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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 5 juillet 2016 (1)

Affaires jointes C-164/15 P et C-165/15 P

Commission européenne

contre

Aer Lingus et Ryanair

« Pourvoi – Aides d’État – Taxe irlandaise sur les passagers aériens – Application de taux différenciés – Taux réduit applicable aux vols dont la destination est située au maximum à 300 km de Dublin – Avantage –Caractère sélectif – Appréciation dans l’hypothèse où la mesure fiscale est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services – Récupération – Droit d’accise –Récupération de l’avantage auprès des clients de l’entreprise bénéficiaire »





1.        Dans les présentes affaires jointes, la Commission demande l’annulation partielle des arrêts prononcés par le Tribunal le 5 février 2015 dans les affaires Aer Lingus/Commission (T-473/12, EU:T:2015:78) et Ryanair/Commission (T-500/12, EU:T:2015:73) (ci-après, respectivement l’« arrêt Aer Lingus » et l’« arrêt Ryanair », ou, en cas de référence conjointe, les « arrêts attaqués »). Ces pourvois posent la question de savoir si et dans quelle mesure la Commission doit, pour déterminer le montant d’une aide à récupérer, prendre en considération le fait que les bénéficiaires aient répercuté sur leurs clients l’avantage économique obtenu.

2.        Contre les arrêts précités, Aer Lingus et Ryanair (ci-après, en cas de référence conjointe, les « requérantes ») ont formé chacune un pourvoi incident, soulevant diverses questions portant sur la qualification d’aide d’État donnée à une mesure étatique, en particulier, lorsque celle-ci est susceptible de constituer en même temps une restriction à une liberté fondamentale.

I –    Antécédents des litiges 

3.        Les antécédents des litiges, tels qu’ils ressortent des arrêts attaqués, peuvent se résumer comme suit.

4.        L’Irlande a institué à compter du 30 mars 2009 un droit d’accise, appelé « Air travel tax » (taxe sur le transport aérien, ci-après la « TTA »), perçu directement auprès des compagnies aériennes, pour tout passager embarqué sur un vol au départ d’un aéroport irlandais (2). Lors de son introduction, la TTA était calculée sur la base de la distance entre l’aéroport de départ et l’aéroport d’arrivée et était fixée au taux de 2 EUR dans le cas d’un vol vers une destination située à une distance maximum de 300 km de l’aéroport de Dublin et de 10 EUR dans tous les autres cas.

5.        Ryanair a saisi la Commission de deux plaintes distinctes dirigées contre la TTA, l’une pour violation des dispositions relatives aux aides d’État, l’autre fondée sur l’article 56 TFUE et sur le règlement n° 1008/2008 (3). Faisant suite à la seconde plainte, la Commission a ouvert une enquête concernant une éventuelle infraction aux dispositions relatives à la libre prestation de services et a adressé le 18 mars 2010 aux autorités irlandaises une lettre de mise en demeure (ci-après la « lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises »). L’Irlande a ensuite modifié, à compter du 1er mars 2011, les modalités de calcul de la TTA en introduisant un taux unique de 3 EUR, applicable quelle que soit la distance du vol (4), de sorte que la Commission a clôturé l’enquête.

6.        La Commission a ouvert le 13 juillet 2011 une procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE portant sur le taux réduit de la TTA appliqué au cours de la période comprise entre le 30 mars 2009 et le 1er mars 2011. Le 25 juillet 2012, la Commission a adopté la décision 2013/199/UE concernant l’aide d’État SA.29064 (11/C, ex 11/NN) – Taux d’imposition différenciés appliqués par l’Irlande au transport aérien (ci-après la « décision contestée ») (5). L’article premier de cette décision constate que l’aide qui, en l’espèce, revêt la forme d’un taux d’imposition réduit sur le transport aérien applicable à tous les vols assurés par un avion capable de transporter plus de 20 passagers et non utilisé à des fins militaires ou pour les besoins de l’État, au départ d’un aéroport accueillant plus de 10 000 passagers par an vers une destination située au maximum à 300 km de l’aéroport de Dublin, entre le 30 mars 2009 et le 1er mars 2011, illégalement appliquée par l’Irlande en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, est incompatible avec le marché intérieur. L’article 4, point 1, enjoint à l’Irlande de récupérer l’aide. Le considérant 70 de la décision fixe le montant de l’aide à la différence entre le taux réduit de la TTA et le taux standard de 10 EUR (soit 8 EUR par passager transporté) et identifie les requérantes parmi les bénéficiaires de l’aide.

II – Procédure devant le Tribunal et arrêts attaqués

7.        Aer Lingus et Ryanair ont introduit devant le Tribunal un recours en annulation de la décision contestée, le 1er et le 15 novembre 2012, respectivement. Chacune des requérantes a invoqué cinq moyens d’annulation au soutien de son recours.

8.        Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a examiné et rejeté le cinquième moyen de chacun des deux recours, pris d’une violation de l’obligation de motivation (6), et le quatrième moyen du recours de Ryanair, alléguant le défaut de communication par la Commission de la décision de récupération (7). Les pourvois incidents ne portent pas sur ces parties des arrêts attaqués. Le Tribunal a ensuite examiné et rejeté le premier moyen des deux recours, dirigé, en substance, contre la qualification d’aide donnée au taux réduit de la TTA. Ces parties des arrêts attaqués constituent l’objet des pourvois incidents. Le Tribunal a enfin examiné et partiellement accueilli les troisième et quatrième moyens du recours d’Aer Lingus ainsi que les deuxième et troisième moyens du recours de Ryanair, qui contestaient les modalités de calcul du montant de l’aide. Les pourvois de la Commission sont dirigés contre ces parties des arrêts attaqués.

9.        Au point 1 du dispositif des arrêts attaqués, le Tribunal a annulé l’article 4 de la décision contestée « en ce qu’il ordonne la récupération de l’aide auprès des bénéficiaires, pour un montant qui est fixé à huit euros par passager au considérant 70 de ladite décision ». Les arrêts attaqués ont rejeté les recours pour le surplus (point 2 des dispositifs) et condamné la Commission à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par Aer Lingus et par Ryanair (point 3 des dispositifs).

III – Appréciation

10.      Les pourvois de la Commission sont dirigés contre le point 1 du dispositif des arrêts attaqués. La Commission, soutenue par l’Irlande, demande à la Cour d’annuler ce point du dispositif, de rejeter dans leur intégralité les recours introduits devant le Tribunal ou, à titre subsidiaire, de renvoyer les affaires au Tribunal et de condamner Aer Lingus et Ryanair aux dépens (ou de réserver ceux-ci en cas de renvoi des affaires au Tribunal). Au soutien de ses deux pourvois, la Commission soulève un moyen unique, pris de la violation par le Tribunal de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 14 du règlement n° 659/1999 (8).

11.      Les pourvois incidents visent en revanche le point 2 du dispositif des arrêts attaqués, rejetant « pour le surplus » les recours d’Aer Lingus et de Ryanair. Celles-ci demandent à la Cour d’annuler ce point des dispositifs ainsi que la décision contestée et de condamner la Commission aux dépens. Chaque pourvoi incident soulève un moyen unique, subdivisé en quatre griefs, dirigé contre le rejet par le Tribunal des moyens d’annulation d’Aer Lingus et de Ryanair contestant la qualification d’aide d’État donnée au taux réduit appliqué dans le cadre de la TTA.

12.      J’examinerai en premier lieu les pourvois incidents, car ils portent sur un aspect des arrêts attaqués (la qualification de la mesure litigieuse comme aide d’État), qui précède logiquement le thème sous-jacent aux pourvois principaux (légalité de l’ordre de récupération).

A –    Sur les pourvois incidents

13.      Les griefs formulés par Aer Lingus et Ryanair dans leur pourvoi respectif et les arguments développés à leur soutien se recoupent largement. Pour des raisons de commodité, je les regrouperai et les examinerai conjointement dans la mesure du possible.

1.      Sur le grief relatif à l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise en considérant que l’illégalité d’une mesure est dépourvue de pertinence aux fins de sa qualification d’aide d’État (premier grief du moyen unique du pourvoi incident formé par Aer Lingus)

a)      Arrêt Aer Lingus

14.      Le premier grief développé par Aer Lingus au soutien du moyen unique de son pourvoi est dirigé contre le point 43 de l’arrêt Aer Lingus. Ce point rappelle, à titre liminaire, que la notion d’aide a une nature objective et que l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE est une question qui « doit être examinée au regard des effets anticoncurrentiels causés par la mesure d’aide en cause, et non au regard d’autres éléments tels que la légalité de la mesure par laquelle l’aide est octroyée ».

b)      Exposé succinct des arguments des parties

15.      Aer Lingus fait valoir que le point 43 de l’arrêt Aer Lingus est entaché d’une erreur de droit s’il doit être interprété en ce sens que l’examen de l’existence d’un avantage sélectif ne doit en aucun cas tenir compte du fait que la mesure litigieuse est partiellement illégale, ou fait partie intégrante d’une mesure illégale. De l’avis d’Aer Lingus, méconnaître l’illégalité de la mesure nationale dont procéderait l’avantage précité irait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal selon laquelle l’existence d’une aide doit être appréciée à la lumière de l’ensemble de la mesure et du contexte dans lequel elle s’insère. Aer Lingus rappelle avoir soutenu devant le Tribunal, d’une part, que le taux supérieur de la TTA était illégal, dans la mesure où il contrevenait à l’article 56 TFUE et au règlement n° 1008/2008 et, d’autre part, que la TTA acquittée à ce taux était sujette à remboursement. Une fois son constat établi, une telle illégalité serait pertinente pour déterminer aussi bien l’existence que l’étendue de l’avantage économique censé être dévolu aux compagnies aériennes soumises au taux inférieur. En effet, un tel avantage ne pourrait pas résulter de l’absence de perception par l’Irlande d’une imposition illégale sur ces entreprises et cet avantage ne consisterait en tout cas que dans le bénéfice de l’application immédiate du taux inférieur, sans qu’il soit nécessaire d’introduire une action en remboursement.

16.      La Commission et le gouvernement irlandais rejettent le grief en développant des argumentations sensiblement similaires.

c)      Appréciation

17.      Le grief sous examen procède, selon moi, d’une lecture erronée du point 43 de l’arrêt Aer Lingus, dont la première partie rappelle, en la paraphrasant, une jurisprudence constante, qu’Aer Lingus évoque d’ailleurs elle-même dans son pourvoi incident. Selon cette jurisprudence, l’article 107, paragraphe 1, TFUE définit les interventions étatiques en fonction de leurs effets(9) : en vertu de cette jurisprudence, ni la situation des organismes publics ou privés octroyant l’aide (10), ni le comportement ou les déclarations des institutions de l’Union (11), ni la forme, les causes ou les objectifs des interventions étatiques (12) sont des éléments suffisant en eux-mêmes à soustraire ces interventions à la qualification d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, alors que ces éléments peuvent, le cas échéant, être pertinents pour apprécier la compatibilité de ces interventions avec le marché commun à l’aune de l’article 107, paragraphe 3, TFUE (13), ou pour définir l’obligation de restitution de l’aide (14).

18.      En se fondant sur la jurisprudence précitée, le Tribunal affirme en substance, dans la seconde partie du point 43 de l’arrêt Aer Lingus, que la légalité de la mesure étatique est dépourvue de pertinence pour apprécier l’existence d’un avantage accordé au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Le raisonnement sous-tendant une telle affirmation – qui consiste à considérer qu’une fois établie l’existence d’un avantage sélectif, le seul fait que la mesure puisse se révéler illégale en vertu du droit interne ou de l’Union ou de ces deux ordres juridiques ne suffit pas en soi à la soustraire à la qualification d’aide d’État – se déduit implicitement mais clairement de la lecture du point 43 dans son ensemble et trouve sa confirmation dans la référence à l’arrêt du 7 octobre 2010 DHL Aviation et DHL Hub Leipzig/Commission (T-452/08, EU:T:2010:427). Dans cet arrêt, le Tribunal a rejeté l’argument des sociétés requérantes selon lequel l’institution des mesures d’aide litigieuses par les clauses d’un accord devant être regardées comme nulles au regard du droit allemand – en tant que conclues en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE – et, par conséquent, non susceptibles d’exécution, aurait eu pour conséquence qu’elles n’avaient bénéficié d’aucun avantage économique pouvant faire l’objet d’un recouvrement (15). Le Tribunal a affirmé au point 40 de cet arrêt, auquel renvoie le point 43 de l’arrêt Aer Lingus, que l’éventuelle nullité ex tunc des clauses de l’accord selon le droit allemand ne remettait pas en cause le fait que les sociétés avaient effectivement bénéficié de ces clauses, qui leur accordaient un avantage sur le marché par rapport à leurs concurrents et que cette nullité n’avait pas, en l’espèce, d’incidence sur l’obligation de rembourser l’aide dont elles avaient bénéficié en fait (16). Si le Tribunal a donc laissé ouverte la possibilité que l’illégalité potentielle de la mesure étatique puisse exercer une influence quelconque sur l’ordre de récupération, il a en revanche résolument exclu qu’une telle illégalité puisse faire obstacle à ce qu’un avantage économique obtenu en fait par l’entreprise ou les entreprises en cause soit qualifié d’« avantage » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

19.      Contrairement aux allégations d’Aer Lingus, l’affirmation du Tribunal selon laquelle l’éventuelle illégalité de la mesure étatique (ou d’une mesure qui lui est associée) est dépourvue de pertinence lorsque l’analyse de ses effets montre qu’elle procure en fait un avantage sélectif et anticoncurrentiel à une ou à plusieurs entreprises, ne revient pas à exclure a priori qu’une telle illégalité puisse influer sur la constatation de tels effets. Cette affirmation n’est donc pas contraire aux précédents invoqués par Aer Lingus relativement au remboursement de taxes perçues en violation du droit de l’Union ou au versement de sommes à titre de réparation de dommages causés par la puissance publique (17). Dans chacun de ces précédents, la Cour a refusé en effet de qualifier d’aide d’État la mesure en cause, non pas en considération du caractère illégal ou illicite de l’intervention étatique correspondante (18), mais en raison de l’impossibilité de constater l’existence d’un avantage anticoncurrentiel quelconque dans une mesure visant à éliminer les conséquences, à l’égard de son destinataire, de l’intervention en question. Ainsi, le remboursement d’une taxe perçue en violation du droit de l’Union, considéré conjointement au versement antérieurement effectué par les entreprises assujetties – lequel constituait un paiement indu en raison de l’illégalité de l’acte d’imposition – s’analysait en une opération économiquement neutre pour ces entreprises (19). Il en va de même de la réparation par l’État de dommages précédemment causés par le comportement de la puissance publique (20). Par contre, la configuration du cas d’espèce est fondamentalement différente. L’avantage que la décision contestée impute à Aer Lingus sur les vols internes (c’est-à-dire l’application d’un taux d’imposition inférieur à celui regardé comme normal par la Commission) ne visait pas à compenser un désavantage que la compagnie aurait subi en raison d’une intervention antérieure illégale de la part de l’État. Cet avantage a ainsi constitué pour cette entreprise un bénéfice net (indépendamment de l’identification et de la quantification de ce bénéfice). Pour sa part, l’arrêt du 1er juillet 2010, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni/Commission (T-62/08, EU:T:2010:268) invoqué lui aussi par Aer Lingus au soutien de son argumentation, ne portait pas, comme le souligne à bon droit la Commission, sur la réparation par l’État de dommages causés par une mesure illégale antérieure, mais sur une indemnisation accordée par l’État en compensation de l’expropriation d’actifs (21).

20.      Interprété à la lumière de ces éléments, le point 43 de l’arrêt Aer Lingus apparaît donc, d’une part, cohérent avec la jurisprudence du Tribunal et de la Cour évoquée au point 17 ci-dessus et, d’autre part, non contraire aux précédents cités au point 19 ci-dessus. Le point 43 précité est donc exempt de l’erreur de droit alléguée par Aer Lingus dans le cadre du premier grief de son moyen unique.

2.      Sur les griefs tirés d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises en estimant que l’illégalité du taux supérieur de la TTA ne faisait pas obstacle à sa qualification comme taux normal aux fins de l’application de l’article 107 TFUE (deuxième grief du moyen unique du pourvoi incident d’Aer Lingus ; deuxième grief du moyen unique du pourvoi incident de Ryanair).

a)      Arrêts attaqués

21.      Dans le cadre du premier moyen de leur recours respectif en première instance, Aer Lingus et Ryanair avaient soutenu que la Commission ne pouvait pas regarder le taux supérieur de la TTA comme le taux de référence pour apprécier l’existence d’un avantage sélectif, motif pris de l’illégalité de ce taux au regard de l’article 56 TFUE. Le Tribunal a déclaré au point 58 de l’arrêt Aer Lingus et au point 83 de l’arrêt Ryanair que ce grief reposait sur la prémisse erronée que, dans la lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises, la Commission aurait considéré ce taux, et non l’imposition de taux différenciés sur les vols internes et sur les vols intra-Union, comme une restriction à la libre prestation des services.

b)      Exposé succinct de l’argumentation des parties

22.      Les deux requérantes soutiennent que, si la taxation des vols intra-Union à un taux supérieur à celui grevant les vols internes s’analyse en une restriction à la libre prestation des services, ce taux doit être nécessairement considéré comme illégal. Ce raisonnement se déduirait clairement de la jurisprudence de la Cour (22) et, en particulier, de l’arrêt du 6 février 2003, Stylianakis (C-92/01, EU:C:2003:72) (23). Ryanair ajoute que l’adoption du taux supérieur, regardé comme illégal, à titre de taux de référence aux fins du contrôle des aides d’État est non seulement irrationnelle, mais également contraire au principe d’unité et de cohérence du droit de l’Union. Elle porterait en outre atteinte à l’effet utile du contrôle des aides d’État en dissuadant les entreprises de dénoncer des dispositifs fiscaux similaires, lorsqu’elles ont bénéficié du taux inférieur, ne serait-ce que dans une mesure limitée.

23.      En développant des argumentations largement similaires, la Commission et le gouvernement irlandais soutiennent que les critiques sous examen sont dépourvues de fondement. En outre, la Commission qualifie les arguments de Ryanair d’inopérants.

c)      Appréciation

24.      Les arguments exposés par Aer Lingus et Ryanair ne sont pas, à mon avis, de nature à remettre sérieusement en cause la conclusion du Tribunal selon laquelle le raisonnement des deux sociétés est fondé sur une prémisse erronée. Indépendamment du caractère définitif ou non et de la teneur du constat contenu dans la lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises (24), il est en effet évident, à mon sens, que ce n’est pas l’imposition même d’un taux de 10 EUR sur les vols vers des destinations situées à une distance de l’aéroport de Dublin supérieure à 300 km (soit, en fait, la quasi totalité des vols intra-Union), mais plutôt la structure de la taxe dans son ensemble qui suscite des doutes sur sa compatibilité avec les dispositions relatives à la libre circulation des services. Plus précisément, ce n’est pas non plus la différenciation des taux en tant que telle qui alimente ces doutes, mais plutôt que le fait que cette différenciation se solde par l’application sans justification légitime apparente (25) de conditions plus onéreuses aux vols intra-Union qu’aux vols intérieurs ou – ce qui revient au même– par l’application aux seconds de conditions moins onéreuses qu’aux premiers. Contrairement aux allégations des requérantes, une telle analyse se trouve confirmée et nullement infirmée par l’arrêt Stylianakis (C-92/01, EU:C:2003:72), concernant une imposition qui avait une structure similaire à celle en cause dans les présentes affaires (26). La Cour a constaté dans cet arrêt que, dès lors que les taxes aéroportuaires affectent directement et de manière mécanique le prix du trajet, une différenciation dans le montant des taxes supportées par les passagers est automatiquement répercutée sur le coût du transport (27). Après avoir établi qu’en dépit du caractère apparemment neutre du critère de différenciation des montants de la taxe en cause, le montant le plus élevé concernait spécifiquement les autres vols que les vols intérieurs (28), la Cour en a conclu que les dispositions relatives à la libre circulation des services s’opposent « à une mesure adoptée par un État membre […] imposant pour l’essentiel des vols à destination d’autres États membres une taxe aéroportuaire plus élevée que celle appliquée pour les vols intérieurs à cet État membre ». La Cour a en outre expressément subordonné cette conclusion à la condition qu’il ne soit pas démontré que « ces taxes rémunèrent des services aéroportuaires nécessaires au traitement des passagers et que le coût desdits services fournis aux passagers à destination des autres États membres est supérieur dans la même proportion au coût de ceux nécessaires au traitement des passagers des vols intérieurs ». Il est manifeste que, selon la Cour, c’est le système fiscal appréhendé dans son ensemble, à la lumière de ses effets et de ses objectifs, et non un élément isolé de ce système, qui crée, le cas échéant, des obstacles à la libre prestation des services incompatibles avec le droit de l’Union.

25.      Le Tribunal n’a donc pas commis les erreurs que lui reprochent les requérantes et ne s’est pas non plus rendu coupable d’une contradiction quelconque en considérant au point 58 de l’arrêt Aer Lingus et au point 83 de l’arrêt Ryanair que les thèses des requérantes reposent sur la prémisse erronée d’une illégalité intrinsèque du taux supérieur de la TTA.

26.      D’ailleurs, même si l’on appréhende la TTA selon l’approche parcellisante des requérantes, la conclusion que la contrariété de cette taxe aux règles de la libre prestation des services entraîne nécessairement l’illégalité du taux supérieur (plus exactement de sa fraction excédant le taux inférieur) ne me paraît nullement inéluctable. En effet, à la lumière des données contenues dans la décision contestée – qui révèlent que 10 à 15 % seulement de tous les vols assujettis à la taxe répondent aux conditions d’application du taux de 2 EUR – il semblerait plus correct de soutenir que l’« élément illégal » de l’imposition réside plutôt dans le taux inférieur, en tant qu’il déroge au taux généralement appliqué, en concédant, en fait, une réduction fiscale aux compagnies assurant les vols intérieurs (à raison de la différence existant entre le taux supérieur et le taux inférieur) (29). Par conséquent, contrairement à ce que soutient Aer Lingus, l’avantage dont la décision attaquée a constaté l’existence en faveur des compagnies ayant assuré des vols internes au cours de la période considérée ne réside pas dans le fait qu’elles n’ont pas été assujetties à un excédent d’imposition illégal, mais plutôt dans le fait qu’elles ont bénéficié, au titre de ces mêmes vols, d’une exonération fiscale, laquelle constituerait en même temps une aide d’État et une restriction à la libre prestation des services, dans une configuration que la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner (30).

27.      Enfin, même s’il fallait considérer, dans l’optique des requérantes, qu’eu égard au constat effectué dans la lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises, le taux de 10 EUR appliqué aux vols intra-Union est illégal en ce qu’il comporte une restriction à la libre prestation des services, une telle conception n’exclurait pas, selon moi, la faculté pour la Commission d’adopter ce taux comme taux de référence aux fins de l’examen du caractère sélectif de l’avantage dont auraient bénéficié les compagnies aériennes assujetties au taux inférieur. Je n’estime pas, en effet, qu’une telle qualification juridique puisse, en elle même, avoir une incidence sur l’aptitude de ce taux à rendre compte de la matérialité et de la sélectivité de l’avantage obtenu par ces compagnies. En effet, à ce stade de l’examen de la mesure étatique, l’analyse de la Commission porte sur les effets induits par cette mesure au cours de la période de référence. Il en résulte que les facteurs qui n’ont pas eu une incidence réelle sur ces effets sont, en principe, dépourvus de pertinence. Quelques indications en ce sens se déduisent de l’arrêt du 3 mars 2005, Heiser (C-172/03, EU:C:2005:130) cité par la Commission, même si les circonstances des cas d’espèce sont objectivement différentes de celles de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. La Cour a exclu à cette occasion que l’éventuelle incompatibilité avec le droit communautaire de la mesure imposant la charge dont était exonéré le requérant puisse interdire de considérer une telle exonération comme un avantage au sens des règles relatives aux aides d’État. Selon la Cour, la réglementation en cause était en effet « susceptible de produire ses effets aussi longtemps qu’elle n’[avait] pas été abrogée ou, à tout le moins, tant que son illégalité n’[avait] pas été constatée ». Or, dans les cas d’espèce, même à supposer que, comme le fait observer Aer Lingus, contrairement à l’affaire Heiser, l’illégalité de la TTA à taux différenciés ait été déjà définitivement constatée dans la lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises, il convient de relever qu’une telle constatation n’a en tout cas pas empêché la perception de la taxe au cours de la période de référence – dont la moitié environ est, au demeurant, antérieure à l’envoi de la lettre de mise en demeure (31) – ni la survenance des effets liés à l’application des taux différenciés.

28.      Les développements précédents font également apparaître le caractère infondé de l’argument tiré par Ryanair de ce qu’en raison de l’adoption comme taux de référence du taux de 10 EUR réputé illégal, la Commission aurait méconnu le principe d’unité et de cohérence du droit de l’Union. Comme nous le verrons ci-dessous plus en détail, la présente affaire pose incontestablement la délicate question de la coordination entre les deux corps de règles du traité respectivement applicables aux libertés et aux aides d’État, mais sous un aspect différent de celui présenté par Ryanair dans le grief sous examen.

29.      Au vu des considérations qui précèdent, j’estime que le grief tiré par les requérantes de l’incidence de l’illégalité prétendue du taux supérieur de la TTA est infondé et devrait donc être rejeté.

3.      Sur le grief alléguant une erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en tenant pour dépourvue de pertinence l’institution du taux inférieur et du taux supérieur de la TTA par une même réglementation (quatrième grief du moyen unique du pourvoi incident de Ryanair).

a)      L’arrêt Ryanair

30.      Devant le Tribunal, Ryanair avait également critiqué sous un autre aspect le choix de la Commission consistant à juger « normal » le taux supérieur de 10 EUR. Selon Ryanair, contrairement au cas typique des d’aides d’État de nature fiscale, l’affaire sous examen ne présentait pas de régime fiscal général préexistant et des taux introduits ultérieurement pour favoriser ou discriminer une catégorie spécifique de contribuables. De l’avis de Ryanair, l’absence d’une telle situation ne permettait pas de regarder le taux inférieur de la TTA comme une exception au taux supérieur. Le Tribunal a rejeté cet argument au point 89 de l’arrêt Ryanair en rappelant que l’article 107, paragraphe 1, TFUE n’établit pas de distinction entre les interventions étatiques en fonction des techniques utilisées par les autorités nationales et qu’il importait donc peu que les deux taux de la TTA aient été introduits simultanément, du moment que la Commission avait suffisamment établi les raisons l’ayant conduite à considérer que le taux de 2 EUR constituait une dérogation par rapport au taux supérieur de 10 EUR.

b)      Exposé succinct des arguments des parties

31.      Ryanair considère que l’introduction simultanée des taux supérieur et inférieur n’est pas seulement une question de « technique », ainsi que le prétend le Tribunal. Les autorités irlandaises n’auraient en effet jamais introduit le taux supérieur sans instituer en même temps le taux inférieur, comme le démontrerait la substitution ultérieure par ces autorités d’un taux unique de 3 EUR aux deux taux, en lieu et place de la suppression pure et simple de l’« exception » constituée par le taux de 2 EUR. Ryanair soutient par ailleurs que la fréquence des opérations imposables est tout au plus un des éléments à prendre en considération pour déterminer le niveau d’imposition « normal » et non nécessairement l’élément déterminant.

32.      La Commission estime que le grief est dépourvu de fondement, tandis que le gouvernement irlandais le considère pour partie inopérant et pour partie irrecevable.

c)      Appréciation

33.      Je considère avec la Commission que le grief sous examen est infondé (32). Le fait que – dans le cadre d’un régime déterminé – la mesure conférant à certaines entreprises un avantage sous forme d’exonération, totale ou partielle, d’une charge leur incombant normalement soit adoptée en même temps que la mesure imposant cette charge est en principe dépourvu de pertinence pour apprécier la sélectivité de cet avantage et n’interdit pas de considérer la première mesure comme une dérogation à la seconde. Comme le rappelle à bon droit le Tribunal au point contesté de l’arrêt Ryanair, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser dans l’arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C-487/06 P, EU:C:2008:757, point 89), que l’article 107, paragraphe 1, TFUE définit les interventions étatiques en fonction de leurs effets, indépendamment, par conséquent, des techniques utilisées. La Cour a donc considéré dans cet arrêt que peu importe le fait que l’avantage procuré aux entreprises bénéficiaires ne procède pas de l’octroi d’une dérogation, mais des modalités de délimitation du champ d’application matériel de la mesure fiscale en cause (33). Dans l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni Commission (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, point 92), également cité au point 89 de l’arrêt Ryanair, la Cour a précisé qu’il serait contraire à la jurisprudence privilégiant l’analyse des effets des aides d’État de comprendre le critère de sélectivité en ce sens qu’il présuppose qu’un régime fiscal, pour pouvoir être qualifié de sélectif, soit conçu selon une certaine technique réglementaire, ce qui aurait pour conséquence que des règles fiscales nationales échapperaient d’emblée au contrôle des aides d’État du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire, bien qu’elles produisent, en droit et/ou en fait, les mêmes effets. La Cour a d’ailleurs formulé ces précisions dans des situations caractérisées par des systèmes fiscaux complexes qui, au lieu de prévoir pour l’ensemble des entreprises des règles générales, auxquelles il est dérogé en faveur de certaines entreprises, aboutissent à un résultat identique en ajustant et en combinant les règles fiscales de façon à ce que l’application de celles-ci conduit à une charge fiscale différenciée pour les différentes entreprises (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, point 93), ou en délimitant le champ d’application de l’imposition de façon à en exclure certaines entreprises placées dans une situation comparable au regard des objectifs du système en cause (arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C-487/06 P, EU:C:2008:757, point 89). Dans la présente affaire, nous sommes, en revanche, en présence d’un système relativement simple, qui assujettit à l’imposition, bien qu’à raison de niveaux différents, toutes les entreprises accomplissant l’opération économique érigée en fait générateur.

34.      Au demeurant, même en admettant que, comme le soutient Ryanair, la fréquence des opérations imposables ne constitue pas en soi un élément déterminant pour établir le niveau normal d’imposition dans le cadre d’un régime fiscal donné, il apparaît difficile, dans un système binaire comme celui de la TTA à taux différenciés, au sein duquel un faible pourcentage des vols assujettis à la taxe (10 à 15 % selon les données communiquées à la Commission par les autorités irlandaises et non contestées par Ryanair) est soumis à un taux inférieur unique, alors que le reste des opérations est soumis à un taux supérieur unique, de ne pas considérer le premier taux comme dérogatoire au second. L’unique argument avancé par Ryanair pour réfuter cette conclusion – argument consistant à prétendre que ces pourcentages reflètent simplement l’intention des autorités irlandaises d’accorder une aide à la compagnie Aer Arann et de soutenir les vols internes et les activités des aéroports nationaux, au détriment des compagnies assurant les vols internationaux, plus nombreux et plus importants économiquement – me paraît plutôt confirmer qu’infirmer le caractère dérogatoire du taux inférieur. En développant cet argument, Ryanair semble par ailleurs donner à entendre que l’intervention au soutien d’Aer Arann ne se limite pas à un allègement fiscal des vols internes, mais se matérialise également par une imposition excessive et « anormale » grevant les compagnies assurant les vols internationaux. Or, même à supposer que le niveau de taxation appliqué à la quasi totalité des vols internationaux ait été intentionnellement fixé à un niveau anormalement élevé dans le but de favoriser Aer Arann, il m’apparaît que la seule option permettant d’apprécier pleinement la portée de cet avantage consiste précisément à prendre ce niveau de taxation comme point de référence aux fins de l’application des dispositions relatives aux aides d’État. Par ailleurs, on ne peut pas considérer, et Ryanair ne l’allègue pas non plus en vérité, que – même en admettant que les autorités irlandaises aient entendu discriminer ou en tout cas affaiblir les compagnies assurant les vols internationaux, dans le but de favoriser une compagnie concurrente sur les lignes intérieures – l’avantage dont les premières ont effectivement profité sur ces mêmes lignes doit être apprécié différemment, dans la mesure où il constitue simplement un « effet collatéral » de l’intervention étatique. Au-delà des intentions de l’État dispensateur de l’aide, l’élément important en matière d’aides d’État, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, réside assurément dans les effets produits par la mesure en cause. Dans cette optique, le fait que Ryanair ait bénéficié du taux de 2 EUR dans une moindre mesure que d’autres compagnies aériennes (34) est dépourvu de pertinence dans la mesure où il apparaît qu’elle a effectivement bénéficié de cet avantage (35).

35.      Enfin, comme la Commission l’a souligné, la Cour et le Tribunal ont déjà eu l’occasion d’examiner des systèmes fiscaux édictant simultanément la disposition instituant la charge et celle qui en prévoit l’exonération. Je renvoie à titre d’illustration, en plus des précédents cités par la Commission, aux affaires ayant donné lieu aux arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598) (36) et du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium (C-393/04 et C-41/05, EU:C:2006:403) (37).

36.      Au vu des considérations qui précèdent, j’estime que le quatrième grief du moyen unique du pourvoi incident de Ryanair devrait être rejeté comme dépourvu de fondement.

4.      Sur le grief tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en écartant la pertinence du taux de 3 EUR instauré en mars 2011 par les autorités irlandaises (premier grief du moyen unique du pourvoi incident de Ryanair).

a)      L’arrêt Ryanair

37.      Dans le cadre du premier moyen de son recours devant le Tribunal, Ryanair avait également fait valoir que, eu égard à l’illégalité de la TTA aux taux différenciés, le seul taux que la Commission aurait été fondée à adopter comme taux de référence était celui de 3 EUR instauré en mars 2011. Le Tribunal a rejeté ce grief aux points 74 à 76 de l’arrêt Ryanair, au motif que ce taux, n’ayant pas été effectivement appliqué durant la période retenue par la Commission, n’était pas apte à appréhender tous les effets produits par la mesure en cause ni, par conséquent, à servir de taux de référence approprié.

b)      Exposé succinct des arguments des parties

38.      Selon Ryanair, le fait que le taux de trois euros n’ait pas été appliqué au cours de la période retenue dans la décision contestée n’interdit pas de l’ériger en taux de référence, étant donné que le système fiscal et les objectifs qu’il poursuit sont restés les mêmes. Ryanair avance également que, comme le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA appliquée au cours de la période prise en considération par la décision contestée ont été institués et supprimés en même temps, il n’y a jamais eu, en l’occurrence, de taux préexistant susceptible d’être qualifié de « normal ».

39.      La Commission et le gouvernement irlandais considèrent le grief comme inopérant et infondé, en avançant des motifs identiques en substance.

c)      Appréciation

40.      Je considère avec la Commission et le gouvernement irlandais que les arguments de la requérante ne répondent pas aux motifs exposés aux points 75 et 76 de l’arrêt Ryanair et qu’ils sont donc tout d’abord inopérants. En particulier, Ryanair ne réfute pas l’objection tirée par le Tribunal de ce qu’un taux, institué ultérieurement et compris entre les deux taux effectivement appliqués, ne permet pas de saisir tous les effets de la mesure litigieuse. Ryanair n’explique pas non plus pourquoi un tel taux serait plus apte que les taux effectivement pratiqués à rendre compte de ces effets.

41.      Sur le fond, je rappelle que, selon une jurisprudence constante, la condition de sélectivité, élément constitutif de la notion d’aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, est remplie par une mesure étatique qui, dans le cadre d’un régime juridique donné, est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable (38). Or, pour pouvoir apprécier correctement la situation des entreprises concernées, en identifiant les charges qu’elles supportent et les avantages éventuels dont elles bénéficient en raison de la mesure en cause, il est nécessaire de considérer les circonstances de fait et de droit prévalant au moment où la mesure est applicable, ainsi que celles qui, tout en n’étant pas contemporaines, sont concrètement susceptibles d’influer sur cette appréciation (39). On ne voit pas en l’occurrence comment l’uniformisation et la fixation à EUR 3 du taux de la TTA– intervenues postérieurement à la période retenue – peuvent concrètement influencer la reconstitution des charges supportées et des avantages reçus par les entreprises assujetties à la TTA à des taux différenciés. En toute hypothèse, Ryanair n’a fourni aucune indication à cet égard. Elle soutient, en revanche, que le taux supérieur de 10 EUR ne saurait être retenu à titre de taux de référence, en raison de son instauration simultanée à celle du taux inférieur et de son illégalité. Ces deux arguments ne sont pas fondés. Je renvoie simplement à cet égard aux développements exposés aux points 33 à 35 ci-dessus, pour le premier, et aux points 24 à 29 ci-dessus, pour le second.

42.      Je relève enfin que la thèse de la requérante aboutirait au résultat paradoxal consistant à qualifier de « normal » un niveau d’imposition auquel aucune des entreprises concernées n’a été assujettie au cours de la période de référence.

43.      Au vu des considérations qui précèdent, je suis d’avis que le premier grief du moyen unique du pourvoi de Ryanair doit être rejeté comme inopérant et que les arguments développés à son soutien sont, de surcroît, dépourvus de fondement.

5.      Sur les griefs tirés de l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal en retenant que le droit des compagnies d’obtenir le remboursement de l’excédent de TTA acquitté n’avait aucune incidence sur la possibilité ouverte à la Commission d’adopter comme taux normal le taux supérieur de 10 EUR (deuxième, troisième et quatrième griefs du moyen unique du pourvoi incident d’Aer Lingus et troisième grief du moyen unique du pourvoi incident de Ryanair)

a)      Arrêts attaqués

44.      Après avoir relevé qu’au nombre des diverses options ouvertes pour remédier à la discrimination fiscale existante, l’Irlande disposait également de la faculté d’uniformiser les taux au niveau supérieur (point 60 de l’arrêt Aer Lingus et point 85 de l’arrêt Ryanair) et que la reconnaissance aux compagnies assujetties au taux supérieur du droit éventuel à obtenir le remboursement de l’excédent d’imposition n’était pas automatique, mais dépendait d’une série de facteurs tels que les délais de prescription de droit interne et le respect des principes généraux comme l’absence d’enrichissement sans cause (point 61 de l’arrêt Aer Lingus et point 86 de l’arrêt Ryanair), le Tribunal a conclu, au point 63 de l’arrêt Aer Lingus et au point 88 de l’arrêt Ryanair, que la Commission avait pu légalement retenir le taux de 10 EUR comme taux d’imposition de référence de la TTA, sans prendre en considération d’éventuelles demandes de remboursement, purement hypothétiques et à l’issue aléatoire.

b)      Exposé succinct des arguments des parties

45.      Les requérantes exposent que, contrairement aux affirmations du Tribunal, le droit d’obtenir le remboursement d’impositions acquittées en vertu de mesures nationales contraires au droit de l’Union n’est pas purement hypothétique, mais se déduit d’une jurisprudence bien établie de la Cour. Un tel remboursement ne relèverait pas de la marge d’appréciation de l’État membre intéressé. Par conséquent, l’Irlande n’aurait pas pu, dans les cas d’espèce, remédier à la discrimination fiscale constatée par la Commission en imposant rétroactivement le taux supérieur aux compagnies redevables du taux inférieur. Selon Aer Lingus, le Tribunal confond la question de l’action que l’État membre intéressé doit entreprendre pour mettre un terme à cette discrimination avec celle des mesures nécessaires pour remédier à l’illégalité commise au cours de la période d’application des taux discriminatoires. Même en admettant que l’illégalité de la TTA réside dans la différenciation des taux, l’obligation de principe incombant aux autorités irlandaises de rembourser l’imposition indûment perçue ferait de toute façon obstacle à ce que le taux supérieur de 10 EUR – duquel doit être déduit le montant à rembourser – soit adopté comme « taux normal » et à ce que les compagnies ayant acquitté le taux inférieur de 2 EUR soient regardées comme des bénéficiaires d’un avantage sélectif. Dans ce contexte, l’issue des procédures de remboursement serait dépourvue de toute pertinence.

46.      La Commission et le gouvernement irlandais arguent du défaut de fondement des griefs allégués en développant des arguments concordants en substance.

c)      Appréciation

47.      J’estime avec la Commission et le gouvernement irlandais qu’il y a lieu d’écarter l’argument d’Aer Lingus selon lequel le Tribunal confondrait les mesures qu’un État membre peut adopter pour mettre un terme à une discrimination fiscale et celles nécessaires à en éliminer les effets, car un tel argument procède d’une lecture erronée de l’arrêt Aer Lingus. En effet, le Tribunal se borne à affirmer au point 60 de cet arrêt (de même qu’au point 87 de l’arrêt Ryanair, au contenu identique) que, l’État membre intéressé pouvant « mettre fin » à une telle discrimination par l’uniformisation de l’imposition au niveau supérieur, un tel niveau d’imposition ne peut être considéré comme illégal en soi et que seule l’application conjointe de niveaux d’imposition différents est susceptible de donner lieu à une restriction de la libre prestation des services. Ces affirmations relèvent d’une discussion – entamée dans les deux points précédents – qui se situe en amont de la question portant sur l’existence d’une obligation incombant à l’Irlande de rembourser la différence entre les deux taux de la TTA, et sur laquelle le Tribunal s’abstient d’ailleurs délibérément d’adopter une position définitive.

48.      Cela étant dit, les arguments des requérantes sont, d’une façon générale, comme le relèvent aussi bien la Commission que le gouvernement irlandais, empreints d’un formalisme excessif, difficilement conciliable avec le droit des aides, qui est au contraire caractérisé par une démarche qui privilégie la substance, reposant sur l’analyse des effets produits par les interventions de la puissance publique. Conformément à une telle démarche, l’analyse visant à déterminer si et dans quelle mesure une imposition est « normalement » due, afin de vérifier si une mesure étatique excluant ou allégeant, à l’égard d’entreprises déterminées, la charge d’une telle imposition, confère à ces entreprises un avantage sélectif au sens de l’article 107 TFUE, doit être effectuée à la lumière de la nature et de la structure du système fiscal de référence ainsi que des circonstances de fait (par exemple, le rapport entre les opérations imposées et exonérées) et de droit (par exemple, le statut juridique des entreprises assujetties) susceptibles d’exercer directement et concrètement une incidence sur cette analyse (40). Or, dans les cas d’espèce, le remboursement de la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA, auquel les autorités irlandaises seraient en principe tenues si était constatée une restriction à la libre prestation des services, ne fait pas partie intégrante du système fiscal sous examen et ne peut pas être tenu pour un élément normatif de ce système de nature à fonder la détermination du niveau d’imposition normalement exigible.

49.      Je note par ailleurs que la thèse d’Aer Lingus aboutirait en fait à empêcher l’application de la réglementation des aides d’État aux allégements fiscaux relevant de l’interdiction édictée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans le cas où ils comporteraient en même temps des restrictions à une liberté fondamentale, en imposant à l’État membre en cause l’obligation de principe d’appliquer le même traitement fiscal aux entreprises discriminées. Un tel résultat n’est manifestement pas souhaitable. Les dispositions respectivement relatives aux aides d’État et aux libertés fondamentales doivent pouvoir être appliquées cumulativement à une même affaire(41), bien qu’il soit nécessaire, comme nous le verrons plus précisément ci-dessous, d’assurer leur coordination afin de préserver la cohérence entre les deux dispositifs réglementaires et d’éviter l’adoption de mesures inconciliables.

50.      Au vu des considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu de rejeter comme infondés les arguments sous examen développés au soutien des deuxième, troisième et quatrième griefs du moyen unique du pourvoi incident d’Aer Lingus et du troisième grief du moyen unique du pourvoi incident de Ryanair.

6.      Conclusion sur les pourvois incidents

51.      Dès lors que je considère au vu de l’analyse développée ci-dessus qu’aucun des griefs exposés au soutien des pourvois incidents ne doit être accueilli, je suggère à la Cour de rejeter ces derniers dans leur intégralité.

B –    Sur les pourvois principaux

52.      La Commission invoque au soutien de chacun de ses deux pourvois, en avançant des arguments identiques, un moyen unique, pris de la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 14 du règlement n° 659/99. Ce moyen est dirigé contre les points 88 à 127 de l’arrêt Aer Lingus et les points 119 à 152 de l’arrêt Ryanair.

1.      Les arrêts attaqués

53.      Le raisonnement développé par le Tribunal en des termes substantiellement identiques dans les motifs des deux arrêts attaqués que conteste la Commission peut être brièvement résumé comme suit.

54.      Le Tribunal relève tout d’abord que la TTA est un droit d’accise, destiné en tant que tel à être répercuté sur les passagers, en raison également de l’obligation imposée aux compagnies aériennes par l’article 23 du règlement n° 1008/2008(42), d’indiquer séparément le montant des taxes dans le prix de chaque billet. Le Tribunal note ensuite qu’au même titre que la taxe, l’avantage résultant de l’application du taux réduit, soit huit euros de différence entre le taux normal et le taux réduit, peut être aussi répercuté intégralement ou partiellement sur les clients des compagnies aériennes. Dans un tel cas, poursuit le Tribunal, celles-ci ne conserveront pas cet avantage ou ne le conserveront qu’en partie. Dans de telles circonstances, la Commission n’était pas fondée à présumer que l’avantage dérivant de l’application du taux réduit effectivement obtenu et conservé par les compagnies aériennes s’élevait, dans tous les cas, à huit euros par passager. En effet, selon le Tribunal, en cas de répercussion, l’avantage effectivement obtenu par les compagnies aériennes ne consiste pas nécessairement dans la différence entre les deux taux, mais dans la possibilité d’offrir des prix plus attractifs à leurs clients et d’accroître ainsi leur chiffre d’affaires. La Commission aurait donc dû déterminer dans quelle mesure les compagnies aériennes redevables du taux de 2 EUR avaient effectivement répercuté sur leurs passagers le bénéfice économique résultant de l’application de la TTA au taux réduit, afin de quantifier avec précision l’avantage dont elles avaient réellement bénéficié, ou confier cette tâche aux autorités nationales. En outre, en présumant dans tous les cas qu’un tel avantage correspondait à la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA, la Commission n’a pas, selon le Tribunal, suffisamment tenu compte de la situation concurrentielle du marché en cause ni du fait que toutes les compagnies aériennes exploitant des vols à une distance de l’aéroport de Dublin inférieure à 300 km étaient soumises à la TTA au même taux de 2 EUR. Enfin, le Tribunal précise que la Commission n’a pas suffisamment démontré, dans la décision contestée, pourquoi la récupération d’un montant égal à la différence entre le taux normal et le taux réduit était nécessaire afin d’assurer le rétablissement de la situation antérieure à l’octroi de l’aide. Le Tribunal conclut qu’en évaluant le montant de l’aide à récupérer à la différence entre le taux réduit et le taux normal de la TTA, la Commission a commis une erreur d’appréciation et une erreur de droit.

2.      Exposé succinct des arguments des parties

55.      La Commission, soutenue par l’Irlande, expose en substance qu’en censurant la décision contestée pour ne pas avoir tenu compte de la mesure dans laquelle les compagnies aériennes bénéficiaires ont répercuté sur les passagers l’avantage résultant de l’application de la TTA au taux réduit, le Tribunal a adopté un nouveau critère économique pour déterminer le montant à restituer d’une aide consistant à appliquer un taux réduit par rapport à un taux normal.

56.      Aer Lingus allègue que le litige a trait à une aide indirecte que la Commission a traitée comme aide directe dans la décision contestée. Aer Lingus note que, lorsque la Commission quantifie elle-même le montant de l’aide à restituer, elle doit le faire de façon aussi précise que possible, sans se fonder sur des suppositions simplistes. Aer Lingus observe en outre qu’il ne lui était pas permis de percevoir auprès des passagers voyageant sur les vols soumis au taux réduit un montant supérieur à ce taux et que, si elle était tenue de restituer les 8 EUR par billet exigés par la Commission, il ne lui serait pas possible de récupérer rétroactivement ce montant auprès des passagers qui ont acheté le billet au taux réduit. Contrairement aux allégations de la Commission, elle ne serait jamais entrée, ni réellement ni théoriquement, en possession de cette somme. Selon Aer Lingus, c’est à tort que la Commission soutient que le raisonnement du Tribunal aurait comme conséquence qu’aucune récupération ne peut être demandée aux compagnies bénéficiaires. Un tel argument serait fondé sur une lecture erronée de l’arrêt Aer Lingus. Enfin, Aer Lingus dénie toute consistance aux incohérences avec la jurisprudence existante que la Commission a identifiées.

57.      Ryanair argue, à titre principal, de l’inopérance du moyen unique du pourvoi formé par la Commission. Celle-ci n’aurait critiqué que le premier des trois arguments distincts développés par le Tribunal au soutien de l’annulation de l’article 4 de la décision contestée, à savoir l’absence de prise en considération de la répercussion de la TTA sur les passagers, d’une part, et de la situation du marché, d’autre part, ainsi que le défaut de justification de la nécessité de récupérer la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA pour rétablir le status quo ante. À titre subsidiaire, Ryanair soutient que le moyen du pourvoi soulevé par la Commission est infondé. Le Tribunal se serait en effet limité à appliquer le principe selon lequel doit être calculée la valeur réelle de l’avantage obtenu au moyen de l’aide. En outre, la Commission amplifierait les difficultés liées à l’exacte quantification du montant au cas où la solution préconisée par le Tribunal devrait être maintenue. Ryanair fait enfin observer qu’il serait illogique de ne pas tenir compte de la répercussion sur les clients de l’avantage obtenu par le bénéficiaire de l’aide, alors que la répercussion du surcoût induit par une infraction au droit antitrust sur les clients de l’entreprise concurrente qui s’estime lésée permet à l’auteur de l’infraction de se soustraire à la demande d’indemnisation (43).

3.      Appréciation

58.      Il convient tout d’abord de rejeter l’argument tiré à titre principal par Ryanair de l’inopérance du moyen unique soulevé par la Commission au soutien de son pourvoi. D’une part, les trois séries d’arguments identifiées par Ryanair ne constituent pas, dans la logique du raisonnement du Tribunal, des motifs d’annulation autonomes de la décision contestée. D’autre part, la Commission a examiné, dans le cadre de son moyen unique, les divers aspects de la motivation de l’arrêt Ryanair ayant conduit le Tribunal à annuler la décision contestée.

59.      Sur le fond, il importe de rappeler, à titre préliminaire, que l’obligation pour l’État membre concerné de supprimer, par voie de récupération, une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le marché commun vise, selon une jurisprudence constante, au rétablissement de la situation antérieure à l’octroi de l’aide (44). Le rétablissement du status quo ante est obtenu au moyen de la « restitution de l’aide », c’est-à-dire par voie de remboursement de ce qui a été mis par l’État à la disposition de l’entreprise, majoré, le cas échéant, des intérêts (45). De par l’effet de cette restitution, le bénéficiaire perd l’avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents (46).

60.      La quantification du montant à restituer s’effectue selon des modalités variant en fonction de la forme sous laquelle l’aide a été octroyée. C’est ainsi que, par exemple, lorsque l’État met à disposition des entreprises bénéficiaires des sommes d’argent ou leur fournit des biens ou des services à titre gratuit ou à des prix préférentiels, ces entreprises seront en principe tenues de restituer un montant équivalent au montant nominal octroyé ou à la contre-valeur (ou à la différence par rapport au prix du marché) des biens ou des services dont ils ont bénéficié (47), majoré des intérêts afférents.

61.      Lorsque l’aide est octroyée sous forme d’avantage fiscal, le rétablissement de la situation antérieure comporte en principe la récupération auprès des entreprises bénéficiaires d’un montant correspondant à l’impôt ou à la taxe exigible en vertu de la législation fiscale applicable en l’absence d’aide illégale, majoré des intérêts afférents (48). Cette règle repose sur la considération qu’un traitement fiscal de faveur, tout en étant distinct d’une subvention au sens strict, produit un effet distorsif de concurrence similaire, équivalent en principe à celui résultant de la mise à disposition d’une somme d’argent égale à la réduction de la charge fiscale supportée. Un tel avantage peut procéder de mesures d’imposition directe des entreprises – sous forme, par exemple, de réduction de l’assiette imposable, de réduction totale ou partielle du montant de l’impôt, d’ajournement ou d’annulation, voire de rééchelonnement exceptionnel de la dette fiscale – ou de mesures d’imposition indirecte telles que l’exemption ou la réduction des droits d’accise ou d’autres impositions, à condition toutefois qu’une telle exemption ou réduction se traduise par un allègement des charges grevant normalement le budget de l’entreprise bénéficiaire (49).

62.      Pour déterminer le montant soumis à récupération, la Commission n’est pas, en principe, tenue d’examiner la façon dont l’entreprise bénéficiaire a utilisé concrètement l’avantage découlant de l’octroi de l’aide. La restitution de l’aide n’a pas pour objet la suppression du bénéfice effectivement réalisé par l’entreprise en raison de l’octroi de l’aide, mais plutôt l’élimination de la situation d’avantage concurrentiel où l’a initialement placée l’octroi de l’aide. Cela signifie, d’une part, que la récupération devra généralement se limiter au bénéfice direct résultant de l’octroi de l’aide, sans pouvoir s’étendre aux éventuels bénéfices indirects qui procèdent de toute façon de cet octroi (50). Dès lors, si l’utilisation de l’aide a permis à l’entreprise bénéficiaire (par la réduction des prix ou par des investissements publicitaires, par exemple) de conquérir de nouvelles parts de marché, ou si, grâce à l’aide, elle a remporté un marché public ou a évité l’insolvabilité, elle ne sera néanmoins tenue de restituer qu’un montant correspondant à l’avantage découlant de la mise à disposition de l’aide. D’autre part, l’entreprise bénéficiaire sera appelée à restituer l’intégralité de ce montant, même si, par suite d’une mauvaise gestion de l’aide, ou en raison de la situation du marché où elle opère, de la position qu’elle y occupe, de sa situation financière ou de son modèle d’entreprise, elle n’a pas pleinement mis à profit l’avantage concurrentiel procuré par l’octroi de l’aide. En d’autres termes, les choix arrêtés par l’entreprise après l’octroi de l’aide ou les événements subséquents sont, en principe, dépourvus de pertinence pour déterminer la portée (51) de l’obligation de restitution (52). L’entreprise bénéficiaire est par ailleurs tenue à la restitution de l’aide indépendamment des effets négatifs – fussent-ils même quantitativement plus importants que les avantages découlant de l’octroi de l’aide – que cette restitution peut entraîner sur sa situation économique et financière. À cet égard, la Cour a précisé qu’il résulte de la fonction dévolue à l’obligation de restitution que la Commission ne saurait en général et sauf circonstances exceptionnelles méconnaître son pouvoir discrétionnaire en demandant à l’État membre de récupérer les sommes accordées au titre d’aides illégales (53), quand bien même la récupération représente pour l’entreprise bénéficiaire une charge susceptible de provoquer sa disparition du marché (54).

63.      Il se déduit des considérations précédentes que « le rétablissement de la situation antérieure à l’octroi de l’aide » – qui, comme nous l’avons vu, constitue l’objet principal de sa récupération – ne s’identifie pas à la reconstitution des conditions de concurrence prévalant au moment de l’octroi de l’aide. Certains de ses effets sont assurément irréversibles et il serait illusoire d’estimer que la restitution des montants correspondants à l’avantage obtenu par l’entreprise ou par les entreprises bénéficiaires suffise à placer les opérateurs du marché dans les mêmes conditions de concurrence que celles où elles se trouvaient avant l’octroi de l’aide (55). Il se peut donc que, même après la restitution de l’aide, l’entreprise ou les entreprises bénéficiaires continuent en réalité de bénéficier des effets favorables de l’intervention publique sur leur situation concurrentielle. De même, il peut arriver qu’en dépit de l’avantage obtenu, leur situation concurrentielle postérieure à la restitution de l’aide se soit dégradée par rapport à celle qui prévalait antérieurement à l’octroi de cette aide.

64.      Enfin, la jurisprudence a ouvert aux autorités nationales compétentes pour procéder à la récupération la faculté de tenir compte, dans certaines limites, de circonstances susceptibles de réduire l’avantage obtenu par l’entreprise bénéficiaire en raison de l’octroi de l’aide et, partant, d’influer sur l’évaluation des montants à restituer. Par exemple, si l’octroi de l’aide a induit des charges fiscales additionnelles pour l’entreprise en cause, l’excès d’imposition prélevé doit être déduit du montant à restituer. Il est de même tenu compte des allégements fiscaux auxquels l’entreprise aurait eu droit de toute façon en vertu de la réglementation nationale, conforme au droit de l’Union, applicable au moment de l’octroi de l’aide (56). Sans préjudice du droit des entreprises de résister à la procédure nationale de récupération – en particulier lorsque les autorités nationales ont été appelées à procéder à l’identification des bénéficiaires et à l’estimation de l’aide – l’entreprise bénéficiaire ne semble disposer que de possibilités limitées d’opposer la réduction ou la neutralisation de l’avantage induit par l’aide en invoquant des circonstances tenant à son modèle d’organisation et à la stratégie déterminant son action sur le marché ou au contexte concurrentiel dans lequel elle opère.

65.      Je rappelle enfin qu’au-delà de la fonction d’élimination de l’avantage concurrentiel obtenu par le bénéficiaire ou les bénéficiaires de l’aide, la récupération poursuit également un objectif de dissuasion à l’adresse des entreprises auxquelles incombe la charge de vérifier que l’aide a été octroyée dans le respect de la procédure établie par le traité (57). Comme la Commission l’a légitimement souligné au cours de l’audience, l’obligation de l’État dispensateur de récupérer une aide accordée illégalement est conçue comme un remède à une situation pathologique, tenant à la violation de l’obligation de standstill édictée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Sans revêtir une nature répressive, cette obligation a pour effet de dissuader les entreprises de se rendre complices d’une telle violation ou de les inciter à se prémunir contre le risque de devoir restituer ce qu’elles ont obtenu, si elles ne sont pas en pratique en mesure d’éviter l’octroi de l’aide, hypothèse fréquente lorsque cette aide est octroyée dans le cadre d’un régime fiscal.

66.      Il résulte de l’ensemble des principes exposés ci-dessus que la récupération d’une aide fiscale constituée par l’application d’un taux d’imposition inférieur au taux normal portera en principe sur la différence entre le taux normal et le taux effectivement appliqué. Ainsi, comme l’a souligné à bon droit la Commission, l’entreprise bénéficiaire supportera en définitive la charge fiscale dont elle a été illégalement exonérée. Dans de tels cas, l’évaluation du montant de l’aide exige donc simplement que soit établi le montant de la créance fiscale non perçue, sans nécessiter d’appréciations complexes de nature économique ni, en principe, d’une analyse des conditions de concurrence prévalant sur le marché en cause ou du comportement de ses opérateurs concernés.

67.      En imposant à l’Irlande l’obligation de récupérer la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA au titre de chaque billet émis, la Commission s’est donc conformée, dans la décision contestée, aux principes énoncés ci-dessus.

68.      Il y a donc lieu de vérifier si l’annulation de l’ordre de récupération prononcée par le Tribunal dans les arrêts attaqués est justifiée au regard des circonstances spécifiques caractérisant les affaires sous examen.

69.      Avant d’entreprendre cet examen, j’estime cependant nécessaire de rejeter l’argument tiré par la Commission de ce que le raisonnement ayant conduit le Tribunal à annuler l’ordre de recouvrement en cause a pour conséquence qu’aucune restitution ne peut être demandée aux compagnies aériennes assujetties au taux inférieur de la TTA. Contrairement à ce que semble soutenir cette institution, le fait de ménager aux entreprises bénéficiaires d’une aide la possibilité d’invoquer une éventuelle répercussion totale ou partielle sur la clientèle de l’avantage obtenu n’a pas pour effet de les libérer de toute obligation de restitution, mais impose l’adoption de modalités spécifiques pour déterminer le montant à récupérer. Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a clairement indiqué qu’en cas de répercussion intégrale ou partielle de l’avantage résultant de la réduction du taux de la TTA appliqué aux passagers, cet avantage ne peut plus être considéré en toutes circonstances comme égal à la différence entre les deux taux de la TTA, mais correspond à l’augmentation du chiffre d’affaires induit par une offre de prix plus avantageux sur le marché. Un tel avantage doit être vraisemblablement déterminé par l’application d’une méthode de calcul analogue à celle utilisée par la Commission dans le cas d’aides indirectes (58), c’est-à-dire en évaluant l’impact que la réduction des tarifs aériens produit sur la demande, dans le but d’établir le nombre de billets supplémentaires vendus sous l’effet de cette réduction. Le recours à une telle méthode rend sans doute plus complexe, mais non impossible, l’évaluation du montant à restituer et n’exclut donc pas d’emblée, comme semble l’affirmer la Commission, toute obligation de restitution à la charge des compagnies aériennes bénéficiaires.

70.      Cela étant dit, je rappelle que le raisonnement ayant conduit le Tribunal à censurer l’estimation du montant à restituer à laquelle la Commission avait procédé est fondé, comme nous l’avons vu, sur le constat que la TTA est un droit d’accise, c’est-à-dire une taxe indirecte, destinée formellement et économiquement à être répercutée sur les passagers. La répercussion formelle de la TTA procède, en particulier, selon le Tribunal, de l’obligation que l’article 23 du règlement n° 1000/2008 impose aux compagnies aériennes, d’en indiquer séparément le montant dans le prix de chaque billet vendu, obligation que le Tribunal qualifie de « constant[e] entre les parties ».

71.      La Commission conteste ces prémisses en soutenant que le Tribunal a considéré à tort qu’elle partage l’interprétation que les arrêts attaqués ont donnée de l’article 23 du règlement n° 1008/2008. La Commission fait également valoir que la nature d’accise dévolue à la TTA n’est pas pertinente pour évaluer l’avantage que les compagnies aériennes ont obtenu du fait de l’application du taux réduit.

72.      Sur le premier point, la Commission affirme avoir toujours allégué devant le Tribunal que l’article 23 du règlement n° 1008/2008 n’oblige pas les compagnies aériennes à indiquer séparément le montant de la taxe dans le prix du billet en toutes circonstances, mais seulement lorsqu’elles décident d’inclure la taxe dans le tarif. Je me limite à relever à cet égard que tant le texte de l’article 23 que sa ratio legis, qui ressort en particulier du considérant 16 de ce même règlement (59), semblent plaider en faveur de la lecture qu’en livre la Commission, à savoir que l’obligation d’indiquer séparément le montant des taxes applicables dans le prix global du billet n’est applicable que dans le cas et dans la mesure où la compagnie décide de répercuter le coût de ces taxes sur les passagers. Cependant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer ici définitivement sur l’interprétation de l’article 23 du règlement n° 1008/2008, il importe de noter que, même à supposer que cette disposition impose aux compagnies aériennes l’obligation d’indiquer dans tous les cas l’intégralité du montant de la TTA dans le prix du billet, il n’en résulte pas qu’elles ne soient pas libres – en réduisant le prix du billet, taxes exclues et, partant, leur propre marge bénéficiaire sur la transaction individuelle – de supporter une partie ou l’intégralité du coût de la TTA (60). En d’autres termes, la vocation de la TTA à être formellement répercutée sur les passagers n’implique pas que les entreprises n’aient aucune marge de manœuvre aux fins de sa répercussion économique.

73.      Sur le second point soulevé par la Commission et évoqué au point 71 ci-dessus, je conviens avec elle qu’il faut réduire l’importance prêtée, dans le raisonnement du Tribunal, à la nature d’accise de la TTA.

74.      Premièrement, tout en ayant vocation à être répercuté sur les consommateurs, ce genre d’imposition grève, à tout le moins formellement, le budget de l’entreprise retenue comme redevable. Ces taxes sont perçues en raison et à l’occasion de l’exercice d’une activité commerciale (61), c’est-à-dire, dans le cas de la TTA, lors de la fourniture du service de transport. La réduction éventuelle de ces taxes représente pour l’entreprise bénéficiaire, dont la charge fiscale est allégée, un avantage direct au sens de la réglementation des aides d’État, non assimilable, contrairement aux affirmations d’Aer Lingus, à l’avantage indirect obtenu par l’entreprise lorsque des subventions sont accordées aux consommateurs pour l’achat des biens qu’elle produit (62).

75.      Deuxièmement, la répercussion formelle de l’accise peut ne pas se refléter dans sa répercussion économique, puisque le coût correspondant à l’imposition peut être supporté, en tout ou en partie, par l’entreprise fournissant le bien ou le service, moyennant une adaptation du prix (63). De même, lorsque le prix total du produit ou du service offert reste inchangé ou diminue à raison d’un montant inférieur à l’allégement fiscal, celui-ci peut se solder en tout ou en partie par une recette pour l’entreprise. À cet égard, la situation des compagnies aériennes assujetties à la TTA se différencie de celle des casinos helléniques soumis au régime de droits d’entrée différenciés examiné par le Tribunal dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 11 septembre 2014, Grèce/Commission (T-425/11, EU:T:2014:768) et qui a été débattue par les parties au cours de l’audience. En effet, dans ce système, le prix des billets d’entrée dans les casinos était fixé par l’État, de même que le pourcentage de ce prix que chaque casino pouvait légalement conserver à titre de droit d’émission du billet. Puisqu’ils ne pouvaient agir ni sur le prix du billet d’entrée (64) ni sur les droits qui leur étaient dévolus, les casinos opéraient, contrairement aux compagnies aériennes redevables de la TTA, en qualité de simples receveurs et d’intermédiaires chargés de percevoir les droits (65).

76.      Troisièmement, le mécanisme de répercussion ne concerne pas seulement les droits d’accise sur la production ou la consommation (66), mais s’applique d’une façon générale à toute imposition indirecte – comme, par exemple, la redevance versée au Trésor public pour service rendu – qui, faisant partie intégrante des coûts de production, se répercute sur le prix final du produit ou du service. Par ailleurs, une modalité de répercussion de la charge fiscale peut également se rencontrer en matière d’impôts directs. Ainsi, l’augmentation de la charge fiscale grevant les revenus des entreprises, en particulier lorsqu’il s’agit d’une taxe spéciale, peut inciter le producteur à répercuter sur les biens produits, en majorant ses prix, le surcroît de charge fiscale ou l’inciter à se désengager du secteur frappé par l’imposition, ce qui engendre une diminution de l’offre et une augmentation des prix. En outre, le producteur peut opérer une répercussion de l’imposition non seulement en aval, sur les consommateurs, mais aussi en amont, sur ses fournisseurs, et de façon transversale (répercussion dite « oblique »), en augmentant, par exemple, le prix d’autres produits que ceux supportant l’imposition. Autrement dit, il existe divers mécanismes permettant à l’entreprise supportant une charge fiscale, même non indirecte, de la répercuter en tout ou en partie sur d’autres personnes. Dans le cas où ces mécanismes seraient mis en œuvre, on ne saurait exclure que l’éventuel avantage résultant d’une réduction de la charge fiscale puisse être lui-même, en fonction des caractéristiques du marché en cause, répercuté sur d’autres personnes que le contribuable de fait.

77.      Au vu des éléments qui précèdent, je considère que ni les circonstances particulières des cas d’espèce, notamment la nature de la taxe en cause, ni l’éventuelle obligation incombant aux compagnies aériennes de respecter les critères posés par l’article 23 du règlement n° 1008/2008 en matière de tarification ne justifient, à elles seules, que l’on s’écarte des critères normaux d’évaluation d’une aide octroyée sous la forme de l’application d’un taux d’imposition réduit.

78.      Pour conclure que la Commission aurait dû tenir compte d’une éventuelle répercussion sur les passagers de l’avantage résultant de l’application du taux réduit de la TTA, le Tribunal se fonde également sur certains précédents jurisprudentiels, en particulier, sur l’arrêt du 29 mars 2007, Scott/Commission (T-366/00, EU:T:2007:99) et sur l’arrêt du 22 janvier 2013, Salzgitter/Commission (T-308/00, EU:T:2013:30), qui soulignent l’obligation de la Commission de limiter l’ordre de récupération aux avantages financiers résultant de la mise à disposition de l’aide.

79.      Toutefois, la pertinence de ces précédents aux fins des présentes affaires me paraît sujette à caution. Les litiges tranchés par les arrêts précités sont en effet survenus dans des situations où l’estimation de l’avantage lié à l’aide (une avance de trésorerie gratuite consécutive à un report d’impôt dans l’affaire Salzgitter/Commission et le financement résultant de l’aliénation d’un terrain à un prix préférentiel dans l’affaire Scott/Commission) exigeait des évaluations complexes de nature économique, dont le bien-fondé était contesté par les entreprises bénéficiaires. Dans les présentes affaires, le reproche qui a été adressé à la Commission devant le Tribunal porte en revanche sur le défaut de prise en considération de circonstances postérieures à l’octroi de l’aide (l’éventuelle répercussion de l’avantage sur les passagers), susceptibles de modifier la nature et l’importance de l’avantage initialement obtenu par les compagnies bénéficiaires sous la forme d’un taux d’imposition réduit et correctement déterminé par la Commission (67). En d’autres termes, les présentes affaires portent sur la légitimation de l’usage défensif du «passing-on» par les entreprises bénéficiaires d’une aide, dans le but de réduire le montant des sommes à restituer et non – ou à tout le moins non directement – sur une erreur de calcul de l’intensité de l’aide comme c’était en revanche le cas dans les affaires ayant donné lieu au prononcé des arrêts précités.

80.      Comme j’ai déjà eu l’occasion de le relever, la détermination précise des avantages découlant de l’octroi d’une aide n’exige pas en principe l’examen de ses modalités d’utilisation concrètes postérieures à son octroi. L’ampleur de la répercussion de ces avantages opérée par les bénéficiaires sur d’autres sujets de droit postérieurement à l’octroi de l’aide ne devrait donc pas présenter de pertinence pour déterminer le montant à restituer. Des indications claires en ce sens sont fournies par l’arrêt de la Cour du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C-24/95, EU:C:1997:163), écartant la possibilité d’opposer à l’ordre de récupération d’une aide la réglementation interne d’un État membre excluant la restitution lorsque le bénéficiaire ayant agi de bonne foi pouvait démontrer la disparition de l’enrichissement consécutif à l’octroi de l’aide (68). Dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu au prononcé de cet arrêt, l’avocat général Jacobs s’est explicitement prononcé contre l’utilisation de la répercussion à titre de moyen de défense dans le domaine des aides d’État (69), alors que la Cour avait par contre admis un tel moyen en matière d’aides octroyées par la Communauté dans l’arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e. a. (205/82 à 215/82, EU:C:1983:233).

81.      La récupération d’un montant égal à celui de l’aide octroyée (soit, dans les affaires examinées, le montant de la créance fiscale non perçue), majoré des intérêts, le cas échéant, est en principe, comme nous l’avons vu ci-dessus, jugée apte à éliminer l’avantage concurrentiel obtenu par le bénéficiaire de l’aide et à rétablir la situation préexistante. Toute autre règle – permettant par exemple au bénéficiaire d’une aide de résister à l’ordre de récupération en excipant de la répercussion de l’avantage sur ses acheteurs au moyen d’une réduction de prix – serait, comme l’a souligné l’avocat général Jacobs dans ses conclusions citées au point précédent, difficile à appliquer et, dans la mesure où elle entraînerait le recouvrement d’un montant inférieur, elle ne permettrait pas d’atteindre les objectifs des dispositions du traité (70).

82.      Ryanair avance que l’exclusion dans les affaires d’aide d’État du moyen de défense tiré de la répercussion serait contraire à la cohérence interne du droit de l’Union. En effet, des entreprises ayant commis des infractions de nature quasi pénale seraient recevables à invoquer un tel moyen dans les actions en réparation de dommages causés par des violations du droit de la concurrence, alors que cette défense serait déniée à des entreprises qui, comme les compagnies aériennes dans les affaires sous examen, n’ont pas disposé concrètement de la possibilité de s’opposer à l’octroi de l’aide. À cet égard, même en admettant que les mécanismes utilisés par une entreprise pour répercuter sur ses clients le bénéfice découlant de l’octroi d’une aide soient assimilables, d’un point de vue juridique et économique, à ceux permettant à un concurrent lésé de répercuter sur les consommateurs le dommage qu’il a subi, je note que le recours à la répercussion à titre de moyen de défense est en l’occurrence invoquée aux fins du « public enforcement » des aides d’État, et non, comme dans le droit antitrust, dans le cadre du « private enforcement ». Ce dernier obéit à une logique indemnitaire de protection des intérêts privés, qui se distingue de celle guidant l’application des règles de concurrence par la Commission, orientée vers la poursuite de l’intérêt général au maintien d’une structure concurrentielle des marchés. Le parallèle établi par Ryanair ne me semble donc pas pertinent, à tout le moins sous cet aspect. S’agissant, d’ailleurs, du « private enforcement » de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, rien n’interdit aux entreprises bénéficiaires attraites en responsabilité d’opposer au demandeur la répercussion totale ou partielle du dommage qu’il a éventuellement opérée sur ses acheteurs. Le défaut de cohérence dénoncé par Ryanair ne transparaît donc pas non plus sous cet aspect.

83.      Enfin, Aer Lingus et Ryanair arguent du fait, également retenu par le Tribunal dans les arrêts attaqués (71), que les compagnies aériennes tenues de restituer la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA n’ont pas la possibilité de récupérer a posteriori sur les passagers acquéreurs de billets au taux inférieur la taxe au taux majoré non versée. Cette circonstance ne me paraît pas présenter une importance déterminante, car les compagnies concernées disposeront de toute façon de la faculté de répercuter sur leur clientèle le coût induit de la restitution de l’aide, à l’occasion de l’émission de nouveaux billets (72). Je rappelle par ailleurs que le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 4 mars 2009, Associazione italiana del risparmio gestito e Fineco Asset Management/Commission (T-445/05, EU:T:2009:50) que les structures de placement intéressées ou les entreprises en assurant la gestion étaient tenues de restituer la différence entre l’impôt ordinaire et l’impôt réduit résultant de la mesure en cause, indépendamment de la possibilité, non établie, de se retourner vers leurs souscripteurs selon les dispositions du droit national (73). Enfin, s’il est vrai que la récupération d’un montant égal à la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA produit dans la réalité un effet analogue à celui d’une imposition rétroactive au taux supérieur, comme le donnent à entendre Ryanair et Aer Lingus, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’une telle circonstance est une conséquence normale de la qualification d’aide d’État donnée à la réduction fiscale en cause (74).

84.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et pour les raisons exposées, j’estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en annulant, par les arrêts attaqués, l’article 4 de la décision contestée, en ce qu’elle ordonne la récupération d’un montant égal à la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA. Je propose donc à la Cour d’accueillir le pourvoi de la Commission et d’annuler les arrêts attaqués.

C –    Sur le renvoi des affaires au Tribunal

85.      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. Á cet égard, je relève que le Tribunal n’a pas examiné le deuxième moyen, ni une partie du quatrième moyen du recours dans l’affaire T-473/12, ni le second grief du troisième moyen du recours dans l’affaire T-500/12. J’estime donc opportun de renvoyer au Tribunal les présentes affaires jointes, pour qu’il examine ces moyens et les arguments développés à leur soutien.

86.      Les observations qui suivent ne sont par conséquent présentées que pour le cas où la Cour déciderait de statuer définitivement sur le litige.

87.      Pour les raisons exposées dans les présentes conclusions, les troisième et quatrième moyens du recours dans l’affaire T-473/12 et les deuxième et troisième moyens du recours, dans les limites de l’examen du Tribunal, dans l’affaire T-500/12, auxquels le Tribunal a fait droit dans les arrêts attaqués, doivent être rejetés comme dépourvus de fondement.

88.      Dans le cadre du deuxième moyen du recours dans l’affaire T-473/12, que le Tribunal n’a pas examiné, Aer Lingus avait fait valoir qu’en ordonnant la récupération de l’aide, la Commission aurait dû tenir compte du droit des compagnies aériennes assujetties au taux supérieur de la TTA d’obtenir le remboursement de l’excédent de taxe acquitté en violation de l’article 56 TFUE, du règlement n° 1008/2008 et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En exigeant, en de telles circonstances, la récupération de la différence entre le taux supérieur et le taux inférieur de la TTA, la Commission aurait enfreint l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 et les principes de sécurité juridique, d’effectivité et de bonne administration.

89.      Dans le second grief du troisième moyen du recours dans l’affaire T-500/12, que le Tribunal n’a pas non plus traité, Ryanair avait contesté par des arguments analogues la légalité de l’ordre de récupération. Elle avait souligné en particulier les graves distorsions de concurrence qui découleraient de la conjonction du droit de saisir les juridictions nationales d’actions en remboursement de la taxe acquittée en violation de l’article 56 TFUE et de la décision de récupération, ce qui pénaliserait en particulier les petites compagnies aériennes comme Aer Arann.

90.      J’observe à titre préliminaire que le Tribunal a déjà rejeté aux points 65 à 76 de l’arrêt Aer Lingus l’allégation de cette compagnie selon laquelle il existerait un droit au remboursement de la TTA devant les juridictions nationales en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Cette partie de la motivation ne fait pas l’objet du pourvoi.

91.      Cela étant dit, je considère que les arguments d’Aer Lingus et de Ryanair doivent être également rejetés en ce qu’ils se fondent sur un droit présumé au remboursement de la TTA en vertu des règles sur la libre prestation des services.

92.      Selon une jurisprudence constante, la récupération d’une aide est la conséquence logique du constat de son illégalité (75). Par conséquent, il est généralement mis fin aux distorsions de concurrence engendrées par une aide illégale par l’obligation imposée aux bénéficiaires de restituer l’aide à l’organisme dispensateur.

93.      La récupération vise à rétablir le status quo ante. Dans le cas d’une aide concédée sous forme d’exonération fiscale (totale ou partielle), l’État membre intéressé poursuit en principe cet objectif en adoptant les mesures nécessaires pour enjoindre aux entreprises bénéficiaires de verser des sommes dont le montant correspond à celui de l’exonération fiscale qui leur a été illégalement consentie (76). Si, après avoir constaté l’illégalité de l’exonération en cause, la Commission venait à s’abstenir d’imposer l’adoption de ces mesures à l’État membre dispensateur, afin de permettre aux entreprises concernées l’exercice du droit au remboursement de la taxe, dans le cas où la mesure fiscale dans son ensemble constitue une restriction des libertés fondamentales, la réalisation de l’objectif précité en serait nécessairement compromise.

94.      Contrairement à ce que semble penser Aer Lingus, l’introduction devant les juridictions nationales d’actions en remboursement de la TTA sur le fondement de l’article 56 TFUE ne saurait constituer un mécanisme alternatif à la récupération pour mettre un terme à l’atteinte à la concurrence résultant de l’aide constatée par la Commission. En effet, tout en admettant qu’une éventuelle mesure de remboursement puisse contribuer à limiter cette atteinte en réduisant le nombre des opérateurs lésés (77), il n’en demeure pas moins que son adoption dépend de l’initiative des entreprises intéressées et du respect des règles aussi bien procédurales que matérielles. De plus, l’élimination des effets de l’aide par ce moyen ne serait atteinte que si toutes les entreprises assujetties au taux supérieur sollicitaient et obtenaient ce remboursement. Il est manifeste qu’une telle situation ne garantit nullement la réalisation effective de l’objectif consistant à rétablir la situation antérieure à l’octroi de l’aide.

95.      La Commission n’a donc pas, à mon sens, violé l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 ni les principes généraux du droit de l’Union invoqués par Aer Lingus (78), en ordonnant la récupération de l’aide sans tenir compte du droit au remboursement prétendument ouvert aux compagnies aériennes ayant acquitté la TTA au taux supérieur.

96.      Cela dit, si le recours à la procédure de remboursement ne représente pas une alternative valable à l’ordre de récupération, il apparaît clairement que les deux remèdes ne peuvent pas non plus être appliqués de façon concomitante, dans la mesure où ils produisent des effets inconciliables. Une éventuelle mesure de remboursement aurait en effet pour conséquence d’étendre aux compagnies aériennes assujetties au taux supérieur de la TTA l’avantage constitué par l’application du taux réduit, alors que l’ordre de récupération impose aux compagnies aériennes assujetties au taux réduit la restitution de cet avantage. Par conséquent, comme l’ont souligné à bon droit tant Aer Lingus que Ryanair, si l’on devait permettre l’application simultanée des deux mécanismes, les effets anticoncurrentiels de la TTA subsisteraient, même si le groupe des opérateurs avantagés et celui des opérateurs désavantagés en seraient intervertis.

97.      Dans le but d’obvier à un tel résultat paradoxal, il incombe au juge national saisi d’une action en remboursement de tenir compte des conséquences de la décision de récupération. Or, il m’apparaît évident qu’en étendant de fait l’application du taux normal de la TTA aux compagnies aériennes assujetties au taux réduit, cette décision élimine rétroactivement la discrimination résultant de l’application des taux différenciés. Dans de telles circonstances, si le remboursement était accordé, le cercle des bénéficiaires de l’aide serait élargi et les effets anticoncurrentiels de cette dernière en seraient amplifiés (79).

98.      Au vu de ce qui précède, le deuxième moyen du recours T-473/12 et le second grief du troisième moyen du recours T-500/12, s’ils étaient examinés par la Cour, devraient être, selon moi, rejetés comme dépourvus de fondement.

99.      Dans le cadre du quatrième moyen de son recours en annulation, Aer Lingus soutient que, puisqu’il n’est pas possible de récupérer a posteriori auprès des passagers ayant bénéficié du taux inférieur de la TTA, les huit euros objet de l’ordre de récupération, celui-ci agirait comme une taxe additionnelle et, par conséquent, comme une sanction illégale et violerait aussi bien le principe de proportionnalité que l’article 14 du règlement n° 659/1999. Je me borne à renvoyer à cet égard aux observations déjà développées au point 83 ci-dessus.

100. Au vu de l’ensemble des développements précédents, je considère que, si la Cour devait décider d’évoquer les litiges de première instance à la suite de l’annulation des arrêts attaqués, les recours correspondants devraient être rejetés dans leur intégralité.

IV – Conclusion

101. À la lumière de l’ensemble des considérations exposées ci-dessus, je suggère à la Cour de rejeter les pourvois incidents, d’accueillir les pourvois principaux et d’annuler les arrêts attaqués en renvoyant les affaires devant le Tribunal. Pour autant que la Cour décide, à la suite de cette annulation, d’évoquer les affaires T-473/12 et T-500/12, je propose de rejeter l’intégralité de chacun des deux recours et de condamner Aer Lingus et Ryanair aux dépens supportés devant la Cour et le Tribunal.


1 – Langue originale: l’italien.


2 La TTA a été instituée par l’article 55 du Finance Act (n° 2) 2008, entré en vigueur le 30 mars 2009.


3 Règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (refonte) (JO 2008 L 293, p. 3).


4 Ce taux a été ensuite ramené à zéro et la TTA supprimée de fait.


5 JO 2013, L 119, p. 30.


6 Points 22 à 37 de l’arrêt Aer Lingus et points 23 à 41 de l’arrêt Ryanair.


7 Points 42 à 56 de l’arrêt Ryanair.


8 Règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1). Le règlement n° 659/1999 a été abrogé et remplacé, à compter du 13 octobre 2015, par le règlement (UE) n° 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (texte codifié) (JO 2015, L 248, p. 9).


9 Voir, notamment, point 85 de l’arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C-487/06 P, EU:C:2008:757), auquel le Tribunal renvoie au point 43 de l’arrêt Aer Lingus.


10 Voir arrêt du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78/76, EU:C:1977:52, point 21) et arrêt du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission (T-415/05, T-416/05 et T-423/05, EU:T:2010:386, point 212).


11 Voir arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e a. (C-272/12 P, EU:C:2013:812, point 53).


12 Voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C-487/06 P, EU:C:2008:757, point 84, et la jurisprudence citée), et arrêt du 10 mai 2000, SIC/Commission (T-46/97, EU:T:2000:123, points 83 et 84).


13 Voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C-487/06 P, EU:C:2008:757, point 92) et arrêt du 10 mai 2000, SIC/Commission (T-46/97, EU:T:2000:123, point 84).


14 Voir, par exemple, arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e a. (C-272/12 P, EU:C:2013:812, point 53).


15 Il convient de noter que les requérantes dans cette affaire ne contestaient pas l’existence d’une aide ni, par conséquent, d’un avantage, mais la seule obligation de récupérer cet avantage imposée par la Commission (voir point 38 de l’arrêt).


16 Voir arrêt du 7 octobre 2010, DHL Aviation et DHL Hub Leipzig/Commission (T-452/08, EU:T:2010:427, point 40).


17 La requérante cite les arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana (61/79, EU:C:1980:100), du 10 juillet 1980, Ariete (811/79, EU:C:1980:195) et du 1er juillet 2010, ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni/Commission (T-62/08, EU:T:2010:268).


18 Illégalité ou illicéité qui, d’ailleurs, contrairement aux affaires sous examen, viciait une mesure située en amont de celle accordant l’avantage présumé.


19 Voir point 31 de l’arrêt du 27 mars 1980, Denkavit italiana (61/79, EU:C:1980:100) et point 15 de l’arrêt du 10 juillet 1980, Ariete (811/79, EU:C:1980:195).


20 Arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e. a. (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24).


21 Voir points 62 et 63.


22 Aer Lingus cite l’arrêt du 9 novembre 1983 San Giorgio (199/82, EU:C:1983:318, point 12), l’arrêt du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C-192/95, EU:C:1997:12, point 20), l’arrêt du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, EU:C:2001:134, point 87) et arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C-446/04, EU:C:2006:774, point 205).


23 Aer Lingus cite, en particulier, son point 10.


24 La Commission tire cette conclusion préliminaire dans la lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises.


25 Dans l’arrêt du 6 février 2003, Stylianakis (C-92/01, EU:C:2003:72, points 27 et 29), la Cour évoque l’éventualité que la taxe constitue la rémunération de services aéroportuaires et que le coût de ces services soit supérieur pour les passagers des vols transfrontaliers.


26 Le litige au principal à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avait pour objet la demande présentée par M. Stylianakis à l’État hellénique visant au remboursement d’un montant égal à la moitié de la taxe de modernisation et de développement des aéroports qu’il avait dû acquitter à l’occasion d’un vol d’Iraklion à Marseille. La taxe était prélevée sur les passagers en partance des aéroports helléniques et son montant était fixé, comme dans les présentes espèces, en fonction de la distance entre la destination finale du vol et l’aéroport hellénique de départ : pour les vols dont la destination finale était située à plus de 750 km de l’aéroport de départ, ce montant était le double de celui payé par les passagers en partance pour une destination finale située à une distance de l’aéroport de départ comprise entre 100 km et 750 km.


27 Point 28.


28 Point 26.


29 C’est sur cette interprétation que se fonde la Commission dans la décision contestée, selon laquelle le taux réduit appliqué aux vols vers une destination finale située à une distance maximum de 300 km de l’aéroport de Dublin constituait « une exception au système de référence » (voir considérants 14 et 45 de la décision contestée). Les autorités irlandaises ont exprimé la même opinion au cours de la procédure administrative - lorsqu’elles ont précisé que la dérogation au taux de référence avait été instituée dans le but d’introduire un élément de proportionnalité dans le montant de la taxe en fonction de la distance – (voir considérants 33 et 40 de la décision contestée), et se sont à nouveau exprimées en ce sens dans les mémoires qu’elles ont déposés devant la Cour.


30 Voir, en dernier lieu, arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri (C-169/08, EU:C:2009:709).


31 La lettre de mise en demeure adressée aux autorités irlandaises est datée du 18 mars 2010 et la période retenue dans la décision contestée est comprise entre le 30 mars 2009 et le 1er mars 2011 (voir considérant 11 de la décision contestée).


32 En revanche, je ne pense pas que le grief soit inopérant. Malgré leur caractère sommaire, les arguments de Ryanair tendent en effet à contester, d’une part, l’affirmation du Tribunal que l’introduction simultanée des taux est une question de pure technique législative et n’est donc pas pertinente et, d’autre part, la constatation que la Commission a fourni des raisons suffisantes pour justifier sa conclusion quant au caractère dérogatoire du taux inférieur par rapport au taux supérieur.


33 Voir également le point 100 de mes conclusions dans l’affaire British Aggregates/Commission (C-487/06 P, EU:C:2008:419).


34 Dans son recours devant le Tribunal, Ryanair a soutenu que le taux inférieur avait été appliqué à 50 % des passagers d’Aer Arann et seulement à 1,9 % de ses passagers au cours de l’exercice 2008.


35 Je note que Ryanair avait allégué devant le Tribunal qu’une analyse globale des effets économiques du régime fiscal en cause aurait dû conduire la Commission à reconnaître l’impact globalement négatif de ce régime sur sa situation et donc à exclure qu’elle ait tiré le moindre avantage de l’aide octroyée au titre de ce régime. Toutefois, Ryanair n’a pas contesté devant la Cour la partie de l’arrêt Ryanair où le Tribunal a répondu à cet argument.


36 Tout en étant distinctes, les deux lois instituant en Autriche la taxe sur l’énergie et celle admettant les seuls fabricants de biens corporels au bénéfice du droit à son remboursement partiel avaient été adoptées et étaient entrées en vigueur simultanément : voir point 3 de l’arrêt.


37 Le règlement en cause, adopté par le conseil communal de la ville belge de Seraing avait instauré une taxe sur la force motrice, tout en prévoyant en même temps différents cas d’exonération de cette imposition : voir points 6 à 9 de l’arrêt.


38 Arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum187/Commission (C-182/03 et C-217/03. EU:C:2006:416, point 119), arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, point 75), arrêt du 14 janvier 2015, Eventech (C-518/13, EU:C:2015:9, point 55) et arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa e Navantia (C-522/13, EU:C:2014:2262, point 34, et la jurisprudence citée).


39 Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission (C-81/10 P, EU:C:2011:811, point 21) et arrêt du 1er octobre 2015, Electrabel et Dunamenti Erőmű/Commission (C-357/14 P, EU:C:2015:642, point 105).


40 Voir, par exemple, arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission (C-81/10 P, EU:C:2011:811, point 23).


41 Voir, par exemple, arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri (C-169/08, EU:C:2009:709).


42 Cité à la note 3 ci-dessus.


43 Ryanair renvoie à ce propos à la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO L 349, p. 1).


44 Voir, entre autres, arrêt du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-350/93, EU:C:1995:96, point 21).


45 Voir, entre autres, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-348/93, EU:C:1995:95, point 22), du 29 avril 2004, Allemagne/Commission (C-277/00, EU:C:2004:238, point 75), du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen (C-520/07 P, EU:C:2009:557, point 57).


46 Voir, entre autres, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-348/93, EU:C:1995:95, point 27), du 29 avril 2004, Allemagne/Commission (C-277/00, EU:C:2004:238, points 74 à 76), et du 8 décembre 2011, Residex Capital IV (C-275/10, EU:C:2011:814, point 34).


47 Voir, entre autres, arrêts du 16 décembre 2010, Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (C-239/09, EU:C:2010:778), et du 2 septembre 2010, Commission/Scott (C-290/07 P, EU:C:2010:480).


48 Pour quelques exemples analogues au cas d’espèce, voir, arrêt du 4 mars 2009, Associazione italiana del risparmio gestito e Fineco Asset Management/Commission (T-445/05, EU:T:2009:50, point 201) et la décision 2006/323/CE de la Commission, du 7 décembre 2005, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie (JO 2006, L 119, p. 12), confirmée en définitive par l’arrêt du 21 mars 2012, Irlande/Commission (T-50/06 RENV, T-56/06 RENV, T-60/06 RENV, T-62/06 RENV et T-69/06 RENV, EU:T:2012:134).


49 En effet, lorsque l’entreprise intervient en qualité de simple intermédiaire chargé du prélèvement de l’imposition pour le compte du Trésor public, cette imposition ne grève pas le budget de l’entreprise et son éventuelle réduction ne constitue pas un avantage sous forme d’allégement des charges grevant le budget de l’entreprise, comme la Cour l’a récemment précisé à propos du droit d’entrée dans les casinos helléniques (voir ordonnance du 22 octobre 2015, Commission/Grèce, C-530/14 P, EU:C:2015:727, point 32).


50 En revanche, dans la mesure où il en résulté des dommages au détriment des concurrents ou des tiers, ces bénéfices peuvent être pris en considération aux fins d’une action en indemnisation introduite par les intéressés contre le bénéficiaire ou l’État dispensateur de l’aide : voir communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales [JO 2009, C 85, p. 1, section 2.2.4, en particulier, point 49, sous b).


51 Ces éléments peuvent en revanche avoir une incidence sur l’identification du sujet tenu à restitution.


52 Voir, en ce sens, s’agissant d’aides de nature fiscale, arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito italiano, (C-148/04, EU:C:2005:774, point 118). Voir également arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C-24/95, EU:C:1997:163).


53 Voir arrêts du 17 juin 1999, Belgique/Commission (C-75/97, EU:C:1999:311, point 66), et du 7 mars 2002, Italie/Commission (C-310/99, EU:C:2002:143, point 99).


54 Arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C-372/97, EU:C:2004:234, point 105).


55 C’est, par exemple, le cas d’une aide qui a permis à l’entreprise bénéficiaire d’éviter de disparaître du marché, d’accroître durablement sa part de ce marché ou de pénétrer sur un autre marché, ou, inversement, qui a entraîné la disparition du marché d’une entreprise concurrente.


56 Arrêt du 1er juillet 2010, BNP Paribas et BNL/Commission (T-335/08, EU:T:2010:271, point 50).


57 Voir, entre autres, arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C-24/95, EU:C:1997:163, points 34 à 36).


58 Il s’agit de subventions accordées directement aux consommateurs aux fins de l’achat de biens provenant d’entreprises déterminées sélectivement, qui en sont les bénéficiaires indirects. Voir, par exemple, la décision 2007/374/CE de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à l’aide d’État C 52/2005 (ex NN 88/2005, ex CP 101/2004) octroyée par la République italienne sous forme de subvention à l’achat de décodeurs numériques (JO 2007 L 147, p. 1).


59 Le considérant 16 du règlement n° 1008/2008 est rédigé comme suit : « [l] Les clients devraient pouvoir comparer effectivement le prix des services aériens pratiqués par différentes compagnies aériennes. Par conséquent, le prix définitif à payer par le client pour des services aériens au départ de [l’Union] devrait toujours être indiqué, toutes taxes, redevances et charges comprises. Les transporteurs aériens [de l’Union] sont également encouragés à indiquer le prix définitif de leurs services aériens au départ de pays tiers et à destination de [l’Union]. »


60 Une telle solution pourrait même être imposée par le modèle d’entreprise de la compagnie. J’observe à ce sujet que la Commission signale au point 57 de la décision contestée que Ryanair avait souligné dans sa plainte qu’en raison de sa qualité de compagnie à bas coûts, la répercussion de la TTA sur les passagers aurait eu une incidence disproportionnée sur le prix de ses billets.


61 Voir, à titre d’illustration, s’agissant des accises sur les produits énergétiques et l’électricité, l’alcool, les boissons alcoolisées et les tabacs manufacturés, la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12), qui érige l’acte de production en fait générateur de la créance fiscale et le moment de la mise à la consommation en critère d’exigibilité.


62 La décision citée à la note 60 ci-dessus fournit un exemple de ces aides.


63 Tel sera le cas, en particulier, lorsque les conditions de concurrence et l’élasticité de la demande du bien ne permettent pas une répercussion facile de l’imposition. Cette répercussion peut être en fait réduite sur les marchés où les opérateurs peuvent pratiquer des prix très différents, comme dans le cas de produits ou de services dont la demande est rigide.


64 Sauf dans l’hypothèse exceptionnelle d’une émission de billets d’entrée gratuits.


65 Voir, en ce sens, ordonnance du 22 octobre 2015, Commission/Grèce (C-530/14 P, EU:C:2015:727, point 32).


66 Le Tribunal a rejeté au point 119 de l’arrêt Aer Lingus l’argument de la Commission fondé sur la pratique suivie en matière d’accises sur l’énergie, en affirmant notamment qu’elle portait sur l’exonération d’impositions n’ayant pas vocation, comme la TTA, à être répercutée sur la clientèle. Cependant, l’exigibilité de ce type d’accises dès l’acte de mise à la consommation et non pas seulement au stade de la vente au consommateur ne fait pas obstacle à ce qu’elles puissent être de toute façon soumises au mécanisme de la répercussion.


67 Il ressort de plusieurs passages des arrêts attaqués que le Tribunal n’a pas estimé erroné en soi le critère de calcul utilisé par la Commission pour quantifier l’avantage découlant de l’application du taux réduit de la TTA, mais plutôt le défaut de prise en compte par l’institution de la possibilité que les compagnies aériennes aient répercuté sur les passagers l’avantage déterminé de cette façon (voir points 97 à 101 et 116 de l’arrêt Aer Lingus et points 129 à 133 et 147 de l’arrêt Ryanair).


68 Points 44 à 54. La Cour relie la possibilité d’invoquer un tel argument au principe de protection de la confiance légitime et rappelle que les entreprises bénéficiaires d’une aide ne peuvent invoquer une telle confiance dans la régularité de l’aide que si elle a été accordée dans le respect de la procédure instituée par le traité (points 48 et 49).


69 EU:C:1996:433, point 40.


70 Point 39.


71 Point 115 de l’arrêt Aer Lingus et point 146 de l’arrêt Ryanair.


72 Je note à ce propos que l’obligation de restitution, dont le coût ferait l’objet d’une répercussion, lie toutes les compagnies aériennes exploitant, dans des conditions de concurrence, des lignes soumises au taux inférieur de la TTA.


73 Voir points 196 à 201.


74 Arrêt du 10 juin 1993, Commission/Grèce (C-183/91, EU:C:1993:233, point 17).


75 Voir, entre autres, arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C-142/87, EU:C:1990:125, point 66).


76 Arrêt du 10 juin 1993, Commission/Grèce (C-183/91, EU:C:1993:233, point 17).


77 Voir, dans un contexte différent toutefois, arrêt du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron (C-526/04, EU:C:2006:528).


78 Il est par ailleurs constant entre les parties qu’au moment de l’adoption de la décision contestée, la Commission n’avait été informée d’aucune procédure de remboursement en cours.


79 Voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C-368/04, EU:C:2006:644, point 49) et les conclusions de Mme l’Avocat général Kokott dans l’affaire Finanzamt Linz (C-66/14, EU:C:2015:242, point 30). Dans l’arrêt du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron (C-526/04, EU:C:2006:528), la Cour a exclu par contre qu’un remboursement éventuel de l’imposition en cause ait pu avoir comme effet d’étendre le cercle des bénéficiaires de l’aide concédée au moyen de l’institution même de l’imposition. Il est cependant à peine nécessaire de souligner que, comme l’a correctement affirmé le Tribunal aux points 65 à 76 de l’arrêt Aer Lingus, l’affaire sous examen se distingue nettement du précédent Laboratoires Boiron et qu’aucun parallèle ne peut donc être établi entre ce précédent et les présentes affaires.