ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
15 septembre 2016 (*)
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Sixième directive 77/388/CEE – Droit à déduction – Décision 2004/817/CE – Réglementation d’un État membre – Dépenses relatives à des biens et à des services – Pourcentage de leur utilisation à des fins non économiques supérieur à 90 % de leur utilisation totale – Exclusion du droit à déduction »
Dans l’affaire C-400/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 16 juin 2015, parvenue à la Cour le 23 juillet 2015, dans la procédure
Landkreis Potsdam-Mittelmark
contre
Finanzamt Brandenburg,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. D. Šváby, président de chambre, MM. J. Malenovský et M. Safjan (rapporteur), juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le Landkreis Potsdam-Mittelmark, par M. J. Wulf-von Moers, conseil,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. M. Wasmeier, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er de la décision 2004/817/CE du Conseil, du 19 novembre 2004, autorisant l’Allemagne à appliquer une mesure dérogatoire à l’article 17 de la sixième directive 77/388/CEE en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 2004, L 357, p. 33, ci-après la « décision d’autorisation »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Landkreis Potsdam-Mittelmark (arrondissement de Potsdam-Mittelmark, Allemagne) au Finanzamt Brandenburg (service des impôts de Brandebourg, Allemagne) au sujet de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due par cet arrondissement pour l’exercice fiscal 2008.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La sixième directive
3 La sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive ») a été abrogée et remplacée, à compter du 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO 2010, L 10, p. 14). L’exercice fiscal litigieux correspondant à l’année 2008, les références faites à la sixième directive s'entendent comme faites à la directive 2006/112 et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l'annexe XII de celle-ci.
4 L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive prévoyait :
« 1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. »
5 L’article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive disposait :
« Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:
a) l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la [TVA] ».
6 Aux termes de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de cette directive :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :
a) la [TVA] due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ».
7 L’article 27, paragraphe 1, de la sixième directive prévoyait :
« Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l’État membre perçues au stade de la consommation finale. »
La décision d’autorisation
8 Le considérant 3 de la décision d’autorisation énonce :
« La mesure dérogatoire vise à exclure du droit à déduction de la TVA dont elles sont grevées, les dépenses relatives à des biens et des services lorsque le pourcentage de leur utilisation pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, est supérieur à 90 % de leur utilisation totale. Cette mesure constitue une dérogation à l’article 17 de la [sixième directive], modifié par l’article 28 septies de cette même directive, et elle se justifie par la nécessité de simplifier la procédure de perception de la TVA ; elle n’a qu’une incidence minime sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale. »
9 L’article 1er de cette décision prévoit :
« Par dérogation aux dispositions de l’article 17, paragraphe 2, de la [sixième directive], l’Allemagne est autorisée à exclure du droit à déduction de la TVA dont elles sont grevées, les dépenses relatives à des biens et des services lorsque le pourcentage de leur utilisation pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, est supérieur à 90 % de leur utilisation totale. »
10 Aux termes de l’article 2 de ladite décision :
« La présente décision est applicable jusqu’au 31 décembre 2009. »
11 L’article 3 de la même décision dispose :
« La République fédérale d’Allemagne est destinataire de la présente décision. »
Le droit allemand
12 L’article 15 de l’Umsatzsteuergesetz (loi sur la taxe sur le chiffre d’affaires, ci-après l’« UStG ») prévoit :
« 1) L’entrepreneur peut déduire, au titre de la TVA en amont,
1. la taxe légalement due au titre des livraisons et autres prestations qui sont effectuées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise. [...]
[...]
La livraison, l’importation ou l’acquisition intracommunautaire d’un bien qu’un entrepreneur utilise à moins de 10 % pour son entreprise ne sont pas réputées effectuées pour le compte de l’entreprise.
[...]
2) Est exclue la déduction de la TVA en amont pour la livraison, l’importation ou l’acquisition intracommunautaire d’un bien [...] que l’entrepreneur utilise pour les opérations suivantes :
1. opérations exonérées ;
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 L’arrondissement de Potsdam-Mittelmark est une collectivité territoriale assumant, sous sa propre responsabilité, les missions allant au-delà des capacités des communes et des administrations qui relèvent de cet arrondissement. En sa qualité d’autorité publique, il lui incombe, notamment dans le cadre de l’exercice de la puissance publique, de construire et d’entretenir des routes, ainsi que de maintenir la sécurité routière sur son territoire. Il a effectué ces missions par l’intermédiaire d’un établissement propre (Eigenbetrieb) sans personnalité juridique.
14 Au cours de l’exercice fiscal 2008, l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark a acquis différents biens, à savoir des engins de travaux, des véhicules utilitaires et des accessoires, qu’il a utilisés essentiellement pour les prestations effectuées dans le cadre de l’exercice de l’autorité publique. Toutefois, à concurrence de 2,65 %, il a également utilisé ces biens, entre autres pour des prestations d’élagage et d’abattage d’arbres, pour des travaux de fauchage et de balayage ainsi que pour des services hivernaux, fournis à des tiers. Pour ces prestations, il était assujetti à la TVA.
15 Le service des impôts de Brandebourg n’a pas autorisé la déduction de la TVA payée en amont et grevant les biens mentionnés au point précédent, au motif que ces biens n’avaient pas été utilisés au moins à concurrence de 10 % pour l’entreprise de l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark, conformément à l’article 15, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’UStG. Sur réclamation du requérant au principal, le service des impôts de Brandebourg a accordé, pour un autre motif, une partie de la déduction sollicitée. Pour le surplus, le recours a été rejeté. Le recours contre cette décision, introduit par l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark devant le Finanzgericht Berlin-Brandenburg (tribunal des finances de Berlin-Brandebourg, Allemagne), a été rejeté par ce dernier.
16 Par son recours en Revision devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances), le requérant a fait valoir que le refus de la déduction de la TVA viole le droit de l’Union. En effet, selon l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark, si la République fédérale d’Allemagne a été autorisée, par la décision d’autorisation, à appliquer une mesure dérogatoire à l’article 17 de la sixième directive, cette autorisation ne couvre pas une exclusion de la déduction de la TVA en amont pour les cas, tels que celui en cause au principal, où des biens seraient utilisés à plus de 90 % pour des activités non économiques qui ne relèvent pas du champ d’application de la TVA, mais qui ne pourraient être qualifiées d’« étrangères à l’entreprise ». Par conséquent, l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark considère qu’il a droit à une déduction proportionnelle de 2,65 % de la TVA payée en amont.
17 Par ailleurs, il a soutenu que le refus de la déduction de la TVA en amont enfreint le principe de la neutralité au regard de la concurrence, ce refus ayant pour conséquence que les montants de la TVA en amont qui ne peuvent être déduits sont intégrés en tant que coûts directs dans le calcul des prix, bien que les opérations en aval qu’il effectue en concurrence avec des entreprises privées soient pleinement taxées. Il subirait donc un désavantage concurrentiel structurel.
18 À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, en vertu du droit national, l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark n’a pas droit à la déduction de la TVA en amont qu’il fait valoir. En effet, il utiliserait les biens en cause essentiellement pour effectuer ses missions de service public, et uniquement à concurrence de 2,65 % dans le cadre de son entreprise aux fins de prestations imposables. Pour ce cas de figure, la déduction de la TVA en amont serait exclue en application de l’article 15, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’UStG, étant donné que la proportion de l’utilisation pour le compte de l’entreprise du requérant est inférieure à 10 %.
19 Cette juridiction rappelle que, en vertu de l’article 1er de la décision d’autorisation, par dérogation aux dispositions de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, la République fédérale d’Allemagne est autorisée à exclure du droit à déduction de la TVA dont elles sont grevées, les dépenses relatives à des biens et à des services lorsque le pourcentage de leur utilisation pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, est supérieur à 90 % de leur utilisation totale.
20 Or, d’une part, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que, si l’assujetti envisage une utilisation, ou une utilisation partielle, d’un bien pour une activité non économique ne relevant pas du champ d’application de la sixième directive, il n’aurait pas droit à une déduction de la TVA en amont.
21 D’autre part, en cas de livraison d’un bien que l’assujetti veut utiliser à la fois pour des activités économiques assujetties à la TVA et à des fins privées, « étrangères à son entreprise », au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, il pourrait affecter l’ensemble de ce bien à son entreprise et, sur la base de cette affectation, avoir pleinement droit à la déduction de la TVA en amont. Il devrait toutefois acquitter la TVA due pour l’utilisation dudit bien à des fins étrangères à son entreprise, ainsi qu’il découlerait, notamment, de l’arrêt du 23 avril 2009, Puffer (C-460/07, EU:C:2009:254, point 39).
22 La juridiction de renvoi estime que, selon ces principes, la déduction de la TVA en amont est obligatoirement exclue dans la mesure où l’arrondissement de Potsdam-Mittelmark utilise les biens qu’il a acquis à 97,35 % pour ses activités relevant de l’exercice de la puissance publique, qui seraient des activités non économiques échappant au régime de la TVA. Par ailleurs, à concurrence de 2,65 %, le requérant aurait droit, en principe, à une déduction de la TVA en amont. Cette déduction serait toutefois exclue en vertu de l’article 15, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’UStG.
23 À cet égard, la juridiction de renvoi émet des doutes sur le point de savoir si l’article 1er de la décision d’autorisation vise uniquement, ainsi qu’il ressort de son libellé, à exclure la déduction de la TVA en amont lorsqu’un bien est utilisé pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, ou s’il s’applique également dans des cas où un bien, comme dans l’affaire au principal, est utilisé à plus de 90 % pour des activités non économiques, qui ne relèvent pas du champ d’application de la TVA.
24 Cette juridiction estime que, sur la base de l’arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie (C-515/07, EU:C:2009:88), l’habilitation figurant à l’article 1er de la décision d’autorisation peut être interprétée en ce sens qu’elle autorise l’exclusion de la déduction de la TVA en amont uniquement pour les cas où le bien acquis est utilisé à plus de 90 % « à des fins étrangères à l’entreprise », et non pas celles, non économiques, qui ne relèvent pas du champ d’application de la TVA. Dans ce cas, l’article 15, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’UStG ne serait pas couvert par la décision d’autorisation dans la mesure où la déduction de la TVA en amont est également exclue en cas d’utilisation non économique à plus de 90 %.
25 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 15, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’UStG prévoit que la livraison, l’importation ou l’acquisition intracommunautaire d’un bien qu’un professionnel utilise à moins de 10 % pour son entreprise ne sont pas réputées effectuées pour l’entreprise – et exclut dans cette mesure la déduction de la TVA en amont.
Cette règle se fonde sur l’article 1er de la décision d’autorisation, qui autorise la République fédérale d’Allemagne, par dérogation aux dispositions de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, à exclure du droit à déduction de la TVA dont elles sont grevées, les dépenses relatives à des biens et à des services lorsque le pourcentage de leur utilisation pour les besoins privés de l’assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, est supérieur à 90 % de leur utilisation totale.
Cette autorisation – conformément à son libellé – s’applique-t-elle uniquement aux cas réglés à l’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive (article 26 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2009/162), ou, en outre, à tous les cas dans lesquels un bien ou un service n’est que partiellement utilisé à des fins professionnelles ? »
Sur la question préjudicielle
26 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er de la décision d’autorisation doit être interprété en ce sens qu’il est applicable à une situation dans laquelle une entreprise acquiert des biens ou des services qu’elle exploite à plus de 90 % pour des activités non économiques, qui ne relèvent pas du champ d’application de la TVA.
27 Ainsi qu’il ressort de son libellé, la décision d’autorisation porte dérogation à l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, en vertu duquel un assujetti peut déduire la TVA en amont dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, à savoir pour une activité économique.
28 Afin de savoir si la notion de « fins étrangères à l’entreprise » figurant à l’article 1er de la décision d’autorisation est susceptible de couvrir une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la requérante exerce des activités qui lui incombent en sa qualité d’autorité publique, à savoir des activités non économiques, bien qu’elles ne soient pas étrangères à l’entreprise, il y a lieu de se reporter à la signification donnée à cette notion dans la sixième directive, sur la base de laquelle la décision d’autorisation a été adoptée, conformément à l’article 27, paragraphe 1, de celle-ci.
29 Ainsi qu’il découle de l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, une utilisation à des fins étrangères à l’entreprise peut être soumise à la TVA.
30 En revanche, les activités non économiques ne tombent pas dans le champ d’application de la sixième directive (arrêts du 13 mars 2008, Securenta, C-437/06, EU:C:2008:166, points 30 et 31, ainsi que du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie, C-515/07, EU:C:2009:88, points 36 et 37).
31 Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive n’a pas vocation à établir une règle selon laquelle des opérations qui se situent en dehors du champ d’application du régime de la TVA peuvent être considérées comme étant effectuées « à des fins étrangères à l’entreprise » au sens de cette disposition. En effet, une telle interprétation aurait pour conséquence de vider de son sens l’article 2, point 1, de la sixième directive (arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie, C-515/07, EU:C:2009:88, point 38).
32 Ces considérations sont confortées par l’économie du système commun de la TVA dans le cadre duquel la distinction entre les activités économiques et les activités non économiques suit des critères différents de ceux faisant le départ entre un usage professionnel et un usage à des fins étrangères à l’entreprise, notamment privées.
33 Il est de jurisprudence constante que, en cas d’utilisation d’un bien d’investissement à des fins tant professionnelles que privées, l’intéressé a le choix, pour les besoins de la TVA, soit d’affecter ce bien dans sa totalité au patrimoine de son entreprise, soit de le conserver dans sa totalité dans son patrimoine privé en l’excluant ainsi complètement du système de la TVA, soit encore de ne l’intégrer dans son entreprise qu’à concurrence de l’utilisation professionnelle effective (arrêt du 23 avril 2009, Puffer, C-460/07, EU:C:2009:254, point 39 et jurisprudence citée).
34 En revanche, une telle liberté de choix n’existe pas lorsqu’il s’agit de savoir si un bien est ou non utilisé pour une activité économique. Lorsqu’une entreprise utilise un bien tant pour des activités économiques que pour des activités non économiques, l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive se limite à prévoir un droit à déduction de la taxe payée en amont. Les mesures que les États membres sont appelés à adopter à cet égard doivent respecter le principe de la neutralité fiscale sur lequel repose le système commun de la TVA (arrêt du 13 mars 2008, Securenta, C-437/06, EU:C:2008:166, point 36).
35 Conformément à ce principe de neutralité fiscale, le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques (arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie, C-515/07, EU:C:2009:88, point 27).
36 Or, une exclusion du droit à déduction pour des biens professionnels qui sont utilisés à moins de 10 % pour des activités économiques ne satisfait pas à cette exigence.
37 Les considérations qui précèdent sont pleinement transposables à l’interprétation de la notion de « fins étrangères à l’entreprise » figurant à l’article 1er de la décision d’autorisation. En effet, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les notions utilisées par les actes adoptés dans un même domaine doivent avoir la même signification, à moins que le législateur de l’Union n’ait exprimé une volonté différente (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C-403/08 et C-429/08, EU:C:2011:631, point 188, ainsi que du 31 mai 2016, Reha Training, C-117/15, EU:C:2016:379, point 28). Tel n’est pas le cas en l’occurrence.
38 Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la notion de « fins étrangères à l’entreprise » aurait connu une acception différente pour les périodes antérieures à l’arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie (C-515/07, EU:C:2009:88), si bien que la décision d’autorisation, adoptée le 19 novembre 2004, pourrait toujours concerner la distinction entre les activités économiques et les activités non économiques, il convient de rappeler que l’interprétation par la Cour des dispositions du droit de l’Union a un caractère rétroactif et vaut ainsi depuis l’entrée en vigueur de la disposition interprétée (arrêt du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, EU:C:1980:100, point 16).
39 Il ne saurait donc être considéré que la notion de « fins étrangères à l’entreprise » puisse faire l’objet d’une interprétation différente pour ce qui concerne les périodes antérieures à l’arrêt du 12 février 2009, Vereniging Noordelijke Land- en Tuinbouw Organisatie (C-515/07, EU:C:2009:88), dont il ressort que cette notion ne concerne pas la distinction entre les activités économiques et les activités non économiques.
40 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 1er de la décision d’autorisation doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une situation dans laquelle une entreprise acquiert des biens ou des services qu’elle exploite à plus de 90 % pour des activités non économiques, qui ne relèvent pas du champ d’application de la TVA.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
L’article 1er de la décision 2004/817/CE du Conseil, du 19 novembre 2004, autorisant l’Allemagne à appliquer une mesure dérogatoire à l’article 17 de la sixième directive 77/388/CEE en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une situation dans laquelle une entreprise acquiert des biens ou des services qu’elle exploite à plus de 90 % pour des activités non économiques, qui ne relèvent pas du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.