ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
4 mai 2017 ( *1 )
«Manquement d’État — Fiscalité — Taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Article 132, paragraphe 1, sous f) — Exonération de la TVA des prestations de services fournies à leurs membres par des groupements autonomes de personnes — Article 168, sous a), et article 178, sous a) — Droit à déduction pour les membres du groupement — Article 14, paragraphe 2, sous c), et article 28 — Agissements d’un membre en son nom propre et pour le compte du groupement»
Dans l’affaire C-274/15,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 8 juin 2015,
Commission européenne, représentée par M. F. Dintilhac et Mme C. Soulay, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Grand-Duché de Luxembourg, représenté par Mme D. Holderer, en qualité d’agent, assistée de Mes F. Kremer et P.-E. Partsch, avocats, ainsi que de M. B. Gasparotti, en qualité d’expert,
partie défenderesse,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, C. Vajda (rapporteur), Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. V. Tourrès, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 juin 2016,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 octobre 2016,
rend le présent
Arrêt
1 |
Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en prévoyant le régime de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) relatif aux groupements autonomes de personnes, tel que défini à l’article 44, paragraphe 1, sous y), du texte coordonné de la loi du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (Mémorial A 1979, no 23, ci-après la « loi relative à la TVA »), aux articles 1er à 4 du règlement grand-ducal du 21 janvier 2004 relatif à l’exonération de la TVA des prestations de services fournies à leurs membres par des groupements autonomes de personnes (Mémorial A 2004, no 9, ci-après le « règlement grand-ducal »), par la circulaire administrative no 707, du 29 janvier 2004, en tant qu’elle commente les articles 1er à 4 du règlement grand-ducal (ci-après la « circulaire administrative ») et dans la note du 18 décembre 2008 rédigée par le groupe de travail actif au sein du comité d’observation des marchés (COBMA) en accord avec l’administration de l’Enregistrement et des Domaines (ci-après la « note du COBMA »), le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive 2006/112 »), en particulier de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’article 168, sous a), de l’article 178, sous a), de l’article 14, paragraphe 2, sous c), et de l’article 28 de cette directive. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
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L’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2006/112, figurant sous le titre I de celle-ci intitulé « Objet et champ d’application », prévoit : « À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. » |
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L’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive dispose : « Sont soumises à la TVA les opérations suivantes : [...]
[...] » |
4 |
L’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive, figurant sous le titre III de celle-ci intitulé « Assujettis », est libellé comme suit : « Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. » |
5 |
Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la même directive, figurant sous le titre IV de celle-ci intitulé « Opérations imposables » : « Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes : [...]
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L’article 28 de la directive 2006/112 dispose : « Lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. » |
7 |
L’article 132, paragraphe 1, de cette directive, figurant sous le titre IX de celle-ci intitulé « Exonérations », prévoit : « Les États membres exonèrent les opérations suivantes : [...]
[...] » |
8 |
L’article 168 de ladite directive, figurant sous le titre X de celle-ci intitulé « Déductions », est rédigé en ces termes : « Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
[...] » |
9 |
Aux termes de l’article 178 de la même directive : « Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :
[...] » |
10 |
L’article 226 de la directive 2006/112, figurant sous le titre XI de celle-ci intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties », prévoit : « Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 : [...]
[...] » |
Le droit luxembourgeois
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Aux termes de l’article 44, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA, telle que modifiée, en particulier, par l’article 5, cinquième alinéa, paragraphe 2, de la loi du 22 décembre 1989 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’État pour l’exercice 1990 (Mémorial A 1989, no 81) : « Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée dans les limites et sous les conditions à déterminer par règlement grand-ducal : [...]
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12 |
Les conditions de mise en œuvre de l’article 44, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA, telle que modifiée, ont été précisées par le règlement grand-ducal, dont l’article 1er était rédigé comme suit : « Pour l’application des dispositions de l’article 44, paragraphe 1, point y), de la loi [relative à la TVA, telle que modifiée], on entend par groupement autonome de personnes :
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13 |
Le règlement grand-ducal du 7 août 2012 (Mémorial A 2012, no 168) a modifié le règlement grand-ducal en complétant son article 1er par l’alinéa suivant : « Ne rentrent pas dans le champ d’application du présent règlement grand-ducal les groupements autonomes de personnes dont les prestations de services servent, dans le chef d’un ou de plusieurs de leurs membres, à titre principal à la réalisation d’opérations soumises à la taxe et ne bénéficiant pas d’une exonération. » |
14 |
L’article 2 du règlement grand-ducal est rédigé en ces termes : « Les prestations de services fournies à leurs membres par les groupements autonomes de personnes visés à l’article 1er sont exonérées de la taxe, à condition que :
[...] » |
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L’article 3 du règlement grand-ducal dispose : « Concernant le pourcentage indiqué à l’article 2, point a), l’exonération, au titre d’une année civile, des prestations de services effectuées par le groupement, est subordonnée à la condition que, dans l’année civile précédente, ce pourcentage n’ait pas été dépassé dans le chef des membres du groupement. Toutefois, un dépassement de ce pourcentage ne fait pas perdre le bénéfice de l’exonération, à condition que ce dépassement n’excède pas cinquante pour cent dudit pourcentage et que sa durée n’ait pas excédé les deux années civiles consécutives précédant l’année civile pour laquelle il s’agit de déterminer l’applicabilité de l’exonération. Les conditions qui précèdent doivent être remplies dans le chef de chaque membre du groupement, à défaut de quoi toutes les prestations effectuées par le groupement sont exclues de l’exonération. » |
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Aux termes de l’article 4 du règlement grand-ducal : « Les membres du groupement qui, dans le cadre de leur activité économique qui est exonérée de la TVA en vertu de l’article 44, paragraphe 1, de la [loi relative à la TVA, telle que modifiée] ou pour laquelle ils n’ont pas la qualité d’assujetti à la TVA, réalisent également, dans les limites du pourcentage visé aux articles 2, point a) et 3, des livraisons de biens ou des prestations de services qui ne sont pas exonérées en vertu dudit article 44, paragraphe 1, sont autorisés à déduire de la taxe dont ils sont redevables en raison des opérations imposables effectuées par eux, la [TVA] facturée au groupement ou due dans le chef de ce dernier en raison de ses opérations en amont, et comprise dans le montant de la rétribution portée individuellement à leur compte selon les dispositions de l’article 2, point c). La déduction s’opère conformément aux dispositions du chapitre VII de la loi [relative à la TVA, telle que modifiée]. » |
17 |
L’article 4 du règlement grand-ducal fait l’objet des commentaires suivants dans la circulaire administrative : « Afin de garantir dans la mesure du possible le principe de la neutralité de la [TVA], l’article 4 a pour objet de conférer aux membres-assujettis réalisant dans les limites du pourcentage fixé par les articles 2, point a) et 3 un chiffre d’affaires tombant dans le champ d’application de la taxe et non exonéré en vertu de l’article 44 un droit à déduction de la TVA payée ou due en amont dans le chef du groupement autonome. Il est entendu que ce droit à déduction doit par ailleurs suivre les règles établies par le chapitre VII de la loi [relative à la TVA] et notamment par ses articles 50 (prorata général) et 51 (affectation réelle). En pratique, le membre-assujetti en question ne peut procéder à la déduction de la TVA payée par le groupement ou due dans le chef de ce dernier que s’il est en possession d’un décompte, copies de factures à l’appui, lui délivré par le groupement, mentionnant le prix net exact payé aux fournisseurs ou prestataires, le montant de la taxe mise en compte par ceux-ci ou due dans le chef du groupement ainsi que la quote-part du membre dans les dépenses communes et dans la taxe. » |
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La note du COBMA a pour objet de clarifier certains éléments en vue de l’application pratique du régime juridique des groupements autonomes de personnes. Elle comporte notamment les questions et les réponses suivantes :
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La procédure précontentieuse
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Par lettre de mise en demeure du 7 avril 2011, la Commission a attiré l’attention du Grand-Duché de Luxembourg sur le fait que le régime de la TVA relatif aux groupements autonomes de personnes (ci-après les « GAP »), tel que défini en particulier à l’article 44, paragraphe 1, sous y), de la loi relative à la TVA et aux articles 1er à 4 du règlement grand-ducal, ne lui semblait pas compatible avec plusieurs dispositions de la directive 2006/112. |
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Par son premier grief, la Commission faisait valoir que les dispositions nationales selon lesquelles les services prestés par les GAP au bénéfice de leurs membres sont exonérés de la TVA, y compris lorsque ces services sont utilisés pour les opérations taxées desdits membres dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe n’excède pas 30 %, voire 45 % dans certains cas, de leur chiffre d’affaires annuel total hors taxe, lui semblaient incompatibles avec l’article 2, paragraphe 1, sous c), et l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112. |
21 |
Par son deuxième grief, la Commission estimait que le droit national était incompatible avec l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, l’article 168, sous a), et l’article 178, sous a), de la directive 2006/112, en tant qu’il prévoit que les membres d’un GAP qui réalisent des activités imposables à hauteur d’un maximum de 30 % de leur chiffre d’affaires annuel total hors taxe, peuvent déduire la TVA facturée au GAP au titre des biens et services qui lui ont été livrés, de la TVA dont ils sont eux-mêmes redevables. |
22 |
Le troisième et dernier grief soulevé par la Commission visait le droit national en tant que celui-ci, dans le cas où un membre d’un GAP acquiert des biens et des services auprès de tiers en son nom propre, mais pour le compte du GAP, excluait du champ d’application de la TVA l’opération consistant, pour ce membre, à affecter au GAP les dépenses ainsi consenties, en méconnaissance des dispositions de l’article 14, paragraphe 2, sous c), et de l’article 28 de la directive 2006/112. |
23 |
Dans sa réponse du 8 juin 2011 à la lettre de mise en demeure, le Grand-Duché de Luxembourg a contesté l’interprétation du droit national et du droit de l’Union retenue par la Commission. À titre liminaire, il a fait valoir que le concept de « groupements autonomes de personnes » visé par la directive 2006/112 concernait surtout des structures dénuées de personnalité juridique dont les activités sont imputables à leurs membres dotés de la personnalité juridique. |
24 |
S’agissant du premier grief, le Grand-Duché de Luxembourg a répondu que l’article 44, paragraphe 1, sous y), de la loi relative à la TVA limitait le champ d’application de l’exonération à celui défini par l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, et que le règlement grand-ducal se bornait à aménager les règles subsidiaires du régime applicable aux GAP. |
25 |
En ce qui concerne le deuxième grief, cet État membre a répliqué que, dès lors qu’un GAP est dénué de personnalité juridique, le droit à déduction, dépendant de la nature des opérations en aval, doit bénéficier non pas à ce groupement, mais à ses membres. Tout en admettant que, d’un point de vue théorique, le régime prévu par le droit national déroge au « principe du préfinancement de la taxe par le preneur », ledit État membre considérait toutefois que cela n’avait pas de conséquence dans la pratique. |
26 |
Quant au troisième grief, le Grand-Duché de Luxembourg estimait que le régime résultant de l’article 14, paragraphe 2, sous c), et de l’article 28 de la directive 2006/112 n’était pas applicable en l’espèce. |
27 |
N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a émis, le 27 janvier 2012, un avis motivé, dans lequel elle maintenait sa position exprimée dans la lettre de mise en demeure et invitait le Grand-Duché de Luxembourg à prendre les mesures nécessaires pour mettre sa législation en conformité avec la directive 2006/112, en particulier avec l’article 2, paragraphe 1, sous c), l’article 132, paragraphe 1, sous f), l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, l’article 168, sous a), l’article 178, sous a), l’article 14, paragraphe 2, sous c), et l’article 28 de cette directive, dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis. |
28 |
Cet État membre a répondu à l’avis motivé, par lettre du 7 février 2012, en contestant à nouveau le bien-fondé des griefs qui lui étaient adressés et en maintenant sa position, telle qu’exprimée dans sa lettre en réponse du 8 juin 2011. |
29 |
Le Grand-Duché de Luxembourg a toutefois indiqué, par lettre du 26 mars 2012, s’être engagé à adopter un règlement destiné à mettre la législation luxembourgeoise en conformité avec la directive 2006/112 afin de répondre aux exigences du premier grief de l’avis motivé, tout en maintenant son argumentation relative aux deuxième et troisième griefs. |
30 |
Par lettre du 11 juin 2012, la Commission a demandé au Grand-Duché de Luxembourg de transmettre le projet de règlement annoncé ainsi que son calendrier d’adoption. |
31 |
Par lettre du 4 septembre 2012, cet État membre a transmis aux services de la Commission le règlement grand-ducal du 7 août 2012, qui a modifié l’article 1er du règlement grand-ducal. |
32 |
La Commission a toutefois considéré que le règlement grand-ducal du 7 août 2012 n’avait pas rendu la législation luxembourgeoise conforme à la directive 2006/112, au regard des trois griefs soulevés dans l’avis motivé. Compte tenu de la persistance de ces griefs, la Commission a annoncé, le 20 février 2014, sa décision d’introduire un recours. |
Sur le recours
Sur le premier grief, tiré du non-respect de l’article 2, paragraphe 1, sous c), et de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112
Sur la recevabilité du premier grief
– Argumentation des parties
33 |
Le Grand-Duché de Luxembourg estime, en premier lieu, que le premier grief doit être rejeté comme étant irrecevable au motif que la requête de la Commission se fonde sur un grief différent de celui formulé dans l’avis motivé. Le grief invoqué dans l’avis motivé serait tiré de ce que le règlement grand-ducal n’exclut pas la possibilité que des services d’un groupement destinés, principalement, voire exclusivement, à des opérations imposables puissent être exonérés. En revanche, le grief invoqué dans la requête serait tiré de ce que le règlement grand-ducal permet l’exonération des services fournis par un GAP et destinés, à titre accessoire, à des opérations imposables de ses membres. |
34 |
Le Grand-Duché de Luxembourg soutient, en second lieu, que la Commission a violé le principe de coopération loyale par son manque de réaction à la suite de la modification apportée au règlement grand-ducal au mois d’août 2012. Selon cet État membre, la Commission aurait dû lui faire part de ses éventuelles réticences quant au fait que cette modification rendait la législation luxembourgeoise conforme à la directive 2006/112, et non pas demeurer silencieuse pendant 18 mois, avant finalement d’annoncer, le 20 février 2014, qu’elle avait décidé de saisir la Cour. |
35 |
La Commission fait valoir que la jurisprudence de la Cour n’impose pas une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans l’avis motivé et les conclusions de la requête. Elle estime que, contrairement aux allégations du Grand-Duché de Luxembourg, le premier grief a conservé le même objet et le même champ d’application dans l’avis motivé et dans la requête. |
36 |
En ce qui concerne le principe de coopération loyale, la Commission soutient qu’elle seule est compétente pour décider s’il est opportun, au terme de la procédure précontentieuse, de saisir la Cour en vue de faire constater par cette dernière le manquement présumé. Il appartiendrait à la Commission de choisir le moment où le recours en manquement est introduit sans qu’elle soit tenue au respect d’un délai déterminé, sous réserve des hypothèses dans lesquelles une durée excessive de la procédure précontentieuse porterait atteinte aux droits de la défense, ce qu’il appartiendrait à l’État membre intéressé de prouver. |
– Appréciation de la Cour
37 |
Il convient de rappeler, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’objet d’un recours intenté en application de l’article 258 TFUE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition. Dès lors, le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l’avis motivé. Toutefois, cette exigence ne saurait aller jusqu’à imposer, en toute hypothèse, une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé, n’a pas été étendu ou modifié (arrêt du 9 avril 2013, Commission/Irlande, C-85/11, EU:C:2013:217, point 17 et jurisprudence citée). |
38 |
Or, il convient de constater que, en l’espèce, la Commission n’a ni étendu ni modifié l’objet du litige tel que défini dans l’avis motivé. En effet, la Commission a clairement indiqué, tant dans l’avis motivé que dans la requête, qu’elle estimait que la législation luxembourgeoise était contraire à l’article 2, paragraphe 1, sous c), et à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, étant donné qu’elle permet l’exonération des services d’un GAP qui ne sont pas directement nécessaires aux activités non imposables ou exonérées de ses membres. |
39 |
En second lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient à la Commission de choisir le moment qu’elle estime opportun pour introduire un recours en manquement. Les considérations qui déterminent ce choix ne peuvent affecter la recevabilité de cette action. Les règles énoncées à l’article 258 TFUE doivent trouver à s’appliquer sans que la Commission soit tenue au respect d’un délai déterminé, sous réserve des hypothèses dans lesquelles une durée excessive de la procédure précontentieuse est susceptible d’augmenter, pour l’État membre mis en cause, la difficulté de réfuter les arguments de la Commission et de violer ainsi les droits de la défense. Il appartient à l’État membre intéressé d’apporter la preuve de l’incidence d’une telle durée excessive (voir, en ce sens, arrêt du 16 avril 2015, Commission/Allemagne, C-591/13, EU:C:2015:230, point 14). |
40 |
Or, il convient de constater que, en l’espèce, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas apporté la preuve d’une telle incidence. |
41 |
En outre, le seul fait que cet État membre a modifié sa réglementation après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 27 mars 2012, n’a pas pour effet d’empêcher la Commission, en vertu du principe de coopération loyale, d’introduire un recours en manquement après cette date. |
42 |
Partant, le premier grief est recevable. |
Sur le fond
– Argumentation des parties
43 |
La Commission observe que l’article 1er du règlement grand-ducal définit les conditions d’application de l’article 44, paragraphe 1, sous y), de la loi relative à la TVA. En vertu de l’article 2, sous a), et de l’article 3 du règlement grand-ducal, les prestations de services fournies par un GAP à ses membres sont exonérées de la TVA à la condition que les membres de ce groupement qui exercent également des activités imposables aient un chiffre d’affaires hors taxe provenant de ces activités à hauteur de 30 % maximum, et même de 45 % maximum dans certains cas, de leur chiffre d’affaires total hors taxe. Ainsi, le règlement grand-ducal ne limiterait pas l’exonération de la TVA aux seuls services prestés par le GAP et directement nécessaires aux activités non imposables à la TVA ou exonérées accomplies par ses membres, en violation de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112. Partant, dans la mesure où ces prestations de services ne remplissent pas les conditions visées à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, elles devraient être taxées en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive. |
44 |
Le Grand-Duché de Luxembourg soutient que, en ayant estimé que l’exonération en cause est réservée aux membres des GAP exerçant exclusivement des activités exonérées ou non soumises à la TVA, la Commission a ajouté à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, une condition qui n’y figure pas. Selon cet État membre, le fait, pour les membres d’un GAP, d’exercer une activité exonérée ou pour laquelle ils n’ont pas la qualité d’assujetti est une condition suffisante en vue de l’application de l’exonération visée à cet article. En revanche, l’exonération visée à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 ne serait pas réservée aux membres des GAP exerçant exclusivement une telle activité. |
45 |
Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que le régime luxembourgeois prévoyant que les membres d’un GAP peuvent réaliser des activités taxées à hauteur de 30 % du chiffre d’affaires vise à rendre applicable dans la pratique un régime qui, s’il était soumis à d’autres conditions d’application, deviendrait économiquement irréalisable. À cet égard, cet État membre considère que les frais engagés en commun par les membres d’un GAP, via ce dernier, constituent des frais généraux et que le fait d’exiger une différence de traitement de la TVA applicable aux services rendus par le GAP selon qu’ils concernent la part imputable aux activités imposables ou celle imputable aux activités exonérées des membres serait irréaliste, au regard des difficultés et des charges pratiques et administratives engendrées par une telle exigence. |
46 |
Le Grand-Duché de Luxembourg invoque, en outre, le fait que, à la suite de la lettre de la Commission du 11 juin 2012, le règlement grand-ducal du 7 août 2012 a modifié le règlement grand-ducal en complétant son article 1er par un nouvel alinéa. |
– Appréciation de la Cour
47 |
À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (arrêt du 28 janvier 2016, Commission/Portugal, C-398/14, EU:C:2016:61, point 49). |
48 |
En l’espèce, le délai accordé au Grand-Duché de Luxembourg pour mettre sa réglementation en conformité avec la directive 2006/112 expirait le 27 mars 2012. Or, la modification de l’article 1er du règlement grand-ducal par le règlement grand-ducal du 7 août 2012 n’est intervenue qu’à une date ultérieure. Partant, cette modification n’est pas pertinente pour l’analyse du premier grief. |
49 |
Il y a donc lieu de vérifier la conformité du règlement grand-ducal à l’article 2, paragraphe 1, sous c), et à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, en ce qu’il prévoit que les prestations de services fournies par un GAP à ses membres sont exonérées de la TVA à la condition que les membres de ce groupement qui exercent également des activités imposables aient un chiffre d’affaires hors taxe provenant de ces activités n’excédant pas 30 % voire, dans certains cas, 45 % de leur chiffre d’affaires total hors taxe. |
50 |
À cet égard, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que les termes employés pour désigner les exonérations de TVA visées à l’article 132 de la directive 2006/112 doivent être interprétés strictement puisque ces exonérations constituent des exceptions au principe général selon lequel chaque service fourni à titre onéreux par un assujetti est soumis à cette taxe. Toutefois, l’interprétation de ces termes doit être conforme aux objectifs poursuivis par lesdites exonérations et respecter les exigences du principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations visées audit article 132 doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets. La jurisprudence de la Cour n’a pas pour objectif d’imposer une interprétation qui rendrait les exonérations visées quasi inapplicables dans la pratique (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2008, Stichting Centraal Begeleidingsorgaan voor de Intercollegiale Toetsing, C-407/07, EU:C:2008:713, point 30 et jurisprudence citée). |
51 |
Or, selon le libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, sont exonérées, sous certaines conditions, les prestations de services effectuées par des groupements autonomes « de personnes exerçant une activité exonérée ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti », en vue de rendre à leurs membres les services « directement nécessaires à l’exercice de cette activité ». Partant, il résulte de son libellé que cette disposition ne prévoit pas d’exonération pour des prestations de services qui ne sont pas directement nécessaires à l’exercice des activités exonérées des membres d’un GAP ou pour lesquelles ils n’ont pas la qualité d’assujetti. |
52 |
Dès lors que de telles prestations de services n’entrent pas dans le champ d’application de l’exonération visée à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive exige que lesdites prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel, soient soumises à la TVA. |
53 |
Contrairement à ce que fait valoir le Grand-Duché de Luxembourg, cette interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 n’a pas pour conséquence de priver d’effet l’exonération prévue à cette disposition. En particulier, l’application de cette exonération ne se limite pas aux groupements dont les membres exercent exclusivement une activité exonérée ou pour laquelle ils n’ont pas la qualité d’assujetti. Ainsi, les services rendus par un GAP dont les membres exercent également des activités imposables peuvent bénéficier de cette exonération, mais seulement dans la mesure où ces services sont directement nécessaires pour les activités exonérées desdits membres ou pour lesquelles ils n’ont pas la qualité d’assujetti. |
54 |
Le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas démontré que cette exigence rendrait l’exonération visée à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 quasi inapplicable dans la pratique. D’une part, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 42 de ses conclusions, les services fournis par un GAP à ses membres ne sont pas nécessairement rattachables à leurs frais généraux et donc à l’ensemble de leurs activités. D’autre part, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas démontré pour quelle raison, le cas échéant, il serait excessivement difficile pour le GAP de facturer ses services hors TVA, en fonction de la part qu’occupent dans l’ensemble des activités de ses membres les activités exonérées de cette taxe ou pour lesquelles ils n’ont pas la qualité d’assujetti. |
55 |
Il s’ensuit que l’article 44, paragraphe 1, sous y), de la loi relative à la TVA, lu en combinaison avec l’article 2, sous a), et l’article 3 du règlement grand-ducal, est contraire à l’article 2, paragraphe 1, sous c), et à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112, de telle sorte que le premier grief est fondé. |
Sur le deuxième grief, tiré du non-respect de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112
Argumentation des parties
56 |
La Commission relève, en premier lieu, que, selon les termes de l’article 4 du règlement grand-ducal, les membres d’un GAP qui réalisent des opérations soumises à la TVA ont le droit de déduire, de la TVA dont ils sont redevables en raison de ces opérations taxées, la taxe facturée au GAP ou due dans le chef de ce dernier en raison des biens et des services que le GAP a reçus pour les besoins de ses propres activités. Or, selon la Commission, il ressort de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 que la TVA ne peut être déduite que par l’assujetti qui est le destinataire de la livraison ou de la prestation grevée de la TVA et uniquement sur la TVA dont cet assujetti est lui-même redevable. |
57 |
En second lieu, la Commission soutient qu’il découle de l’article 4 du règlement grand-ducal, lu en combinaison avec la circulaire administrative, que le droit à déduction de la TVA peut être exercé par les membres du GAP au titre de transactions en l’absence de facture établie à leur nom, en violation de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112. |
58 |
Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir qu’il ressort de l’arrêt du 18 juillet 2013, PPG Holdings (C-26/12, EU:C:2013:526) qu’un assujetti peut déduire la TVA sur des montants qui lui ont été facturés pour des biens ou des services qui profitent à une entité distincte, pour autant qu’il soit démontré que ces montants sont liés à l’activité imposable de l’assujetti. Cet État membre en déduit que, aux fins de déterminer le droit à déduction, il y a lieu d’identifier l’entité qui supporte effectivement lesdits montants et de déterminer si ces montants ont un lien avec l’activité imposable de l’assujetti. À cet égard, ce même État membre fait valoir que, bien que facturés formellement au GAP, les montants et la TVA y afférente sont supportés par les membres du GAP à hauteur de leur participation dans le groupement. |
59 |
En outre, accueillir le deuxième grief invoqué par la Commission reviendrait, selon le Grand-Duché de Luxembourg, à porter atteinte au principe de neutralité fiscale. En effet, si le droit à déduction de la TVA était refusé aux membres du GAP et que ce dernier ne pouvait pas récupérer cette taxe, lesdits membres supporteraient un coût additionnel de TVA. |
60 |
Quant aux exigences relatives à la détention d’une facture, le Grand-Duché de Luxembourg souligne que la Cour a, dans son arrêt du 21 avril 2005, HE (C-25/03, EU:C:2005:241), reconnu le droit à déduction de la TVA à un assujetti ne disposant pas d’une facture en son nom propre. Selon cet État membre, l’exigence, à charge de l’assujetti qui prétend à une exonération, d’être en possession d’une facture est essentiellement justifiée par l’absence de risque qu’elle permet d’atteindre quant à une éventuelle double déduction de la TVA, une fraude ou un abus. À cet égard, cet État membre soutient que, étant donné que les GAP ne bénéficient d’aucun droit à déduction de la TVA, il n’y a donc aucun risque de double déduction de celle-ci. |
Appréciation de la Cour
61 |
À titre liminaire, il convient de souligner qu’il résulte de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 que le GAP est un assujetti à part entière, distinct de ses membres. En effet, il ressort du libellé même de cette disposition que le GAP est autonome, et qu’il effectue dès lors ses prestations de services d’une façon indépendante, au sens de l’article 9 de la directive 2006/112. En outre, si les services prestés par le GAP n’étaient pas des services prestés par un assujetti agissant en tant que tel, ces services ne seraient pas soumis à la TVA, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112. Ces services ne seraient dès lors pas susceptibles de faire l’objet d’une exonération, telle que celle visée à l’article 132, paragraphe 1, sous f), de cette directive, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 50 de ses conclusions. |
62 |
C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il y a lieu de déterminer si le règlement grand-ducal est contraire à l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, à l’article 168, sous a), et à l’article 178, sous a), de la directive 2006/112, en ce qu’il permet aux membres d’un GAP qui réalisent des opérations soumises à la TVA de déduire, de la TVA dont ils sont redevables en raison de ces opérations taxées, la taxe facturée au GAP ou due dans le chef de ce dernier en raison des biens et des services que le GAP a reçus pour les besoins de ses propres activités. |
63 |
En premier lieu, il convient de rappeler, d’une part, que, en vertu de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112, un assujetti a le droit de déduire du montant de la TVA dont il est redevable la TVA due ou acquittée pour les biens qui lui sont livrés et pour les services qui lui sont fournis par un autre assujetti. Il s’ensuit qu’il est contraire à cette disposition d’autoriser les membres d’un GAP à déduire du montant de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens livrés et les services fournis au GAP. |
64 |
Ce constat n’est pas remis en cause par l’arrêt du 18 juillet 2013, PPG Holdings (C-26/12, EU:C:2013:526), invoqué par le Grand-Duché de Luxembourg, dans lequel la Cour a jugé, en substance, aux points 24 à 26 et 29 de celui-ci, qu’un assujetti qui avait créé un fonds de pension sous la forme d’une entité juridiquement et fiscalement distincte, conformément à une obligation imposée à cet assujetti en tant qu’employeur par la législation nationale, avait le droit de déduire la TVA qu’il avait acquittée sur des prestations portant sur la gestion et le fonctionnement dudit fonds. En effet, ainsi qu’il ressort du point 25 de cet arrêt, l’assujetti lui-même avait acquis les prestations en cause grevées de la TVA, afin d’assurer l’administration des retraites de ses employés et la gestion du patrimoine du fonds de pension constitué pour garantir lesdites retraites. Il ne saurait donc être déduit dudit arrêt que les membres d’un GAP ont le droit de déduire la TVA grevant les biens et services acquis par le groupement, ce dernier étant le seul à pouvoir éventuellement prétendre à un droit à déduction de cette TVA. |
65 |
D’autre part, il convient de rejeter l’argumentation du Grand-Duché de Luxembourg tirée d’une violation du principe de neutralité fiscale. Conformément à ce principe, le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques (arrêt du 15 septembre 2016, Landkreis Potsdam-Mittelmark, C-400/15, EU:C:2016:687, point 35). Le système commun de la TVA garantit donc la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C-277/14, EU:C:2015:719, point 27). |
66 |
Partant, il n’est pas contraire au principe de neutralité fiscale de refuser, en vertu de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112, un droit à déduction aux membres d’un GAP pour ce qui concerne la TVA supportée par ce groupement en raison de services fournis par ce dernier, qui sont exonérés en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/112 et n’ouvrent donc, à ce titre, aucun droit à déduction. En revanche, dans la mesure où un tel GAP fournit des prestations qui ne sont pas exonérées, il y a lieu de relever que, conformément audit principe, ledit groupement, et non pas ses membres, bénéficie à titre personnel d’un droit à déduction de la TVA ayant grevé des opérations en amont. |
67 |
En second lieu, il ressort de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec l’article 226, point 5), et avec l’article 168, sous a), de celle-ci, que, pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit détenir une facture sur laquelle figure son nom en tant qu’acquéreur ou preneur. Ainsi, en permettant aux membres d’un GAP de déduire de la TVA dont ils sont eux-mêmes redevables, sur la base d’une facture établie au nom de ce groupement, la TVA facturée à ce dernier, la réglementation luxembourgeoise est contraire à l’article 178, sous a), de la directive 2006/112. |
68 |
Il convient de relever que la référence opérée par le Grand-Duché de Luxembourg à l’arrêt du 21 avril 2005, HE(C-25/03, EU:C:2005:241), est dénuée de pertinence à cet égard, étant donné que les circonstances de fait de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt étaient très différentes de celles en cause dans la présente affaire. Il ressort en effet notamment du point 81 de cet arrêt que, à la différence d’un GAP, qui possède la qualité d’assujetti à la TVA, et dont l’ensemble des membres exerce une activité économique, la communauté constituée par la copropriété de fait formée par les époux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 avril 2005, HE (C-25/03, EU:C:2005:241), n’avait pas elle-même la qualité d’assujetti à la TVA et seul l’un des époux exerçait une activité économique. |
69 |
Pour le surplus, toutefois, il convient de constater que la Commission n’a pas démontré que la réglementation luxembourgeoise en cause est contraire à l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2006/112, qui énonce le principe selon lequel la TVA est exigible pour chaque opération, sans toutefois traiter de manière spécifique le droit à déduction garanti à l’article 167 et à l’article 168, sous a), de cette directive, sous les conditions prévues notamment à l’article 178 de celle-ci. |
70 |
Il découle des considérations qui précèdent que l’article 4 du règlement grand-ducal, lu en combinaison avec la circulaire administrative en tant qu’elle commente l’article 4 du règlement grand-ducal, est contraire à l’article 168, sous a), ainsi qu’à l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 et que, dans cette mesure, le deuxième grief est fondé. Pour le surplus, ce grief doit être rejeté. |
Sur le troisième grief, tiré du non-respect de l’article 14, paragraphe 2, sous c), et de l’article 28 de la directive 2006/112
Sur la recevabilité du troisième grief
– Argumentation des parties
71 |
Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que le troisième grief doit être rejeté comme étant irrecevable, étant donné qu’il vise exclusivement la note du COBMA. Il rappelle qu’un recours en manquement doit avoir pour objet un manquement imputable à l’État membre concerné. Or, la Commission n’aurait pas démontré que le COBMA est un organe de l’État qui exerce des prérogatives de puissance publique. |
72 |
La Commission soutient que le libellé de la note du COBMA indique que l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, qui est un organe étatique, en est le co-auteur. De plus, cette institution fait valoir que le contenu de cette note confirme qu’il ne s’agit pas de simples recommandations ou conseils aux opérateurs, mais de la manière dont la législation relative aux GAP doit être interprétée et appliquée de façon harmonisée. En tout état de cause, la Commission considère que la note du COBMA exprime la pratique générale de l’administration fiscale luxembourgeoise. |
– Appréciation de la Cour
73 |
Il convient de rappeler qu’une pratique administrative d’un État membre peut faire l’objet d’un recours en manquement lorsqu’elle présente un certain degré de constance et de généralité (arrêt du 22 septembre 2016, Commission/République tchèque, C-525/14, EU:C:2016:714, point 14). Or, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas contesté l’argumentation de la Commission selon laquelle la note du COBMA exprime la pratique générale de l’administration fiscale luxembourgeoise. |
74 |
Il s’ensuit que le troisième grief a pour objet un manquement imputable au Grand-Duché de Luxembourg et que, partant, il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité le concernant. |
Sur le fond
– Argumentation des parties
75 |
La Commission observe que, en vertu de la note du COBMA, l’affectation au GAP, par l’un de ses membres, de dépenses engagées par ce membre en son nom mais pour le compte du GAP est une opération exclue du champ d’application de la TVA. |
76 |
Or, selon la Commission, une telle opération relève du champ d’application de la TVA, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous c), et de l’article 28 de la directive 2006/112. Selon elle, chaque acquisition de biens ou de services réalisée pour le compte du GAP par l’un de ses membres en son nom propre doit, du point de vue de la TVA, être regardée comme deux livraisons de biens ou prestations de services identiques, fournies consécutivement et qui entrent dans le champ d’application de la TVA. À cet égard, elle s’appuie sur l’arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a. (C-464/10, EU:C:2011:489). |
77 |
À titre liminaire, le Grand-Duché de Luxembourg souligne que le passage critiqué de la note du COBMA concerne non pas les GAP dotés de la personnalité juridique, mais uniquement ceux qui en sont dénués. |
78 |
Cet État membre soutient que l’analogie faite par la Commission entre l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a. (C-464/10, EU:C:2011:489), et le cas d’espèce est dénuée de pertinence, les deux situations étant substantiellement différentes. À cet égard, il relève qu’un GAP dénué de personnalité juridique ne peut pas agir de façon indépendante, mais seulement par le biais d’un membre agissant pour son compte, et que les opérations entre un GAP et ce membre ne sont pas nécessairement des opérations entre deux assujettis distincts. Dans ce contexte, cet État membre fait un parallèle avec les fonds communs de placement, au sens de la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO 2009, L 302, p. 32), qui, eux aussi, ne pourraient agir que par le biais de leur société de gestion et seraient donc exclus du champ d’application de la TVA. |
79 |
Le Grand-Duché de Luxembourg estime que la relation entre les membres d’un GAP et ce dernier peut, en fonction des stipulations contractuelles du GAP mis en place, être analogue à celle des membres d’un consortium, tel que l’a jugé la Cour dans l’arrêt du 29 avril 2004, EDM (C-77/01, EU:C:2004:243). Dans cette affaire, la Cour aurait estimé que les travaux effectués dans le cadre d’un consortium pour le compte de celui-ci par chacun de ses membres ne constituaient pas des opérations imposables. |
– Appréciation de la Cour
80 |
À titre liminaire, s’agissant de la portée du passage contesté de la note du COBMA, il y a lieu de constater qu’il ne ressort pas sans équivoque du libellé de ce passage qu’il vise uniquement la situation des GAP dénués de personnalité juridique, ainsi que l’a fait valoir le Grand-Duché de Luxembourg. Toutefois, ainsi que le soutient la Commission, le passage de cette note selon lequel « lorsqu’une relation directe entre le groupement et les tiers ne peut être envisagée pour des raisons commerciales ou légales », semble indiquer que tel n’est pas le cas. Cependant, et en tout état de cause, la question de savoir si ledit passage s’applique ou non à des GAP dotés de la personnalité juridique est sans incidence pour l’analyse du troisième grief. |
81 |
Le troisième grief vise en effet la situation dans laquelle le membre d’un GAP acquiert des biens ou des services en son nom mais pour le compte du GAP. |
82 |
Or, ainsi qu’il ressort du point 61 du présent arrêt, le GAP est un assujetti à part entière, distinct de ses membres, lesquels sont également des assujettis. Partant, les opérations entre le GAP, qui agit de façon autonome, et l’un de ses membres sont à considérer comme des opérations entre deux assujettis qui relèvent du champ d’application de la TVA. L’argumentation du Grand-Duché de Luxembourg, selon laquelle les opérations entre un GAP et l’un de ses membres ne sont pas nécessairement des opérations entre deux assujettis distincts, le premier ne pouvant agir que par le biais de l’un de ses membres, et le parallèle fait dans ce contexte avec les fonds communs de placement, sont dès lors dénués de pertinence en l’espèce. |
83 |
Il s’ensuit que l’affectation au GAP, par l’un de ses membres, de dépenses engagées par ce membre en son nom mais pour le compte du GAP est une opération qui relève du champ d’application de la TVA. |
84 |
Ce constat est confirmé par l’article 14, paragraphe 2, sous c), et l’article 28 de la directive 2006/112, dispositions dont la violation est invoquée par la Commission dans le cadre du troisième grief. |
85 |
L’article 28 de la directive 2006/112 dispose qu’un assujetti qui, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question. |
86 |
Ainsi, cette disposition crée la fiction juridique de deux prestations de services identiques fournies consécutivement. En vertu de cette fiction, l’opérateur, qui s’entremet dans la prestation de services et qui constitue le commissionnaire, est réputé avoir, dans un premier temps, reçu les services en question de l’opérateur pour le compte duquel il agit, qui constitue le commettant, avant de fournir, dans un second temps, personnellement ces services au client (arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a., C-464/10, EU:C:2011:489, point 35). |
87 |
Étant donné que l’article 28 de la directive 2006/112 relève du titre IV, intitulé « Opérations imposables », de cette directive, les deux prestations de services concernées relèvent du champ d’application de la TVA. Il en résulte que, si la prestation de services dans laquelle un opérateur s’entremet est soumise à la TVA, la relation juridique entre cet opérateur et l’opérateur pour le compte duquel il agit est également soumise à la TVA (voir, par analogie, arrêt du 14 juillet 2011, Henfling e.a., C-464/10, EU:C:2011:489, point 36). |
88 |
Le même raisonnement s’impose pour ce qui concerne l’acquisition des biens en vertu d’un contrat de commission à l’achat, conformément à l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/112, qui relève également du titre IV de cette directive. Cette disposition crée donc la fiction juridique de deux livraisons de biens identiques effectuées consécutivement, lesquelles relèvent du champ d’application de la TVA. |
89 |
Partant, lorsque le membre d’un GAP acquiert, en son nom mais pour le compte du GAP, des biens en vertu de l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/112, ou des services, en vertu de l’article 28 de celle-ci, le remboursement par le groupement des dépenses y afférentes est une opération qui relève du champ d’application de la TVA. |
90 |
L’analogie invoquée par le Grand-Duché de Luxembourg avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 avril 2004, EDM (C-77/01, EU:C:2004:243) doit également être écartée. En effet, contrairement au consortium en cause dans cette affaire, le GAP est, ainsi qu’il ressort des points 61 et 82 du présent arrêt, un assujetti distinct de ses membres. |
91 |
Partant, en disposant que l’affectation au GAP, par l’un de ses membres, de dépenses engagées par ce membre en son nom mais pour le compte du GAP est une opération exclue du champ d’application de la TVA, la note du COBMA est contraire à l’article 14, paragraphe 2, sous c), et à l’article 28 de la directive 2006/112, de sorte que le troisième grief est fondé. |
92 |
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en prévoyant le régime de TVA relatif aux GAP, tel que défini, premièrement, à l’article 44, paragraphe 1, sous y), de la loi relative à la TVA, lu en combinaison avec l’article 2, sous a), et l’article 3 du règlement grand-ducal, deuxièmement, à l’article 4 de ce même règlement, lu en combinaison avec la circulaire administrative en tant qu’elle commente ledit article 4, et, troisièmement, dans la note du COBMA, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de l’article 132, paragraphe 1, sous f), de l’article 168, sous a), de l’article 178, sous a), de l’article 14, paragraphe 2, sous c), et de l’article 28 de la directive 2006/112. |
Sur les dépens
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En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg et ce dernier ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. |
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête : |
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Jürimäe Lycourgos Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 04 mai 2017. Le greffier A. Calot Escobar Le président de la IVème chambre T. von Danwitz |
( *1 ) Langue de procédure : le français.