ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
3 février 2015 (*)
«Manquement d’État – Article 49 TFUE – Article 31 de l’accord EEE – Impôt sur les sociétés – Groupes de sociétés – Dégrèvement de groupe – Transfert de pertes subies par une filiale non-résidente – Conditions – Date à laquelle le caractère définitif des pertes de la filiale non-résidente est déterminé»
Dans l’affaire C-172/13,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 5 avril 2013,
Commission européenne, représentée par MM. W. Roels et R. Lyal, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes V. Kaye et S. Brighouse ainsi que par M. A. Robinson, en qualité d’agents, assistés de M. D. Ewart, QC, et de Mme S. Ford, barrister,
partie défenderesse,
soutenu par:
République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
Royaume d’Espagne, représenté par M. A. Rubio González et Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,
République de Finlande, représentée par M. S. Hartikainen, en qualité d’agent,
parties intervenantes,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts (rapporteur), vice-président, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen et J.-C. Bonichot, présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, Mmes M. Berger et A. Prechal, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juillet 2014,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 octobre 2014,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en imposant, à l’égard du dégrèvement de groupe pour ce qui concerne les pertes subies par des sociétés non-résidentes (ci-après le «dégrèvement de groupe transfrontalier»), des conditions telles qu’elles rendent quasi impossible, dans la pratique, le bénéfice de ce type de dégrèvement et en limitant ce dégrèvement aux périodes postérieures au 1er avril 2006, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»).
Le cadre juridique du Royaume-Uni
2 Au Royaume-Uni, le régime de dégrèvement de groupe permet aux sociétés d’un groupe de procéder entre elles à une compensation de leurs bénéfices et de leurs pertes. Cependant, le régime établi par la loi de 1988 relative aux impôts sur les revenus et les sociétés (Income and Corporation Tax Act 1988, ci-après l’«ICTA») ne permettait pas la prise en compte des pertes subies par des sociétés non-résidentes.
3 À la suite de l’arrêt Marks & Spencer (C-446/03, EU:C:2005:763), l’ICTA a été modifiée par des dispositions de la loi de finances de 2006 (Finance Act 2006), qui sont entrées en vigueur le 1er avril 2006, aux fins de permettre, sous certaines conditions, le dégrèvement de groupe transfrontalier. Par la suite, lesdites dispositions ont été reprises dans des termes largement identiques dans la loi de 2010 relative à l’impôt sur les sociétés (Corporation Tax Act 2010, ci-après la «CTA 2010»).
4 La CTA 2010 énonce les conditions auxquelles est soumis le dégrèvement de groupe transfrontalier. L’article 118 de la CTA 2010 requiert que la société non-résidente ait épuisé les possibilités de prise en compte des pertes au cours de l’exercice fiscal durant lequel les pertes sont nées et des exercices fiscaux antérieurs, tandis que l’article 119, paragraphes 1 à 3, de la CTA 2010 exige qu’il n’existe aucune possibilité de prise en compte des pertes au cours d’exercices fiscaux futurs.
5 En vertu de l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010, la détermination du point de savoir si des pertes pourront être prises en compte au cours d’exercices fiscaux futurs doit être effectuée «par référence à la situation telle qu’elle se présente immédiatement après la fin» de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies.
6 En vertu des points 14, paragraphe 1, sous a), et 74, paragraphe 1, sous a), de l’annexe 18 de la loi de finances de 1998, le délai normal pour faire une demande de dégrèvement de groupe est de deux ans à compter de la fin de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies.
7 La Supreme Court of the United Kingdom a jugé, au point 33 de son arrêt du 22 mai 2013, que, pour l’octroi du dégrèvement de groupe transfrontalier, la question à examiner au regard de la législation en vigueur avant le 1er avril 2006, interprétée à la lumière du droit de l’Union, était celle de savoir si la société requérante est en mesure de démontrer, sur la base des circonstances connues à la date à laquelle elle fait sa demande de dégrèvement, qu’il n’y avait pas de possibilités de prendre en compte les pertes en question dans l’État membre où réside la société cédante au cours d’un quelconque exercice fiscal antérieur à la date de la demande et qu’il n’y a pas de possibilités d’une telle prise en compte au cours de l’exercice fiscal pendant lequel la demande est faite ou au cours de quelconques exercices fiscaux futurs.
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
8 Le 19 juillet 2007, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure au Royaume-Uni dans laquelle elle a soulevé la possible incompatibilité avec la liberté d’établissement des règles fiscales adoptées par cet État membre à la suite de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), dans la mesure où ces règles reposeraient sur une interprétation particulièrement restrictive du critère concernant l’épuisement des possibilités de prise en compte des pertes de la filiale non-résidente dans l’État où cette dernière réside. En outre, lesdites règles n’auraient été applicables qu’à partir de la date de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, à savoir le 1er avril 2006.
9 Par un courrier électronique du 23 octobre 2007, le Royaume-Uni a fait valoir que sa législation concernant le dégrèvement de groupe transfrontalier est conforme aux principes dégagés par la Cour dans l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763).
10 Le 23 septembre 2008, la Commission a adressé au Royaume-Uni un avis motivé, dans lequel elle a réitéré sa position. Le Royaume-Uni a réaffirmé sa position dans une lettre du 18 novembre 2008.
11 Le 25 novembre 2010, la Commission a adressé au Royaume-Uni un avis motivé complémentaire à la suite de l’adoption de la CTA 2010.
12 L’argumentation développée par le Royaume-Uni dans sa lettre du 24 janvier 2011 en réponse à cet avis motivé n’ayant pas emporté la conviction de la Commission, celle-ci a introduit le présent recours.
13 Par décision du président de la Cour du 11 octobre 2013, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume-Uni.
Sur le recours
Sur le premier grief, tiré d’une violation de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord EEE en ce que l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 rendrait quasi impossible pour une société mère résidente de bénéficier du dégrèvement de groupe transfrontalier
Argumentation des parties
14 La Commission soutient que l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 ne satisfait pas aux exigences résultant pour l’État membre concerné des points 55 et 56 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763) en ce qu’il prévoit que la détermination de l’impossibilité d’une prise en compte future des pertes subies par une filiale établie dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE doit être effectuée «par référence à la situation telle qu’elle se présente immédiatement après la fin» de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies. Selon la Commission, cette disposition a pour effet qu’il est quasi impossible pour une société mère résidente de bénéficier du dégrèvement de groupe transfrontalier.
15 En effet, l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 aurait pour effet que le dégrèvement de groupe transfrontalier ne peut être accordé que dans deux situations, à savoir, premièrement, dans la situation où la législation de l’État de résidence de la filiale non-résidente ne prévoit aucune possibilité de report des pertes et, deuxièmement, dans la situation où la filiale non-résidente est mise en liquidation avant la fin de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies. Le dégrèvement de groupe transfrontalier serait ainsi exclu dans la situation commerciale normale, à savoir lorsqu’il est décidé de cesser l’activité de la filiale non-résidente et de mettre celle-ci en liquidation après l’exercice fiscal au cours duquel des pertes ont été subies. Par ailleurs, ledit dégrèvement serait limité aux pertes subies pendant un seul exercice fiscal.
16 La Commission fait valoir que, pour garantir le respect des conditions énoncées par la Cour au point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), la possibilité de bénéficier d’un dégrèvement fiscal dans l’État de résidence de la filiale non-résidente doit être appréciée à la date à laquelle la demande de dégrèvement de groupe est présentée au Royaume-Uni et être évaluée sur la base des faits concrets du dossier. Il ne suffirait pas de se fonder sur une possibilité théorique de prise en compte ultérieure des pertes subies par la filiale non-résidente découlant uniquement du fait que ladite filiale n’a pas encore été mise en liquidation.
17 Le Royaume-Uni rétorque que, ainsi qu’il ressort du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), la condition selon laquelle il n’existe pas de possibilité pour que les pertes de la filiale non-résidente puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices futurs doit être appréciée à la fin de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes sont nées.
18 Quant à la prétendue quasi-impossibilité de bénéficier du dégrèvement de groupe transfrontalier, le Royaume-Uni fait valoir qu’une société a normalement la possibilité de reporter des pertes sur un exercice fiscal ultérieur lorsqu’elle continue à avoir une activité commerciale. En outre, la condition prévue à l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 pourrait être remplie dans des circonstances plus larges que celles exposées par la Commission. Les dispositions pertinentes ne mentionneraient pas la mise en liquidation de la filiale non-résidente avant la fin de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies comme condition d’application du dégrèvement de groupe transfrontalier. La preuve de l’intention de dissoudre une filiale subissant des pertes et le fait d’entamer la procédure de liquidation rapidement après la fin de l’exercice fiscal constitueraient des facteurs à prendre en compte. L’intention de procéder à la liquidation serait prise en compte avec tous les autres faits pertinents prévalant à la fin de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies, afin de déterminer si le critère de l’absence de possibilités de prise en compte des pertes est rempli.
19 Les parties intervenantes soutiennent qu’il ne repose sur le Royaume-Uni aucune obligation de prévoir une possibilité de prise en compte des pertes subies par des filiales non-résidentes dans tous les cas dans lesquels ces pertes ne peuvent pas être prises en compte ailleurs. En outre, l’exigence d’une liquidation de facto de la filiale non-résidente ne serait pas disproportionnée.
20 La République fédérale d’Allemagne ajoute que la jurisprudence résultant de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763) doit être réexaminée à la suite de l’arrêt K (C-322/11, EU:C:2013:716).
Appréciation de la Cour
21 La CTA 2010 prévoit un régime de dégrèvement de groupe en vertu duquel des pertes subies par une société peuvent être imputées sur des bénéfices d’autres sociétés du même groupe. Contrairement aux pertes subies par les sociétés résidentes, celles subies par les sociétés non-résidentes ne peuvent être prises en compte au titre du dégrèvement de groupe que si elles répondent aux conditions prévues aux articles 118 et 119 de la CTA 2010.
22 Le dégrèvement de groupe prévu par la CTA 2010 constitue un avantage fiscal pour les sociétés concernées. En accélérant l’apurement des pertes des filiales déficitaires au moyen de leur imputation immédiate sur les bénéfices d’autres sociétés du groupe, il confère à ce dernier un avantage de trésorerie (voir arrêts Marks & Spencer, EU:C:2005:763, point 32, ainsi que Felixstowe Dock and Railway Company e.a., C-80/12, EU:C:2014:200, point 19).
23 La différence de traitement constatée au point 21 du présent arrêt, pour ce qui concerne l’octroi de l’avantage fiscal en cause, entre les pertes subies par des filiales résidentes et celles subies par des filiales non-résidentes est de nature à entraver l’exercice par la société mère du groupe de sa liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE, en la dissuadant de créer des filiales dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêts Marks & Spencer, EU:C:2005:763, point 33; Felixstowe Dock and Railway Company e.a., EU:C:2014:200, point 21, ainsi que Nordea Bank Danmark, C-48/13, EU:C:2014:2087, point 22).
24 Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une telle différence de traitement peut être justifiée par trois raisons impérieuses d’intérêt général, prises ensemble, à savoir la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres ainsi que la nécessité de prévenir les risques de double emploi des pertes et d’évasion fiscale (voir, en ce sens, arrêts Marks & Spencer, EU:C:2005:763, point 51; Oy AA, C-231/05, EU:C:2007:439, point 51, et A, C-123/11, EU:C:2013:84, point 46).
25 Reste encore à examiner si les conditions auxquelles les dispositions de la CTA 2010 soumettent le dégrèvement de groupe transfrontalier respectent le principe de proportionnalité, en ce que, tout en étant propres à atteindre les objectifs mentionnés au point précédent, elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire à cet effet.
26 À cet égard, il doit être rappelé que, au point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), dans lequel était en cause l’ICTA, qui excluait toute prise en compte des pertes subies par des filiales non-résidentes dans le cadre du dégrèvement de groupe, la Cour a jugé que la différence de traitement entre les pertes subies par une filiale résidente et celles subies par une filiale non-résidente va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis dans une situation où, d’une part, la filiale non-résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son État de résidence au titre de l’exercice fiscal concerné par la demande de dégrèvement ainsi que des exercices fiscaux antérieurs, le cas échéant au moyen d’un transfert de ces pertes à un tiers ou de l’imputation desdites pertes sur des bénéfices réalisés par cette filiale au cours d’exercices antérieurs, et, d’autre part, il n’existe pas de possibilité pour que les pertes de la filiale non-résidente puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers, notamment en cas de cession de cette filiale à celui-ci (voir, également, arrêts Lidl Belgium, C-414/06, EU:C:2008:278, point 47, et A, EU:C:2013:84, point 49).
27 Ainsi qu’il ressort du point 56 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), dès lors que, dans un État membre, la société mère résidente démontre aux autorités fiscales qu’une filiale non-résidente a subi des pertes définitives, au sens du point 55 dudit arrêt, il est contraire à l’article 49 TFUE d’exclure la possibilité pour cette société mère de déduire de son bénéfice imposable dans cet État membre les pertes subies par sa filiale non-résidente.
28 Or, il doit être constaté que les articles 118 et 119, paragraphes 1 à 3, de la CTA 2010 admettent la prise en compte par la société mère résidente des pertes subies par une filiale non-résidente dans les situations visées au point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763).
29 Par ailleurs, la Commission elle-même reconnaît, dans sa requête, que la CTA 2010 permet, en principe, la prise en compte par la société mère résidente des pertes définitives, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), subies par une filiale non-résidente.
30 Toutefois, selon la Commission, l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 est contraire à l’article 49 TFUE dès lors qu’il rend quasi impossible, dans la pratique, pour une société mère résidente de bénéficier du dégrèvement de groupe transfrontalier.
31 À cet égard, il doit être rappelé que l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 fixe la date à laquelle le caractère définitif, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), des pertes subies par une filiale non-résidente doit être apprécié. Ladite disposition prévoit qu’une telle appréciation doit être faite «par référence à la situation telle qu’elle se présente immédiatement après la fin» de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies.
32 Selon la Commission, cette exigence rend quasi impossible le bénéfice du dégrèvement de groupe pour les pertes subies par une filiale non-résidente dès lors qu’elle ne permet, en pratique, la prise en compte de telles pertes par la société mère résidente que dans deux situations, à savoir, premièrement, lorsque la législation de l’État membre de résidence de la filiale concernée ne prévoit aucune possibilité de report des pertes et, deuxièmement, lorsque cette filiale est mise en liquidation avant la fin de l’exercice fiscal au cours duquel la perte a été subie.
33 Il faut, toutefois, constater que la première situation évoquée par la Commission est dépourvue de pertinence pour l’appréciation du caractère proportionné de l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que le caractère définitif, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), des pertes subies par une filiale non-résidente ne peut résulter du fait que l’État membre où réside ladite filiale exclut toute possibilité de report des pertes (voir arrêt K, EU:C:2013:716, points 75 à 79 et jurisprudence citée). Dans une telle situation, l’État membre où réside la société mère peut ne pas admettre le dégrèvement de groupe transfrontalier sans pour autant violer l’article 49 TFUE.
34 S’agissant de la seconde situation évoquée, il doit être constaté, d’une part, que la Commission n’a pas établi la véracité de son affirmation selon laquelle l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 exigerait une mise en liquidation de la filiale non-résidente avant la fin de l’exercice fiscal au cours duquel lesdites pertes ont été subies pour que sa société mère résidente puisse bénéficier du dégrèvement de groupe transfrontalier.
35 En effet, l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 prévoit que l’appréciation du caractère définitif, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), des pertes subies par une filiale non-résidente, doit être faite par référence à la situation telle qu’elle se présente «immédiatement après la fin» de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies. Il ressort ainsi du libellé de ladite disposition qu’elle n’impose, en tout état de cause, aucune exigence relative à une mise en liquidation de la filiale concernée avant la fin de l’exercice fiscal au cours duquel les pertes ont été subies.
36 D’autre part, il doit être rappelé que le caractère définitif, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), des pertes subies par une filiale non-résidente ne peut être constaté que si celle-ci ne perçoit plus de recettes dans l’État membre de sa résidence. En effet, tant que cette filiale continue à percevoir des recettes, même minimes, il existe une possibilité que les pertes subies puissent encore être compensées par des bénéfices futurs réalisés dans l’État membre où celle-ci réside (voir arrêt A, EU:C:2013:84, points 53 et 54).
37 Or, le Royaume-Uni a confirmé, en se référant à un exemple concret d’une société mère résidente ayant bénéficié d’un dégrèvement de groupe transfrontalier, que le caractère définitif, au sens du point 55 de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), des pertes d’une filiale non-résidente peut être démontré lorsque, immédiatement après la fin de l’exercice fiscal au cours duquel lesdites pertes ont été subies, ladite filiale a cessé ses activités commerciales et a vendu ou éliminé tous ses actifs produisant des recettes.
38 Dans ces conditions, le premier grief doit être rejeté pour autant qu’il est fondé sur une violation de l’article 49 TFUE.
39 En ce qui concerne la prétendue atteinte portée par l’article 119, paragraphe 4, de la CTA 2010 à l’article 31 de l’accord EEE, également invoqué par la Commission, il convient de relever que, dans la mesure où les stipulations de ce dernier article revêtent la même portée juridique que les dispositions, identiques en substance, de l’article 49 TFUE, l’ensemble des considérations qui précèdent est, dans des circonstances telles que celles du présent recours, transposable mutatis mutandis audit article 31 (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, C-342/10, EU:C:2012:688, point 53 et jurisprudence citée).
40 Partant, le premier grief doit être rejeté dans son entièreté.
Sur le second grief, tiré d’une violation de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord EEE en ce que la législation du Royaume-Uni exclut le dégrèvement de groupe transfrontalier pour les pertes subies avant le 1er avril 2006
41 La Commission fait valoir que les pertes subies avant le 1er avril 2006 seraient exclues du bénéfice du dégrèvement de groupe transfrontalier, en violation de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord EEE, dans la mesure où les dispositions relatives à ce dégrèvement prévues par la CTA 2010 s’appliquent uniquement aux pertes subies après le 1er avril 2006, date d’entrée en vigueur de la loi de finances de 2006.
42 En réponse à cette argumentation de la Commission, le Royaume-Uni relève que le dégrèvement de groupe transfrontalier existe aussi pour des périodes antérieures au 1er avril 2006, mais qu’il est régi par les termes de la législation applicable à ces périodes antérieures, interprétée conformément au droit de l’Union à la suite de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), ainsi que la Supreme Court of the United Kingdom a visé à le faire dans son arrêt du 22 mai 2013, précité au point 7 du présent arrêt.
43 Or, indépendamment de la question de savoir si le renvoi à l’interprétation de la législation nationale en vigueur avant le 1er avril 2006 retenu par la Supreme Court of the United Kingdom, selon laquelle les pertes subies avant cette date ne sont pas exclues du bénéfice du dégrèvement de groupe transfrontalier, suffit pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique quant à la possibilité d’obtenir le dégrèvement de groupe transfrontalier pour les pertes subies avant la date susmentionnée, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas établi l’existence de situations dans lesquelles le dégrèvement de groupe transfrontalier pour des pertes antérieures au 1er avril 2006 n’a pas été accordé.
44 Dans ces conditions, le second grief doit être rejeté.
45 Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
46 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume-Uni ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
47 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.
3) La République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure: l’anglais.