ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
28 février 2013 (*)
«Libre prestation des services – Libre circulation des travailleurs – Réglementation d’un État membre permettant l’exonération de l’impôt sur les revenus perçus pour des travaux effectués dans un autre État dans le cadre de l’aide au développement – Conditions – Établissement de l’employeur sur le territoire national – Refus lorsque l’employeur est établi dans un autre État membre»
Dans l’affaire C-544/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Rheinland-Pfalz (Allemagne), par décision du 18 mars 2011, parvenue à la Cour le 24 octobre 2011, dans la procédure
Helga Petersen,
Peter Petersen
contre
Finanzamt Ludwigshafen,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et J.-J. Kasel, juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 novembre 2012,
considérant les observations présentées:
– pour Mme Petersen et M. Petersen, par M. R. Sturm, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. W. Mölls et W. Roels, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme et M. Petersen au Finanzamt Ludwigshafen au sujet du refus de ce dernier d’accorder une exonération d’impôt sur le revenu pour les revenus de M. Petersen tirés d’activités exercées au Bénin dans le cadre d’un projet d’aide au développement financé par l’Agence danoise pour le développement international.
Le cadre juridique
3 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz), dans sa version applicable aux faits au principal (BGBl. 2002 I, p. 4215), les personnes physiques qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire national y sont assujetties à l’impôt sur l’intégralité de leur revenu.
4 L’article 34 c, paragraphes 1 et 5, de ladite loi dispose:
«(1) Lorsque les personnes assujetties à l’impôt de manière illimitée acquittent sur des revenus d’origine étrangère, dans l’État d’origine desdits revenus, un impôt équivalent à l’impôt allemand sur le revenu, l’impôt étranger qui a été liquidé, acquitté et diminué du montant d’un droit à réduction, est imputé sur le montant de l’impôt allemand sur le revenu dont elles sont redevables au titre des revenus perçus dans l’État en question;
[...]
(5) Les hautes autorités fiscales des Länder ou les autorités fiscales qu’elles désignent peuvent, avec l’accord du ministère fédéral des Finances, accorder une remise, partielle ou totale, sur l’impôt sur le revenu frappant les revenus étrangers, ou fixer un montant forfaitaire, lorsque cela apparaît opportun pour des raisons économiques ou que l’application du paragraphe 1 du présent article s’avère particulièrement difficile.»
5 Le ministère fédéral allemand des Finances a adopté, le 31 octobre 1983, une instruction relative au traitement fiscal des revenus des salariés tirés d’activités à l’étranger (BStBl. 1983 I, p. 470, ci-après l’«instruction du ministère des Finances»), adressée aux hautes autorités fiscales des Länder et prévoyant que le revenu du travail que les salariés d’un employeur établi sur le territoire national perçoivent dans le cadre d’une relation de travail actuelle pour une activité effectuée dans un autre État bénéficiant du présent régime est exonéré de l’impôt sur le revenu.
6 Conformément au titre I, premier alinéa, point 4, de cette instruction, appartiennent à la catégorie des activités bénéficiant dudit régime notamment les activités exercées au service de fournisseurs, de producteurs ou de prestataires établis sur le territoire national dans le cadre de l’aide publique allemande au développement qui s’inscrit dans le contexte d’une coopération technique ou financière.
7 Le titre II, premier alinéa, de l’instruction du ministère des Finances prévoit que l’activité doit être exercée de manière ininterrompue pendant au moins trois mois dans des États avec lesquels la République fédérale d’Allemagne n’a pas signé de convention préventive de la double imposition incluant les revenus d’activités salariées.
8 Les revenus tirés d’activités salariées ainsi exonérés sont toutefois, en application du titre IV de l’instruction du ministère des Finances, pris en compte au titre de la progressivité de l’impôt. Selon cette disposition, le taux d’imposition appliqué aux revenus imposables est celui qui serait applicable si les revenus tirés de l’activité non indépendante exonérée étaient inclus dans le calcul de l’impôt.
9 Le titre VI de l’instruction du ministère des Finances, relatif aux dispositions procédurales, prévoit, au paragraphe 1, premier alinéa, que la renonciation au prélèvement de l’impôt par la procédure de la retenue à la source, qui entraîne la délivrance d’un certificat d’exonération, doit être demandée par l’employeur ou le salarié auprès du bureau d’imposition du lieu où se trouve l’établissement de l’employeur. Selon ce même alinéa, il n’est pas nécessaire de prouver qu’un impôt équivalent à l’impôt allemand sur le revenu est perçu sur le revenu du travail dans l’État dans lequel l’activité est exercée. Le titre VI, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette instruction dispose que, s’il est indiqué avec vraisemblance que les conditions visées aux titres I et II de ladite instruction sont réunies, le certificat d’exonération peut être délivré tant qu’il est possible à l’employeur de modifier la retenue à la source. Conformément au titre VI, paragraphe 2, de la même instruction, dans la mesure où la renonciation au prélèvement de l’impôt à la source n’a pas encore été faite, le salarié doit demander la renonciation à l’imposition auprès du bureau d’imposition de son domicile.
10 L’article 15 de la convention du 22 novembre 1995 entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Danemark visant à éviter la double imposition dans le domaine de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune, ainsi que de l’impôt sur les héritages, successions et donations, et relative à l’assistance en matière fiscale (BGBl. 1996 II, p. 2565) dispose, en substance, que les salaires qu’un résident d’un des États contractants reçoit au titre d’un emploi salarié sont imposables dans le seul État de résidence, sauf si l’emploi est exercé dans l’autre État. Dans ce cas, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.
11 Aucune convention de prévention de la double imposition n’a été conclue entre la République fédérale d’Allemagne et la République du Bénin.
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Depuis le mois de novembre 1991, les époux Petersen, requérants au principal, sont propriétaires d’un appartement situé à Ludwigshafen (Allemagne) où ils résident officiellement avec leur fille depuis le 1er février 1992. M. Petersen, ressortissant danois, est propriétaire, depuis 1984, d’une maison de vacances située à Helsinge (Danemark).
13 M. Petersen était employé comme salarié par l’entreprise Hoffmann A/S, établie à Glostrup (Danemark). Dans le cadre de cette activité, il a été envoyé au Bénin pour une période de trois ans à compter du 15 janvier 2002 pour collaborer à un projet financé par l’Agence danoise pour le développement international. Cette activité s’inscrivait dans le cadre d’un projet d’aide au développement. Les revenus de M. Petersen au titre de ces activités se sont élevés à 449 200 DKK, soit environ 60 200 euros, pour l’année 2003.
14 Au mois de janvier 2002, l’employeur de M. Petersen a demandé à l’administration fiscale de Helsinge l’exonération des revenus qui seraient versés à celui-ci durant la période de mission au Bénin. Cette administration a fait savoir qu’il ne serait retenu, à compter du 15 janvier 2002, aucun impôt sur ces revenus.
15 Pour l’année 2003, les époux Petersen ont demandé à l’administration fiscale allemande l’application du régime de l’imposition commune à l’impôt sur le revenu et ont indiqué que leur résidence était située à Ludwigshafen. Ils ont fait valoir que les revenus tirés par M. Petersen des activités exercées au Bénin et perçus d’un employeur danois ne devaient pas être soumis à l’impôt sur le revenu en Allemagne et que, en vertu de l’article 15 de la convention du 22 novembre 1995 entre la République fédérale d’Allemagne et le Royaume de Danemark, seul ce dernier était compétent pour imposer ces revenus.
16 À titre subsidiaire, les époux Petersen ont demandé l’exonération desdits revenus en soutenant que, dans des circonstances comparables, les revenus provenant d’une activité salariée effectuée dans un autre État dans le cadre d’une activité d’aide au développement pour un employeur établi sur le territoire national seraient exonérés d’impôt sur le revenu, en application de l’instruction du ministère des Finances.
17 Dans son avis d’imposition pour l’année 2003, le Finanzamt Ludwigshafen a assujetti l’intégralité des revenus de M. Petersen à l’impôt sur le revenu et a fixé le montant de cet impôt à 29 718 euros.
18 La réclamation introduite par les requérants au principal à l’encontre de cet avis d’imposition ayant été rejetée, ces derniers ont introduit un recours devant le Finanzgericht Rheinland-Pfalz.
19 Cette juridiction relève, tout d’abord, que, selon son appréciation des faits, ainsi que celle du droit applicable, les revenus litigieux, perçus par M. Petersen, relèvent en principe de l’impôt sur le revenu en Allemagne.
20 Ensuite, le Finanzgericht Rheinland-Pfalz fait valoir que, dans la mesure où M. Petersen ne peut pas prétendre à l’avantage fiscal que prévoit l’instruction du ministère des Finances, son employeur n’étant pas un «résident» au sens de cette dernière et les activités du requérant au principal et de son employeur ne relevant pas de l’aide publique allemande au développement, celui-ci subit une charge fiscale supérieure à celle à laquelle serait soumis un travailleur salarié résident qui exerce une activité similaire pour un employeur résident.
21 Le Finanzgericht Rheinland-Pfalz estime, enfin, que les activités de l’employeur du requérant au principal relèvent du champ d’application de l’article 56 TFUE et la réglementation nationale en cause au principal pourrait constituer une restriction non justifiée à la libre prestation des services d’un employeur établi dans un autre État membre. En effet, la charge fiscale plus élevée à laquelle est soumis un salarié, dans la situation du requérant au principal, rendrait ses activités moins attractives, en termes économiques, en comparaison avec celles des salariés résidant en Allemagne ayant conclu des contrats de travail similaires avec des entreprises établies en Allemagne et opérant dans le cadre de l’aide au développement. Le désavantage fiscal ne pourrait être compensé par l’employeur d’un autre État membre que par le versement d’un salaire brut plus élevé, ce qui l’inciterait à engager les salariés qui résident dans son État et qui y sont imposés et affecterait donc ses possibilités de recruter des salariés qualifiés dans un autre État membre. Les salariés ayant les mêmes qualifications se limiteraient à envisager exclusivement des rapports de travail dans leur État membre de résidence.
22 Dans ces circonstances, le Finanzgericht Rheinland-Pfalz a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Une disposition juridique qui subordonne l’exonération fiscale des revenus salariaux d’une personne assujettie à l’impôt national à la condition que son employeur soit établi sur le territoire national, mais qui n’accorde pas une telle exonération si l’employeur est établi dans un autre État membre [...], est-elle compatible avec l’article 49 CE [...]?»
Sur la question préjudicielle
Observations liminaires
Sur la liberté de circulation pertinente
23 Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi et, dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question qui lui est posée (voir, notamment, arrêts du 4 mai 2006, Haug, C-286/05, Rec. p. I-4121, point 17; du 11 mars 2008, Jager, C-420/06, Rec. p. I-1315, point 46, et du 8 décembre 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-157/10, Rec. p. I-13023, point 18).
24 De même, selon une jurisprudence également constante, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction qui est à l’origine d’un renvoi préjudiciel, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes de droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans ses questions préjudicielles (voir, notamment, arrêts du 12 octobre 2004, Wolff & Müller, C-60/03, Rec. p. I-9553, point 24; du 7 juillet 2005, Weide, C-153/03, Rec. p. I-6017, point 25; du 23 février 2006, van Hilten-van der Heijden, C-513/03, Rec. p. I-1957, point 26, ainsi que Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, précité, point 19).
25 Par sa question, la juridiction de renvoi demande si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale d’un État membre selon laquelle des revenus perçus au titre d’activités salariées par un contribuable résident de cet État membre et assujetti de manière illimitée sont exonérés d’impôt sur le revenu lorsque l’employeur est établi dans ledit État membre, mais ne le sont pas lorsqu’il est établi dans un autre État membre.
26 Le gouvernement allemand ainsi que la Commission européenne estiment toutefois que l’affaire au principal ne saurait être examinée au regard de l’article 56 TFUE. La Commission fait ainsi valoir qu’une disposition nationale ayant pour objet la limitation du bénéfice d’une exonération aux contribuables salariés au service d’un employeur établi dans l’État membre concerné doit être examinée au regard de la libre circulation des travailleurs. Selon le gouvernement allemand, en revanche, la libre circulation des travailleurs est également dénuée de pertinence, dans la mesure où le requérant au principal a exercé l’activité litigieuse dans un État tiers.
27 Il convient, dès lors, de déterminer au préalable si, et le cas échéant dans quelle mesure, une législation nationale telle que celle en cause au principal est susceptible d’affecter l’exercice de la libre prestation des services et de la libre circulation des travailleurs.
28 Il résulte d’une jurisprudence bien établie que, pour déterminer si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés fondamentales garanties par le traité FUE, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (voir arrêt du 1er juillet 2010, Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C-233/09, Rec. p. I-6649, point 26 ainsi que jurisprudence citée).
29 Dans l’affaire au principal, la réglementation nationale a pour objet d’accorder, dans certaines conditions, un avantage fiscal relatif à la rémunération qu’un travailleur salarié perçoit de son employeur. En effet, l’introduction de l’instruction du ministère des Finances précise que le revenu du travail que les salariés d’un employeur établi sur le territoire national perçoivent pour une activité effectuée dans un autre État bénéficiant du régime instauré par ladite instruction est exonéré d’impôt sur le revenu.
30 Or, il importe de rappeler que, d’une part, doit être considérée comme «travailleur» au sens de l’article 45 TFUE toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique de la relation de travail est, selon la jurisprudence de la Cour, la circonstance qu’une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération (voir, notamment, arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, Rec. p. 2121, point 17; du 23 mars 2004, Collins, C-138/02, Rec. p. I-2703, point 26, et du 7 septembre 2004, Trojani, C-456/02, Rec. p. I-7573, point 15).
31 D’autre part, il y a lieu de relever que l’article 57, paragraphe 1, TFUE prévoit que, au sens des traités, sont considérées comme des services les prestations fournies normalement contre rémunération dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. Il découle en outre de la jurisprudence de la Cour que les dispositions relatives à la libre prestation des services se rapportent à des activités effectuées par des prestataires indépendants (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 1997, SETTG, C-398/95, Rec. p. I-3091, point 7).
32 Il s’ensuit qu’une réglementation, qui vise l’imposition d’un travailleur salarié qui accomplit des prestations en faveur et sous la direction d’un employeur en contrepartie d’une rémunération et qui se trouve donc dans une relation de travail salarié, caractérisée par le rapport de subordination et le paiement d’une rémunération en contrepartie des prestations apportées, telle que, sous réserve de vérifications par la juridiction de renvoi, celle en cause au principal, relève des dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs.
33 À supposer qu’une telle réglementation ait des effets restrictifs sur la libre prestation des services des employeurs établis dans un autre État membre, tels que ceux évoqués par la juridiction de renvoi ou par les requérants au principal et consistant en un traitement plus favorable des employeurs établis sur le territoire national par rapport à ceux établis dans un autre État membre s’agissant de l’engagement du personnel qualifié pouvant être détaché dans le cadre de projets d’aide au développement dans un autre État, de tels effets seraient la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté de circulation des travailleurs et ne justifient pas, dès lors, un examen autonome au regard de l’article 56 TFUE.
Sur l’applicabilité de l’article 45 TFUE
34 Il importe de rappeler que tout ressortissant de l’Union européenne, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de résidence, relève du champ d’application de l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2002, de Groot, C-385/00, Rec. p. I-11819, point 76 et jurisprudence citée).
35 En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (arrêts du 7 juillet 1992, Singh, C-370/90, Rec. p. I-4265, point 16; du 26 janvier 1999, Terhoeve, C-18/95, Rec. p. I-345, point 37, et de Groot, précité, point 77).
36 Même si, selon leur libellé, les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs visent notamment à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État d’origine entrave la libre acceptation et l’exercice d’un emploi par l’un de ses ressortissants dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts précités Terhoeve, points 27 à 29, et de Groot, point 79).
37 Par analogie, les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs s’opposent également à ce que l’État membre de résidence d’un contribuable ressortissant de l’Union entrave la libre acceptation et l’exercice d’un emploi dans un autre État membre, même dans l’hypothèse où ce dernier est l’État membre de nationalité dudit résident.
38 Le gouvernement allemand fait cependant valoir que, dans le litige au principal, l’article 45 TFUE ne saurait être invoqué, dans la mesure où le requérant au principal a exercé l’activité litigieuse dans un État tiers et qu’il n’existe pas de lien suffisant entre les territoires des deux États membres en cause. Aux fins de l’application du droit de l’Union, un salarié qui exerce une activité dans le cadre de l’aide au développement de manière ciblée exclusivement dans un État tiers ne saurait être considéré comme exerçant en même temps ou même principalement une activité transfrontalière au sein de l’Union.
39 À cet égard, force est de rappeler que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, lorsqu’une affaire concerne un ressortissant d’un État membre qui est employé, en tant que salarié, par une société établie dans un autre État membre, une telle affaire relève en principe des dispositions du droit de l’Union sur la libre circulation des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 1984, Prodest, 237/83, Rec. p. 3153, point 5).
40 La Cour a également jugé que les dispositions du droit de l’Union relatives à la libre circulation des travailleurs s’imposent pour une appréciation de tous rapports juridiques, dans toute la mesure où ces rapports, en raison soit du lieu où ils sont établis, soit du lieu où ils produisent leurs effets, peuvent être localisés sur le territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Prodest, précité, point 6).
41 En effet, des dispositions de droit de l’Union peuvent s’appliquer à des activités professionnelles exercées en dehors du territoire de l’Union, dès lors que la relation de travail garde un rattachement suffisamment étroit avec ce territoire (voir en ce sens, notamment, arrêts Prodest, précité, point 6; du 27 septembre 1989, Lopes da Veiga, 9/88, Rec. p. 2989, point 15, et du 29 juin 1994, Aldewereld, C-60/93, Rec. p. I-2991, point 14). Ce principe doit s’entendre comme visant également les cas dans lesquels la relation de travail est rattachée de façon suffisante au droit d’un État membre et, par conséquent, aux règles pertinentes du droit de l’Union (arrêt du 30 avril 1996, Boukhalfa, C-214/94, Rec. p. I-2253, point 15).
42 Dans un cas comme celui de l’affaire au principal, un tel rattachement découle de la circonstance qu’un citoyen de l’Union, résidant dans un État membre, a été engagé par une entreprise établie dans un autre État membre pour le compte de laquelle il exerce ses activités. De plus, selon le requérant au principal et sous réserve de vérification de ce point par la juridiction de renvoi, le contrat de travail passé avec son employeur, une entreprise située au Danemark, est conclu conformément au droit danois. En outre, ainsi que le relève le gouvernement allemand, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, M. Petersen est assuré social au Danemark et le compte sur lequel le salaire est versé est situé dans ce même État membre.
43 La circonstance que le requérant au principal a exercé son activité dans le cadre de l’aide au développement de manière ciblée exclusivement dans un État tiers ne saurait remettre en cause les éléments de rattachement au droit de l’Union rappelés au point précédent qui sont suffisants pour permettre au requérant au principal d’invoquer, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’article 45 TFUE.
Sur l’existence d’une restriction
44 La possibilité pour un contribuable résident de bénéficier de l’exonération de l’impôt sur le revenu, prévue par la réglementation en cause au principal, constitue un avantage fiscal.
45 Ledit avantage n’est accordé que lorsque le contribuable résident en Allemagne est employé par un employeur établi dans ce même État membre et n’est pas accordé lorsque ledit contribuable est employé par un employeur établi dans un autre État membre.
46 En instaurant ainsi une différence de traitement des revenus des travailleurs salariés en fonction de l’État membre d’établissement de leur employeur, la réglementation nationale en cause au principal est susceptible de dissuader lesdits travailleurs d’accepter un emploi auprès d’un employeur établi dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne et constitue ainsi une restriction à la libre circulation des travailleurs, prohibée, en principe, par l’article 45 TFUE.
47 Une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, en pareil cas, que l’application d’une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir arrêt du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais, C-325/08, Rec. p. I-2177, point 38, et du 8 novembre 2012, Radziejewski, C-461/11, point 33).
48 Le gouvernement allemand fait valoir que la réglementation en cause au principal est justifiée, en premier lieu, par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux.
49 Selon ce gouvernement, d’une part, lorsque les activités sont exercées au profit d’un organisme ayant son siège dans un autre État membre, l’administration fiscale allemande pourrait difficilement vérifier si les conditions d’une éventuelle exonération de l’impôt sont remplies, puisqu’elle ne peut pas prendre directement contact avec les autorités étatiques qui gèrent l’aide au développement, à la différence des situations des organismes ayant leur siège en Allemagne et opérant dans le cadre de l’aide publique allemande au développement. D’autre part, les dispositions de droit dérivé concernant l’assistance administrative en matière fiscale ne peuvent être invoquées lorsqu’il s’agit des contrôles devant être effectués dans des États tiers.
50 À cet égard, la Cour a déjà jugé que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité (voir, notamment, arrêt du 18 décembre 2007, A, C-101/05, Rec. p. I-11531, point 55, et du 5 juillet 2012, SIAT, C-318/10, point 36).
51 Toutefois, un État membre ne saurait invoquer l’impossibilité de solliciter la collaboration d’un autre État membre pour effectuer des recherches ou recueillir des informations afin de justifier le refus d’un avantage fiscal. En effet, rien n’empêche les autorités fiscales concernées d’exiger du contribuable les preuves qu’elles jugent nécessaires pour l’établissement correct des impôts et des taxes concernés et, le cas échéant, de refuser l’exonération demandée si ces preuves ne sont pas fournies (voir arrêt du 11 octobre 2007, ELISA, C-451/05, Rec. p. I-8251, point 95).
52 En effet, il ne saurait être exclu a priori que le contribuable soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l’État membre d’imposition de vérifier, de façon claire et précise, qu’il remplit les conditions pour bénéficier de l’avantage fiscal en question (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 1999, Baxter e.a., C-254/97, Rec. p. I-4809, point 20; du 10 mars 2005, Laboratoires Fournier, C-39/04, Rec. p. I-2057, point 25; ELISA, précité, point 96, ainsi que A, précité, point 59).
53 Dans l’affaire au principal, il découle de l’instruction du ministère des Finances, notamment de son titre VI qui contient des règles de procédure, que, afin de bénéficier de l’avantage fiscal en cause au principal, le contribuable doit fournir à l’administration compétente des documents appropriés qui établissent que les conditions pour bénéficier de l’exonération de l’impôt sont réunies. Il incombe au salarié de prouver que l’employeur est établi en Allemagne, que ce dernier mène des activités dans le cadre de l’aide au développement et qu’il est lui-même titulaire d’un contrat de travail portant sur une activité ininterrompue d’une durée d’au moins trois mois dans un État avec lequel la République fédérale d’Allemagne n’a pas signé de convention préventive de la double imposition.
54 Contrairement à ce que suggère le gouvernement allemand, aucune vérification auprès des autorités gérant l’aide au développement, que ce soit une autorité allemande ou celle d’un autre État membre, qui serait susceptible de poser des difficultés aux autorités fiscales allemandes, ne semble être nécessaire en vertu de la réglementation nationale.
55 Certes, la Cour a également jugé que, lorsque la réglementation d’un État membre fait dépendre le bénéfice d’un avantage fiscal de la satisfaction de conditions dont le respect ne peut être vérifié qu’en obtenant des renseignements des autorités compétentes d’un État tiers, il est, en principe, légitime pour cet État membre de refuser l’octroi de cet avantage si, notamment en raison de l’absence d’une obligation conventionnelle de cet État tiers de fournir des informations, il s’avère impossible d’obtenir ces renseignements dudit État (arrêts A, précité, point 63, et du 27 janvier 2009, Persche, C-318/07, Rec. p. I-359, point 70). En effet, le cadre de coopération entre les autorités compétentes des États membres, établi par la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15), ainsi que par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799 (JO L 64, p. 1), n’existe pas entre celles-ci et les autorités compétentes d’un État tiers lorsque ce dernier n’a pris aucun engagement d’assistance mutuelle (arrêt du 19 juillet 2012, A, C-48/11, point 35).
56 Toutefois, il découle de l’instruction du ministère des Finances qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve que l’activité exercée dans l’État tiers y est soumise à un impôt comparable à l’impôt sur le revenu allemand.
57 Par conséquent, la réglementation en cause au principal ne semble pas faire dépendre le bénéfice d’un avantage fiscal de la satisfaction de conditions dont le respect ne peut être vérifié qu’en obtenant des renseignements des autorités compétentes d’un État tiers.
58 Il s’ensuit que la restriction en cause au principal ne saurait être justifiée par la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux.
59 En second lieu, le gouvernement allemand fait valoir que l’avantage fiscal prévu par la réglementation nationale en cause au principal poursuit des objectifs de politique du développement, en permettant aux organisations d’aide au développement de bénéficier de coûts salariaux plus bas. Selon ledit gouvernement, les États membres doivent demeurer libres de promouvoir de manière ciblée, par des avantages fiscaux et en fonction de leurs propres priorités, des activités s’inscrivant dans le contexte de la coopération publique de chaque État membre en matière de développement. L’incitation fiscale créée par la réglementation nationale en cause au principal serait nécessaire pour mettre en œuvre lesdits objectifs et la République fédérale d’Allemagne ne disposerait pas de moyens suffisants pour respecter ses propres engagements si elle devait encourager également les activités des organisations ayant leur siège dans d’autres États membres.
60 À cet égard, il suffit de constater que seule la condition relative à l’établissement de l’entreprise sur le territoire national fait l’objet de la question de la juridiction de renvoi soumise à la Cour.
61 Or, par ses arguments relatifs à la poursuite des objectifs de la politique de développement allemande, le gouvernement allemand n’explique pas les raisons pour lesquelles seules les entreprises établies sur le territoire allemand peuvent être considérées comme capables de poursuivre les activités visant à atteindre de tels objectifs.
62 Dans ces conditions, il convient de répondre à la question posée que l’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale d’un État membre selon laquelle des revenus perçus au titre d’activités salariées par un contribuable résident de cet État membre et assujetti de manière illimitée sont exonérés d’impôt sur le revenu lorsque l’employeur est établi dans ledit État membre, mais ne le sont pas lorsqu’il est établi dans un autre État membre.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
L’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale d’un État membre selon laquelle des revenus perçus au titre d’activités salariées par un contribuable résident de cet État membre et assujetti de manière illimitée sont exonérés d’impôt sur le revenu lorsque l’employeur est établi dans ledit État membre, mais ne le sont pas lorsqu’il est établi dans un autre État membre.
Signatures
* Langue de procédure: l’allemand.