Available languages

Taxonomy tags

Info

References in this case

Share

Highlight in text

Go

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 11 juin 2015 (1)

Affaire C-386/14

Groupe Steria SCA

contre

Ministère des finances et des comptes publics

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour administrative d’appel de Versailles (France)]

«Législation fiscale – Liberté d’établissement – Article 4, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE – Distributions de bénéfices à caractère transfrontalier – Impôt sur les sociétés national – Imposition des groupes («intégration fiscale» française) – Exonération des produits provenant de participations – Charges non déductibles se rapportant à la participation – Dividendes versés par des sociétés filiales non-résidentes»





I –    Introduction

1.        Par le passé, la Cour s’est penchée à plusieurs reprises sur les régimes prévus par les États membres en matière d’imposition des groupes (2), ainsi que, dans une affaire, sur le régime français (3), lequel a donné lieu à la présente demande de décision préjudicielle.

2.        Le droit français relatif à l’impôt sur les sociétés prévoit que les sociétés mères ne sont pas, en principe, imposées sur les distributions de bénéfices effectuées par les sociétés filiales. Toutefois, cette règle ne s’applique pas pour une quote-part de 5% qui symbolise les charges supportées par la société mère au titre de la participation dans la société filiale. Ces charges ne doivent pas pouvoir être déduites, car elles servent à générer des revenus exonérés pour la société mère, à savoir les distributions de bénéfices des sociétés filiales.

3.        Cependant, cette imposition partielle des distributions de bénéfices, qui résulte de cette règle, n’intervient pas lorsque la société mère et la filiale sont imposées conjointement dans le cadre du régime dit d’intégration fiscale. Cette forme d’imposition des groupes étant interdite aux sociétés non-résidentes, la Cour doit examiner si une telle réglementation est compatible avec la liberté d’établissement et le droit de l’Union en matière d’impôt sur les sociétés.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

4.         Concernant la période sur laquelle porte le litige au principal, l’article 43 CE (actuel article 49 TFUE) régit la liberté d’établissement comme suit:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux».

5.        L’article 48 CE (actuel article 54 TFUE) étend le champ d’application de la liberté d’établissement comme suit:

«Les sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union sont assimilées, pour l’application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l’exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif». 

6.        La directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (4) (ci-après la «directive mère filiale»), qui est pertinente dans l’affaire au principal, prévoit à son article premier, paragraphe 1, qu’elle est applicable à certaines distributions de bénéfices à caractère transfrontalier. Conformément à son troisième considérant, elle a pour objet d’éliminer la pénalisation fiscale des groupes transfrontaliers par rapport aux groupes nationaux. À cet égard, son article 4, paragraphe 1, dans la version modifiée par la directive 2003/123/CE (5), énonce la règle suivante:

«1. Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable:

–        soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices,

–        soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, […]»

7.        À cet égard, l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale ajoute ce qui suit¸: 

«Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation […] [dans] la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.» 

B –    Le droit national

8.        La République française prélève un impôt sur les sociétés grevant les revenus des sociétés, qui est régi par le Code général des impôts (ci-après le «CGI»).

9.        Concernant les revenus de participations et les charges s’y rapportant, l’article 216 du CGI prévoit ce qui suit¸:

«Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères […] touchés […] par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges [...] est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris. […]»

10.      Concernant les groupes, un régime spécial d’imposition commune est prévu par l’article 223 A du CGI sous certaines conditions:

«Une société peut se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 p. 100 au moins du capital, de manière continue au cours de l’exercice, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés du groupe. […]

Seules peuvent être membres du groupe les sociétés […] dont les résultats sont soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun. […]»

11.      Le résultat d’ensemble du groupe est déterminé conformément à l’article 223 B du CGI:

«Le résultat d’ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun [...]

En ce qui concerne la détermination des résultats des exercices ouverts avant le 1er janvier 1993, ou clos à compter du 31 décembre 1998, le résultat d’ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges comprise dans ses résultats par une société du groupe à raison de sa participation dans une autre société du groupe […]

[…]»

III – Le litige au principal

12.      Le litige au principal concerne l’impôt sur les sociétés de la société française Groupe Steria SCA (ci-après «Groupe Steria») pour les années 2005 à 2008. Groupe Steria est la société mère d’un groupe qui est soumis au régime spécial d’imposition des groupes.

13.      Groupe Steria demande la déduction de la quote-part de frais et charges de 5 % qui, en vertu de l’article 261, paragraphe 1, du CGI, n’est pas déductible (ci-après la «quote-part de 5 %»), concernant des produits perçus par l’une de ses filiales résidentes au titre de participations dans des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres de l’Union. Les autorités françaises interdisent cette déduction car, conformément à l’article 223 B, deuxième alinéa, du CGI, celle-ci n’est possible que si les produits de participation proviennent d’une société membre du groupe fiscal. Or, en application de l’article 223 A, deuxième alinéa, du CGI, les sociétés établies à l’étranger ne peuvent pas être membres d’un tel groupe.

14.      Si Groupe Steria admet l’exclusion des sociétés non-résidentes du régime d’imposition des groupes, elle est toutefois d’avis que les dispositions françaises sont incompatibles avec la liberté d’établissement dans la mesure où elles refusent la déduction de la quote-part de 5 % pour des participations détenues dans des sociétés qui pourraient être membres du groupe fiscal si elles n’étaient pas établies à l’étranger.

IV – La procédure devant la Cour

15.      La Cour administrative d’appel de Versailles, qui était saisie du litige au principal, a posé à la Cour, le 13 août 2014, la question suivante conformément à l’article 267 TFUE:

L’article 43 du traité CE devenu l’article 49 du TFUE relatif à la liberté d’établissement doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la législation relative au régime français de l’intégration fiscale accorde à une société mère intégrante la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des seules sociétés résidentes partie à l’intégration, alors qu’un tel droit lui est refusé, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales implantées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option?

16.      Dans la procédure devant la Cour, Groupe Steria, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. En outre, Groupe Steria, la République française et la Commission ont également formulé des observations dans le cadre de l’audience du 13 mai 2015.

V –    Analyse juridique

17.      Pour répondre à la question préjudicielle, il convient d’examiner si un régime tel que le régime français est compatible avec la liberté d’établissement.

A –    Restriction à la liberté d’établissement

18.      D’après les dispositions combinées de l’article 43, premier alinéa, CE et de l’article 48 CE, les restrictions à la liberté d’établissement des sociétés d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction ne s’applique pas seulement à l’État d’accueil, mais aussi à l’État d’origine de la société (6).

19.      Si l’État d’origine défavorise une société mère résidente ayant une filiale non-résidente par rapport à une société mère résidente ayant une filiale résidente, la liberté d’établissement de la société mère est restreinte (7). Il en va de même lorsqu’il ne s’agit que d’une filiale indirecte (sous-filiale) (8). Comme la Cour l’a déjà relevé dans l’arrêt Papillon, l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement doit être admise en particulier lorsque les désavantages infligés aux société mères dans le cadre du régime français de l’intégration fiscale résultent de la circonstance que leurs filiales sont établies dans un autre État membre (9).

20.      Le droit français en cause est, en définitive, plus avantageux pour les sociétés mères qui détiennent une participation directe ou indirecte d’au moins 95% dans une société résidente que pour les sociétés mères détenant une telle participation dans une société établie dans un autre État membre.

21.      Le régime général de l’article 216, paragraphe 1, du CGI, prévoit certes que les produits de participations sont exonérés à hauteur de 95 % pour les sociétés respectives dans les deux cas de figure. Pour cela, la société concernée déduit à nouveau de son bénéfice les produits de participations qu’elle perçoit, à l’exception toutefois d’une quote-part de 5 %. Cette quote-part correspond au montant forfaitaire des charges d’exploitation supportées par la société participante dans le cadre de sa participation (ci-après les «charges se rapportant à la participation»). Les charges se rapportant à la participation pourraient, par exemple, consister dans des intérêts d’emprunt qu’une société aurait contracté pour l’acquisition d’une participation. Les charges se rapportant à la participation ne sont pas censées minorer les revenus de la société.

22.      Toutefois, conformément au régime spécial visé à l’article 223 B, deuxième alinéa, du CGI, la quote-part de 5 % peut être déduite du bénéfice lorsque la société participante ainsi que la société dans laquelle une participation est détenue sont imposées conjointement dans le cadre d’un groupe fiscal. Or, étant donné que les sociétés non-résidentes ne peuvent pas être membres d’un groupe fiscal, seules les participations détenues dans des filiales résidentes offrent en définitive la possibilité de percevoir des produits de participations exonérés à 100 % dans le cadre du régime de l’intégration fiscale.

23.      En tant que société mère d’un groupe fiscalement intégré, Groupe Steria détient des participations indirectes dans des sociétés qui pourraient être incluses dans son groupe fiscal si elles n’étaient pas établies dans un autre État membre. Par conséquent, les dispositions françaises privent le groupe fiscal de Groupe Steria de la possibilité de percevoir les produits de ces participations indirectes en bénéficiant d’une exonération totale, et non limitée à 95 %, au seul motif que les participations portent sur des sociétés établies dans un autre État membre.

24.      Compte tenu de ce traitement désavantageux d’une société mère détenant des participations dans des sociétés établies dans un autre État membre par rapport à une société mère détenant des participations dans des sociétés résidentes, la liberté d’établissement est en l’espèce restreinte.

B –    Justification de la restriction

25.      Cependant, une restriction à la liberté d’établissement peut se justifier par une raison impérieuse d’intérêt général (10).

1.      L’interdiction de déduction prévue par l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale.

26.      La République fédérale d’Allemagne semble voir dans la réglementation de l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale une justification à la restriction en cause. Selon cette disposition, tout État membre garde la faculté de prévoir que les charges se rapportant à la participation d’une société mère établie sur son territoire, qui résultent de la distribution des bénéfices d’une société filiale établie dans un autre État membre, ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère à concurrence d’un montant forfaitaire allant jusqu’à 5 % des bénéfices distribués. Selon la République fédérale d’Allemagne, c’est précisément cette règle du droit de l’Union que la République française a appliquée au cas particulier. Ce droit, que l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale confère aux États membres, ne saurait leur être repris sous couvert de la liberté d’établissement.

27.      Cependant, la Cour a déjà relevé à de nombreuses reprises que les États membres ne sauraient exercer la possibilité conférée par l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale que dans le respect des dispositions relatives à la liberté d’établissement (11). C’est pourquoi la directive mère filiale n’autorise en aucun cas un traitement des distributions de bénéfices à caractère transfrontalier qui serait contraire aux libertés fondamentales (12).

28.      Il s’ensuit que la République française ne doit pas non plus instaurer d’interdiction de déduction des charges se rapportant à la participation, telle que prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale, sans le faire d’une manière qui ne soit pas contraire à la liberté d’établissement. Dès lors, l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale n’est pas susceptible de constituer une justification à la restriction en cause.

2.      Répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres

29.      Toutefois, le motif tiré de la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres, reconnu par la Cour dans une jurisprudence constante, pourrait éventuellement constituer une justification (13).

30.      C’est sur cette base que la Cour a admis, dans l’arrêt X Holding, qu’un État membre était fondé à exclure de son régime d’imposition des groupes des filiales établies dans un autre État membre au motif que les bénéfices de la filiale non-résidente n’étaient pas soumis à l’imposition de cet État membre (14).

31.      Différentes parties à la procédure déduisent de cet arrêt que les États membres sont fondés à exclure les sociétés non-résidentes de leur régime d’imposition des groupes au regard de toutes les conséquences qui sont liées à ce régime. Cela inclurait aussi la présente disposition litigieuse, relative à une déduction de la quote-part de 5 % dans le cadre du régime français d’intégration fiscale

32.      Or, la Cour n’a en aucun cas donné carte blanche pour exclure les sociétés filiales non-résidentes de l’imposition des groupes au regard de toutes les conséquences qui s’y rattachent. Dans l’arrêt X Holding, la Cour examinait simplement s’il est justifié d’interdire à une société mère l’imputation des pertes subies par une société filiale non-résidente, dans le cadre de l’imposition des groupes (15). Dans l’arrêt, la Cour n’a pas examiné les autres conséquences d’une exclusion des sociétés filiales non-résidentes de l’imposition des groupes (16).

33.      En outre, la Cour a constaté en dernier lieu, dans l’arrêt SCA Group Holding, que le droit d’exclure des sociétés filiales non-résidentes de l’imposition des groupes ne justifiait pas pour autant automatiquement l’exclusion de sociétés résidentes dont le lien avec le groupe n’existe que par l’intermédiaire d’une société non-résidente (17). Par exemple, la société mère ne pouvait pas se voir refuser l’avantage tiré de la possibilité d’inclure aussi des sous-filiales dans le régime de l’imposition des groupes au seul motif qu’elle n’était pas fondée à étendre ce régime à sa filiale non-résidente (18).

34.      Il s’ensuit que, pour chaque avantage fiscal accordé dans le cadre d’une imposition des groupes, il convient d’examiner séparément si les États membres peuvent valablement l’interdire dans des situations transfrontalières (19). Un avantage fiscal qui se limite à des structures de groupe résidentes ne peut pas se justifier par le seul fait qu’il est accordé dans le cadre d’un régime spécial relatif à l’imposition des groupes, lequel peut exclure des sociétés non-résidentes aux fins de l’imputation des pertes.

35.      L’avantage en cause, tiré d’une déduction de la quote-part de 5 %, qui correspond à l’évaluation forfaitaire des charges se rapportant à la participation, n’a, en tant que tel, aucun lien avec la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres. En effet, les charges se rapportant à la participation sont uniquement supportées par la société mère résidente. La souveraineté fiscale d’un autre État membre n’est dès lors pas concernée.

36.      En conséquence, la restriction en cause n’est pas justifiée par la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres.

3.      Cohérence fiscale

37.      Le pouvoir des États membres de préserver la cohérence de leurs régimes fiscaux pourrait toutefois constituer une justification (20).

38.      Il devrait pour cela exister un lien direct entre l’octroi d’un avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (21). À cet égard, le caractère direct de ce lien doit être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation fiscale (22). Dans un tel cas de figure, l’avantage fiscal peut être refusé au bénéficiaire d’une liberté fondamentale lorsqu’il n’est pas non plus soumis à la charge fiscale qui, dans le système fiscal de l’État membre, est indissociable de l’avantage fiscal demandé.

39.      Dans l’arrêt Papillon, la Cour a déjà constaté, concernant le régime français de l’intégration fiscale, que ce lien direct existait entre l’avantage tiré de la consolidation des résultats de toutes les sociétés du groupe et le prélèvement fiscal lié à une neutralisation de certaines opérations internes au groupe, qui permet d’éviter le double emploi de pertes (23).

40.      Dans la présente espèce, cependant, l’objectif n’est pas d’éviter un double emploi de pertes, et l’avantage fiscal ne consiste pas dans la consolidation des résultats au sein du groupe. L’avantage fiscal réside au contraire dans la déduction de la quote-part de 5 % des charges se rapportant à la participation au sein du groupe fiscal. Dès lors, il reste à examiner si cet avantage fiscal est directement lié à un prélèvement fiscal déterminé dans le cadre du régime de l’intégration fiscale.

–       Neutralisation d’opérations internes au groupe

41.       À cet égard, la République française a tout d’abord soutenu que l’intégration fiscale visait d’une manière générale à neutraliser fiscalement des opérations internes au groupe. Une partie de cette neutralisation consisterait dans la mesure en cause en l’espèce qui prévoit la déduction de la quote-part de 5 %.

42.      En effet, la Cour a déjà relevé, dans l’arrêt Papillon, que les dispositions françaises relatives à l’intégration fiscale visaient à assimiler le plus possible à une entreprise ayant plusieurs établissements le groupe constitué par une société mère et d’autres sociétés contrôlées (24). Concernant cet objectif, il convient en principe de reconnaître que la neutralisation d’opérations internes au groupe peut comporter des effets tant défavorables que favorables et qu’il peut exister un lien direct entre eux.

43.      Toutefois, l’avantage litigieux en l’espèce ne constitue pas, en définitive, une transaction interne au groupe qui devrait être neutralisée. Si l’avantage tiré de la déduction de la quote-part de 5 % a finalement comme conséquence d’exonérer à 100 % une transaction interne au groupe – à savoir une distribution de bénéfices – et donc, de la neutraliser, la quote-part de 5 % représente toutefois l’évaluation forfaitaire des charges non déductibles se rapportant à la participation (25). Au cas particulier, cela résulte également directement de l’article 4, paragraphe 2, de la directive mère filiale, car l’exonération des distributions de bénéfices à caractère transfrontalier, visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive mère filiale ne peut être limitée que pour cette raison. L’avantage litigieux consiste donc dans la possibilité de déduire les charges se rapportant à la participation au sein du groupe. Or, les charges se rapportant à la participation sont exclusivement supportées par la société mère concernée et ne résultent précisément pas, généralement, d’opérations effectuées entre les sociétés d’un groupe fiscal. C’est pourquoi la possibilité de déduction qui lui est impartie dans le cadre de l’imposition des groupes n’a pas de rapport avec la neutralisation d’opérations internes au groupe.

44.      L’avantage tiré de la déduction des charges se rapportant à la participation, qui est accordé dans le cadre de l’imposition des groupes, a tout au plus, d’une certaine manière, un lien avec une neutralisation d’opérations internes au groupe. En effet, comme cela a également été indiqué au cours de la procédure, le principe de l’interdiction de la déduction des charges se rapportant à la participation est justifiée dans le système fiscal par le fait que les dépenses liées à des recettes exonérées ne sont généralement pas déductibles. Si, toutes les opérations étaient désormais considérées comme fiscalement inexistantes au sein d’un groupe fiscal, les distributions de bénéfices opérées entre les sociétés du groupe n’auraient alors pas lieu d’être exonérées non plus. Par conséquent, l’interdiction de déduction des charges se rapportant à la participation ne serait pas non plus justifiée car celles-ci ne seraient pas liées à des revenus exonérés.

45.      Compte tenu de cette circonstance, on ne saurait néanmoins admettre l’existence d’un prélèvement fiscal avec lequel l’avantage litigieux tiré d’une déduction de la quote-part de 5 % serait susceptible d’avoir un lien direct. En effet, cet avantage ne serait que la conséquence d’une absence de prise en compte des distributions de bénéfices opérées au sein d’un groupe fiscal, laquelle ne constitue pas un prélèvement fiscal mais, au contraire, un avantage en soi.

46.      En outre, les dispositions françaises relatives à l’intégration fiscale, telles que la juridiction de renvoi les a communiquées, ne semblent de toute façon prévoir aucune neutralisation totale des transactions internes au groupe. L’article 223 B, paragraphe 1, du CGI dispose au contraire que, même dans le cadre du régime de l’intégration fiscale, les résultats des sociétés du groupe sont tout d’abord déterminés en application du régime général, et qu’ils ne sont imputés qu’après au niveau de la société mère. C’est pourquoi, même au sein d’un groupe fiscal, les distributions de bénéfices ne sont exonérées qu’en vertu de la règle générale de l’article 216, paragraphe 1, du CGI. Par conséquent, au plan de la pure technique fiscale, les charges se rapportant à la participation sont liées aux revenus exonérés, y compris au sein d’un groupe fiscal.

47.      L’avantage tiré de la déduction de 5 % des charges se rapportant à la participation ne présente donc, dans le cadre de la neutralisation des opérations internes au groupe, aucun lien direct avec un prélèvement fiscal.

–       Lien global entre tous les avantages et désavantages

48.       Dans le cadre de l’audience, la République française a en outre fait valoir que tous les avantages et désavantages inhérents au régime spécial de l’intégration fiscale avaient un lien direct entre eux. C’est pourquoi l’avantage litigieux tiré de la déduction de la quote-part de 5 % aurait un lien direct avec l’ensemble des désavantages que le régime de l’intégration fiscale infligerait aux sociétés du groupe.

49.      Cette approche va cependant au-delà des limites d’une possible justification fondée sur la préservation de la cohérence fiscale.

50.      Elle reviendrait à permettre aux États membres, dans le cadre d’un régime spécial ouvert aux seuls contribuables résidents, et qui est également lié à des prélèvements fiscaux, d’octroyer des avantages fiscaux quel qu’en soit le montant. Selon l’argumentation de la République française, il serait par exemple permis d’accorder aux sociétés nationales de groupe un généreux abattement sur leurs revenus au seul motif que les règles spéciales de l’intégration fiscale comportent aussi des désavantages fiscaux.

51.      Une justification fondée sur la préservation de la cohérence d’un système fiscal national requiert, d’après la jurisprudence, un lien entre un avantage et un prélèvement au regard de l’objectif du régime fiscal (26). Or, un tel lien n’est pas possible sans identification d’un prélèvement fiscal précis ni de sa finalité individuelle.

52.      Le régime en cause ne peut donc pas se justifier par le fait que l’avantage fiscal tiré de la déduction de 5 % des charges se rapportant à la participation présente un lien direct avec tous les prélèvements fiscaux qui existent dans le cadre du régime spécial de l’intégration fiscale.

–       Conclusion intermédiaire

53.      Dès lors on ne saurait conclure en l’espèce qu’il existe un lien direct entre l’avantage fiscal litigieux et un prélèvement fiscal.

54.      La présente restriction à la liberté d’établissement n’est donc pas non plus justifiée par la préservation de la cohérence fiscale.

C –    Conclusion

55.      Un régime tel que celui qui est en cause dans le litige au principal est donc contraire à la liberté d’établissement reconnue par l’article 43, premier alinéa, CE et par l’article 48 CE.

VI – Conclusion

56.      C’est pourquoi nous suggérons à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par la Cour administrative d’appel de Versailles:

La liberté d’établissement reconnue par l’article 43, premier alinéa, CE et par l’article 48 CE s’oppose aux dispositions juridiques d’un État membre accordant aux sociétés de groupes, dans le cadre d’un régime spécial d’intégration fiscale qui n’est ouvert qu’aux sociétés résidentes, la déduction des charges se rapportant à des participations dans d’autres sociétés du groupe, alors que cette déduction est par ailleurs exclue.


1 – Langue originale: le français.


2 Arrêts ICI (C-264/96, EU:C:1998:370); Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, EU:C:2001:134); Marks & Spencer (C-446/03, EU:C:2005:763); X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89); Philips Electronics (C-18/11, EU:C:2012:532); Felixstowe Dock and Railway Company e.a. (C-80/12, EU:C:2014:200); SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758); et Commission/Royaume-Uni (C-172/13, EU:C:2015:50); voir également l’affaire Finanzamt Linz (C-66/14) encore pendante actuellement.


3      Arrêt Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659).


4 JO L 225, p. 6; la directive a été abrogée entre-temps et remplacée par la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (refonte) (JO L 345, p. 8).


5 Directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003, modifiant la directive 90/435/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO L 7 du 13 janvier 2004, p. 41).


6 Voir, entre autres, arrêts Daily Mail et General Trust (81/87, EU:C:1988:456, point 16), National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785, point 35), Nordea Bank Danmark (C-48/13, EU:C:2014:2087, point 18); et Verder LabTec (C-657/13, EU:C:2015:331, point 33).


7 Voir, entre autres, arrêts X et Y (C-200/98, EU:C:1999:566, points 27 et 28), Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659, points 31 et 32); SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, points 23 à 27); Nordea Bank Danmark (C-48/13, EU:C:2014:2087, point 19); et Commission/Royaume-Uni (C-172/13, EU:C:2015:50 point 23).


8 Voir arrêts Keller Holding (C-471/04, EU:C:2006:143, points 34 et 35); et Rewe Zentralfinanz (C-347/04, EU:C:2007:194, points 30 et 31).


9 Arrêt Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659, points 15 à 32).


10 Voir, entre autres, arrêts Lankhorst-Hohorst (C-324/00, EU:C:2002:749, point 33); Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659, point 33); Nordea Bank Danmark (C-48/13, EU:C:2014:2087, point 23); et Commission/Allemagne (C-591/13, EU:C:2015:230, point 63).


11 Arrêts Bostal (C-168/01, EU:C:2003:479, point 26); et Keller Holding (C-471/04, EU:C:2006:143, point 45); voir également arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation (C-446/04, EU:C:2006:774, point 46).


12 Voir, en ce sens, arrêt Gaz de France – Berliner Investissement (C-247/08, EU:C:2009:600, points 59 à 62).


13 Voir, entre autres, arrêts Marks & Spencer (C-446/03, EU:C:2005:763, point 45); National Grid Indus (C-371/10, EU:C:2011:785, point 45); et Commission/Allemagne (C-591/13, EU:C:2015:230, point 64).


14 Arrêt X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89).


15 Arrêt X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89, points 25 à 42).      


16 Concernant les autres avantages de l’imposition des groupes en cause à l’époque, voir nos conclusions dans l’affaire X Holding (C-337/08, EU:C:2009:721, points 34, 73 à 81 ainsi que 82 et 83).


17 Arrêt SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758).


18 Arrêt SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, points 19 et suivants, en particulier point 25); voir également arrêt Papillon déjà cité (C-418/07, EU:C:2008:659).


19 Voir, à cet égard, nos conclusions dans l’affaire X Holding (C-337/08, EU:C:2009:721, points 23, 34 et suivants); voir en ce sens aussi arrêt Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, EU:C:2001:134, points 35 à 76).


20 Voir, entre autres, arrêts Bachmann (C-204/90, EU:C:1992:35, point 28); Manninen (C-319/02, EU:C:2004:484, point 42); Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C-524/04, EU:C:2007:161, point 68); Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659, point 43); SCA Group Holding e.a. (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 33); et Grünewald (C-559/13, EU:C:2015:109, point 48).


21 Voir seulement arrêts Svensson et Gustavsson (C-484/93, EU:C:1995:379, point 18); ICI (C-264/96, EU:C:1998:370, point 29); Rewe Zentralfinanz (C-347/04, EU:C:2007:194, point 62); Test Claimants in the FII Group Litigation (C-35/11, EU:C:2012:707, point 58); et Commission/Allemagne (C-591/13, EU:C:2015:230, point 74).


22 Voir seulement arrêts Deutsche Shell (C-293/06, EU:C:2008:129, point 39); Presidente del Consiglio dei Ministri (C-169/08, EU:C:2009:709, point 47); et Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company (C-190/12, EU:C:2014:249, point 92); voir, en ce sens, arrêt Manninen déjà cité (C-319/02, EU:C:2004:484, point 43).


23 Voir arrêt Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659, points 45 à 50).


24 Arrêt Papillon (C-418/07, EU:C:2008:659, point 28).


25 Voir ci-dessus, point 21.


26 Voir ci-dessus point 38.