ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
13 juillet 2016 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 56 TFUE – Libre prestation des services – Restrictions – Législation fiscale – Imposition des intérêts perçus – Différence de traitement entre les institutions financières résidentes et les institutions financières non-résidentes »
Dans l’affaire C-18/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême, Portugal), par décision du 29 octobre 2014, parvenue à la Cour le 19 janvier 2015, dans la procédure
Brisal – Auto Estradas do Litoral SA,
KBC Finance Ireland
contre
Fazenda Pública,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et Mme M. Berger, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 janvier 2016,
considérant les observations présentées :
– pour Brisal – Auto Estradas do Litoral SA et KBC Finance Ireland, par Mes J. Lampreia, R. Seabra Moura et F. Antas, advogados,
– pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et J. Martins da Silva ainsi que par Mme M. Rebelo, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par MM. J.-C. Halleux et N. Zimmer ainsi que par Mme M. Jacobs, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement danois, par M. C. Thorning et Mme M. Wolff, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et P. Guerra e Andrade, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 mars 2016,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Brisal ‒ Auto Estradas do Litoral SA (ci-après « Brisal »), établie au Portugal, ainsi que KBC Finance Ireland (ci-après « KBC »), établissement bancaire ayant son siège en Irlande, à la Fazenda Pública (Trésor public, Portugal) au sujet du calcul de l’impôt sur le revenu des personnes morales (ci-après l’« IRC ») relatif aux revenus d’intérêts perçus par KBC et de la perception à la source de cet impôt.
Le cadre juridique
Le droit portugais
3 Conformément à l’article 4, paragraphe 2, du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Colectivas (code de l’impôt sur le revenu des personnes morales), approuvé par le Decreto-Lei n.º 442-B/88 (décret-loi n° 442-B/88), du 30 novembre 1988 (Diário da República I, série I-A, n° 277, du 30 novembre 1988), dans sa version résultant du Decreto-Lei n. 211/2005 (décret-loi n° 211/2005), du 7 décembre 2005 (Diário da República I, série I-A, n° 234, du 7 décembre 2005) (ci-après le « CIRC »), les personnes morales et les autres entités qui n’ont pas leur siège ni leur direction effective sur le territoire portugais sont soumises à l’IRC uniquement en ce qui concerne les revenus acquis sur ce territoire. Parmi les revenus concernés figurent, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, sous c), du CIRC, les intérêts payés par des débiteurs qui résident, ont leur siège ou leur direction effective sur le territoire portugais, ou dont le paiement est imputable à un établissement stable établi dans cet État.
4 En l’absence de convention tendant à prévenir la double imposition, de tels revenus sont, en application de l’article 80, paragraphe 2, sous c), du CIRC, imposés en principe au taux de 20 % et la base imposable est constituée des revenus bruts obtenus au Portugal. L’IRC est, conformément à l’article 88, paragraphe 1, sous c), à l’article 88, paragraphe 3, sous b), ainsi qu’à l’article 88, paragraphe 5, du CIRC, prélevé par voie de retenue à la source ayant un caractère définitif.
5 Les revenus d’intérêts perçus par les institutions financières résidentes sont, en vertu de l’article 80, paragraphe 1, du CIRC, imposés au taux de 25 %. Toutefois, la base imposable n’est constituée que par le montant net des intérêts perçus. En outre, conformément à l’article 90, paragraphe 1, sous a), du CIRC, l’IRC n’est pas, en ce qui concerne ces institutions financières, prélevé par voie de retenue à la source.
Convention relative à la double imposition entre la République portugaise et l’Irlande
6 L’article 11 de la Convenção entre a República Portuguesa e a Irlanda para Evitar a Dupla Tributação e Prevenir a Evasão Fiscal em Matéria de Impostos sobre o Rendimento (convention entre la République portugaise et l’Irlande visant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu), conclue à Dublin le 1er juin 1993 (Diário da República I, série I-A, nº 144, du 24 juin 1994, p. 3310), prévoit :
« 1 – Les intérêts perçus dans un État contractant et payés à un résident d’un autre État contractant peuvent être imposés dans cet autre État.
2 – Dès lors, ces intérêts peuvent également être imposés dans l’État contractant d’où ils proviennent et conformément à la législation de cet État, mais si la personne qui perçoit ces intérêts en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi n’excèdera pas les 15 % du montant brut de ces intérêts.
Les autorités compétentes des États contractants établiront, d’un commun accord, la manière d’appliquer cette limite.
[…] »
Les faits au principal et les questions préjudicielles
7 Le 30 septembre 2004, Brisal a conclu un contrat de financement externe, appelé Loan, Bond and Guarantee Facilities, d’un montant de 262 726 055 euros, visant à garantir le développement de toutes les activités relevant d’un contrat de concession passé antérieurement avec l’État portugais. Ce contrat de financement externe a été conclu avec un consortium de banques dont certaines seulement résidaient sur le territoire portugais.
8 Le 29 mars 2005, ce consortium a été élargi à d’autres institutions financières, dont KBC, au moyen d’une cession de contrat.
9 S’agissant de la partie du contrat relatif à KBC, Brisal a retenu à la source et versé à l’État portugais, au titre de l’IRC, un montant de 59 386 euros. Ce montant était calculé en fonction des intérêts dus à KBC entre le mois de septembre 2005 et le mois de septembre 2007, qui s’élevaient à 350 806,07 euros.
10 Le 28 septembre 2007, Brisal et KBC ont formé un recours gracieux contre cette imposition auprès du centre des impôts compétent, au motif que ladite imposition était contraire à l’article 56 TFUE.
11 Ce recours ayant été rejeté, Brisal et KBC ont saisi le Tribunal Administrativo e Fiscal de Sintra (tribunal administratif et fiscal de Sintra, Portugal) d’une requête qui a également été rejetée. Cette juridiction a considéré qu’il ressortait de l’arrêt du 22 décembre 2008, Truck Center (C-282/07, EU:C:2008:762), que le fait pour une législation nationale de prévoir une différence de traitement entre les sociétés résidentes et les sociétés non-résidentes au regard de l’obligation de retenue à la source de l’impôt sur le revenu ne constitue pas, à lui seul, une violation du principe de libre prestation des services, puisque ces deux catégories de sociétés ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable. En outre, ladite juridiction a ajouté que la Cour avait déjà rejeté un recours en manquement introduit par la Commission européenne contre la République portugaise, recours qui était fondé sur les mêmes motifs que ceux invoqués par Brisal et KBC dans le cadre du litige au principal.
12 À l’appui de l’appel interjeté devant le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême, Portugal), Brisal et KBC font valoir que les intérêts acquis au Portugal par les institutions financières non-résidentes font l’objet d’une retenue à la source à un taux libératoire de 20 %, ou à un taux moindre en cas d’application d’une convention destinée à éviter la double imposition, taux qui frappe les revenus bruts, alors que les intérêts acquis par les institutions financières résidantes, qui ne sont pas soumis à une retenue à la source, sont imposés sur leur valeur nette au taux de 25 %. Les institutions financières non-résidentes seraient donc soumises à une charge fiscale plus lourde que les institutions financières résidentes, ce qui serait contraire à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, prévues respectivement aux articles 56 et 63 TFUE.
13 Le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême) relève que le litige au principal concerne la libre prestation des services et que les effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux ainsi que sur la liberté des paiements ne sont que la conséquence directe et naturelle d’éventuelles restrictions à la libre prestation des services. Il conviendrait donc uniquement d’examiner si l’article 80, paragraphe 2, sous c), du CIRC est conforme à l’article 56 TFUE, tel qu’interprété par la Cour notamment dans ses arrêts du 12 juin 2003, Gerritse (C-234/01, EU:C:2003:340), du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen (C-290/04, EU:C:2006:630), et du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande (C-345/04, EU:C:2007:96).
14 Il y aurait, de l’avis de cette juridiction, lieu de se référer non pas à l’arrêt du 22 décembre 2008, Truck Center (C-282/07, EU:C:2008:762), pour résoudre la présente affaire, mais plutôt à l’arrêt du 12 juin 2003, Gerritse (C-234/01, EU:C:2003:340). Toutefois, bien que la logique sous-tendant ce dernier arrêt puisse être considérée comme présentant des similitudes avec celle en cause dans l’affaire au principal, la Cour ne se serait pas explicitement prononcée sur l’imposition des paiements transfrontaliers d’intérêts impliquant des institutions financières.
15 Demeurerait donc ouverte la question de savoir si les institutions financières résidentes et les institutions financières non-résidentes se trouvent dans une situation comparable et si l’imposition concernée doit prendre en compte, tant pour les unes que pour les autres, les coûts de financement des prêts octroyés ou les frais directement liés à l’activité économique exercée ainsi que, dans l’affirmative, quel est l’écart permettant de conclure que les institutions non-résidentes se trouvent, de fait, dans une situation défavorable par rapport aux institutions résidentes. Cette problématique n’aurait pas non plus été tranchée dans l’arrêt du 17 juin 2010, Commission/Portugal (C-105/08, EU:C:2010:345).
16 Dans ces conditions, le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 56 TFUE s’oppose-t-il à une législation fiscale interne en vertu de laquelle les institutions financières ne résidant pas sur le territoire portugais sont imposées sur les revenus d’intérêts acquis sur ce territoire au moyen d’une retenue à la source au taux définitif de 20 % (ou à un taux moindre s’il existe une convention tendant à éviter la double imposition), taux qui s’applique au revenu brut, sans possibilité de déduction des frais professionnels directement liés à l’activité financière exercée, alors que les intérêts perçus par les institutions financières résidentes sont intégrés au revenu imposable total, avec une déduction des frais liés à l’activité exercée s’opérant au moment du calcul du bénéfice aux fins de l’assujettissement à l’[IRC], de sorte que le taux général de 25 % s’applique aux revenus d’intérêts nets ?
2) Cette opposition existe-t-elle également alors que l’on constate que l’assiette de l’impôt des institutions financières résidentes est ou peut être soumise, après déduction des coûts de financement liés aux revenus d’intérêts ou des frais présentant un lien économique direct avec ces revenus, à un impôt plus élevé que celui qui est retenu à la source sur le revenu brut des institutions non-résidentes ?
3) À cet égard, les coûts de financement liés aux prêts octroyés ou les frais présentant un lien économique direct avec les revenus d’intérêts acquis peuvent-ils être confirmés au regard des données fournies par l’Euribor (Euro Interbank Offered Rate) et le Libor (London Interbank Offered Rate), qui sont les taux d’intérêt moyens pratiqués pour les financements interbancaires auxquels les banques ont recours pour exercer leur activité ? »
Sur les questions préjudicielles
17 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, eu égard à la circonstance que les faits en cause au principal se sont déroulés avant le 1er décembre 2009, soit antérieurement à l’entrée en vigueur du traité FUE, l’interprétation demandée par la juridiction de renvoi doit être considérée comme portant sur l’article 49 CE et non sur l’article 56 TFUE.
18 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose les institutions financières non-résidentes, par le biais d’une retenue à la source, sur les revenus d’intérêts acquis à l’intérieur du pays sans possibilité de déduction des frais professionnels, alors que les institutions financières résidentes ne sont pas soumises à une telle retenue à la source et peuvent déduire les frais professionnels directement liés à l’activité financière exercée et, d’autre part, comment il convient de déterminer ces frais.
19 En vue de répondre à ces questions, il y a lieu, d’abord, d’examiner si l’article 49 CE s’oppose à une législation nationale en vertu de laquelle une retenue à la source de l’impôt est appliquée à la rémunération des institutions financières non-résidentes, alors que la rémunération versée aux institutions financières résidentes n’est pas soumise à une telle retenue. Il importe, ensuite, de déterminer si la circonstance que les premières, à la différence des secondes, ne peuvent pas déduire les frais professionnels directement liés à l’activité financière en question est constitutive d’une restriction au sens de cette disposition et, dans l’affirmative, si une telle restriction est susceptible d’être justifiée. Il convient, enfin, de préciser si des taux d’intérêts moyens, tels que ceux visés dans la demande de décision préjudicielle, peuvent être considérés comme constituant des frais professionnels directement liés à l’activité financière en question.
20 S’agissant du premier de ces aspects, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi considère elle-même que la différence de traitement en cause au principal ne résulte pas tant de l’application de deux techniques d’imposition différentes que du refus d’accorder aux institutions financières non-résidentes la faculté de déduire les frais professionnels alors que les institutions financières résidentes disposent d’une telle faculté. De surcroît, le dossier soumis à la Cour ne contient aucun autre élément en relation avec ce premier aspect de la demande préjudicielle.
21 Dans ces conditions, il suffit de rappeler, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 22 de ses conclusions, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’application aux prestataires de services non-résidents de la retenue à la source comme technique d’imposition, alors que les prestataires résidents ne sont pas soumis à une telle retenue à la source, tout en constituant une restriction à la libre prestation des services, peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que, par exemple, la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290/04, EU:C:2006:630, point 35, et du 18 octobre 2012, X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 39).
22 Dès lors, l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle une procédure de retenue à la source de l’impôt est appliquée à la rémunération des institutions financières non-résidentes dans l’État membre dans lequel les services sont fournis, alors que la rémunération versée aux institutions financières résidentes de cet État membre n’est pas soumise à une telle retenue à la source, à la condition que l’application aux institutions financières non-résidentes de la retenue à la source soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.
23 En ce qui concerne le deuxième aspect de la demande de décision préjudicielle, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé, pour ce qui est de la prise en compte des frais professionnels ayant un lien direct avec l’activité exercée, que les prestataires résidents et les prestataires non-résidents sont placés dans une situation comparable (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2003, Gerritse, C-234/01, EU:C:2003:340, point 27 ; du 6 juillet 2006, Conijn, C-346/04, EU:C:2006:445, point 20, et du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande, C-345/04, EU:C:2007:96, point 23).
24 La Cour en a déduit que l’article 49 CE s’oppose à une législation fiscale nationale qui, en règle générale, prend en compte, lors de l’imposition des non-résidents, les revenus bruts sans déduction des frais professionnels, alors que les résidents sont imposés sur leurs revenus nets après déduction de ces frais (arrêts du 12 juin 2003, Gerritse, C-234/01, EU:C:2003:340, points 29 et 55 ; du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290/04, EU:C:2006:630, point 42, et du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande, C-345/04, EU:C:2007:96, point 23).
25 En l’occurrence, et eu égard à l’argument, invoqué notamment par la République portugaise, selon lequel les prestations de services effectuées par les institutions financières devraient, au regard du principe de la libre prestation des services visé à l’article 49 CE, être, par principe, traitées différemment des prestations de services rendues dans d’autres domaines d’activité, puisque il serait impossible d’établir un quelconque lien caractéristique entre les coûts supportés et les revenus d’intérêts acquis, la juridiction de renvoi se demande si la jurisprudence citée au point précédent peut être transposée à l’affaire en cause au principal.
26 À cet égard, il y a lieu de préciser que la Cour n’a pas établi de distinction entre les différentes catégories de prestations des services. En outre, l’article 49 CE, lu en combinaison avec l’article 50 CE, vise indifféremment toutes les catégories de prestations de services énumérées à cette dernière disposition. Seul l’article 51, paragraphe 2, CE dispose que la libération des services des banques qui sont liées à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la libération de la circulation des capitaux. Or, les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des capitaux ne contiennent aucun élément de nature à corroborer la thèse selon laquelle les services des banques devraient être traités différemment des autres prestations de services en raison du fait qu’il serait impossible d’établir un quelconque lien caractéristique entre les coûts supportés et les revenus d’intérêts acquis.
27 Partant, les prestations de services effectuées par des institutions financières ne sauraient, au regard du principe de la libre prestation des services visé à l’article 49 CE, être, par principe, traitées différemment des prestations de services rendues dans d’autres domaines d’activité.
28 Il s’ensuit qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les institutions financières non-résidentes sont imposées sur les revenus d’intérêts acquis à l’intérieur de l’État membre concerné sans leur accorder la possibilité de déduire les frais professionnels directement liés à l’activité en question, alors qu’une telle possibilité est reconnue aux institutions financières résidentes, constitue une restriction à la libre prestation des services interdite, en principe, en vertu de l’article 49 CE.
29 Toutefois, ainsi qu’il découle de la jurisprudence constante de la Cour, une restriction à la libre prestation des services peut être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, en pareil cas, que l’application de cette restriction soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 18 octobre 2012, X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 36).
30 Il convient, dès lors, de vérifier si une restriction telle que celle en cause au principal peut valablement être justifiée par les raisons invoquées en l’occurrence.
31 À cet égard, d’une part, il ressort de la décision de renvoi que la justification avancée devant la juridiction de renvoi est tirée de l’application aux institutions financières non-résidentes d’un taux d’imposition plus favorable que celui appliqué aux institutions financières résidentes.
32 Toutefois, la Cour a itérativement jugé qu’un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait être considéré comme compatible avec le droit de l’Union en raison de l’existence éventuelle d’autres avantages (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2010, Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C-233/09, EU:C:2010:397, point 41, ainsi que du 18 octobre 2012, X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 31).
33 Il s’ensuit qu’une restriction à la libre prestation des services telle que celle en cause au principal ne saurait être justifiée par la circonstance que les institutions financières non-résidentes sont soumises à un taux d’imposition moins élevé que les institutions financière résidentes.
34 D’autre part, dans le cadre de la procédure devant la Cour, la République portugaise a soutenu que la réglementation en cause au principal est justifiée à la fois par l’exigence de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, par la volonté de prévenir la double déduction des frais professionnels en cause et par la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt.
35 S’agissant, premièrement, de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, il y a lieu de rappeler que la Cour a certes reconnu que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres constitue un objectif légitime et que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union européenne, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir d’imposition, en vue d’éliminer les doubles impositions (arrêt du 21 mai 2015, Verder LabTec, C-657/13, EU:C:2015:331, point 42).
36 Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, lorsque les États membres font usage de cette liberté et fixent, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale, ils sont tenus de respecter le principe d’égalité de traitement et les libertés de circulation garanties par le droit primaire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2015, Bukovansky, C-241/14, EU:C:2015:766, point 37).
37 Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 59 à 62 de ses conclusions, il n’existe, en l’occurrence, aucun élément de nature à expliquer en quoi la répartition des pouvoirs d’imposition exigerait que les institutions financières non-résidentes doivent, en ce qui concerne la déduction des frais professionnels directement liés à leurs revenus imposables dans cet État membre, être traitées moins favorablement que les institutions financières résidentes.
38 En ce qui concerne, deuxièmement, la volonté de prévenir la double déduction des frais professionnels, qui peut être rattachée à la lutte contre la fraude fiscale, il suffit de relever que, en se bornant à évoquer, sans autre précision, l’existence éventuelle d’un risque que les frais en cause puissent être déduits une seconde fois dans l’État de résidence du prestataire des services, sans établir en quoi la mise en œuvre des dispositions de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance (JO 1977, L 336, p. 15), telle que modifiée par la directive 2001/106/CE du Conseil, du 16 novembre 2004 (JO 2004, L 359, p. 30), en vigueur au moment des faits en cause au principal, n’aurait pas permis d’éviter ce risque, la République portugaise ne met pas la Cour à même d’apprécier la portée de cet argument (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2015, Grünewald, C-559/13, EU:C:2015:109, point 52).
39 S’agissant, troisièmement, de la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt, il y a lieu de rappeler que, si la Cour a jugé qu’un tel objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290/04, EU:C:2006:630, points 35 et 36, ainsi que du 18 octobre 2012, X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 39), encore faut-il que l’application de cette restriction soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 18 octobre 2012, X, C-498/10, EU:C:2012:635, point 36).
40 Or, s’agissant d’une restriction telle que celle en cause au principal, il importe de constater que celle-ci n’est pas nécessaire pour assurer l’efficacité du recouvrement de l’IRC.
41 En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 70 à 72 de ses conclusions, il convient d’abord de souligner que l’argument, avancé par la République portugaise, selon lequel l’octroi aux personnes partiellement assujetties de la faculté de déduire les frais professionnels directement liés aux prestations effectuées sur le territoire de cet État membre occasionnerait une charge administrative pour les autorités fiscales nationales vaut également, mutatis mutandis, pour les personnes intégralement assujetties.
42 Ensuite, la charge administrative supplémentaire incombant éventuellement au destinataire du service lorsque ce dernier doit procéder à la prise en compte des frais professionnels dont le prestataire réclame la déduction n’existe que dans un système qui prévoit que cette déduction doit être effectuée avant que la retenue à la source ne soit appliquée et peut donc être évitée lorsque le prestataire est autorisé à faire valoir son droit à déduction directement auprès de l’administration et une fois l’IRC prélevé. Dans un tel cas de figure, le droit à déduction se matérialisera par un remboursement d’une fraction de l’impôt retenu à la source.
43 Enfin, il incombe au prestataire de services de décider s’il estime opportun d’investir des ressources dans l’établissement et la traduction de documents destinés à démontrer la réalité et le montant effectif des frais professionnels dont il demande la déduction.
44 S’agissant du troisième aspect de la demande de décision préjudicielle, à savoir la manière dont il convient de déterminer les frais professionnels directement liés aux revenus d’intérêts tirés d’un contrat de prêt financier tel que celui en cause au principal, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé qu’un État membre qui accorde aux résidents la faculté de déduire de tels frais ne peut pas, en principe, exclure la prise en compte de ces mêmes frais pour les non-résidents (arrêt du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande, C-345/04, EU:C:2007:96, point 23).
45 Il s’ensuit que, en ce qui concerne la prise en compte desdits frais, les non-résidents doivent, en principe, être traités de la même manière que les résidents et doivent pouvoir déduire les frais de même nature que ceux que ces derniers sont autorisés à déduire.
46 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, par frais professionnels liés directement aux recettes perçues dans l’État membre où l’activité est exercée, il convient de comprendre les dépenses occasionnées par cette activité et, donc, nécessaires pour l’exercice de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2015, Grünewald, C-559/13, EU:C:2015:109, point 30 et jurisprudence citée).
47 S’agissant de la prestation de services en cause au principal, à savoir l’octroi d’un prêt financier, il y a lieu de constater que l’accomplissement d’une telle prestation donne nécessairement lieu à l’engagement de frais professionnels tels que, par exemple, des frais de voyage, d’hébergement ainsi que de conseil juridique ou fiscal, dont il est relativement aisé tant d’établir le lien direct avec le prêt en question que de prouver le montant effectif. Dès lors que les personnes partiellement assujetties doivent pouvoir bénéficier du même traitement que les personnes intégralement assujetties, elles doivent se voir accorder, en ce qui concerne ces frais, les mêmes possibilités de déduction, tout en étant soumises aux mêmes exigences en ce qui concerne, notamment, la charge de la preuve.
48 Il importe d’ajouter que l’exercice de cette activité occasionne également des frais de financement qui doivent, en principe, être considérés comme nécessaires à l’exercice de ladite activité, mais dont il peut s’avérer plus difficile d’établir le lien direct avec un prêt financier déterminé ou le montant effectif. La même observation vaut, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 39 de ses conclusions, en ce qui concerne la fraction des frais généraux de l’institution financière susceptible d’être considérée comme nécessaire à l’octroi d’un prêt financier particulier.
49 Néanmoins, la seule circonstance que cette preuve est plus difficile à apporter ne saurait autoriser un État membre à refuser, de manière absolue, aux non-résidents, personnes partiellement assujetties, une déduction qu’il accorde aux résidents, personnes intégralement assujetties, dès lors qu’il ne saurait être exclu a priori qu’un non-résident soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l’État membre d’imposition de vérifier, de façon claire et précise, la réalité et la nature des frais professionnels dont la déduction est sollicitée (voir, par analogie, arrêts du 27 janvier 2009, Persche, C-318/07, EU:C:2009:33, point 53, ainsi que du 26 mai 2016, Kohll et Kohll-Schlesser, C-300/15, EU:C:2016:361, point 55).
50 En effet, rien n’empêche les autorités fiscales concernées d’exiger du non-résident les preuves qu’elles jugent nécessaires pour apprécier si les conditions de déductibilité de dépenses prévues par la législation en cause sont réunies et, en conséquence, s’il y a lieu ou non d’accorder la déduction demandée (voir, par analogie, arrêts du 27 janvier 2009, Persche, C-318/07, EU:C:2009:33, point 54, ainsi que du 26 mai 2016, Kohll et Kohll-Schlesser, C-300/15, EU:C:2016:361, point 56).
51 Dans ce contexte, il y a lieu de constater que le gouvernement portugais n’a fourni aucune indication quant aux raisons qui pourraient s’opposer à ce que les autorités fiscales nationales tiennent compte des éléments de preuve fournis par les institutions financières non-résidentes.
52 Il appartient à la juridiction de renvoi, qui est saisie du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, de déterminer, dans le cadre de ce litige, d’une part, quels sont, parmi les frais déclarés par KBC, ceux qui peuvent être considérés comme étant des frais professionnels directement liés à l’activité financière en question, au sens de la législation nationale, et, d’autre part, quelle est la fraction des frais généraux qui peut être considérée comme directement liée à cette activité (voir, par analogie, arrêt du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande, C-345/04, EU:C:2007:96, point 26).
53 À cet égard, il convient d’ajouter que, à moins que la législation nationale autorise les institutions financière résidentes à retenir, pour le calcul des frais de financement encourus, des taux d’intérêts tels que ceux visés par la juridiction de renvoi dans sa troisième question préjudicielle, cette juridiction ne saurait, dans une situation telle que celle en cause au principal, tenir compte de ces taux.
54 En effet, ceux-ci ne constituent que des taux moyens pratiqués dans le cadre de financements interbancaires et ne correspondent pas aux coûts de financement effectivement supportés. De surcroît, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, le prêt en cause au principal n’a pas été exclusivement financé par des fonds empruntés auprès de la société mère de KBC et d’autres banques, mais l’a été également au moyen de fonds déposés par les clients de KBC.
55 Dès lors, compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions préjudicielles que :
– l’article 49 CE ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle une procédure de retenue à la source de l’impôt est appliquée à la rémunération des institutions financières non-résidentes de l’État membre dans lequel les services sont fournis, alors que la rémunération versée aux institutions financières résidentes de cet État membre n’est pas soumise à une telle retenue, à la condition que l’application aux institutions financières non-résidentes de la retenue à la source soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ;
– l’article 49 CE s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui, en règle générale, impose les institutions financières non-résidentes sur les revenus d’intérêts acquis à l’intérieur de l’État membre concerné sans leur accorder la possibilité de déduire les frais professionnels directement liés à l’activité en question, alors qu’une telle possibilité est reconnue aux institutions financières résidentes ;
– il appartient à la juridiction nationale d’apprécier, sur la base de son droit national, quels sont les frais professionnels qui peuvent être considérés comme directement liés à l’activité en question.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 49 CE ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle une procédure de retenue à la source de l’impôt est appliquée à la rémunération des institutions financières non-résidentes de l’État membre dans lequel les services sont fournis, alors que la rémunération versée aux institutions financières résidentes de cet État membre n’est pas soumise à une telle retenue, à la condition que l’application aux institutions financières non-résidentes de la retenue à la source soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.
L’article 49 CE s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui, en règle générale, impose les institutions financières non-résidentes sur les revenus d’intérêts acquis à l’intérieur de l’État membre concerné sans leur accorder la possibilité de déduire les frais professionnels directement liés à l’activité en question, alors qu’une telle possibilité est reconnue aux institutions financières résidentes.
Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier, sur la base de son droit national, quels sont les frais professionnels qui peuvent être considérés comme directement liés à l’activité en question.
Signatures
* Langue de procédure : le portugais.