ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
23 avril 2015 (*)
«Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Principe de neutralité fiscale – Personne redevable de la TVA – Liquidation erronée de la TVA par le destinataire – Soumission du prestataire de services à la TVA – Refus d’accorder le remboursement de la TVA au prestataire de services»
Dans l’affaire C-111/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Bulgarie), par décision du 24 février 2014, parvenue à la Cour le 7 mars 2014, dans la procédure
GST – Sarviz AG Germania
contre
Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» Plovdiv pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. S. Rodin, président de chambre, MM. A. Borg Barthet (rapporteur) et E. Levits, juges,
avocat général: M. M. Szpunar,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour le Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» Plovdiv pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite, par M. G. Arnaudov, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement bulgare, par Mmes E. Petranova et M. Georgieva, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement grec, par M. K. Georgiadis et Mme I. Kotsoni, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes S. Petrova et C. Soulay, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 193 et 194 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347 p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/88/UE du Conseil, du 7 décembre 2010 (JO L 326, p. 1, ci-après la «directive TVA»), ainsi que sur le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GST – Sarviz AG Germania (ci-après «GST – Sarviz») au Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danahcno-osiguritelna praktika» Plovdiv pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite (directeur de la direction «Recours et pratiques en matière de fiscalité et de sécurité sociale» compétent pour Plovdiv près de l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques, ci-après le «Direktor») au sujet du refus de ce dernier de rembourser à GST – Sarviz la TVA.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 193 de la directive TVA prévoit:
«La TVA est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 et de l’article 202.»
4 L’article 194 de cette directive dispose:
«1. Lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est le destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services.
2. Les États membres déterminent les conditions d’application du paragraphe 1.»
Le droit bulgare
5 L’article 82 de la loi bulgare relative à la TVA (Zakon za danak varhu dobavena stoynost, DV nº 63, du 4 août 2006), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le «ZDDS») détermine le débiteur de la TVA en cas d’opération imposable.
6 L’article 82, paragraphe 1, du ZDDS prévoit:
«La taxe est due par le fournisseur/prestataire du bien/service imposable immatriculé à la TVA en vertu de la présente loi, sauf dans les cas visés aux paragraphes 4 et 5».
7 Conformément audit article 82, paragraphe 2, «[l]orsque le fournisseur/prestataire est un assujetti qui n’est pas établi sur le territoire du pays et que la livraison ou la prestation est effectuée dans le pays et qu’elle est imposable, la taxe est due par le destinataire en cas:
[...]
3) de prestation de service, lorsque le destinataire est un assujetti en vertu de l’article 3, paragraphes 1, 5 et 6.»
8 Conformément à l’article 71, paragraphe 1, point 1, du ZDDS, «l’assujetti exerce son droit de déduire un crédit d’impôt lorsqu’il satisfait aux conditions suivantes: […] il est en possession d’un document fiscal établi conformément aux exigences des articles 114 et 115, dans lequel la taxe est indiquée séparément pour les biens ou services dont il est le destinataire […]»
9 L’article 102, paragraphe 1, du ZDDS dispose:
«Lorsque l’administration fiscale constate qu’une personne n’a pas satisfait dans le délai prescrit à son obligation de déposer une demande d’immatriculation, il l’immatricule en émettant un avis d’immatriculation si les conditions d’immatriculation sont réunies.»
10 L’article 129, paragraphes 1, 5 et 7, du code des procédures fiscales et de la sécurité sociale (danachno osiguritelen protsesualen kodeks) dispose:
«1. La compensation ou le remboursement peut être effectué(e) à l’initiative de l’administration fiscale ou sur demande écrite de l’intéressé. La demande de compensation ou de remboursement est examinée si elle est soumise dans un délai de cinq ans à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle est survenu le fait générateur du remboursement, à moins que la loi n’en dispose autrement.
[...]
5. L’administration fiscale est tenue de rembourser ou de compenser conformément au paragraphe 2, point 2, dans un délai de 30 jours à compter de la date où lui parvient une décision judiciaire ou administrative entrée en vigueur, l’intégralité des montants qui y sont mentionnés ainsi que les intérêts échus en vertu du paragraphe 6, lorsque ladite décision a reconnu à l’assujetti le droit de percevoir: 1) des montants indûment payés, versés ou perçus au titre d’impôts, de cotisations sociales obligatoires, de redevances, d’amendes, ou de sanctions pécuniaires, fixés, perçus ou imposés par l’administration fiscale, y compris lorsqu’ils ont été payés sur injonction ou avis écrit; 2) des montants dont le remboursement a été illégalement refusé; 3) des montants et dommages et intérêts qui lui ont été attribués et des dépens exposés.
[...]
7. Les avis de compensation ou de remboursement sont susceptibles de recours selon les modalités de recours contre les avis de redressement.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Du 15 février au 29 décembre 2010, GST – Sarviz, établie en Allemagne, a fourni des services techniques et de conseil à GST Skafolding Bulgaria EOOD (ci-après «GST Skafolding»), établie en Bulgarie. Considérant que GST – Sarviz ne disposait pas, lors de la fourniture de ses prestations de services durant la période litigieuse, d’un établissement stable sur le territoire bulgare, GST Skafolding s’est acquittée de la TVA due sur lesdites prestations, en vertu de la procédure d’autoliquidation prévue à l’article 82, paragraphe 2, du ZDDS. À cet égard, conformément à l’article 117, paragraphe 1, du ZDDS, cette dernière a émis les notes afférentes aux factures émises par GST – Sarviz, notes qui ont été inscrites au registre des ventes.
12 Par décision de redressement fiscal du 12 mars 2012, l’administration fiscale bulgare a constaté que GST – Sarviz disposait, pour la période durant laquelle elle a fourni ses services à GST Skafolding, d’un établissement stable au sens du paragraphe 1, point 10, des dispositions complémentaires du ZDDS et que GST – Sarviz était redevable de la TVA pour ces services. Elle est parvenue à la conclusion que cette société aurait dû présenter une demande d’immatriculation à la TVA pour le 15 février 2010 au plus tard. Par conséquent, cette administration a considéré que ladite société était redevable de la TVA pour les prestations fournies entre le 15 février et le 29 décembre 2010, dont le montant s’élève à 224 914,89 leva bulgares (BGN) majoré des intérêts de retard.
13 GST – Sarviz a payé la somme réclamée par l’administration fiscale le 26 mars 2012 et a présenté, le 5 septembre 2012, une demande de compensation ou de remboursement de la taxe acquittée, sur le fondement de l’article 129, paragraphe 1, du code des procédures fiscales et de la sécurité sociale.
14 Dans son avis de compensation ou de remboursement, du 1er octobre 2012, l’administration fiscale a refusé le remboursement au motif que les conditions légales d’un remboursement de la TVA n’étaient pas remplies en l’espèce. Selon elle, la décision de redressement étant un acte administratif valable et en l’absence de décision de justice exécutoire ou de décision administrative applicable au sens de l’article 129, paragraphe 5, du code des procédures fiscales et de la sécurité sociale, la taxe payée ne pouvait pas être considérée comme indue et être restituée.
15 GST – Sarviz a formé un recours devant le Direktor. Par décision du 21 décembre 2012, le Direktor a rejeté ce recours, considérant que l’acte contesté était licite pour les motifs sur lesquels il avait été adopté. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant l’Administrativen sad Plovdiv (tribunal administratif de Plovdiv). Il a été également rejeté pour des motifs équivalents à ceux invoqués par l’administration fiscale. GST – Sarviz a formé un pourvoi en cassation devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême).
16 La juridiction de renvoi souligne que l’administration fiscale a refusé à GST Skafolding le droit de déduire un crédit d’impôt pour la TVA dont elle s’était acquittée, au motif qu’elle ne disposait pas du document fiscal correspondant exigé à l’article 71, paragraphe 1, point 1, du ZDDS. En effet, selon la législation bulgare, l’existence d’une décision de redressement fiscal, telle que celle en cause adoptée le 12 mars 2012, rend impossible la régularisation des documents fiscaux. GST Skafolding s’est ainsi retrouvée dépourvue de document fiscal valable qui ouvrait droit à la déduction d’un crédit d’impôt.
17 La juridiction de renvoi relève également que le fait de prélever à deux reprises la TVA, soit une fois à l’égard du prestataire et une fois à l’égard du destinataire, et de refuser le remboursement au prestataire et la déduction du crédit d’impôt au destinataire est contraire au principe de neutralité de la TVA. Selon cette juridiction, le refus de remboursement a pour effet de transférer la charge fiscale sur le prestataire.
18 Bien qu’elle relève que les articles 193 et 194 de la directive TVA n’ont pas fait l’objet d’une interprétation qui pourrait être utile aux faits de l’espèce, la juridiction de renvoi fait référence à l’arrêt ADV Allround (C-218/10, EU:C:2012:35), selon lequel en l’absence de règles procédurales dans l’ordre juridique national, le droit du prestataire et du destinataire d’une opération d’être traités de manière identique au regard du caractère imposable de cette prestation et de la TVA due sur celle-ci serait en pratique privé de tout effet utile. S’agissant du principe de neutralité fiscale, elle invoque l’interprétation retenue par la Cour dans l’arrêt Rusedespred (C-138/12, EU:C:2013:233).
19 C’est dans ces circonstances que le Varhoven administrativen sad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La disposition de l’article 193 de la directive TVA doit-elle être interprétée en ce sens que la TVA est uniquement et seulement due soit par l’assujetti ayant effectué une fourniture ou une prestation imposable, soit par la personne à laquelle ont été fournis les biens ou les services, mais pas par les deux personnes simultanément, lorsque la fourniture ou la prestation imposable est réalisée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre où la TVA est due et lorsque l’État membre concerné prévoit cela?
2) S’il est considéré que la TVA est uniquement due par l’une des deux personnes – soit le fournisseur, soit le destinataire – lorsque l’État membre concerné le prévoit, la règle de l’article 194 de la directive TVA doit-elle être également respectée dans les cas où le destinataire des prestations a appliqué de manière erronée le mécanisme de l’autoliquidation car il a considéré que le prestataire ne disposait pas d’établissement stable aux fins de la TVA sur le territoire de la République de Bulgarie, alors que le prestataire a au contraire fondé un établissement permanent aux fins des services prestés?
3) Le principe de neutralité de l’impôt, en tant que principe fondamental pour la mise en place et le fonctionnement du système commun de TVA, doit-il être interprété en ce sens qu’il permet une pratique de contrôle fiscal comme en l’espèce où – malgré la procédure d’autoliquidation suivie par le destinataire des services – la TVA a de nouveau été prise en compte, cette fois à charge du prestataire, compte tenu du fait que le destinataire a déjà calculé l’impôt correspondant à la prestation, que tout risque de perte de recettes fiscales est exclu et que la réglementation prévue dans la loi nationale pour la correction des documents fiscaux n’est pas applicable?
4) Le principe de neutralité de l’impôt doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, sur la base d’une disposition nationale, l’administration fiscale refuse au prestataire d’un service – pour lequel le destinataire a calculé l’impôt conformément à l’article 82, alinéa 2, du ZDDS – le remboursement de la TVA doublement prise en compte, alors même que l’administration fiscale a refusé de rembourser la TVA doublement prise en compte au bénéficiaire au motif que celui-ci ne dispose pas du document fiscal correspondant, mais que la réglementation de correction inscrite dans la loi nationale n’est plus applicable du fait de l’existence de la décision de redressement fiscal valable?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 193 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que seul est redevable de la TVA soit l’assujetti fournissant une prestation de services, soit le destinataire de cette prestation lorsque celle-ci a été fournie à partir d’un établissement stable situé dans l’État membre où la TVA est due.
21 Conformément à l’article 193 de la directive TVA, la TVA est due par l’assujetti fournissant une prestation de services imposable, à l’exception des cas dans lesquels cette taxe est due par une autre personne en application, notamment, de l’article 194 de cette directive. En vertu de ce dernier article, lorsque la prestation de services imposable est fournie par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent prévoir que, dans ce cas, le redevable de la taxe est le destinataire de la prestation de services.
22 Il en découle que, en vertu de la directive TVA, seul le prestataire de services est, en principe, redevable de la TVA sauf lorsqu’il n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due et lorsque cet État a prévu que le redevable de la TVA est le destinataire de la prestation de services.
23 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, à la suite d’un contrôle, l’administration fiscale bulgare a adopté le 12 mars 2012 une décision de redressement fiscal par laquelle elle a estimé que le prestataire, GST – Sarviz, disposait d’un établissement stable en Bulgarie à partir duquel les services technique et de conseil ont été fournis à GST Skafolding.
24 Dans ces circonstances, il s’ensuit que, en vertu de la directive TVA, il incombe au seul prestataire de services tel que GST – Sarviz de s’acquitter, auprès de l’administration fiscale bulgare, du paiement de la TVA due sur les services qu’il a fournis en Bulgarie du 15 février au 29 décembre 2010.
25 Il y a dès lors lieu de répondre à la première question que l’article 193 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que seul est redevable de la TVA l’assujetti fournissant une prestation de services lorsque celle-ci a été fournie à partir d’un établissement stable situé dans l’État membre où la TVA est due.
Sur la deuxième question
26 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 194 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il permet à l’administration fiscale d’un État membre de considérer comme redevable de la TVA le destinataire d’une prestation de services fournie à partir d’un établissement stable du prestataire, lorsque tant ce dernier que le destinataire de ces services sont établis sur le territoire d’un même État membre, même si ce destinataire a déjà acquitté cette taxe en se fondant sur la supposition erronée que ledit prestataire ne disposait pas d’établissement stable dans cet État.
27 Ainsi qu’il a été rappelé au point 21 du présent arrêt, la possibilité pour les États membres de prévoir l’application du mécanisme de l’autoliquidation est limitée, en vertu de l’article 194 de la directive TVA, à la seule hypothèse où le prestataire de services n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due.
28 Il s’ensuit que, lorsque les services ont été fournis à partir d’un établissement stable du prestataire situé sur le territoire de l’État membre dans lequel la TVA est due, le destinataire de tels services ne peut pas être considéré comme étant redevable de la TVA.
29 À cet égard, la circonstance que le destinataire de ces services ait acquitté la TVA en se fondant sur la supposition erronée que le prestataire ne disposait pas d’un établissement stable au sens de la directive TVA ne saurait autoriser l’administration fiscale à déroger à cette règle en considérant que le redevable de la TVA est non pas le prestataire, mais le destinataire.
30 Il convient dès lors de répondre à la deuxième question que l’article 194 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à l’administration fiscale d’un État membre de considérer comme redevable de la TVA le destinataire d’une prestation de services fournie à partir d’un établissement stable du prestataire, lorsque tant ce dernier que le destinataire de ces services sont établis sur le territoire d’un même État membre, même si ce destinataire a déjà acquitté cette taxe en se fondant sur la supposition erronée que ledit prestataire ne disposait pas d’établissement stable dans cet État.
Sur les troisième et quatrième questions
31 Par ses troisième et quatrième questions qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de neutralité de la TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui permet à l’administration fiscale de refuser au prestataire de services le remboursement de cette taxe qu’il a acquittée, alors que le destinataire de ces services, qui a également acquitté ladite taxe pour les mêmes services, s’est vu refuser le droit de la déduire au motif qu’il ne disposait pas du document fiscal correspondant, la loi nationale ne permettant pas la régularisation des documents fiscaux lorsqu’il existe un avis de redressement définitif.
32 Il convient, en premier lieu, de rappeler que la Cour a itérativement jugé que le principe de neutralité de la TVA se reflète dans le régime de déductions, régime qui vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt Malburg, C-204/13, EU:C:2014:147, point 41 et jurisprudence citée).
33 En deuxième lieu, la Cour a également jugé que, pour assurer la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leur ordre juridique interne, la possibilité de régularisation de toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi. Toutefois, lorsque l’émetteur de la facture a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de neutralité de la TVA exige que cette taxe indûment facturée puisse être corrigée sans qu’une telle régularisation puisse être subordonnée par les États membres à la bonne foi de l’émetteur de ladite facture. Cette régularisation ne saurait dépendre du pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’administration fiscale (arrêt Rusedespred, C-138/12, EU:C:2013:233, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).
34 En troisième lieu, il importe de rappeler que les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent, dès lors, être utilisées de manière telle qu’elles remettraient en cause la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par le droit de l’Union en la matière (arrêt Rusedespred, C-138/12, EU:C:2013:233, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).
35 S’agissant de l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que, en vertu du droit national applicable, le prestataire de services ne dispose plus de la possibilité de régulariser les factures qu’il a émises dès lors que l’administration fiscale a adopté un avis de redressement définitif à son égard le 12 mars 2012. D’autre part, il n’est pas contesté que ce prestataire a dûment acquitté la TVA réclamée dans cet avis par ordre de paiement du 26 mars 2012.
36 En outre, ainsi que la juridiction de renvoi le relève, l’administration fiscale ayant définitivement refusé au destinataire desdites factures le droit de déduire la TVA qu’il a payée au moyen du mécanisme de l’autoliquidation, le risque de pertes fiscales lié à l’exercice de ce droit est complètement éliminé.
37 Dans de telles circonstances, dès lors que le prestataire de services ne peut pas régulariser lesdites factures et se trouve donc dans l’impossibilité de réclamer au destinataire de ces services le paiement de la TVA, le fait que l’administration fiscale lui refuse le remboursement de cette TVA revient à lui faire supporter la charge fiscale de cette taxe et est dès lors, contraire au principe de neutralité de la TVA.
38 Il en irait, en revanche, autrement dans l’hypothèse où le prestataire de services, après avoir dûment payé la TVA dont il était redevable à la suite de l’avis de redressement définitif, aurait pu, en vertu de la législation nationale, régulariser les factures émises et récupérer cette TVA auprès du destinataire des services qui en aurait demandé la déduction auprès de l’administration fiscale.
39 Par ailleurs, l’impossibilité de régulariser les documents fiscaux dans les circonstances de l’affaire au principal où l’élimination du risque de pertes de recettes fiscales est définitive, n’est pas nécessaire pour assurer la perception de la TVA et prévenir la fraude.
40 Enfin, il importe, également, de rappeler que le principe du système commun de TVA consiste à appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix de ceux-ci, de sorte que l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui ainsi calculé (voir, en ce sens, arrêt Tulică et Plavoşin, C-249/12 et C-250/12, EU:C:2013:722, points 32 et 36 ainsi que jurisprudence citée).
41 Or, dans des circonstances telles que celles de l’affaire en cause au principal, refuser au prestataire de services le remboursement de la TVA revient à faire porter la charge fiscale de cette taxe tant sur le prestataire de services que sur le destinataire de ces services et aboutit à ce que l’administration fiscale perçoive un montant de TVA supérieur à celui que le prestataire aurait dû normalement percevoir de la part du destinataire s’il avait pu régulariser les factures émises, dans la mesure où cette administration a perçu la TVA à deux reprises, d’une part, de la part du destinataire des services et, d’autre part, de la part du prestataire de ces services.
42 Il résulte des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que le principe de neutralité de la TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui permet à l’administration fiscale de refuser au prestataire de services le remboursement de cette taxe qu’il a acquittée, alors que le destinataire de ces services, qui a également acquitté ladite taxe pour les mêmes services, s’est vu refuser le droit de la déduire au motif qu’il ne disposait pas du document fiscal correspondant, la loi nationale ne permettant pas la régularisation des documents fiscaux lorsqu’il existe un avis de redressement définitif.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:
1) L’article 193 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/88/UE du Conseil, du 7 décembre 2010, doit être interprété en ce sens que seul est redevable de la taxe sur la valeur ajoutée l’assujetti fournissant une prestation de services lorsque celle-ci a été fournie à partir d’un établissement stable situé dans l’État membre où cette taxe est due.
2) L’article 194 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/88, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à l’administration fiscale d’un État membre de considérer comme redevable de la taxe sur la valeur ajoutée le destinataire d’une prestation de services fournie à partir d’un établissement stable du prestataire, lorsque tant ce dernier que le destinataire de ces services sont établis sur le territoire d’un même État membre, même si ce destinataire a déjà acquitté cette taxe en se fondant sur la supposition erronée que le prestataire ne disposait pas d’établissement stable dans cet État.
3) Le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui permet à l’administration fiscale de refuser au prestataire de services le remboursement de cette taxe qu’il a acquittée, alors que le destinataire de ces services, qui a également acquitté ladite taxe pour les mêmes services, s’est vu refuser le droit de la déduire au motif qu’il ne disposait pas du document fiscal correspondant, la loi nationale ne permettant pas la régularisation des documents fiscaux lorsqu’il existe un avis de redressement définitif.
Signatures
* Langue de procédure: le bulgare.