ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
9 septembre 2015 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements — Notion de transfert d’établissement — Obligation d’introduire une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267, troisième alinéa, TFUE — Violation alléguée du droit de l’Union imputable à une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours de droit interne — Législation nationale subordonnant le droit à réparation du préjudice subi en raison d’une telle violation à l’annulation préalable de la décision ayant occasionné ce préjudice»
Dans l’affaire C-160/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par les Varas Cíveis de Lisboa (Portugal), par décision du 31 décembre 2013, parvenue à la Cour le 4 avril 2014, dans la procédure
João Filipe Ferreira da Silva e Brito e.a.
contre
Estado português,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev et C. Lycourgos, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 février 2015,
considérant les observations présentées:
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pour M. Ferreira da Silva e Brito e.a., par Mes C. Góis Coelho, S. Estima Martins et R. Oliveira, advogados, |
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pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme A Fonseca Santos, en qualité d’agents, |
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pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents, |
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pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, D. Colas et F.-X. Bréchot, en qualité d’agents, |
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pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme F. Varrone, avvocato dello Stato, |
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pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren, M. França, M. Konstantinidis et M. Kellerbauer, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juin 2015,
rend le présent
Arrêt
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La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO L 82, p. 16), de l’article 267, troisième alinéa, TFUE ainsi que de certains principes généraux du droit de l’Union. |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Ferreira da Silva e Brito ainsi que 96 autres personnes à l’Estado português (État portugais) au sujet d’une violation alléguée du droit de l’Union, qui serait imputable au Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême). |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 |
La directive 2001/23 a procédé à la codification de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO L 61, p. 26), telle que modifiée par la directive 98/50/CE du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 201, p. 88). |
4 |
Aux termes du considérant 8 de la directive 2001/23: «La sécurité et la transparence juridiques ont requis une clarification de la notion de transfert à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice. Cette clarification n’a pas modifié le champ d’application de la directive 77/187/CEE telle qu’elle a été interprétée par la Cour de justice.» |
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L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2001/23 dispose:
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L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive prévoit: «Les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.» |
Le droit portugais
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L’article 13 de la loi no 67/2007 adoptant le régime de responsabilité civile extracontractuelle de l’État et des autres entités publiques (Lei no 67/2007 – Aprova o Regime da Responsabilidade Civil Extracontratual do Estado e Demais Entidades Públicas), du 31 décembre 2007 (Diário da República, 1re série, no 251, du 31 décembre 2007, p. 91117), telle que modifiée par la loi no 31/2008, du 17 juillet 2008 (Diário da República, 1re série, no 137, du 17 juillet 2008, p. 4454, ci-après le «RRCEE»), prévoit: «1. Sans préjudice des situations de condamnation pénale injuste et de privation injustifiée de liberté, l’État est civilement responsable des dommages qui découlent de décisions juridictionnelles manifestement inconstitutionnelles ou illégales ou injustifiées en raison d’une erreur manifeste d’appréciation des circonstances factuelles. 2. La demande d’indemnisation doit être fondée sur l’annulation préalable de la décision dommageable par la juridiction compétente.» |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
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Le 19 février 1993, Air Atlantis SA (ci-après «AIA»), société fondée en 1985 et active dans le secteur du transport aérien non régulier (vols charters), a été dissoute. Dans ce cadre, les requérants au principal ont fait l’objet d’un licenciement collectif. |
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À partir du 1er mai 1993, TAP, société qui était le principal actionnaire d’AIA, a commencé à opérer une partie des vols qu’AIA s’était engagée à effectuer pendant la période allant du 1er mai au 31 octobre 1993. TAP a également effectué un certain nombre de vols charters, marché sur lequel elle n’était pas active jusqu’alors, dans la mesure où les routes concernées étaient desservies auparavant par AIA. À cette fin, TAP a utilisé une partie de l’équipement qu’AIA utilisait pour ses activités, en particulier quatre avions. TAP a également pris à sa charge le paiement des loyers correspondant aux contrats de crédit-bail relatifs à ces avions et a repris les équipements de bureau appartenant à AIA et que cette dernière utilisait dans ses locaux situés à Lisbonne et à Faro (Portugal), ainsi que d’autres biens mobiliers. En outre, TAP a recruté un certain nombre d’anciens salariés d’AIA. |
10 |
Par la suite, les requérants au principal ont saisi le Tribunal do Trabalho de Lisboa (tribunal du travail de Lisbonne) d’une action dirigée contre le licenciement collectif dont ils avaient fait l’objet, en demandant à être réintégrés au sein de TAP et à obtenir le paiement de leurs rémunérations. |
11 |
Par un jugement du Tribunal do Trabalho de Lisboa, rendu le 6 février 2007, il a été fait partiellement droit au recours formé contre ledit licenciement collectif, cette juridiction ayant ordonné la réintégration des requérants au principal dans les catégories correspondantes ainsi que le paiement d’indemnités. Le Tribunal do Trabalho de Lisboa a conclu, en l’espèce, à l’existence d’un transfert d’établissement, à tout le moins partiel, dans la mesure où l’identité de l’établissement avait été conservée et où ses activités avaient été poursuivies, TAP s’étant substituée à l’ancien employeur dans les contrats de travail. |
12 |
Il a été fait appel de ce jugement devant le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne) qui, par un arrêt du 16 janvier 2008, a annulé le jugement rendu en première instance, en ce qu’il avait condamné TAP à réintégrer les requérants au principal et à leur payer des indemnités, au motif que le droit d’exercer un recours contre le licenciement collectif concerné était expiré. |
13 |
Les requérants au principal se sont alors pourvus en cassation devant le Supremo Tribunal de Justiça qui, par un arrêt du 25 février 2009, a jugé que ledit licenciement collectif n’était entaché d’aucune illégalité. Cette juridiction a relevé qu’il ne suffit pas qu’une activité commerciale soit «simplement poursuivie» pour qu’il puisse être conclu au transfert d’un établissement, étant donné qu’il est également nécessaire que l’identité de l’établissement soit conservée. Or, en l’espèce, lorsque TAP a opéré les vols en question au cours de l’été 1993, elle n’aurait pas utilisé une «entité» de même identité que l’«entité» qui appartenait auparavant à AIA. En l’absence d’identité entre les deux «entités» concernées, il ne saurait être conclu à l’existence d’un transfert d’établissement. |
14 |
Le Supremo Tribunal de Justiça a également considéré qu’il n’y avait eu aucun passage de clientèle d’AIA à TAP. En outre, selon cette juridiction, AIA possédait un établissement lié à un certain bien, en l’occurrence une licence, qui n’était pas transférable, ce qui aurait rendu impossible le transfert d’établissement, dans la mesure où seuls les biens individuels, et non l’établissement lui-même, auraient pu faire l’objet de la vente. |
15 |
En ce qui concerne l’application du droit de l’Union, le Supremo Tribunal de Justiça a relevé que la Cour, confrontée à des situations dans lesquelles une entreprise poursuivait des activités jusqu’alors exercées par une autre société, avait jugé que cette «simple circonstance» ne permettait pas de conclure au transfert d’une entité économique, dès lors qu’«une entité ne saurait être réduite à l’activité dont elle est chargée». |
16 |
Certains requérants au principal ayant demandé au Supremo Tribunal de Justiça de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, celui-ci a considéré que «l’obligation de renvoi préjudiciel, qui pèse sur les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne, n’existe que lorsque ces mêmes juridictions considèrent que le recours au droit de l’Union est nécessaire pour trancher le litige pendant devant elles et, par ailleurs, lorsqu’une question d’interprétation de ce droit se pose». En outre, compte tenu de la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation des règles de l’Union relatives au transfert d’établissement, il n’existerait «aucun doute pertinent» dans l’interprétation desdites règles, «qui imposerait le renvoi préjudiciel». |
17 |
Selon le Supremo Tribunal de Justiça, la «Cour elle-même a expressément reconnu que l’application correcte du droit de [l’Union] peut s’imposer avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée, écartant par conséquent également dans cette hypothèse l’obligation de procéder au renvoi préjudiciel. Or, [selon cette juridiction nationale,] au vu du contenu des [dispositions du droit de l’Union] citées par les [requérants au principal], compte tenu de l’interprétation qui a été faite par la Cour, de ces dernières et étant donné les éléments de l’affaire [...] qui ont été pris en considération [...], il n’exist[ait] aucun doute pertinent dans l’interprétation qui [aurait imposé] le renvoi préjudiciel [...]». |
18 |
Le Supremo Tribunal de Justiça a souligné en outre que «[...] la Cour a élaboré une jurisprudence constante relative à la problématique de l’interprétation des règles [du droit de l’Union] relatives au ‘transfert d’établissement’, étant donné que la directive [2001/23] traduit déjà la consolidation des notions qu’elle contient en vertu de cette jurisprudence et que celles-ci se présentent maintenant comme étant claires en termes d’interprétation jurisprudentielle (communautaire et même nationale), ce qui impliqu[ait] qu’il n’[était] pas nécessaire en l’espèce de procéder à la consultation préalable de la Cour [...]». |
19 |
Les requérants au principal ont alors formé un recours en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Estado português, tendant à la condamnation de ce dernier à la réparation de certains dommages patrimoniaux subis. À l’appui de leur recours, ils ont soutenu que l’arrêt du Supremo Tribunal de Justiça en cause est manifestement illégal, dans la mesure où il comporte une interprétation erronée de la notion de «transfert d’établissement», au sens de la directive 2001/23, et dans la mesure où cette juridiction a méconnu son obligation de poser à la Cour les questions d’interprétation du droit de l’Union pertinentes. |
20 |
L’Estado português a fait valoir que, conformément à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE, la demande d’indemnisation présentée doit être fondée sur l’annulation préalable de la décision dommageable par la juridiction compétente, en rappelant que, ledit arrêt du Supremo Tribunal de Justiça n’ayant pas été annulé, il n’y avait pas lieu de procéder à la réparation demandée. |
21 |
La juridiction de renvoi expose qu’il importe de savoir si l’arrêt rendu par le Supremo Tribunal de Justiça est manifestement illégal et s’il fait une interprétation incorrecte de la notion de «transfert d’établissement», à la lumière de la directive 2001/23 et au vu des éléments de fait dont cette dernière juridiction disposait. En outre, il importerait également de savoir si le Supremo Tribunal de Justiça avait l’obligation de procéder au renvoi préjudiciel demandé. |
22 |
C’est dans ces conditions que les Varas Cíveis de Lisboa (chambres civiles de Lisbonne) ont décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
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Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
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Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que la notion de «transfert d’établissement» recouvre une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charters est dissoute par son actionnaire majoritaire, qui est, lui-même, une entreprise de transport aérien, et dans laquelle, par la suite, cette dernière se substitue à l’entreprise dissoute en reprenant les contrats de location d’avions et les contrats de vols charters en cours d’exécution, exerce des activités auparavant exercées par l’entreprise dissoute, réintègre certains travailleurs jusqu’alors détachés auprès de cette entreprise en leur attribuant des fonctions identiques à celles exercées précédemment, et reprend de petits équipements de ladite entreprise. |
24 |
Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que la directive 77/187, codifiée par la directive 2001/23, était applicable dans toutes les hypothèses de changement, dans le cadre de relations contractuelles, de la personne physique ou morale responsable de l’exploitation de l’entreprise, qui contracte les obligations d’employeur vis-à-vis des employés de l’entreprise (voir arrêts Merckx et Neuhuys, C-171/94 et C-172/94, EU:C:1996:87, point 28; Hernández Vidal e.a., C-127/96, C-229/96 et C-74/97, EU:C:1998:594, point 23, ainsi que Amatori e.a., C-458/12, EU:C:2014:124, point 29 et jurisprudence citée). |
25 |
Selon une jurisprudence constante, la directive 2001/23 vise à assurer la continuité des relations de travail existantes dans le cadre d’une entité économique, indépendamment d’un changement du propriétaire. Le critère décisif, pour établir l’existence d’un transfert, au sens de cette directive, consiste donc dans la circonstance que l’entité en question garde son identité, ce qui résulte notamment de la poursuite effective de l’exploitation ou de sa reprise (voir arrêts Spijkers, 24/85, EU:C:1986:127, points 11 et 12; Güney-Görres et Demir, C-232/04 et C-233/04, EU:C:2005:778, point 31 et jurisprudence citée, ainsi que Amatori e.a., C-458/12, EU:C:2014:124, point 30 et jurisprudence citée). |
26 |
Afin de déterminer si cette condition est remplie, il faut prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération concernée, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non d’éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert, et la durée d’une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (voir arrêts Spijkers, 24/85, EU:C:1986:127, point 13; Redmond Stichting, C-29/91, EU:C:1992:220, point 24; Süzen, C-13/95, EU:C:1997:141, point 14, ainsi que Abler e.a., C-340/01, EU:C:2003:629, point 33). |
27 |
En particulier, la Cour a souligné que l’importance respective à accorder aux différents critères varie nécessairement en fonction de l’activité exercée, voire des méthodes de production ou d’exploitation utilisées dans l’entreprise, dans l’établissement ou dans la partie d’établissement concernée (voir arrêts Süzen, C-13/95, EU:C:1997:141, point 18; Hernández Vidal e.a., C-127/96, C-229/96 et C-74/97, EU:C:1998:594, point 31; Hidalgo e.a., C-173/96 et C-247/96, EU:C:1998:595, point 31, ainsi que, en ce sens, UGT-FSP, C-151/09, EU:C:2010:452, point 28). |
28 |
C’est à la lumière de ces enseignements jurisprudentiels qu’il convient d’apprécier la première question posée, en tenant compte des principaux éléments de fait relevés par la juridiction nationale dans la décision de renvoi et, notamment, dans le libellé de cette première question. |
29 |
Il importe de souligner tout d’abord que, dans une situation telle que celle en cause au principal, qui concerne le secteur des transports aériens, le transfert de matériels doit être considéré comme un élément essentiel aux fins d’apprécier l’existence d’un «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 (voir, en ce sens, arrêt Liikenne, C-172/99, EU:C:2001:59, point 39). |
30 |
À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que TAP s’est substituée à AIA dans les contrats de location d’avions et a effectivement utilisé ces derniers, ce qui témoigne de la reprise d’éléments indispensables à la poursuite de l’activité précédemment exercée par AIA. En outre, un certain nombre d’autres équipements ont été repris. |
31 |
Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 48, 51, 53, 56 et 58 de ses conclusions, d’autres éléments viennent corroborer, eu égard aux critères rappelés au point 26 du présent arrêt, l’existence, dans l’affaire au principal, d’un «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23. Il en va ainsi de la substitution de TAP à AIA dans les contrats de vols charters en cours d’exécution, conclus avec des opérateurs de tourisme, qui traduit la reprise de la clientèle d’AIA par TAP, du développement par TAP d’activités de vols charters sur des routes auparavant desservies par AIA, qui reflète la poursuite par TAP des activités antérieurement exercées par AIA, de la réintégration, au sein de TAP, d’employés détachés auprès d’AIA aux fins de l’exercice de fonctions identiques à celles exercées au sein de cette dernière société, qui traduit la reprise par TAP d’une partie des personnels qui étaient au service d’AIA, et, enfin, de la reprise par TAP, dès le 1er mai 1993, d’une partie des activités de vols charters exercées par AIA jusqu’à sa dissolution au mois de février 1993, ce qui atteste du fait que les activités transférées n’ont pratiquement pas été suspendues. |
32 |
Dans ces conditions, est dénué de pertinence, aux fins de l’application de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23, le fait que l’entité dont les matériels et une partie des personnels ont été repris ait été intégrée, sans qu’elle conserve sa structure organisationnelle autonome, dans la structure de TAP, dans la mesure où un lien a été conservé entre, d’une part, ces matériels et ces personnels transférés à cette dernière société ainsi que, d’autre part, la poursuite des activités exercées auparavant par la société dissoute. Dans ce contexte factuel, il importe peu que les matériels concernés aient été utilisés tant pour la réalisation de vols réguliers que pour celle de vols charters, s’agissant, en tout état de cause, d’opérations de transport aérien et étant rappelé que TAP a honoré les obligations contractuelles d’AIA relatives à ces vols charters. |
33 |
Il découle en effet des points 46 et 47 de l’arrêt Klarenberg (C-466/07, EU:C:2009:85) que c’est le maintien non pas de l’organisation spécifique imposée par l’entrepreneur aux divers facteurs de production transférés, mais du lien fonctionnel d’interdépendance et de complémentarité entre ces facteurs qui constitue l’élément pertinent aux fins de conclure à la préservation de l’identité de l’entité transférée. |
34 |
Ainsi, le maintien d’un tel lien fonctionnel entre les divers facteurs transférés permet au cessionnaire d’utiliser ces derniers, même s’ils sont intégrés, après le transfert, dans une nouvelle structure organisationnelle différente, afin de poursuivre une activité économique identique ou analogue (voir arrêt Klarenberg, C-466/07, EU:C:2009:85, point 48). |
35 |
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23 doit être interprété en ce sens que la notion de «transfert d’établissement» recouvre une situation dans laquelle une entreprise active sur le marché des vols charters est dissoute par son actionnaire majoritaire, qui est, lui-même, une entreprise de transport aérien, et dans laquelle, par la suite, cette dernière se substitue à l’entreprise dissoute en reprenant les contrats de location d’avions et les contrats de vols charters en cours d’exécution, exerce des activités auparavant exercées par l’entreprise dissoute, réintègre certains travailleurs jusqu’alors détachés auprès de cette entreprise, en leur attribuant des fonctions identiques à celles exercées précédemment, et reprend de petits équipements de ladite entreprise. |
Sur la deuxième question
36 |
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, compte tenu de circonstances telles que celles en cause au principal, et, notamment, en raison du fait que des instances juridictionnelles inférieures ont adopté des décisions divergentes relatives à l’interprétation de la notion de «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23, l’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne est en principe tenue de saisir la Cour aux fins de l’interprétation de cette notion. |
37 |
À cet égard, s’il est vrai que la procédure instituée par l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il n’existe aucun recours juridictionnel de droit interne contre la décision d’une juridiction nationale, cette dernière est, en principe, tenue de saisir la Cour, conformément à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, dès lors qu’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union est soulevée devant elle (voir arrêt Consiglio nazionale dei geologi et Autorità garante della concorrenza e del mercato, C-136/12, EU:C:2013:489, point 25 et jurisprudence citée). |
38 |
S’agissant de la portée de ladite obligation, il résulte d’une jurisprudence consolidée depuis le prononcé de l’arrêt Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335) qu’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question du droit de l’Union se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union concernée a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. |
39 |
La Cour a en outre précisé que l’existence d’une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence à l’intérieur de l’Union (arrêt Intermodal Transports, C-495/03, EU:C:2005:552, point 33). |
40 |
Certes, il appartient à la seule juridiction nationale d’apprécier si l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable et, en conséquence, de décider de s’abstenir de soumettre à la Cour une question d’interprétation du droit de l’Union qui a été soulevée devant elle (voir arrêt Intermodal Transports, C-495/03, EU:C:2005:552, point 37 et jurisprudence citée). |
41 |
À cet égard, l’existence, à elle seule, de décisions contradictoires rendues par d’autres juridictions nationales ne saurait constituer un élément déterminant susceptible d’imposer l’obligation énoncée à l’article 267, troisième alinéa, TFUE. |
42 |
La juridiction statuant en dernier ressort peut en effet estimer, nonobstant une interprétation déterminée d’une disposition du droit de l’Union effectuée par des juridictions subordonnées, que l’interprétation qu’elle se propose de donner de ladite disposition, différente de celle à laquelle se sont livrées ces juridictions, s’impose sans aucun doute raisonnable. |
43 |
Il convient toutefois de souligner que, en ce qui concerne le domaine considéré en l’occurrence et ainsi qu’il résulte des points 24 à 27 du présent arrêt, l’interprétation de la notion de «transfert d’établissement» a soulevé de nombreuses interrogations de la part d’un grand nombre de juridictions nationales qui, dès lors, se sont vues contraintes de saisir la Cour. Ces interrogations témoignent non seulement de l’existence de difficultés d’interprétation, mais également de la présence de risques de divergences de jurisprudence au niveau de l’Union. |
44 |
Il s’ensuit que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, marquées à la fois par des courants jurisprudentiels contradictoires au niveau national au sujet de la notion de «transfert d’établissement», au sens de la directive 2001/23, et par des difficultés d’interprétation récurrentes de cette notion dans les différents États membres, une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne doit déférer à son obligation de saisine de la Cour et ce afin d’écarter le risque d’une interprétation erronée du droit de l’Union. |
45 |
Il résulte des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle relative à l’interprétation de la notion de «transfert d’établissement», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/23, dans des circonstances, telles que celles de l’affaire au principal, marquées à la fois par des décisions divergentes d’instances juridictionnelles inférieures quant à l’interprétation de cette notion et par des difficultés d’interprétation récurrentes de celle-ci dans les différents États membres. |
Sur la troisième question
46 |
Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le droit de l’Union et, notamment, les principes énoncés par la Cour en matière de responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers en raison d’une violation du droit de l’Union commise par une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui requiert, comme condition préalable, l’annulation de la décision dommageable rendue par cette juridiction, alors qu’une telle annulation est, en pratique, exclue. |
47 |
À cet égard, il importe de rappeler que, eu égard au rôle essentiel joué par le pouvoir judiciaire dans la protection des droits que les particuliers tirent des règles du droit de l’Union, la pleine efficacité de celles-ci serait remise en cause et la protection des droits qu’elles reconnaissent serait affaiblie s’il était exclu que les particuliers puissent, sous certaines conditions, obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit de l’Union imputable à une décision d’une juridiction d’un État membre statuant en dernier ressort (voir arrêt Köbler, C-224/01, EU:C:2003:513, point 33). |
48 |
La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec ces principes de la règle figurant à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE, laquelle prévoit qu’une demande d’indemnisation au titre de ladite responsabilité «doit être fondée» sur l’annulation préalable de la décision dommageable par la juridiction compétente. |
49 |
Il découle de cette règle que toute action en responsabilité de l’État pour violation de l’obligation découlant de la méconnaissance de l’obligation prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE est irrecevable en l’absence d’annulation de la décision dommageable. |
50 |
Il convient de rappeler que, dès lors que les conditions relatives à l’engagement de la responsabilité de l’État sont réunies, ce qu’il appartient aux juridictions nationales de déterminer, c’est dans le cadre du droit national qu’il incombe à l’État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation (principe d’effectivité) (voir arrêt Fuß, C-429/09, EU:C:2010:717, point 62 et jurisprudence citée). |
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Or, une règle du droit national, telle que celle figurant à l’article 13, paragraphe 2, du RRCEE, peut rendre excessivement difficile l’obtention de la réparation des dommages occasionnés par la violation du droit de l’Union en cause. |
52 |
En effet, il ressort du dossier dont dispose la Cour ainsi que des débats qui ont eu lieu à l’audience que les hypothèses dans lesquelles des décisions du Supremo Tribunal de Justiça sont susceptibles de faire l’objet d’un réexamen sont extrêmement limitées. |
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Le gouvernement portugais soutient, à cet égard, que la disposition du droit national concernée obéit à des préoccupations tirées du principe de l’autorité de la chose jugée et du principe de sécurité juridique. Ce gouvernement souligne, en particulier, que, dans la situation en cause au principal, le réexamen de l’appréciation à laquelle s’est livré un organe juridictionnel statuant en dernier ressort est incompatible avec la fonction de cet organe juridictionnel, étant donné que l’objectif visé par ses décisions consiste à mettre un terme définitif à un litige, sous peine de remettre en cause la primauté du droit et le respect des décisions juridictionnelles, en affaiblissant la hiérarchisation du pouvoir judiciaire. |
54 |
Il est vrai que la Cour a souligné l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée, en précisant que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de ce principe relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt Fallimento Olimpiclub, C-2/08, EU:C:2009:506, points 22 et 24). |
55 |
Quant à l’incidence du principe de l’autorité de la chose jugée sur la situation en cause au principal, il suffit de rappeler que la reconnaissance du principe de la responsabilité de l’État du fait de la décision d’une juridiction statuant en dernier ressort n’a pas en soi pour conséquence de remettre en cause l’autorité de la chose définitivement jugée qui s’attache à une telle décision. Une procédure visant à engager la responsabilité de l’État n’a pas le même objet et n’implique pas nécessairement les mêmes parties que la procédure ayant donné lieu à la décision ayant acquis l’autorité de la chose définitivement jugée. En effet, dans une action en responsabilité présentée contre l’État, le requérant obtient, en cas de succès, la condamnation de celui-ci à réparer le dommage subi, mais il n’obtient pas nécessairement la remise en cause de l’autorité de la chose définitivement jugée qui s’attache à la décision juridictionnelle ayant causé ce dommage. En tout état de cause, le principe de la responsabilité de l’État inhérent à l’ordre juridique de l’Union exige une telle réparation, mais n’impose pas la révision de la décision juridictionnelle ayant causé le dommage (voir arrêt Köbler, C-224/01, EU:C:2003:513, point 39). |
56 |
S’agissant de l’argument tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique, il y a lieu de relever que, à supposer même que ce principe puisse être pris en compte dans une situation juridique telle que celle en cause au principal, il ne saurait aucunement faire échec au principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables. |
57 |
En effet, une prise en compte du principe de sécurité juridique aurait pour conséquence, lorsqu’une décision rendue par une juridiction statuant en dernier ressort est fondée sur une interprétation manifestement erronée du droit de l’Union, d’empêcher le particulier de faire valoir les droits qu’il peut tirer de l’ordre juridique de l’Union et, en particulier, ceux qui découlent de ce principe de la responsabilité de l’État. |
58 |
Or, ce dernier principe est inhérent au système des traités sur lesquels l’Union est fondée (voir, en ce sens, arrêt Specht e.a., C-501/12 à C-506/12, C-540/12 et C-541/12, EU:C:2014:2005, point 98 et jurisprudence citée). |
59 |
Dans ces conditions, un obstacle important, tel que celui qui résulte de la règle du droit national en cause au principal, à l’application effective du droit de l’Union et, notamment, d’un principe aussi fondamental que celui de la responsabilité de l’État pour violation du droit de l’Union ne saurait être justifié ni par le principe de l’autorité de la chose jugée ni par le principe de sécurité juridique. |
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Il résulte des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la troisième question que le droit de l’Union et, notamment, les principes énoncés par la Cour en matière de responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers en raison d’une violation du droit de l’Union commise par une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui requiert, comme condition préalable, l’annulation de la décision dommageable rendue par cette juridiction, alors qu’une telle annulation est, en pratique, exclue. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: le portugais.