I-11087, point 50; du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C-439/04 et C-440/04, Rec. p. I-6161, point 47, ainsi que Mahagében et Dávid, précité, point 38).
27 Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (voir arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, Rec. p. 655, point 19; du 15 janvier 1998, Ghent Coal Terminal, C-37/95, Rec. p. I-1, point 15; Gabalfrisa e.a., précité, point 44; du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03, Rec. p. I-1599, point 25; du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, point 78; Kittel et Recolta Recycling, précité, point 48; du 22 décembre 2010, Dankowski, C-438/09, Rec. p. I-14009, point 24, ainsi que Mahagében et Dávid, précité, point 39).
28 La question de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C-354/03, C-355/03 et C-484/03, Rec. p. I-483, point 54; Kittel et Recolta Recycling, précité, point 49, ainsi que Mahagében et Dávid, précité, point 40).
29 Par ailleurs, il ressort du libellé de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 que, pour pouvoir bénéficier du droit à déduction, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un assujetti au sens de cette directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ce droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens ou ces services soient fournis par un autre assujetti (voir arrêts Centralan Property, précité, point 52, et du 6 septembre 2012, Tóth, C-324/11, point 26).
30 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les parties concernées par les livraisons de biens en cause au principal, à savoir Bonik et ses fournisseurs, sont des assujettis au sens de la directive 2006/112.
31 Toutefois, pour pouvoir conclure à l’existence du droit à déduction invoqué par Bonik sur le fondement de ces livraisons de biens, il est nécessaire de vérifier si ces dernières ont été effectivement réalisées et si les biens concernés ont été utilisés par Bonik pour les besoins de ses opérations taxées.
32 Or, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure introduite au titre de l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour vérifier non plus que pour apprécier les circonstances de fait relatives à l’affaire au principal. Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’effectuer, conformément aux règles de preuve du droit national, une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait de cette affaire afin de déterminer si Bonik peut exercer un droit à déduction sur le fondement desdites livraisons de biens (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Mecsek-Gabona, C-273/11, point 53).
33 S’il résulte de cette appréciation que les livraisons de biens en cause au principal ont été réellement effectuées et que ces biens ont été utilisés en aval par Bonik pour les besoins de ses opérations taxées, le bénéfice du droit à déduction ne saurait, en principe, lui être refusé.
34 À cet égard, la juridiction de renvoi indique que les autorités fiscales bulgares n’affirment pas que Bonik a acquis les marchandises en cause au principal auprès de fournisseurs autres que Favorit stroy et Agro treyd et qu’il existe des preuves établissant la réalisation de livraisons directes. Elle relève également que lesdites autorités ne contestent pas le fait que Bonik a effectué des livraisons subséquentes de marchandises du même type que celles en cause au principal et pour une même quantité.
35 Cela étant, il convient de rappeler également que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112 (voir, notamment, arrêts Halifax e.a., précité, point 71; Kittel et Recolta Recycling, précité, point 54; du 7 décembre 2010, R., C-285/09, Rec. p. I-12605, point 36; du 27 octobre 2011, Tanoarch, C-504/10, Rec. p. I-10853, point 50, ainsi que Mahagében et Dávid, précité, point 41).
36 À cet égard, la Cour a jugé que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts précités Fini H, point 32; Halifax e.a., point 68; Kittel et Recolta Recycling, point 54, ainsi que Mahagében et Dávid, point 41).
37 Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir arrêts précités Fini H, point 34; Kittel et Recolta Recycling, point 55, ainsi que Mahagében et Dávid, point 42).
38 Tel est le cas lorsqu’une fraude fiscale est commise par l’assujetti lui-même. En effet, dans ce cas, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les notions de livraisons de biens ou de prestations de services effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et d’activité économique ne sont pas satisfaits (voir arrêts précités Halifax e.a., points 58 et 59, ainsi que Kittel et Recolta Recycling, point 53).
39 De même, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA doit, pour les besoins de la directive 2006/112, être considéré comme participant à cette fraude, et ceci indépendamment de la question de savoir s’il tire ou non un bénéfice de la revente des biens ou de l’utilisation des services dans le cadre des opérations taxées effectuées par lui en aval (voir, en ce sens, arrêts précités Kittel et Recolta Recycling, point 56, ainsi que Mahagében et Dávid, point 46).
40 Il en résulte que le bénéfice du droit à déduction ne saurait être refusé à un assujetti qu’à la condition qu’il soit établi, au vu des éléments objectifs, que cet assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été livrés ou fournis, savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition de ces biens ou de ces services, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne de ces livraisons ou de ces prestations (voir, en ce sens, arrêts précités Kittel et Recolta Recycling, points 56 à 61, ainsi que Mahagében et Dávid, point 45).
41 En revanche, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par ladite directive de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne des livraisons, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêts précités Optigen e.a., points 52 et 55; Kittel et Recolta Recycling, points 45, 46 et 60, ainsi que Mahagében et Dávid, point 47).
42 En effet, l’instauration d’un système de responsabilité sans faute irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public (voir arrêt Mahagében et Dávid, précité, point 48).
43 Par conséquent, le refus du droit à déduction constituant une exception à l’application du principe fondamental que constitue ce droit, il incombe aux autorités fiscales compétentes d’établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne des livraisons (voir arrêt Mahagében et Dávid, précité, point 49).
44 Il en résulte que, si la juridiction de renvoi devait considérer la réalisation effective des livraisons de biens en cause au principal et l’utilisation en aval de ces biens par Bonik pour les besoins de ses opérations taxées comme étant établies, il appartiendrait ensuite à cette juridiction de vérifier si les autorités fiscales concernées ont établi l’existence de tels éléments objectifs.
45 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 2, 9, 14, 62, 63, 167, 168 et 178 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti se voie refuser le droit de déduire la TVA relative à une livraison de biens au motif que, compte tenu de fraudes ou d’irrégularités commises en amont ou en aval de cette livraison, cette dernière est considérée comme n’ayant pas été réalisée effectivement, sans qu’il soit établi, au vu d’éléments objectifs, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude à la TVA commise en amont ou en aval dans la chaîne de livraisons, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
Les articles 2, 9, 14, 62, 63, 167, 168 et 178 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti se voie refuser le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée relative à une livraison de biens au motif que, compte tenu de fraudes ou d’irrégularités commises en amont ou en aval de cette livraison, cette dernière est considérée comme n’ayant pas été réalisée effectivement, sans qu’il soit établi, au vu d’éléments objectifs, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise en amont ou en aval dans la chaîne de livraisons, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
* Langue de procédure: le bulgare.