ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
26 février 2015 (*)
«Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée – Déductions – Exonérations – Fournitures de prothèses dentaires»
Dans les affaires jointes C-144/13, C-154/13 et C-160/13,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décisions des 1er et 8 mars 2013, parvenues à la Cour respectivement les 21, 27 et 28 mars 2013, dans les procédures
VDP Dental Laboratory NV
contre
Staatssecretaris van Financiën (C-144/13),
et
Staatssecretaris van Financiën
contre
X BV (C-154/13),
Nobel Biocare Nederland BV (C-160/13),
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. S. Rodin, A. Borg Barthet (rapporteur), Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 mai 2014,
considérant les observations présentées:
– pour VDP Dental Laboratory NV, par M. R. Oorthuizen, belastingadviseur,
– pour Nobel Biocare Nederland BV, par M. G. C. Bulk, adviseur,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et M. Noort ainsi que par M. J. Langer, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. A. Cordewener et E. Manhaeve, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2014,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2005/92/CE du Conseil, du 12 décembre 2005 (JO L 345, p. 19, ci-après la «sixième directive»), et des articles 140, sous a) et b), et 143, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2007/75/CE du Conseil, du 20 décembre 2007 (JO L 346, p. 13, ci-après la «directive TVA»), lus en combinaison avec les articles 132, paragraphe 1, sous e), et 370 de cette directive.
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois litiges opposant VDP Dental Laboratory NV (ci-après «VDP») au Staatssecretaris van Financiën (ci-après le «Staatssecretaris») et le Staatssecretaris, d’une part, à X BV (ci-après «X») et, d’autre part, à Nobel Biocare Nederland BV (ci-après «Nobel») au sujet de la perception de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») pour les exercices 2006 et 2008.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les procédures au principal concernent la perception de la TVA pour les exercices 2006 et 2008. En conséquence, les directives applicables sont la sixième directive ainsi que la directive TVA. Selon la période concernée dans le cas d’espèce, il conviendra de tenir compte des dispositions pertinentes telles que libellées dans la sixième directive ou dans la directive TVA.
La sixième directive
4 L’article 13, A, de la sixième directive, relatif aux exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général à l’intérieur du pays, dispose:
«1. Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et [tout] abus éventuels:
[...]
e) les prestations de service effectuées dans le cadre de leur profession par les mécaniciens-dentistes, ainsi que les fournitures de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes;
[...]»
5 L’article 17 de cette directive, dans sa version résultant de l’article 28 septies de celle-ci (ci-après l’«article 17 de la sixième directive») et intitulé «Naissance et étendue du droit à déduction», prévoit à ses paragraphes 1 et 2:
«1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.
2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;
b) la [TVA] due ou acquittée pour les biens importés à l’intérieur du pays;
c) la [TVA] due conformément à l’article 5 paragraphe 7 point a), à l’article 6 paragraphe 3 et à l’article 28 bis paragraphe 6.
d) la [TVA] due conformément à l’article 28 bis paragraphe 1 point a).»
La directive TVA
6 L’article 131 de la directive TVA énonce:
«Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent sans préjudice d’autres dispositions communautaires et dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et [tout] abus éventuels.»
7 L’article 132, paragraphe 1, de cette directive, anciennement article 13, A, de la sixième directive, dispose:
«Les États membres exonèrent les opérations suivantes:
[...]
d) les livraisons d’organes, de sang et de lait humains;
e) les prestations de services effectuées dans le cadre de leur profession par les mécaniciens-dentistes, ainsi que les fournitures de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes;
[...]»
8 L’article 138, paragraphe 1, de ladite directive énonce:
«Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens.»
9 Aux termes de l’article 140 de la même directive:
«Les États membres exonèrent les opérations suivantes:
a) les acquisitions intracommunautaires de biens dont la livraison par des assujettis est, en tout état de cause, exonérée sur leur territoire respectif;
b) les acquisitions intracommunautaires de biens dont l’importation est, en tout état de cause, exonérée en vertu des dispositions de l’article 143, points a), b), c) et e) à l);
[...]»
10 L’article 143, sous a), de la directive TVA dispose:
«Les États membres exonèrent les opérations suivantes:
a) les importations définitives de biens dont la livraison par des assujettis est, en tout état de cause, exonérée sur leur territoire respectif».
11 L’article 167 de la directive TVA est libellé comme suit:
«Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.»
12 L’article 168 de cette directive, ancien article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, dispose:
«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti;
b) la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, point a), et à l’article 27;
c) la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b) i);
d) la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22;
e) la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre.»
13 La directive TVA prévoit également différentes «[dé]rogations pour les États faisant partie de la Communauté au 1er janvier 1978», notamment sur le fondement de son article 370 qui prévoit:
«Les États membres qui, au 1er janvier 1978, taxaient les opérations dont la liste figure à l’annexe X, partie A, peuvent continuer à les taxer.»
14 L’annexe X de cette directive, dans sa partie A intitulée «Opérations que les États membres peuvent continuer à taxer», prévoit à son point 1:
«Les prestations de services effectuées dans le cadre de leur profession par les mécaniciens-dentistes, ainsi que les livraisons de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes».
15 L’article 90 CE (désormais article 110 TFUE) était libellé comme suit:
«Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires.
En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres productions.»
Le droit néerlandais
16 L’article 11, paragraphe 1, sous g), 1°, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting), du 28 juin 1968 (Staatsblad 1968, no 329, ci-après le «code TVA»), dans sa version en vigueur du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2007, dispose:
«Sont exonérés de la TVA aux conditions qui seront fixées par mesure générale d’administration:
les services fournis par des professionnels dont la profession est régie par ou en vertu de la loi sur les professions du secteur de la santé individuelle [Wet op de beroepen in de individuele gezondheidszorg]; les services des psychologues et des mécaniciens-dentistes; les fournitures de prothèses dentaires; le transport de malades ou de blessés par ambulance automobile.»
17 Dans sa version en vigueur en 2008, l’article 11, paragraphe 1, sous g), 1°, de ce code est rédigé comme suit:
«Sont exonérés de la TVA aux conditions qui seront fixées par mesure générale d’administration:
le traitement médical de l’homme dans le cadre de l’exercice de professions médicales et paramédicales régies par ou en vertu de la loi sur les professions du secteur de la santé individuelle ainsi que le traitement de l’homme par des psychologues; les services fournis par des mécaniciens-dentistes en cette qualité; les fournitures de prothèses dentaires par des dentistes et des mécaniciens-dentistes; le transport de malades ou de blessés par ambulance automobile.»
18 L’article 15, paragraphe 2, dudit code, dans sa version en vigueur en 2006, énonce les règles suivantes:
«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de prestations de l’entrepreneur au sens des articles 11 et 28k, la déduction de la taxe ne peut avoir lieu que s’il s’agit de prestations visées à l’article 11, sous i), j) et k), à condition que l’acheteur de ces prestations réside ou soit établi en dehors de la Communauté ou à la condition que ces prestations portent directement sur des marchandises destinées à être exportées en dehors de la Communauté.»
19 L’article 17e du code TVA énonce:
«Aux conditions et aux restrictions qu’il fixera, un arrêté ministériel exonère de la taxe les acquisitions intracommunautaires de biens
a. pour lesquels la livraison aux Pays-Bas est en tout état de cause exonérée;
b. pour lesquels une exonération s’appliquerait en tout état de cause au moment de l’importation;
c. pour lesquels existerait en tout état de cause un droit à restitution complète.»
20 L’article 21, sous c), du code TVA dispose:
«Aux conditions et restrictions qu’il fixera, un arrêté ministériel accorde l’exonération de la taxe pour:
a) l’importation de marchandises dont la livraison aux Pays-Bas est en tout état de cause exonérée.»
21 L’article 16a, paragraphe 1, sous a), de l’arrêté de mise en œuvre du code TVA dispose:
«Sont désignées comme des acquisitions intracommunautaires au sens de l’article 17e:
a) les acquisitions intracommunautaires d’organes humains, de sang humain et de lait humain.»
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C-144/13
22 Le litige au principal dans l’affaire C-144/13 concerne VDP, établie aux Pays-Bas, intermédiaire dans la vente de prothèses dentaires. Sur commande préalable de dentistes établis aux Pays-Bas ou en dehors de cet État membre, elle fait fabriquer ses prothèses par des laboratoires ayant la qualité de mécaniciens-dentistes établis en dehors des Pays-Bas aussi bien à l’intérieur qu’en dehors de l’Union européenne. Les laboratoires concernés livrent les prothèses dentaires à VDP, laquelle les fait à son tour parvenir aux dentistes qui les ont commandées. Les prothèses dentaires que VDP reçoit en provenance d’États ne faisant pas partie du territoire douanier de l’Union sont déclarées à leur arrivée aux Pays-Bas en vue de leur mise en libre pratique.
23 Dans sa déclaration TVA pour le premier trimestre de l’année 2006, VDP a déclaré, en ce qui concerne les livraisons de prothèses dentaires effectuées au cours de cette période auprès de dentistes établis aux Pays-Bas, que les livraisons en question étaient exonérées de la TVA, conformément à l’article 11, paragraphe 1, sous g), 1°, du code TVA, dans sa version en vigueur jusqu’au 1er janvier 2008. Elle a, en outre, défalqué la TVA, qui lui avait été facturée durant ce trimestre, sur les livraisons des prothèses concernées, en se fondant sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, donnée par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt VDP Dental Laboratory (C-401/05, EU:C:2006:792). L’Inspecteur a refusé cette déduction sur le fondement de l’article 15, paragraphe 2, du code TVA et a rejeté la réclamation introduite par VDP.
24 Pour les livraisons de prothèses dentaires effectuées à des dentistes établis aux Pays-Bas au cours du troisième trimestre de l’année 2008, VDP n’a acquitté aucune TVA par voie de déclaration, se fondant sur le fait qu’elle bénéficiait, depuis le 1er janvier 2008, du statut de «mécanicien-dentiste», au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA, et estimant, dès lors, qu’elle bénéficiait d’une exonération, conformément à l’article 11, paragraphe 1, sous g), 1°, du code TVA. Conformément à l’article 15, paragraphe 2, de ce code, VDP n’a pas déduit la taxe qui lui avait été facturée au cours de ce trimestre pour les livraisons concernées.
25 En outre, VDP a, pour ledit trimestre, déclaré et acquitté la taxe au titre de l’importation et de l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires en provenance de laboratoires établis en dehors des Pays-Bas. Toutefois, par la suite, elle a estimé ne pas être redevable de cette taxe en ce qui concerne l’importation des prothèses déclarées, conformément à l’article 21, sous c), du code TVA, lu en combinaison avec l’article 143, sous a), de la directive TVA, et, en ce qui concerne les acquisitions intracommunautaires de telles prothèses, conformément à l’article 17e, sous a), du code TVA, lu en combinaison avec l’article 140, sous a), de la directive TVA. La réclamation introduite par VDP à ce sujet a elle aussi été rejetée par l’Inspecteur.
26 En ce qui concerne le premier trimestre de l’année 2006, le Rechtbank te Haarlem a rejeté le recours de VDP et a estimé que l’application de l’exonération conformément à l’article 11, paragraphe 1, sous g), du code TVA entraînait l’exclusion de la déduction de la taxe en amont conformément à l’article 15, paragraphe 2, du code TVA. VDP a introduit un pourvoi en cassation contre le jugement rendu par cette juridiction.
27 En ce qui concerne le troisième trimestre de l’année 2008, le Rechtbank te Haarlem a estimé fondé le recours introduit par VDP et a considéré que, conformément, d’une part, à l’article 21, sous c), du code TVA, lu en combinaison avec l’article 143, sous a), de la directive TVA, et, d’autre part, à l’article 17e, sous a), du code TVA, lu en combinaison avec l’article 140, sous a), de la directive TVA, aucune TVA n’est due en matière d’importation et d’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires, la base étant toujours une livraison effectuée par un mécanicien-dentiste étranger, et une telle livraison aux Pays-Bas est exonérée. Le Staatssecretaris a introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.
28 Selon le Hoge Raad der Nederlanden, tant le pourvoi introduit par VDP que celui du Staatssecretaris entraînent des questions de droit de l’Union.
29 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens qu’il confère un droit à déduction à l’assujetti même lorsqu’une disposition légale nationale prévoit une exonération non prévue par cette directive (exonération qui exclut du droit à déduction)?
2) Les articles 143, sous a), et 140, sous a) et b), de la directive TVA doivent-ils être interprétés en ce sens que les exonérations de la taxe qu’ils prévoient ne s’appliquent pas à l’importation et à l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires? En cas de réponse négative, le bénéfice des exonérations est-il soumis à la condition que les prothèses dentaires soient livrées au départ de l’étranger par un dentiste ou un mécanicien-dentiste ou qu’elles soient livrées à un dentiste ou à un mécanicien-dentiste ou bien est-il subordonné à ces deux conditions cumulées?»
L’affaire C-154/13
30 L’affaire C-154/13 concerne X, établie aux Pays-Bas, qui exploite un cabinet dentaire dont les activités sont, conformément à l’article 11, paragraphe 1, sous g), 1°, du code TVA, exonérées de la TVA sans droit à déduction. Au cours de la période allant du 1er janvier au 30 septembre 2008, X a acquis, auprès d’un mécanicien-dentiste établi en Allemagne, des prothèses dentaires qui ont été transportées et livrées à X au départ de l’Allemagne sans facturation de la TVA. X n’a pas acquitté de TVA par voie de déclaration au titre d’acquisitions intracommunautaires en ce qui concerne ces achats. L’Inspecteur est d’avis qu’il s’agit pourtant de telles acquisitions et a établi un avis de redressement.
31 Le Rechtbank te ’s-Gravenhage a déclaré le recours de X fondé. Selon cette juridiction, l’article 17e du code TVA et l’article 140 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que, dans le cas d’une livraison d’une prothèse dentaire par un dentiste ou un mécanicien-dentiste établi en dehors des Pays-Bas, l’acquisition intracommunautaire correspondante par un client aux Pays-Bas est exonérée de la TVA, étant donné qu’une telle livraison est également exonérée lorsqu’elle est effectuée aux Pays-Bas. Le Staatssecretaris a introduit un pourvoi en cassation contre cette décision et a renvoyé, notamment, à l’assujettissement à l’impôt des livraisons de prothèses dentaires en Allemagne.
32 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 140, sous a) et b), de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens que l’exonération de la TVA qu’il prévoit ne s’applique pas à l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires? S’il est répondu par la négative, le bénéfice de l’exonération est-il soumis à la condition que les prothèses dentaires soient livrées au départ de l’étranger par un dentiste ou un mécanicien-dentiste ou qu’elles soient livrées à un dentiste ou à un mécanicien-dentiste ou bien est-il subordonné à ces deux conditions cumulées?
2) Si l’exonération de la TVA visée à l’article 140, sous a) et b), de la directive TVA (que ce soit ou non dans les conditions décrites à la première question) s’applique à l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires dans les pays qui, comme le Royaume des Pays-Bas, se sont conformés à l’exonération visée à l’article 132 de la directive TVA, l’exonération s’applique-t-elle également à l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires en provenance d’un État membre qui a fait usage du régime dérogatoire et transitoire prévu à l’article 370 de la directive TVA?»
L’affaire C-160/13
33 L’affaire C-160/13 concerne Nobel, établie aux Pays-Bas, qui bénéficie du statut de mécanicien-dentiste au sens de l’article 11, paragraphe 1, sous g), 1°, du code TVA. Nobel est un intermédiaire dans la vente de prothèses dentaires. Elle vend et livre ces prothèses, sur commande préalable, à des laboratoires dentaires établis aux Pays-Bas. Les prothèses dentaires sont fabriquées en Suède par la société mère de Nobel, A AB (ci-après «A»), qui est également mécanicien-dentiste. A livre les prothèses, moyennant une rémunération convenue, à Nobel, qui livre ensuite celles-ci auxdits laboratoires.
34 En ce qui concerne les prothèses dentaires livrées au mois de décembre 2008, A n’a pas facturé de TVA. Pour ce qui est de ces fournitures, Nobel a acquitté, par voie de déclaration, la TVA grevant les acquisitions intracommunautaires. Elle a ensuite introduit une réclamation à ce sujet. Le Rechtbank te Haarlem lui a donné raison et a estimé que l’article 17e du code TVA et l’article 140 de la directive TVA devaient être interprétés en ce sens que, en cas de livraison d’une prothèse dentaire par un dentiste ou un mécanicien-dentiste établi en dehors des Pays-Bas, l’acquisition intracommunautaire correspondante par un client aux Pays-Bas était exonérée de la TVA, étant donné qu’une telle fourniture est elle aussi exonérée lorsqu’elle est effectuée aux Pays-Bas. Le Staatssecretaris a introduit un pourvoi en cassation contre le jugement rendu par cette juridiction.
35 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 140, sous a) et b), de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens que l’exonération de la TVA qu’il prévoit ne s’applique pas à l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires? S’il est répondu par la négative, le bénéfice de l’exonération est-il soumis à la condition que les prothèses dentaires soient livrées au départ de l’étranger par un dentiste ou un mécanicien-dentiste ou qu’elles soient livrées à un dentiste ou à un mécanicien-dentiste ou bien est-il subordonné à ces deux conditions cumulées?»
36 Par ordonnance du président de la Cour du 4 juin 2013, les affaires C-144/13, C-154/13 et C-160/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question dans l’affaire C-144/13
37 Par sa première question, dans l’affaire C-144/13, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 168 de la directive TVA qui reprend le contenu de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, doit être interprété en ce sens que lorsqu’une exonération prévue par le droit national est incompatible avec la directive TVA, l’article 168 de cette directive ne permet pas à un assujetti de bénéficier de cette exonération tout en prétendant au droit à déduction.
38 La Cour a déjà eu l’occasion de statuer que, lorsqu’une exonération prévue par le droit national est incompatible avec la directive TVA, l’article 168 de cette directive ne permet pas à un assujetti de bénéficier de cette exonération tout en prétendant au droit à déduction (arrêt MDDP, C-319/12, EU:C:2013:778, point 45).
39 En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 37 de ses conclusions, lorsque un assujetti est confronté à une telle situation, il devra soit appliquer l’exonération nationale et renoncer au droit à déduction, soit soumettre ses opérations à la TVA en application du droit de l’Union et se prévaloir ensuite du bénéfice de la déduction de la taxe en amont.
40 Par conséquent, il convient de répondre à la première question dans l’affaire C-144/13 que l’article 168 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que lorsque l’exonération de la TVA prévue par le droit national est incompatible avec la directive TVA, ledit article 168 ne permet pas à un assujetti de bénéficier de cette exonération tout en prétendant au droit à déduction.
Sur la seconde question dans l’affaire C-144/13, la première question dans l’affaire C-154/13 et la question dans l’affaire C-160/13
41 Par sa seconde question dans l’affaire C-144/13, sa première question dans l’affaire C-154/13 ainsi que par sa question dans l’affaire C-160/13, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’exonération de la TVA prévue aux articles 140, sous a) et b), ainsi que 143, sous a), de la directive TVA s’applique à l’acquisition intracommunautaire et à l’importation de prothèses dentaires et si, le cas échéant, le bénéfice de cette exonération est soumis à la condition que les prothèses dentaires soient livrées au départ d’un autre État membre ou d’un pays tiers par un dentiste ou un mécanicien-dentiste ou qu’elles soient livrées à un dentiste ou à un mécanicien-dentiste ou bien si ce bénéfice est subordonné à ces deux conditions cumulées.
42 Il convient de constater que les articles 132, 140 et 143 de la directive TVA s’inscrivent dans le cadre du régime d’exonération prévu au titre IX de la directive TVA intitulé «Exonérations». Ces dispositions prévoient un mécanisme d’exonération pour des opérations sur des biens déterminés, lorsque certaines conditions sont remplies.
43 Or, l’objectif poursuivi par les exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, de la directive TVA,vise à faciliter l’accès à certaines prestations ainsi que la fourniture de certains biens en évitant les surcoûts qui découleraient de leur assujettissement à la TVA (voir, en ce sens, arrêts Commission/Allemagne, C-287/00, EU:C:2002:388, point 47, et MDDP, EU:C:2013:778, point 26).
44 Il est de jurisprudence constante que lesdites exonérations constituent des notions autonomes du droit de l’Union ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre (voir, notamment, arrêts CPP, C-349/96, EU:C:1999:93, point 15, et Skandia, C-240/99, EU:C:2001:140, point 23).
45 Il y a lieu de rappeler, en outre, que l’article 132 de la directive TVA vise à exonérer de la TVA certaines activités d’intérêt général. Cette disposition n’exclut cependant pas toutes les activités d’intérêt général de l’application de la TVA, mais exonère uniquement celles qui y sont énumérées et décrites de manière très détaillée (arrêt Institute of the Motor Industry, C-149/97, EU:C:1998:536, point 18).
46 L’exonération de la fourniture de prothèses dentaires réalisées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes est destinée à garantir que la fourniture de produits liés à la santé ne devient pas inaccessible en raison des coûts accrus de ces produits si leur fourniture était soumise à la TVA (voir, concernant l’article 13, A, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive, devenu article 132, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, arrêt Commission/France, C-76/99, EU:C:2001:12, point 23).
47 S’agissant de l’article 140, sous a), de la directive TVA, il impose aux États membres d’exonérer les acquisitions intracommunautaires de biens dont la livraison par des assujettis est, en tout état de cause, exonérée sur leur territoire respectif.
48 À titre liminaire, il convient de noter, ainsi que l’a souligné Mme l’avocat général au point 45 de ses conclusions, que la formule «sur leur territoire respectif» se réfère à l’État membre d’importation. C’est ce qui ressort d’une comparaison avec des dispositions telles que les articles 88, 207 ou 214, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, qui contiennent la même formule.
49 Ainsi, afin de déterminer si une acquisition intracommunautaire de biens est exonérée de TVA, il convient de vérifier si la livraison de ces mêmes biens est exonérée sur le territoire de l’État membre de destination.
50 Dans les affaires au principal, les acquisitions intracommunautaires de prothèses dentaires pourraient relever du champ d’application de l’article 140, sous a), de la directive TVA et ainsi bénéficier d’une exonération, si elles sont exonérées sur le territoire de l’État membre de destination. Or, l’article 132, paragraphe 1, sous e), de cette directive imposant aux États membres d’exonérer la fourniture de prothèses dentaires effectuée par les dentistes et les mécaniciens-dentistes, la livraison sur le territoire d’un État membre de ce produit sera nécessairement exonérée, dès lors que l’État membre n’a pas mis en œuvre la réglementation transitoire prévue à l’article 370 de la directive TVA.
51 Ainsi, les acquisitions intracommunautaires de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes relèvent du champ d’application de l’article 140, sous a), de la directive TVA.
52 Il convient, également, de constater que l’exonération des importations définitives de biens prévue à l’article 143, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA est manifestement inspirée de l’article 140, sous a), de cette directive, à la différence que les opérations concernées par l’exonération sont les importations définitives de biens.
53 En effet, afin de déterminer si une importation de biens est exonérée de TVA, il convient de vérifier si la livraison de ces mêmes biens est exonérée sur le territoire de l’État membre de destination. Il ressort en effet du libellé des dispositions en question que le législateur de l’Union a prévu un mécanisme identique pour les articles 140, sous a), et 143, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.
54 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’interpréter ces dispositions de manière identique.
55 L’élément de référence étant l’existence d’une exonération de la livraison des biens dans l’État membre de destination, en ce qui concerne les prothèses dentaires, il conviendra de se référer à l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA dans les mêmes conditions que pour l’article 140, sous a), de celle-ci. Ainsi, les importations définitives de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes relèvent du champ d’application de l’article 143, paragraphe 1, sous a), de ladite directive.
56 S’agissant de l’article 140, sous b), de la directive TVA, pour déterminer si une acquisition intracommunautaire de biens peut bénéficier d’une exonération dans un État membre, il suffira de vérifier si les importations définitives de ces mêmes biens sur le territoire dudit État membre bénéficient d’une exonération au titre de l’article 143, paragraphe 1, sous a), de cette directive.
57 S’agissant de la question relative aux conditions nécessaires pour bénéficier de l’exonération, il convient de constater qu’il résulte du libellé même de l’article 132, paragraphe 1, sous e), de la directive TVA que ce bénéfice est soumis à la condition que les prothèses dentaires soient fournies par des dentistes ou des mécaniciens-dentistes.
58 Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question dans l’affaire C-144/13, à la première question dans l’affaire C-154/13 ainsi qu’à la question dans l’affaire C-160/13 que les articles 140, sous a) et b), ainsi que 143, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens que l’exonération de la TVA qu’ils prévoient s’applique à l’acquisition intracommunautaire et à l’importation définitive de prothèses dentaires fournies par les dentistes et les mécaniciens-dentistes, lorsque l’État membre de la livraison ou d’importation n’a pas mis en œuvre la réglementation transitoire prévue à l’article 370 de cette directive.
Sur la seconde question dans l’affaire C-154/13
59 Par sa seconde question dans l’affaire C-154/13, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 140, sous a) et b), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’exonération de la TVA visée à cette disposition s’applique également au cas où l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires proviendrait d’un État membre qui a mis en œuvre le régime dérogatoire et transitoire prévu à l’article 370 de la directive TVA.
60 Il convient de rappeler que le régime communautaire de la TVA est le résultat d’une harmonisation progressive des législations nationales dans le cadre des articles 113 TFUE et 115 TFUE. Comme la Cour l’a constaté à plusieurs reprises, cette harmonisation, telle qu’elle a été réalisée par des directives successives et, notamment, par la sixième directive, n’est encore qu’une harmonisation partielle (arrêts ORO Amsterdam Beheer et Concerto, C-165/88, EU:C:1989:608, point 21, ainsi que Eurodental, C-240/05, EU:C:2006:763, point 50).
61 En effet, la directive TVA a, en vertu de son article 370, autorisé les États membres à continuer à maintenir certaines dispositions de leur législation nationale antérieures à cette directive qui seraient, sans ladite autorisation, incompatibles avec celle-ci (voir, en ce sens, arrêts Idéal tourisme, C-36/99, EU:C:2000:405, point 38, et Eurodental, EU:C:2006:763, point 51).
62 Ainsi, il ressort de la réponse apportée à la seconde question dans l’affaire C-144/13, la première question dans l’affaire C-154/13 et la question dans l’affaire C-160/13 que, pour déterminer si une acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires peut bénéficier d’une exonération, il convient de vérifier si la livraison ou l’importation de ces mêmes biens est exonérée sur le territoire de l’État membre de destination. Il s’ensuit que l’élément de référence est le régime applicable dans l’État membre de destination.
63 Lorsque cet État n’a pas mis en œuvre le régime dérogatoire et transitoire, prévu à l’article 370 de la directive TVA, et applique dès lors l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous e), de cette directive, les exonérations prévues à l’article 140, sous a) et b), de ladite directive s’appliqueront également. Il en est ainsi indépendamment de la question de savoir si l’État membre d’origine fait usage dudit régime dérogatoire et transitoire énoncé à l’article 370 de la directive TVA.
64 Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question posée dans l’affaire C-154/13 que l’article 140, sous a) et b), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’exonération de la TVA visée à cette disposition s’applique également au cas où l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires provient d’un État membre qui a mis en œuvre le régime dérogatoire et transitoire prévu à l’article 370 de la directive TVA.
Sur les dépens
65 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) L’article 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2007/75/CE du Conseil, du 20 décembre 2007, doit être interprété en ce sens que lorsque l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée prévue par le droit national est incompatible avec la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2007/75, ledit article 168 ne permet pas à un assujetti de bénéficier de cette exonération tout en prétendant au droit à déduction.
2) Les articles 140, sous a) et b), ainsi que 143, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2007/75, doivent être interprétés en ce sens que l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée qu’ils prévoient s’applique à l’acquisition intracommunautaire et à l’importation définitive de prothèses dentaires fournies par les dentistes et les mécaniciens-dentistes, lorsque l’État membre de la livraison ou d’importation n’a pas mis en œuvre la réglementation transitoire prévue à l’article 370 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2007/75.
3) L’article 140, sous a) et b), de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2007/75, doit être interprété en ce sens que l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée visée à cette disposition s’applique également au cas où l’acquisition intracommunautaire de prothèses dentaires provient d’un État membre qui a mis en œuvre le régime dérogatoire et transitoire prévu à l’article 370 de cette directive.
Signatures
* Langue de procédure: le néerlandais.